samedi 8 juillet 2017

La conservation du savoir grec à Constantinople et sa diffusion dans l'Europe romane

Quel fut le rôle de l’Empire byzantin dans l’essor culturel de l’Europe latine à l’époque de l’art roman ? C’est à Byzance, en effet, que fut recopiée la quasi-intégralité des œuvres de l’Antiquité grecque. Et c’est dans la cité impériale que la culture antique continua pendant des siècles à servir de socle à l’enseignement scolaire, la paideia παιδεία certes réservée à une élite.

Ce bagage byzantin fut transmis aux cours royales et aux abbayes de l’Europe à l’époque romane. On rencontre ainsi les influences artistiques byzantines à travers toute l’Europe des Xe-XIIe siècles, dans les vallées de la Meuse ou du Rhône, en Allemagne, jusque dans les royaumes scandinaves. De nombreux textes antiques furent alors traduits en latin puis commentés.

Les routes et les intermédiaires humains par lesquels cette transmission s’est effectuée montrent un couloir de circulation reliant la Sicile, l’Italie du Sud, la vallée du Rhône, la cour de Champagne, les abbayes d’Île-de-France et de Normandie, le monde rhénan...

C’est toute l’influence byzantine sur le monde latin, visible dans les fresques et les enluminures, dans la transmission d’ouvrages, d’abord religieux, puis savants que retrace dans cet essai magistral Sylvain Gouguenheim.


Brève présentation du libraire de la Procure




Entretien de 25 minutes avec Sylvain Gouguenhein au sujet de son ouvrage.
La « renaissance macédonienne » dont il est question eut lieu entre 867 et 1056 apr. J.-C. L’école de Tolède (en Espagne chrétienne car reprise en 1085 aux Sarrasins) traduisit à partir du milieu du XIIe siècle de nombreux ouvrages en langue arabe (eux-mêmes souvent traduits en arabe du grec, voire traduits en arabe du syriaque traduits du grec...)

Extrait relatif à l’enseignement byzantin
Le conservatoire de la paideia

Pour établir un pont entre la culture de l’Antiquité tardive et Byzance médiévale, il faut nous tourner vers le système scolaire, dont la survivance est illustrée directement, pour la fin du VIIIe siècle et le début du IXe par certaines œuvres parvenues jusqu’à nous.

« Les Byzantins, écrit B. Flusin, ont vu dans la paideia un trait caractéristique de leur identité » : l’école dispensait une culture à la fois classique, hellénique, et chrétienne ; la culture profane jouant un rôle « subordonné et instrumental. »

De Justinien aux souverains macédoniens, pas plus que dans l’Antiquité tardive des II-Ve siècles, l’enseignement ne se fonda uniquement sur des œuvres chrétiennes. Au début du IXe siècle, les textes scientifiques et techniques de l’Antiquité grecque sont encore à la disposition des lettrés.

Par exemple, les patriarches de Constantinople Taraise (784-806) et Nicéphore (806-815) reçurent une instruction où la tradition antique, païenne, était présente.

Tout commençait par une formation élémentaire, auprès du grammatistès, vers l’âge de 6-7 ans, « pendant laquelle l’enfant apprenait des rudiments de calcul et à lire et à écrire en utilisant des textes religieux ».

Ensuite, au bout de trois ou quatre ans commençait l’enseignement dit « encyclopédique » (εγκύκλιος παιδεία) dont le but était de fournir des connaissances « circulaires » c’est-à-dire un savoir global portant sur l’ensemble des disciplines jugées nécessaires à l’exercice des fonctions ecclésiales ou administratives. Cet enseignement reposait sur la mathimatiki tétraktys (arithmétique, géométrie, astronomie et musique) après les trois disciplines littéraires, la grammaire, la rhétorique et la poésie.

Les écoles byzantines demeurèrent fidèles au modèle de la paideia ; l’empire chrétien d’Orient ne l’avait pas détruite, ni ne lui avait substitué une école « chrétienne ». L’enseignement y reposait toujours sur les mêmes auteurs, dont les textes étaient abordés sous la forme de compilations, de florilèges et d’abrégés.

Homère, considéré comme le fondateur de la littérature grecque, donc comme le fondement de l’éducation, en constituait la base ; on étudiait sinon le texte entier de l’Iliade du moins les premiers chants ; Ignace le Diacre, actif dans la première moitié du IXe siècle le cite, ainsi qu’Hésiode ; Michel Psellos prétend l’avoir appris par cœur. À la fin du XIIe siècle, Eustathe de Thessalonique et Jean Tzétzès ont composé des commentaires sur les poèmes d’Homère.

Les Travaux et les Jours d’Hésiode et les tragédies servaient à l’étude de la grammaire, Démosthène à l’enseignement de la rhétorique et Aristote à celui de la logique ; on abordait les savoirs scientifiques par le biais d’Euclide et de Ptolémée : un palimpseste des Éléments écrit à la fin du VIIe ou au début du VIIIe siècle témoigne de la permanence de leur étude même dans ces « âges sombres ». Il n’est pas exclu que Plutarque et la Cyropédie de Xénophon aient également été utilisés.

Il n’y avait pas d’université telle que l’Europe latine les inventa au XIIIe siècle. Au VIIIe siècle il n’y a même plus dans la capitale de lieux publics d’enseignement supérieur.

Au siècle suivant, l’école patriarcale, qui formait en théologie, dispensait un enseignement de base où dominaient la grammaire, la philosophie, les mathématiques. Même les futurs moines, écrit J. Irigoin s’initiaient à la logique et à la poétique. Mais ils ne semblent pas en avoir ensuite fait grand cas si l’on se fie au faible rôle des monastères dans la copie des textes classiques.

En 863, Bardas — frère de l’impératrice Théodora et régent entre 858 et 866 — installa à Constantinople dans le palais de la Magnaure une sorte d’école supérieure où l’on enseignait les sept arts libéraux et la philosophie.

Entre ces disciplines, il n’y avait pas de séparation : ce sont souvent les philosophes qui les enseignaient, en les orientant dans un sens spéculatif, par exemple en astronomie. Quatre professeurs y furent actifs à l’époque de la fondation ; outre Léon dit le « Mathématicien » ou le « Philosophe », chargé de la philosophie, son élève Théodore enseignait la géométrie, Théodègios l’arithmétique et l’astronomie, tandis que Kométas prenait en charge la grammaire. Constantin VII en relança l’activité au milieu du Xe siècle. Au début du XIIe siècle, la princesse Anne Comnène (1083-1153), fille de l’empereur Alexis Ier, témoigne dans son Alexiade, vaste poème à l’honneur de son père, avoir reçu une formation complète dans les sciences de la tétraktys ainsi que dans la philosophie platonicienne et aristotélicienne (étaient ainsi enseignés Proclus, Jamblique, Porphyre).

Le savoir antique avait, comme dans l’Antiquité tardive, une triple utilité : il fournissait le socle des connaissances nécessaires à la formation des élites ; il servait de propédeutique à la foi chrétienne et permettait — au prix d’une exégèse — de la corroborer ; il jouait, par ses « erreurs » le rôle d’un repoussoir. Il serait donc erroné de voir dans la paideia le souci de se cultiver auprès des auteurs anciens, de vivre en compagnie de Socrate, Sophocle ou Thucydide. De tels sentiments ont existé, mais furent rares et ne constituaient pas l’objectif de l’institution scolaire. Celle-ci a toutefois donc permis, dans une période où on ne s’en souciait guère, la conservation de la culture classique.

[…]




Dans la première moitié du IXe siècle, s’amorça à Constantinople un vaste mouvement de copie des textes antiques qui toucha tous les domaines et démontrait un regain d’intérêt pour la culture classique. Entre le IXe et le XIIe siècles, la plus grande partie des textes philosophiques, historiques, littéraires, mathématiques firent l’objet de copies. Ce travail fondamental, assurant à la fois conservation et transmission, a été étudié de nombreux historiens.

Sans ces translittérations de la « Renaissance macédonienne », la majeure partie de ces œuvres, notamment le théâtre et l’histoire, serait tombée dans les oubliettes. Sans ce travail, nous n’aurions pas aujourd’hui les versions originelles non seulement de Platon ou Aristote, mais de Thucydide Hérodote, Eschyle, Sophocle, Euripide, Euclide, Diophante, etc., grâce auxquelles sont élaborées les éditions modernes.

Caractères généraux de la « Renaissance macédonienne »





Cet intérêt toutefois ne se diffusa qu’au sein de certaines élites et notamment, au contraire de ce qui se passa dans les scriptoria monastiques d’Occident, les moines ne s’y impliquèrent guère. Ils ignorèrent la littérature antique, alors que leurs homologues bénédictins recopièrent inlassablement les auteurs latins. Le moine constantinopolitain Éphrem représente une exception.

Peut-être d’ailleurs a-t-il agi sur commande. Quoi qu’il en soit, il dirigea un important atelier de copie dans la seconde moitié du Xe siècle, qui produisit des textes d’Aristote, de Polybe, sans doute aussi de Thucydide, Appien, Lucien et Plutarque.

Ce renouveau ne fut pas une mode passagère puisqu’il inaugura un courant qui dura jusqu’à la chute de Constantinople en 1453. Il concerna les œuvres classiques dans tous les — domaines ainsi que leurs commentaires de l’époque hellénistique. Le terme de renaissance ne doit pas être pris dans un sens trop proche de celui que l’on affecte à l’Italie des XVe et XVIe siècles ; J.-M. Spieser l’estime même « impropre », notamment parce que sa « véritable caractéristique est la production d’objets de luxe, mais l’usage s’en est répandu.


La reprise des œuvres artistiques de l’Antiquité n’eut en tout cas pas la même ampleur, encore moins le même esprit, que celle effectuée trois ou quatre siècles plus tard par les artistes italiens. — Et s’il y eut « floraison artistique » à l’époque macédonienne, elle imita l’art byzantin, ou paléochrétien, que la période iconoclaste avait bridé, plutôt que l’art antique.

Les débuts de cette « renaissance », à laquelle on donne le nom de la dynastie régnante entre 867 et 1056, mais qui se prolongea sous les Comnènes, se situent, selon les auteurs, entre 813 et 842 ou bien après le triomphe de l’Orthodoxie en 843 scellant la fin de la crise iconoclaste.

Ce fut encore la paideia qui servit d’appui à ce mouvement, notamment les écoles de la capitale qui portaient le nom de l’église qui les abritait (écoles des Chalkoprateia, des Quarante-Martyrs, de Saint-Pierre où enseignait au XIe siècle Michel Psellos, etc.)

Si les petites écoles et l’alphabétisation étaient supérieures dans l’empire grec à ce qu’elles étaient alors en Occident, la culture demeurait limitée à un maigre cercle social et dépendait beaucoup du mécénat de hautes personnalités ou des empereurs. Constantinople disposait, sans doute vers 950, d’une organisation d’ensemble d’écoles secondaires. Plusieurs cités de province abritent des écoles (Thessalonique, Trébizonde), mais la majorité de la population restait à l’écart.

Un commentaire porté sans doute par le juriste Xiphilin à la fin du XIe siècle sur un manuscrit des œuvres de l’historien Zosime émet un jugement négatif sur la culture du temps. Plus tard, le métropolite d’Athènes, Michel Choniatès (1139-1222), qui avait rassemblé une riche bibliothèque, se lamentait de l’ignorance des habitants de sa ville.

À l’origine du renouveau culturel se trouvent une poignée d’individus et les initiatives de certains empereurs, au prix d’entreprises de longue haleine. Mais ce que firent ces lettrés et savants eut une répercussion sans commune mesure avec leur nombre. Deux d’entre eux émergent : Léon le Mathématicien (ou « le Philosophe ») et Photios, futur patriarche de Constantinople.

Léon enseigna à l’école des Quarante-Martyrs à partir de 829/833 jusqu’en 840, puis à la Magnaure. Il était d’abord un scientifique, auteur de courts poèmes sur le Traité des coniques d’Appolonios de Perge, sur la mécanique et l’astronomie. On sait qu’il détenait des manuscrits des Éléments d’Euclide ou de l’Introduction à la Grande Syntaxe de Ptolémée, voire des traités d’Archimède. Il s’intéressait, en outre, à la philosophie antique et a notamment révisé les Lois de Platon ; travail qu’il signale dans une note marginale portée sur le plus ancien manuscrit de ce texte qui nous soit parvenu, qu’il a donc eu entre les mains. Il avait enfin une « connaissance étendue de l’Iliade et de l’Odyssée. » C’est avec lui, écrit J. Irigoin, que l’on peut commencer à parler d’une renaissance de la littérature antique.

Photios, patriarche de Constantinople entre 858 et 867 puis entre 877 et 886, est le second grand acteur de ce renouveau. Réputé pour sa science et sa maîtrise de l’ensemble des disciplines (grammaire, métrique, philosophie, médecine, géométrie, etc.), il enseigna la dialectique et la philosophie. Son Lexique (antérieur à 855) et sa Bibliothèque (855) donnent une idée de son érudition.

Le premier de ces ouvrages offre à travers les mots définis un choix de lecture de prosateurs et « historiens ; y sont insérées de nombreuses citations.

Le second présente des notices et extraits de 279 manuscrits lus et annotés par Photios lui-même et dont 122 correspondent à des œuvres d’auteurs profanes antiques et hellénistiques (99 au total, dont 31 historiens). Il s’agit de véritables comptes rendus critiques. N’y figurent pas les ouvrages classiques, qui étaient la base de l’enseignement, ni les philosophes autres que mineurs, ni aucun poète ; les œuvres latines sont absentes.

S’il connaît Thucydide et Xénophon, il ne les présente pas ; de même Il ne recense pas les travaux d’Euclide et de Ptolémée qu’il ne peut ignorer. Ses silences ne sont donc pas des lacunes, mais des choix : il fait figurer ce qu’il a lu, à l’exception des textes classiques et usuels.

Fait remarquable, les manuscrits byzantins ultérieurs ne nous ont transmis qu’un tiers des ouvrages mentionnés par Photios. Celui-ci avait donc trouvé nombre d’anciens textes dans les bibliothèques de la capitale ou des environs. À partir du Xe siècle et avec la réalisation des encyclopédies, on jugea inutile de les conserver, puisque les éléments les plus intéressants venaient d’être compilés. Photios fut donc précieux : aux auteurs antiques dont l’étude s’était perpétuée au fil des siècles (Aristote et ses commentateurs, Euclide, Homère), il ajoutait les historiens, les orateurs et des romanciers. D’où la conclusion de J. Irigoin :

“Photius, Léon le Philosophe, voilà les deux hommes qui se trouvent à l’origine de la renaissance byzantine et ont exercé une influence décisive sur son développement. C’est à eux que nous devons, pour une grande part, de pouvoir encore lire et aimer les chefs-d’œuvre de l’antiquité hellénique.”

Leur action trouve un écho dans le goût pour la culture classique manifesté par des hommes comme le diplomate Léon Choirosphaktès (mort vers 919), auteur de poèmes et d’épigrammes, ou Jean le Géomètre (935-1000) dont les poésies contiennent des références à Homère, Xénophon, Sophocle et Euripide, etc.

[…]

Un savoir prolongé




Décrié, recherché, imité, l’hellénisme fut donc en grande partie conservé, parfois prolongé, comme en philosophie et en médecine. Ces éléments ont été depuis longtemps relevés par les spécialistes de l’histoire de Byzance.


[...]

Dans le domaine que nous classons comme scientifique, sans bénéficier d’innovations majeures (aucun théorème ne porte le nom d’un Byzantin), le savoir mathématique ; basé sur les Éléments d’Euclide et l’Arithmétique de Diophante fut conservé : lorsque l’Arménien Anania de Chirak (m. 685) voulut s’instruire dans cette matière il se dirigea vers Constantinople, et trouva un précepteur à Trébizonde.

La Géographie de Ptolémée ne fut pas oubliée, mais ses intentions ne furent pas bien comprises. P. Gautier-Dalché en relève des traces d’utilisation, ainsi dans un traité anonyme de date incertaine (“Exposition de la géographie en épitomé” VIe-IXe siècle), mais qui s’écarte totalement de l’esprit du savant alexandrin. Des références au livre de Ptolémée figurent dans des gloses portées sur des résumés (Chrestomathies) de la Géographie de Strabon, peut-être issues de l’entourage de Photios ou d’Aréthas ; elles attestent un usage des cartes de Ptolémée, confrontées au texte de Strabon. Au XIIe siècle Jean Tzétzès, auteur de commentaires d’Aristote, composa des poèmes, les Chiliades, où l’on trouve des références à la Géographie. Mais il fallut attendre la fin du XIIIe siècle et les travaux de Maxime Planude pour assister à une redécouverte du livre de Ptolémée. Ce moine mathématicien (il commenta les travaux d’Euclide et de Diophante), astronome et géographe, en retrouva deux manuscrits. Surtout, il édita, en y rétablissant les cartes, la Géographie à partir d’un superbe manuscrit qu’il découvrit vers 1295, qui contenait une petite trentaine de cartes, et qu’il offrit à l’empereur Andronic II.

Il reste qu’à Byzance, les aspects “scientifiques” de la Géographie furent laissés de côté. Elle était un réservoir de données, non une image d’ensemble de l’œcumène ; on l’utilisait, conclut P. Gautier-Dalché, comme une géographie descriptive, sans en relever les éléments relatifs à la construction des cartes, signe de la “défaite de la géographie ptoléméenne dans ce qu’elle a de plus spécifique”.

Il est deux domaines scientifiques où le savoir antique fut conservé, voire amélioré, pour d’évidentes raisons pratiques. L’agriculture reprit intégralement l’agronomie romaine à travers la large diffusion des Geoponika. La médecine byzantine fut par ailleurs moins pauvre qu’on ne le pense d’ordinaire rappelle M.-H. Congourdeau.

D’une part on avait gardé les ouvrages et les pratiques héritées d’Hippocrate et Galien, dont les œuvres furent souvent copiées. S’y ajoutèrent les compilations médicales de l’Antiquité tardive (Oribase au Ve siècle, Aétius d’Amide au VIe, Paul d’Égine au VIIe puis les commentaires de médecins byzantins tels que Théophile le protospathaire [sans doute IXe siècle] qui laissa un traité Sur les pouls inspiré de Galien. Était en outre à la disposition des médecins toute une série d’encyclopédies et de manuels pratiques ; parmi ces derniers notamment figuraient les ouvrages d’Alexandre de Tralles [VIe siècle auteur d’un traité médical en 12 livres, θεραπευτικά, ainsi que d’un traité d’ophtalmologie], Paul de Nicée [IXe] ou encore Théophane Chrysobalanthès [Xe]. Enfin une très abondante masse de recettes médicales, les iatrosophia, vint au Xe siècle compléter le bagage littéraire de la médecine grecque médiévale. Ces textes mêlaient remèdes antiques à des innovations récentes, prises partout où c’était possible [s’y côtoient des traitements grecs, persans et arabes]. La plupart des lettrés byzantins semblent ainsi avoir eu des connaissances médicales ; Jean Philogathos, généreusement pourvu par les Ottoniens [Note du carnet : rois et empereurs allemands de 962 à 1024] a participé à la traduction en latin d’œuvres médicales grecques.

M.-H. Congourdeau cite à cet égard le Poème médical de Michel Psellos et souligne que nombre de sources littéraires attestent la diffusion de ce savoir.

Byzance introduisit par ailleurs plusieurs innovations. D’une part on y fonda, à partir du VIe siècle, des hôpitaux une époque où l’Europe latine ne connaissait — et pour longtemps encore — que des hospices [l’hospice abrite le pauvre malade et fait en somme œuvre de charité ; l’hôpital soigne : on y entre avec l’espoir d’en sortir]. Souvent fondés par des empereurs, associés à des monastères, ces hôpitaux furent installés principalement dans la capitale : le Myrélation de Romain 1er [Xe siècle], les Manganes de Constantin IX [XIe siècle], le Pantocrator de Jean II [XIIe siècle].

D’autre part, les médecins byzantins, s’ils n’apportèrent guère de progrès théoriques ni ne firent de grandes découvertes, améliorèrent les techniques d’ophtalmologie ou de gynécologie. Ils pratiquaient des dissections de cadavres dès le VIIe siècle et semblent avoir eu une certaine maîtrise des actes chirurgicaux : M.-H. Congourdeau cite une vie de saint du IXe siècle relatant “une opération d’extraction de calculs rénaux sans incision, ce que les Anciens ne savaient pas faire”, ou des interventions aussi délicates que des séparations de siamois [Xe siècle].

Enfin, utile à l’agriculture, aux transports et à la guerre, l’art vétérinaire semble avoir été d’un très bon niveau, en particulier dans les soins apportés aux chevaux.

On savait dès l’Antiquité panser les plaies, réduire les fractures, faire des sutures, remettre en place des articulations luxées, etc.

D’importants traités d’hippiatrie furent rédigés entre la fin du IIIe et la fin du IVe siècle ; ils furent réunis dans un corpus, les Hippiatrica, dont on connaît aujourd’hui 15 manuscrits ; les deux plus anciens remontent aux Xe et XIe siècles.

Ainsi, conclut S. Lazaris,

“Les Grecs ont jeté les bases d’une médecine scientifique du cheval, que les Romains ont transformée en une médecine du bétail. Quant aux Byzantins, ils ont eu le mérite de recueillir les acquisitions des Grecs et des Romains et de développer une ‘science du cheval’ pratique, tout en conservant les connaissances de leurs ancêtres.”







La Gloire des Grecs
par Sylvain Gouguenheim,
paru le 1 janvier 2017,
aux éditions du Cerf,
à Paris,
410 pages.
ISBN : 9782204103367
49,95 $









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