dimanche 2 juin 2024

Que faut-il qu'un étranger fasse au Canada pour en être définitivement déporté...?

Résumé :
  • 2007: arrive du Nigéria comme réfugié avec un faux passeport.
  • 2010: Interpol informe le Canada qu’un jugement utilisé pour justifier son récit était faux.
  • 2015: expulsé et renvoyé au Nigéria.
  • 2015, 2 mois plus tard: retour au Canada avec passeport prétendument perdu.
  • 2024: sans statut au Canada, il était visé par un ordre de renvoi, mais neuf ans plus tard le processus judiciaire est toujours en cours.
  • 2024: condamné, pour avoir volé 59 véhicules accidentés à un encanteur (commissaire-​priseur) grâce à un stratagème complexe, à deux ans de prison à domicile, alors que la Couronne réclamait 30 mois de pénitencier. Il risque d'être déporté.
  • 2024: il fait appel.

Ekens Azubuike a été arrêté chez lui en 2020.

Détails:


Quelques heures de délibérations ont suffi au jury pour déclarer l’homme de 52 ans coupable de fraude de plus de 5000 $ à la mi-mai au palais de justice de Montréal. Mercredi dernier, le juge James Brunton de la Cour supérieure l’a condamné à deux ans moins un jour, de prison à domicile et à deux ans de probation.

En entrevue avec La Presse de Montréal, Ekens Azubuike se dit victime d’une « conspiration » de l’Agence des services frontaliers. Il accuse le juge d’être « biaisé » et d’avoir « protégé » l’État.

Il n’est pas question ici de vols de véhicule dans les rues, véritable fléau à Montréal. Le stratagème d’Ekens Azubuike était beaucoup plus élaboré. Les médias en avait d’ailleurs rapporté les grandes lignes en 2020. En résumé, il a acquis frauduleusement un lot de 59 véhicules vendus par un encanteur spécialisé dans la vente de véhicules accidentés rejetés par les compagnies d’assurances. Une fraude d’environ 300 000 $.

Pour ce faire, Ekens Azubuike a mis sur pied une société à numéro [sans raison sociale, sans nom d'entreprise] en utilisant l’identité d’une personne à son insu. Le fraudeur a ensuite falsifié un paquet de documents, dont une lettre d’avocate et des papiers d’identité. Sa société fantoche censément  spécialisée dans le transport de marchandises est devenue une cliente légitime de l’encanteur [vendeur aux enchères] COPART, une multinationale américaine présente à Montréal.

Entre décembre 2019 et janvier 2020, la société factice a acheté une cinquantaine de véhicules de COPART grâce à de fausses traites bancaires. Pendant cette période, Ekens Azubuike est même allé jusqu’à appeler COPART à plusieurs reprises sous un faux nom à consonance russe

Quand COPART a découvert que les traites étaient sans fond, il était trop tard. Des véhicules avaient déjà été livrés. En outre, le jour même de l'opération, l'entreprise bidon avait déjà vendu les véhicules à Ekens Foundation International. C’est par l’entremise de cette société appartenant à l’accusé que de nombreux véhicules ont pris la mer vers l’Afrique.

Selon la preuve présentée au procès, sur les 59 véhicules volés, 27 ont été retrouvés, dont 4 au port de Montréal dans un conteneur. Une quinzaine de véhicules qui étaient déjà dans un bateau en direction de l’Afrique ont pu être rapatriés. On ignore ce qui est advenu des véhicules manquants.

L’art du mensonge

Ekens Azubuike, qui se présentait sans avocat, n’a pas témoigné pour sa défense. Le juge Brunton le décrit comme un homme « peu sincère ». « Il est difficile de lui accorder de la crédibilité », a-t-il résumé.

C’est d’ailleurs par un mensonge qu’Ekens Azubuike s’est installé au Canada. En 2007, il est arrivé comme réfugié avec un faux passeport allemand en se disant persécuté au Nigeria en raison de sa participation à un mouvement séparatiste régional. Or, en 2010, Interpol a informé le Canada qu’un jugement invoqué par Azubuike pour justifier son récit était faux.

Le fraudeur a finalement été expulsé au Nigeria en 2015. À peine deux mois plus tard, il était de retour au Canada avec un passeport qu’il prétendait avoir perdu. Il déclara alors avoir été torturé pendant son séjour au Nigeria et souhaitait obtenir le statut de résident permanent pour motif humanitaire. Sans statut au Canada, il était visé par un ordre de renvoi. Mais le processus judiciaire est toujours en cours.

Le procureur de la Couronne Me Denis Trottier réclamait de 25 à 30 mois de pénitencier et la restitution de 136 000 $ à la victime. Il a relevé de nombreux facteurs aggravants, dont la préméditation, la complexité de la machination, le vol d’identité et le montant de la perte.

Il fait appel de sa condamnation

Le juge James Brunton se montre sévère à l’égard de la Couronne : il lui reproche de n’avoir fait aucune « réelle tentative » pour établir le montant de la fraude et de la perte subie par l’encanteur. Le juge souligne que l’encanteur a d’ailleurs décidé de mettre fin à une poursuite civile contre l’accusé. C’est pourquoi le juge a refusé d’obliger Azubuike à rembourser.

Pourquoi le juge a-t-il accordé une peine de prison à domicile à Ekens Azubuike ? Son analyse est résumée en un seul paragraphe. Le juge y souligne l’absence d’antécédent judiciaire de l’accusé [et son entrée au Canada sous faux prétexte ?!], son respect des conditions de remise en liberté, ses problèmes de santé et le fait qu’il ne soit pas un danger pour la société.

« Le Tribunal souligne que les ennuis de santé de M. Azubuike ne l’ont pas empêché d’orchestrer un stratagème frauduleux prolongé et prémédité qui inclut la contrefaçon de documents », affirme le juge Brunton.

Ekens Azubuike espérait toutefois une peine de moins de six mois pour éviter son expulsion du Canada. Or, son crime méritait une peine plus sévère, malgré les impacts sur son statut d’immigration, selon le juge.

Ekens Azubuike a porté le verdict en appel. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales dit être en train de l’analyser.


Source : La Presse de Montréal

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