lundi 11 novembre 2013

Lecture — la catastrophe québécoise

Chronique d'Alain Dubuc dans la Presse:

« Environ 1,2 millions de Québécois ont une maîtrise si faible de la lecture, ce qu'on appelle maintenant la littératie [alphabétisation naguère], qu'ils ne peuvent pas fonctionner normalement. Un autre 2,2 millions n'a pas le niveau de littératie suffisant pour pleinement se développer.

C'est une catastrophe. Pour les individus eux-mêmes, dans leur vie personnelle et dans leur travail. Pour la société, qui a besoin de travailleurs qualifiés mais aussi de citoyens bien adaptés à un environnement de plus en plus complexe.

Et pourtant, un avis du Conseil supérieur de l'éducation sur la littératie, en septembre, est passé largement inaperçu. [Pas sur ce carnet.] Tout comme les résultats d'une vaste étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques en octobre.

Cette étude, le Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), réalisée par l'OCDE dans 22 pays, mesure les aptitudes des personnes de 16 à 65 ans en lecture, la littératie, dans le maniement des chiffres, la numératie [notions de calcul], et dans la maîtrise des nouvelles technologies.

Le Canada, avec un score de 273,5 sur 500 aux tests de compétence en lecture, est très légèrement au dessus de la moyenne de l'OCDE et se classe 10e sur 22 [ce qui n'est pas glorieux!] Mais au Canada, le Québec, avec 268,6, est la 8e province sur 10, ne devançant que le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve. Le Québec se retrouverait ainsi au 17e rang du classement international, tandis que l'Alberta serait au 7e rang. Ce sont des résultats extrêmement troublants. [Quoi des rednecks conservateurs en tête ?]

Mais il ne s'agit pas d'un concours. L'étude, à travers une série de tests, a pour but d'évaluer la capacité « de comprendre, d'évaluer, d'utiliser et de s'approprier des textes écrits pour participer à la société, réaliser ses objectifs et développer ses connaissances et son potentiel ».

Les résultats permettent de classer les citoyens d'un pays selon leur niveau de compétences. On découvre alors que ceux dont les aptitudes en littératie sont trop faibles pour fonctionner normalement, les niveaux 1 ou inférieur à 1 dans le jargon de l'étude, sont plus nombreux au Québec que partout ailleurs au Canada, à l'exception de Terre-Neuve.

19 % des Québécois sont au bas de l'échelle, ce qui donne 1,2 millions d'adultes qui, sans être analphabètes, ne peuvent décoder que des textes extrêmement simples. Cette proportion est très élevée. Elle n'est que de 15 % en Ontario, de 12,8 % en Australie, de 11,9 % aux Pays-Bas, ce qui place le Québec 20e sur 22 à l'échelle internationale, devant l'Italie et l'Espagne.

On retrouve aussi au Québec une proportion élevée de citoyens, 34 %, qui sont au niveau 2, fonctionnels mais pas assez pour vraiment s'épanouir dans une société moderne. C'est ainsi que le Québec compte 53 % de ces citoyens qui n'ont pas les compétences souhaitables, soit 3,4 millions de personnes. Encore là, en tête de queue canadienne.

Même chose pour la maîtrise des outils technologiques, où le Canada fait un peu mieux, mais où le Québec est également parmi les dernières provinces. Pour la numératie, toutefois, le Québec est dans la moyenne canadienne.

Comparaison des résultats autochtones/immigrés dans l'ensemble de l'OCDE
 Qu'est ce qui fait que le Québec se trouve dans le camp des provinces démunies? En partie l'immigration, quoiqu'il y a encore plus d'immigrants dans les provinces qui font mieux. En partie, les lacunes passées du système scolaire, quoique l'étude porte sur les 65 ans et moins. Mais il faut surtout regarder du côté d'un bagage scolaire insuffisant, notamment à cause du décrochage. Mais aussi la déperdition progressive des aptitudes après la sortie de l'école, parce que les Québécois lisent trop peu, qu'il n'y a pas assez d'éducation permanente pour les stimuler. »

Comparaison des résultats autochtones/immigrés pour le Canada : malgré sa politique déclarée d'immigration choisie les résultats des immigrés qui n'ont pas comme langue maternelle le français ou l'anglais sont très deçà de ceux des Canadiens de naissance ou des francophones ou anglophones de naissance.
 Alain Dubuc prend les choses à l'envers et ignore la question culturelle : quels immigrés, quelle est la valeur de la lecture chez les immigrés et les Québécois, plutôt quels sont les  programmes gouvernementaux d'éducation permanente en place...

Et Alain Dubuc de conclure par un poncif obligatoire : « Mais derrière, on retrouve un problème de valeurs d'une société qui ne valorise pas la lecture et qui, 50 ans après la Révolution tranquille, n'a toujours pas réussi à complètement effacer le poids du passé. » Rappelons que le nombre de grands lecteurs diminuent en Occident, que l'immigration actuelle n'a rien à voir avec la Grande Noirceur et que le Québec a, par exemple, reculé sur le plan de la diplomation par rapport à l'Ontario après la Révolution tranquille alors qu'il le rattrapait sous l'ère Duplessis... Eh, non ! Tout ne s'explique pas par la Grande Noirceur et son ombre rétrograde sans cesse brandie.

Source

Voir aussi

Nombre de « grands lecteurs » en baisse

Baisse relative du nombre de diplômés par rapport à l'Ontario après la Grande Noirceur

Québec — Près de la moitié des adultes ne sauraient pas lire de manière fonctionnelle

Europe — lecture des moins de 15 ans, une « situation alarmante »

Très forte chute des résultats en lecture pour les élèves québécois francophones entre 2007 et 2010


30% d'illettrés et de semi-illettrés de lecteurs inefficaces et lents en France ?


Résultats en lecture du français très médiocres, on impose l'anglais intensif de manière « brutale »

Le « mythe » de la Révolution tranquille





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Comment la science se trompe....


Dans The Economist du 26 octobre, un dossier sur l’évolution du système mondial de recherche scientifique : « How science goes wrong ».

On y apprend:

— qu’un nombre important et croissant de publications souffrent de biais statistiques ou défauts méthodologiques qui devraient inciter à la prudence sur les conclusions, quand il ne s’agit pas d’erreurs pures et simples. Voir ainsi la controverse récente sur les calculs de Reinhart et Rogoff sur le poids de la dette et leur oubli de 5 lignes dans un tableau Excel qui a mené à un contresens, produisant un article brandi comme justification pour des politiques d'austérité par plusieurs gouvernements européens.

— que le système d'« examen critique de confrères » ou de « contrôle par les pairs » est loin d’être infaillible : un journal ayant testé des chercheurs en insérant volontairement des erreurs dans les articles à relire, a découvert que la plupart d’entre eux ont raté les erreurs en question, alors même qu’ils étaient prévenus qu’on éprouvait leur aptitude à relire.

— que la pression à publier (« publiez ou périssez ») incite à trouver à tout prix une conclusion positive aux travaux, même lorsque la raison inciterait à conclure « qu’on ne peut rien conclure des résultats ». Ainsi les publications de « résultats négatifs » ne totalisent plus que 14 % du total aujourd’hui alors qu'ils étaient encore de 30 % en 1990.

— que les travaux réalisés ne sont pas toujours reproductibles, tant s’en faut. Ainsi Amgen a découvert l’année dernière que parmi 53 études de référence sur le cancer, seulement 6 étaient reproductibles. De même, Bayer n’a réussi à reproduire les résultats que d’un quart des 67 études de références dans son domaine.

Parmi les causes :

— la compétitivité en science. Dans les années 1950, quand la recherche universitaire moderne a pris forme après ses succès durant la Seconde Guerre mondiale, elle n'était encore qu'un rare passe-temps. L'ensemble des savants, comme on disait à l'époque, ne s'élevait guère à plus de quelques centaines de milliers. Au fur et à mesure que leurs rangs ont grossi — le nombre de chercheurs actifs se situe aujourd'hui entre 6 et 7 millions —, les scientifiques auraient perdu leur goût pour l'autosurveillance et le contrôle de qualité. La concurrence pour les emplois a transformé l'université en coupe-gorge. Les professeurs titulaires en Amérique gagnaient en moyenne 135.000 dollars en 2012, plus que les juges. Chaque année, les universités américaines produisent six docteurs pour un poste universitaire disponible. Aujourd'hui, la vérification (la reproduction des résultats des autres) ne compte guère dans l'avancement d'un chercheur universitaire.

— le carriérisme encourage également l'exagération et la sélectivité dans les résultats. Pour conserver leur caractère élitiste, les principales revues savantes rejettent plus de 90 % des manuscrits soumis. Les résultats les plus frappants ont donc plus de chances d'être publiés. Il n'est donc pas étonnant qu'un chercheur sur trois dise connaître un collègue qui a « amélioré » une étude, en éliminant par exemple des données inopportunes « sur une intuition ».





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