MISE À JOUR
Un évènement prévu cette fin de semaine à Montréal adopte une tarification particulière : les Blancs paient plus cher que les autres.
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dit qu’il est interdit de discriminer en fonction de la « race », la couleur ou l’origine ethnique d’une personne.
Une telle tarification pourrait « se retourner contre les minorités qu’on veut protéger », estime l’avocat Julius Grey.
L’évènement Shake La Cabane se tiendra dimanche en fin d’après-midi dans le quartier Rosemont. Il est présenté comme un rendez-vous de danse destinés aux familles.
« Cet évènement célèbre la communauté, les connexions, et un passage vers une nouvelle année plus positive », peut-on lire sur la page web de Shake La Cabane (majoritairement en anglais : « Shakers! Ravers! C’est partiii! Join us Dec 8 to shake off the old year and chill into the new with amapiano, Congolese beats & all-ages fun »).
Les prix des billets sont modulés selon la couleur de la peau. Le prix pour un adulte blanc est de 25,83 $, contre 15,18 $ pour un adulte noir, autochtone ou de couleur.
Tarification fondée sur la couleur de peau de l’évènement Shake La Cabane |
La fabrique familiale La Cabane, qui sera l’hôte du rendez-vous, se décrit comme « un espace créatif et communautaire intergénérationnel ». Elle est enregistrée comme organisme de bienfaisance.
Dans un message non signé que la Presse de Montréal a reçue, on l'informe que « MTL Shake est organisé indépendamment par un collectif de deux mamans passionnées ». « Leur choix de tarification reflète leur objectif de permettre à un plus grand nombre de familles, particulièrement celles issues de la diversité, de participer à cet évènement. Nous ne gérons pas cet aspect […] », poursuit-on, en nous renvoyant à l’organisatrice.
Celle-ci, Racquel Smith, nous a répondu qu’elle n’avait pas le temps d'accorder d’entrevue à La Presse, redirigeant les journalistes vers une explication fournie sur les réseaux sociaux, où on affirme s’inspirer d’un organisateur d’évènements aux États-Unis ayant introduit ce type de tarification pour « soutenir financièrement les groupes marginalisés de notre communauté : les personnes noires, autochtones et/ou de couleur ».
« Discrimination flagrante »
L’avocat Julius Grey, spécialisé dans la défense des droits de la personne, parle de « discrimination flagrante ».
Je suis complètement en désaccord avec une discrimination, dans un sens ou dans l’autre, et je pense que c’est contraire à la Charte québécoise [des droits et libertés de la personne].
Me Julius Grey, avocat spécialisé dans la défense des droits de la personne
Pour Louis-Philippe Lampron, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval, « c’est clair que c’est ce qu’on appelle de la discrimination directe : il y a une distinction de traitement fondée sur une catégorie protégée par le droit à l’égalité. Ce qui s’applique ici, c’est la Charte québécoise ».
Mais, ajoute-t-il, « le deuxième volet de l’article 20 permet que des organismes sans but lucratif, ayant pour vocation de protéger des groupes dans la société, justifient certaines formes de discrimination, pourvu que ce soit rattaché à la raison d’être de l’organisation ».
Louis-Philippe Lampron cite l’exemple d’un parti politique fédéraliste, qui pourrait justifier une discrimination fondée sur les convictions politiques en refusant d’admettre un souverainiste.
« C’est toujours au cas par cas et ça ne permet pas de justifier toute forme de discrimination », ajoute le professeur.
« Un très mauvais exemple »
Julius Grey se demande en quoi le bien-être des Noirs ou des Autochtones est augmenté s’ils ont un prix différent à payer. Imaginerait-on qu’un cinéma fasse la même chose ? illustre-t-il.
« C’est un très mauvais exemple qui pourrait se retourner précisément contre les minorités qu’on veut protéger », dit l’avocat.
À la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), on explique qu’on ne peut pas se prononcer sur ce cas précis « parce qu’il pourrait exister des exceptions dans certains cas ».
[De façon générale,] une pratique de tarification qui distingue les personnes en fonction de leur “race” serait, à première vue, considérée comme discriminatoire au sens de l’article 10 de la Charte des droits et libertés, à moins qu’elle soit explicitement autorisée par une loi.
Cet article, explique la CDPDJ, stipule que « la discrimination fondée sur des motifs tels que la “race”, la couleur, l’origine ethnique ou nationale est interdite ».
D’une manière concrète, une telle tarification soulève des questions. « Comment va-t-on faire pour distinguer des personnes de couleur par rapport à des Blancs ? Sur le terrain, ça risque d’être assez difficile », commente Louis-Philippe Lampron.
Un précédent aux États-Unis
En 2019, l’évènement Afrofuture Fest de Detroit, aux États-Unis, avait suscité la controverse quand il avait décidé de vendre les billets 20 $ pour les « personnes de couleur » et 40 $ pour les Blancs.
Cette différence de prix était censée « fournir aux communautés les plus marginalisées – les personnes de couleur – une chance équitable d’assister aux évènements dans leur propre communauté ».
Après avoir reçu des menaces et vu un des artistes à l’affiche annuler sa participation, les organisateurs avaient adopté une tarification uniforme pour tous.
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