samedi 23 janvier 2010

Assimiler les immigrants n'est pas exclure, mais inclure

Le sociologue Jacques Beauchemin revient dans une longue lettre d'opinion publiée dans Le Devoir d’hier sur le couple « assimilation/exclusion » invoqué par les partisans du multiinterculturalisme comme Gérard Bouchard.
« L’édition du Devoir du 12 janvier nous apprend que Gérard Bouchard travaillerait à la préparation d’un important symposium portant sur le modèle québécois d’intégration des immigrants. Anticipant la polémique dont ce symposium sera inévitablement le théâtre, Bouchard met au défi les détracteurs de ce modèle d’intégration (l’interculturalisme) de proposer des solutions de rechange à ce modèle plutôt que de se cantonner à sa critique. Je crois utile de dégager ce qui m’apparaît constituer l’arrière-plan de ce débat. Cette mise en contexte me fournit également l’occasion de revenir sur quelques polémiques récentes relatives à la définition du « nous collectif » québécois.

Je voudrais ainsi relier des éléments apparemment disparates, mais formant à mon sens un ensemble très cohérent, dans lequel se dessine une véritable philosophie politique ou, si l’on préfère, l’éthos des relations intercommunautaires au Québec. Cette philosophe politique me semble dominée par le consensualisme, l’ouverture à la différence, l’égalitarisme et le respect des droits fondamentaux. À l’inverse, elle est hostile aux appartenances nouées dans l’histoire et dans la culture, de même que réfractaire à l’affirmation de la majorité soupçonnée de vouloir contrevenir aux droits des minorités et de se fermer à l’expression de leur différence.

Pour le dire autrement, le discours social portant sur les rapports intercommunautaires au Québec est obsédé par l’Autre, la diversité et par un vivre-ensemble fait de reconnaissance mutuelle et d’accommodement de la différence. À l’inverse, il se méfie de l’histoire, de la mémoire, de la culture majoritaire et de l’expression d’un « nous » porteur d’une conscience historique.

Rapport Bouchard-Taylor

Le rapport de la commission Bouchard-Taylor exprime au mieux cette philosophie politique. Il ne me semble pas abusif de dire que, pour l’essentiel, le rapport rappelle à l’ordre la majorité franco-québécoise, l’invitant à davantage d’ouverture vis-à-vis des minorités, en même temps qu’il l’incite à se méfier de sa tendance au repli et à l’exclusion de l’autre.

La situation particulière des Franco-Québécois au Canada et en Amérique occupe peu de place dans le rapport. Lorsque cette réalité est évoquée, c’est pour expliquer la frilosité identitaire de cette collectivité et l’inviter à la transcender dans une représentation d’elle-même mieux assurée et moins susceptible de dérives xénophobes. L’interculturalisme que l’on promeut alors procède d’une certaine mise en retrait de la majorité. Sans surprise, le rapport insiste sur le fait qu’aucune identité ne saurait prétendre à une quelconque prééminence au Québec. Ne s’inscrit-il pas alors dans cette philosophie politique réfractaire à la majorité et suspicieuse devant ses volontés d’affirmation collective? Ne participe-t-il pas de cet éthos dans lequel l’ouverture à l’autre invite à mettre en veilleuse toute volonté d’affirmation collective?

L’enseignement de l’histoire

La réforme du programme de l’enseignement de l’histoire au primaire et au secondaire est elle aussi l’objet de critiques. L’histoire que l’on enseigne désormais est celle d’une citoyenneté partagée dans la perspective de l’aménagement consensualiste du conflit social. C’est ainsi, par exemple, que la Conquête anglaise est présentée comme un simple changement d’empire et qu’est esquivée la question, pourtant centrale dans la conscience historique québécoise, de la domination nationale qui s’instaure alors.

De même, Durham y est représenté comme un esprit libéral favorable à la responsabilité ministérielle dans l’éventuel Canada uni de 1840, alors que l’on oublie que son projet consistait également dans l’assimilation des Canadiens français. Encore ici, la dynamique politique qui traverse la condition québécoise est largement sous-estimée. C’est que l’enseignement de l’histoire s’accompagne du projet « d’éduquer à la citoyenneté ». Il faut apprendre aux jeunes de quelle manière l’histoire du Canada serait celle de la diversité qui l’a toujours traversée et celle d’une citoyenneté partagée. Dépolitisation et dénationalisation constituent le fil conducteur d’une histoire exhibant rétrospectivement la genèse du multiculturalisme canadien.

Éthique et culture religieuse

Le programme d’éthique et de culture religieuse poursuit cette même intention d’une ouverture à l’altérité dans la perspective de l’égalité de tous les univers moraux et religieux. Il s’agit de former les esprits à cette éthique sociale dont le respect de la différence constitue la pierre angulaire. Certes, l’enseignement de la tradition judéo-chrétienne bénéficie d’une certaine prééminence. Il n’empêche que l’idée même d’une telle formation puise à cet éthos égalitariste, en vertu duquel la tradition de la majorité doit s’ouvrir à celles des minorités sous peine de les exclure.

Éduquer à la diversité dans la perspective des chartes de droits et d’une éthique de la reconnaissance de tous par tous débouche sur une certaine délégitimation de la collectivité majoritaire dont on craint qu’elle fasse jouer le poids du nombre à l’encontre des intérêts des minorités. Le principe d’un encadrement juridique et éthique de la majorité poursuit sans doute de nobles objectifs, mais il jette sur cette majorité une étrange suspicion.

Démocratie

Dans cet éthos pluraliste (dans lequel s’inscrivent le multiculturalisme canadien et l’interculturalisme québécois), la démocratie n’est pas l’affaire de la majorité mais celle des minorités, ce qui lui confère une signification à la fois singulière et réductrice: celle du simple respect des droits fondamentaux. Le politique n’est plus le lieu d’une négociation difficile parce que traversé de rapports de forces, mais celui du consensus et de l’acceptation de la différence.

Mais surtout, dans cette perspective, toute position dont l’a priori n’est pas celui de la célébration de la diversité serait d’emblée antidémocratique parce qu’elle dresserait le commun contre le particulier. Lorsque Gérard Bouchard exige ainsi de tous ceux qui voudront contribuer à la réflexion portant sur le modèle d’intégration québécois qu’ils se conforment « aux exigences de la démocratie et du droit », veut-il dire qu’une position nationaliste ou républicaine, pour reprendre ses termes, ne serait pas recevable parce que son a priori serait celui de la règle de la majorité et de la primauté du commun sur le particulier ?

L’intégration des immigrants

Est-il possible, dans ce contexte de célébration emphatique de la diversité, de proposer un modèle d’intégration dans lequel persisterait la conviction que les sociétés forment des mondes de culture, d’histoire et de valeurs singulières ? Bouchard associe négativement ce modèle à celui de l’« assimilation/exclusion ». L’amalgame de ces deux notions est en lui-même significatif. Il implique en effet que d’inviter l’autre à nous rejoindre dans un monde commun et partagé en acceptant de s’y fondre, c’est l’exclure.

Mais de quoi au juste? N’est-ce pas au contraire l’inclure dans une proposition de monde commun, d’une communauté de sens? Un monde qui est alors bien davantage que celui dont les chartes de droits ou une éthique sociale de la reconnaissance des différences ne seraient que le seul ciment. La posture que Gérard Bouchard qualifie de républicaine n’est en aucune manière hostile à la diversité. Seulement, elle accueille l’intérieur d’une vision nationaliste, rassembleuse et, pourquoi pas, républicaine de la communauté. L’accueil, la tolérance et l’ouverture à la différence n’attendent pas pour se manifester les politiques interculturelles dont le rapport Bouchard-Taylor se fait le promoteur.

Notre responsabilité collective vis-à-vis des nouveaux arrivants consiste à leur proposer un monde habitable fait de culture et d’une certaine tradition éthique formée dans les remous d’une histoire particulière. Nous devons proposer aux immigrants de s’intégrer à une histoire qui les précède et dans le cours de laquelle ils sont les bienvenus, de même qu’à une collectivité francophone majoritaire qui porte de très loin son désir de durer.

Je dirai, en termes sans doute choquants au regard de l’orthodoxie pluraliste ambiante, qu’il faut inviter ceux qui se joignent à elle à consentir à ce désir de durer et à accepter la présence d’une communauté d’histoire majoritaire qui souhaite légitimement poursuivre son aventure collective. Il faut pour cela que la majorité franco-québécoise affirme sans complexe qu’elle forme le cœur de la nation et que, forte de cette conviction, elle accueille, sans jamais renoncer à elle-même, ceux qui viennent la rejoindre avec leurs espoirs et leurs talents. »
Jacques Beauchemin – Professeur au département de sociologie de l’UQAM


(Via L'intelligence conséquente)






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La gauche « laïque » parle de l'école et du cours ECR

La gauche « laïque » (y avait-il un croyant ?) organisait un colloque sur l'école et le cours ECR, école québécoise déjà victime de la mainmise de la gauche sur l'éducation et de l'imposition d'un monopole de l'Éducation cher à la gauche qui se dit «  républicaine ».
Ce colloque d'un jour, qui se déroulait dans une atmosphère tantôt bon enfant tantôt agitée, aura surtout permis à différents individus et regroupements politiques — pourtant de la même mouvance de gauche — de proposer et de défendre chacun leur modèle de laïcité à adopter : celui d'une laïcité dite « ouverte » (nomenclature récusée par les tenants de l'autre camp), qui reflète plutôt les idées du multiculturalisme mis de l'avant par le vaste chantier consultatif Bouchard-Taylor, et celui d'une laïcité qui emprunterait davantage aux idées républicaines et qui ne ferait aucun compromis sur la présence de signes religieux ostentatoires dans les institutions étatiques. « En organisant ce colloque, on voulait participer à la grande conversation démocratique sur des questions importantes. Et malgré nos positions similaires sur nos valeurs, on parvient à des réponses différentes sur la laïcité », a indiqué Normand Baillargeon, membre du collectif de rédaction de À bâbord et coorganisateur de l'événement.

Auditoire de baby-boomers

Devant un auditoire en grande majorité formé de baby-boomers [NDC : La gauche vieillirait-elle ?], les deux visions diamétralement opposées ont été défendues en début de journée par les deux invités d'honneur, Françoise David, codirigeante de Québec solidaire, et l'éminent sociologue Guy Rocher. Ce dernier a livré un plaidoyer pour rappeler que ce n'était pas à l'État de déterminer si Dieu existe, en d'autres termes, que la religion n'a pas sa place dans l'espace public. Mme David a soutenu en essence que le fait d'interdire tout signe religieux dans l'espace public ne constituait pas un tort aussi grand que celui de l'interdire et qu'il fallait davantage réfléchir aux conséquences de l'exclusion.

Le cours ECR au cœur du débat

Parmi les trois grands thèmes discutés, soit les modèles de laïcité, la religion dans l'espace public et le cours Éthique et culture religieuse (ECR), ce dernier a particulièrement déchaîné les passions. Marie-Michèle Poisson, présidente du Mouvement laïque québécois, déplore l'existence de ce cours et souhaite son abolition. Elle estime que par rapport à l'ancien système, la religion prend plus de place dans le cursus scolaire, ce qui va à l'encontre du principe de laïcité. Elle déplore également le fait que ce cours soit obligatoire, ne laissant plus la possibilité aux parents de choisir pour leurs enfants. « Pourquoi ne pas faire un programme sur les droits humains? Je préférerais un enseignement philosophique, éthique ou sociologique, mais pas religieux », assure-t-elle. Elle estime que le contenu du cours donné aux élèves du primaire ainsi que du secondaire est une forme de propagande et qu'il constitue un endoctrinement au multiculturalisme.

Conscient des limites du cours ECR, Louis Rousseau, [Note du carnet : c'est une nouvelle ! Peut-être une simple concession tactique ?] professeur en sciences des religions à l'UQAM, croit quant à lui à la nécessité d'un cours sur les religions à l'école. « Il ne faut pas confondre avec les études religieuses. La religion est un fait social et culturel. Il est important de développer des connaissances sur ces pratiques afin de mieux appréhender l'autre et diminuer les craintes identitaires » [NdC : cela reste à voir, la connaissance n'est pas suffisante pour faire aimer des différences, d'où l'idée du dialogue et de la rééducation au centre du programme], affirme le professeur. Pour lui, il est encore trop tôt pour juger ce programme. « C'est un outil formidable, mais pas parfait. Il y aura des ajustements à faire. Il faut nous donner une chance », concède Louis Rousseau, qui a déjà préparé des cours de perfectionnement pour les enseignants.

Au terme du colloque d'un jour, après quelques gentils affrontements autour du voile qui ont fait ressurgir la fibre féministe de plusieurs, tous avaient le sentiment d'avoir vidé la question.
Source





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Facal : l'école québécoise, un immense gâchis aux mains d'apprentis sorciers

On trouvera ci-dessous un extrait tiré du dernier livre de Joseph Facal Quelque chose comme un grand peuple publié chez Boréal. Rien de bien neuf pour les habitués de ce carnet, mais il est bon de voir qu'un ancien ministre reprenne le constat par tant de personnes inquiètes par l'état de l'école québécoise et le monopole du MELS en matière de programmes, de pédagogies et de diplômes. Signalons tout de suite que M. Facal ne semble pas demander la fin de ces monopoles, ce qui nous semble pourtant la manière la plus sûr d'assurer une saine concurrence et aurait sans doute rapidement tué la tristement célèbre « réforme pédagogique ».
« L'école québécoise, malgré de nombreuses exceptions, ne va pas bien, pas bien du tout, nonobstant la trajectoire en apparence sans problèmes majeurs des enfants et le dévouement des dizaines de milliers de personnes qui œuvrent en son sein. Ce n'est pas uniquement une question d'intérêt bien compris que d'y voir, mais aussi d'authentique justice sociale, la vraie, celle qui refuse que les circonstances de la naissance ou la médiocrité érigée en système empêchent le développement des talents de chacun.

La plupart des enfants obtiendront certes leur diplôme d'études secondaires. Mais on peut se demander s'il est normal, comme le notait la journaliste Michèle Ouimet, « qu'à peine arrivés au cégep, des milliers de cégépiens doivent s'inscrire à des cours de rattrapage en français et en mathématiques afin d'apprendre ce qu'il devraient pourtant savoir : les rudiments de l'algèbre et de la géométrie,les règles de grammaire, la syntaxe et l'orthographe. Même si ces étudiants détiennent un diplôme d'études secondaires, ils sont incapables d'additionner deux fractions et d'accorder les participes passés. »

Ce qui donne envie de hurler est qu'elle a écrit cela... en 1992, avant qu'on ne livre l'école québécoise aux élucubrations de la dernière fournée d'apprentis sorciers. Et encore ne parlait-elle que de l'insuffisante maîtrise des rudiments de la langue et du calcul.

Quand on fréquente les jeunes qui amorcent un parcours universitaire, on est aussi frappé par leur extrême difficulté à digérer une certaine quantité de documentation, à se l'approprier, à dégager une problématique qui leur appartienne vraiment, à mener une réflexion proprement personnelle plutôt qu'à coudre ensemble des citations dans le désordre.

Faire tolérer l'ignorance en la dissimulant

Qu'on comprenne bien où je loge : depuis la fin des années 90 se déploie au Québec une réforme de l'éducation animée par une philosophie antihumanistes, autoritaire et pseudoprogressiste, qui repose sur des théories très douteuses et dépourvues de fondements empiriques solides et dont on se demande si elles n'ont pas pour pur but, comme l'a déjà dit Lise Bissonnette, de nous faire tolérer l'ignorance en la dissimulant. Les enseignants, que le bon sens n'a pas encore désertés et qui, pour la plupart, aiment les enfants et leur métier, résistent du mieux qu'ils le peuvent. Et rebaptiser « renouveau pédagogique » cette réforme pour essayer de mieux la gérer politiquement ne change rien au fond de l'affaire.

Liquider les idées funestes qui fondent la réforme

Il faut, selon moi, liquider les idées funestes qui fondent cette réforme, dénoncer les fantasmes idéologiques qu'elles dissimulent et les complicités politiques qui leur permettent de sévir, tordre le cou à cette langue de bois prétentieuse des milieux éducatifs qui intimide les parents, clarifier les enjeux et les priorités, bannir l'improvisation, revenir aux méthodes éprouvées, s'armer de prudence devant les nouveautés sans s'y fermer, et repartir avec énergie, enthousiasme et les moyens appropriés. Voilà.

Légitimer la critique, ne plus se laisser culpabiliser

Il faut cesser également de faire passer tous les critiques de cette réforme pour des élitistes nostalgiques des collèges classiques, que ni moi ni la très grande majorité de ceux qui n'aiment pas ce qu'ils voient en ce moment n'avons connus. Qu'on cesse de réduire le débat à une « querelle de chapelles pédagogiques » (Josée Boileau, Le Devoir, 21 juin 2006) afin de renvoyer dos à dos les protagonistes, alors qu'il s'agit ici non seulement d'un débat sur les meilleures méthodes d'apprentissage, mais aussi sur les finalités de l'école, et que, de surcroît, s'accumulent rapidement les preuves de l'immense gâchis qui se déploie sous nos yeux.

Décrochage toujours aussi haut

Depuis l'introduction de cette réforme, nos taux d'abandon scolaire au niveau secondaire, qui étaient déjà effarants depuis des décennies, ont en effet continué à augmenter, alors qu'on prétendait qu'elle renverserait la vapeur. Dans les classements internationaux mesurant les apprentissages aux niveaux primaire et secondaire, brièvement évoqués au deuxième chapitre, nous glissons également.

Recul des résultats scolaires

Nous reculons aussi par rapport à nous-mêmes. Une comparaison des taux de réussite aux épreuves obligatoires d'écriture en français de 6e année du primaire en 2000 et 2005 montre que le taux de réussite en orthographe est tombé de 87 % à 77 %, qu'il est tombé de 83 % à 73 % en syntaxe et ponctuation et que le taux global de réussite, lui, a chuté de 90 % à 83 %. »






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