mardi 26 septembre 2017

Procréation médicalement assistée (PMA) : une gauche commencerait-elle à douter ?

Eugénie Bastié signale des évolutions intéressantes parmi les intellectuels et médias habituellement classés à gauche.

« La procréation n’est pas un droit, mais une fonction biologique. (…) L’exiger pour tous au nom de la “justice sociale” comme le revendique Marlène Schiappa est parfaitement absurde. » Cette phrase n’est pas extraite d’un tract de la Manif pour tous ou d’un discours de Laurent Wauquiez, mais d’un éditorial du journaliste Gérard Biard dans le Charlie Hebdo de la semaine dernière. L’hebdomadaire satirique a fait sensation en prenant fermement position contre l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA). En plus de cet éditorial et de dessins éloquents, on y trouvait une interview de Jacques Testard. L’inventeur du « bébé-éprouvette » mettait en garde contre l’eugénisme. La PMA, un marqueur de gauche destiné à faire avaler la pilule des réformes économiques ? Une opinion de moins en moins évidente.

« Débat sur la question : rien. Néant. Nada. Comme si être de gauche et soutenir la reproduction artificielle de l’humain allaient nécessairement de pair », s’étonnait Alexis Escudero dans son livre La reproduction artificielle de l’humain (Le monde à l’envers) paru en 2014. Dans cet essai, le membre du collectif technocritique grenoblois « Pièces et main d’œuvre » fustigeait le « chantage » à l’homophobie qui empêche la gauche de réfléchir sur le sujet de la PMA. Il s’érigeait contre la fabrication des humains en laboratoire, la soumission du couple à l’expertise médicale, la transformation de la procréation en marchandise et l’eugénisme qui en découle. Il dénonçait « cette gauche cyberlibérale [qui] travestit le combat pour la liberté individuelle en apologie de la liberté marchande ». Radicalement opposé à la technicisation de l’engendrement, il prônait la « PMA pour personne ».

Escudero n’est pas le seul à gauche à trouver que l’extension de la PMA n’est pas forcément un progrès. Chez les écolos, José Bové, en disciple du penseur de la décroissance Jacques Ellul, a marqué fermement son opposition au nom même de son engagement écologique : « À partir du moment où je conteste les manipulations génétiques sur le végétal et sur l’animal, il serait curieux que, sur l’humain, je ne sois pas dans la même cohérence », déclarait le faucheur d’OGM en 2014. Outre la grande tradition technocritique toujours vivante, c’est la lutte contre la marchandisation qui gouverne certains opposants de gauche à la PMA. Ceux-ci voient dans l’extension d’un « droit à l’enfant » la porte ouverte à une possible légalisation de la GPA, soit un asservissement et une extension du domaine du libre-échange au corps des femmes. C’est le cas du philosophe Michel Onfray, qui prévient : « Au nom de l’égalité, nous allons vers la prolétarisation des utérus des femmes les plus pauvres. »

Rares sont ceux à gauche qui emploient l’argument anthropologique de la filiation, qui semble le monopole de la droite catholique. La philosophe Sylviane Agacinski s’y est pourtant risquée, affirmant la nécessité d’une filiation sexuée. Tout comme la sociologue Nathalie Heinich.

Un autre argumentaire est repris à gauche contre la PMA : celui de la rhétorique libertaire qui dénonce un embourgeoisement de la cause homo, passé du « Familles je vous hais » gidien au « Familles pour tous » taubirien. Ainsi la féministe Marie-Jo Bonnet, fondatrice des « Gouines Rouges », critiquait-elle dans son essai Adieu les Rebelles le ralliement de la cause homosexuelle à l’idéal familialiste. « En réalité, c’est la reconnaissance de l’homosexualité dans sa spécificité qui est niée, puisqu’il s’agit désormais pour les homosexuels de rentrer dans le rang (hétérosexuel). L’impossibilité d’avoir des enfants est une limitation intrinsèque qu’il faut accepter », déclarait-elle au Figaro. Argument repris par Gérard Biard dans Charlie Hebdo : « Ne serait-il pas plus simple, et pour le coup plus juste, d’avoir enfin le courage politique de dire que ne pas avoir d’enfant(s) n’est pas une maladie bien grave ? »

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