samedi 28 janvier 2023

Prof Michael Barutciski et le chemin Roxham : Trudeau ne comprend pas comment le droit international et national s'applique aux demandeurs d'asile

Extraits d’un article du professeur Michael Barutciski :

Après une période relativement calme, le rang Roxham est de retour dans l’actualité. Les demandeurs d’asile entrent au Canada par ce passage frontalier non officiel entre le Québec rural et le nord de l’État de New York à un rythme record depuis que le gouvernement Trudeau a levé l’interdiction d’entrée liée à la pandémie. D’après ses déclarations publiques, il semble que le Premier ministre Trudeau croit que ces migrants ont des droits au Canada s’ils tentent d’entrer de manière irrégulière par le rang Roxham, mais pas s’ils suivent les règles et se présentent à un point d’entrée officiel. Il a également une compréhension imprécise de la nature exacte des obligations légales du Canada.

Il n’est pas étonnant qu’une partie de la population soit perplexe et perde confiance dans le système. Aucun principe de protection ne saurait justifier un traitement différent des demandeurs d’asile en fonction de la partie de la frontière terrestre qu’ils utilisent pour entrer. S’il est regrettable que des médias non critiques et divers politiciens en quête d’attention ne soient pas en mesure d’expliquer correctement le problème de Roxham, il est beaucoup plus inquiétant que le Premier ministre ne connaisse apparemment pas les lois applicables dans le pays qu’il gouverne.

Immigrants qui rentrent de manière irrégulière au Québec accueillis par la gendarmerie

Les lois s’appliquent immédiatement à la frontière

Compte tenu de la confusion apparente, il convient de souligner qu’une personne qui arrive à un point d’entrée terrestre est déjà considérée comme étant au Canada et que les autorités sont liées par des obligations juridiques internationales et nationales. Le gouvernement canadien n’applique pas un type de fiction juridique qui prétend qu’il y a une « zone internationale » spéciale à la frontière dans laquelle les gens ne sont pas considérés comme étant au Canada jusqu’à ce qu’ils soient officiellement autorisés à entrer.

Dès que les migrants entrent en contact avec les autorités, tant la Convention de Genève sur les réfugiés que la Charte canadienne des droits et libertés peuvent les protéger. Si l’entrée n’est pas autorisée, ils sont renvoyés aux États-Unis. Comme le système canadien est fondé sur la primauté du droit, les demandeurs d’asile peuvent contester la décision de retour. En effet, plusieurs demandeurs se sont associés à des groupes de défense pour faire valoir que les États-Unis ne sont pas sûrs pour eux. Leur cause sera bientôt entendue par la Cour suprême du Canada.

La situation juridique ci-dessus est la même, qu’elle se produise à un point d’entrée officiel ou à un passage non officiel doté de personnel par la GRC, comme celui de Roxham Road. L’Entente Canada–États-Unis sur les tiers pays sûrs (ETPS), qui est entrée en vigueur en 2004, déclare simplement que les deux pays sont sûrs pour les demandeurs d’asile et introduit une coopération formelle sur le partage des responsabilités entre eux. Cela ne change pas l’application de la Convention sur les réfugiés ou de la Charte, bien que les droits fondamentaux soient affectés par la désignation des États-Unis comme « pays tiers sûr ».

[…] 

[Trudeau prétend que les réfugiés entrés illégalement ont droit à une audience]

Les déclarations du Premier ministre suggèrent malheureusement qu’il a une compréhension superficielle de la situation. Parlant de Roxham Road devant un auditoire de l’Université du Manitoba, le Premier ministre Trudeau a déclaré que « le Canada a des obligations en vertu des traités internationaux d’accorder une audience aux demandeurs d’asile ». Pourtant, il croit aussi d’une manière ou d’une autre que ces supposées obligations ne s’appliquent pas au port d’entrée voisin [Saint-Bernard-de-Lacolle].

La seule explication rationnelle de cette position pourrait être qu’il a la fausse impression qu’une personne qui arrive au point d’entrée n’est pas réellement au Canada et n’est donc pas couverte par les obligations juridiques internationales et nationales. D’un point de vue analytique, l’aspect frappant de la controverse Roxham est que le Premier ministre ne semble pas saisir les dimensions juridiques, mais il insiste sur le fait qu’elles guident la politique de son gouvernement, comme il l’a récemment expliqué à la Chambre des communes.

En d’autres termes, le Premier ministre Trudeau ne semble pas comprendre que si la Convention sur les réfugiés et la Charte s’appliquent à toute personne qui arrive à la frontière canadienne, la protection juridique qu’elles offrent dépend de la situation de chacun. Il ne saisit pas les conséquences fondamentales du fait que le Canada a déclaré que les États-Unis étaient sûrs pour les demandeurs d’asile et comment cela crée des circonstances particulières influençant l’étendue de la protection accordée par le droit international et national. Cependant, le Premier ministre a un sens aigu du symbolisme politique et un désir de projeter une image humanitaire.

Y a-t-il un droit à une audience ? [Non]

La Convention sur les réfugiés oblige-t-elle le Canada à offrir une audience de statut de réfugié à toute personne qui arrive par le rang Roxham, comme le prétend le gouvernement Trudeau ? Nulle part dans ce traité de 1951 il n’est fait mention des procédures de statut de réfugié. Le mot « asile » n’est même mentionné dans aucun de ses 46 articles. L’obligation la plus pertinente se trouve à l’article 33, qui stipule que les réfugiés ne peuvent pas être renvoyés dans un pays où « leur vie ou leur liberté seraient menacées ».

Cette garantie fondamentale n’est pas la même chose qu’un droit d’asile en ce sens qu’elle permet une certaine flexibilité tant que la vie des demandeurs d’asile n’est pas en danger. À moins que la Cour suprême du Canada ne décide que les États-Unis ne sont pas sûrs, il n’y a pas de violation si les demandeurs d’asile arrivant à la frontière du Québec sont renvoyés dans le nord de l’État de New York.

La dure réalité est que la protection limitée de la Convention sur les réfugiés n’oblige pas le Canada à accorder une audience à chaque demandeur d’asile qui se présente à la frontière. Il permet également aux demandeurs d’être renvoyés dans des pays sûrs, c’est pourquoi l’adoption de l’ETPS a été possible en premier lieu.

La Charte canadienne des droits et libertés oblige-t-elle le gouvernement à accorder une audience à toute personne qui arrive au chemin Roxham ? L’arrêt historique Singh de 1985 a établi que la Charte s’applique à toute personne en sol canadien, mais cela ne signifie pas que sa protection garantit nécessairement aux demandeurs d’asile un droit automatique à une audience. Nulle part dans l’arrêt il n’est mentionné qu’il existe un droit général à une audience. Les circonstances particulières de l’affaire sont plutôt soulignées afin d’établir une violation potentielle de la Charte parce que les demandeurs sikhs risquaient d’être renvoyés directement en Inde où ils craignaient d’être persécutés. La protection de « la vie, la liberté et la sécurité » de la Charte (article 7) était en jeu, de sorte que l’ancienne procédure de détermination du statut de réfugié a été jugée insuffisante et la Cour suprême a statué qu’ils avaient droit à une audience.

Les demandeurs d’asile au rang Roxham arrivent des États-Unis. Les arrêter et les renvoyer à la frontière n’entraînera pas une violation potentielle de la Charte, car les États-Unis sont réputés sûrs, de sorte que le raisonnement derrière Singh ne s’applique pas. Les journalistes qui acceptent sans réserve la position du Premier ministre comprennent mal pourquoi le tribunal de Singh a accordé une audience. Il ne peut y avoir violation de la Charte si quelqu’un est envoyé en lieu sûr.

La Loi fédérale sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit également que, lorsqu’un demandeur d’asile arrive à la frontière terrestre, une première décision est prise pour déterminer si la personne peut présenter une demande (article 100). Les divers motifs d’inadmissibilité sont décrits à l’article 101 suivant de la Loi. Sans surprise, ceux-ci incluent diverses raisons liées à la sécurité. Ils comprennent également une clause ostensible rendant les demandeurs inadmissibles lorsqu’ils viennent « directement ou indirectement au Canada d’un pays désigné par le règlement, autre qu’un pays dont ils ont la nationalité ou leur ancienne résidence habituelle ». Il s’agit de la disposition législative qui autorise le retour aux États-Unis et permet l’adoption d’un accord de partage des responsabilités avec les États-Unis. Comme indiqué ci-dessus, les lois s’appliquent immédiatement à la frontière étant donné qu’il n’y a pas de « zone internationale » fictive ou de no man’s land où les autorités peuvent agir dans un vide juridique.

Même une lecture rapide de la principale législation du Canada portant spécifiquement sur les demandes d’asile montre clairement qu’un droit automatique à une audience sur le statut de réfugié n’a jamais été voulu ni établi par le Parlement.

[…] 

[L’argument sur la futilité de contrôler les frontières ne tient pas]

Le Premier ministre Trudeau fournit également un argument pratique pour défendre sa politique frontalière incohérente : il affirme qu’il n’est pas réellement possible d’empêcher l’entrée entre les points d’entrée terrestres. Si le chemin Roxham est fermé, le Premier ministre insiste sur le fait que les demandeurs d’asile entreront simplement ailleurs. C’est le même argument fallacieux que le Premier ministre a utilisé au cours des trois premières années de l’administration Trump. Si la fermeture des frontières est inefficace, pourquoi son gouvernement a-t-il adopté en 2020 un décret spécial qui a empêché l’entrée par le rang Roxham pendant la pandémie ? Roxham fait à nouveau la une des journaux parce que les demandes d’asile ont immédiatement explosé dès que l’ordonnance a été levée il y a quelques mois.

Cet argument général basé sur la futilité sur le contrôle des frontières est largement soutenu dans le milieu universitaire, même s’il repose sur une hypothèse non prouvée. Il est actuellement utilisé par des militants pour dénoncer la nouvelle approche controversée du gouvernement britannique visant à dissuader les migrants irréguliers de traverser la Manche, ainsi que pour critiquer l’intention de l’administration Biden de lever sa propre interdiction d’entrée liée à la pandémie à la frontière mexicaine.

Tout comme aucun gouvernement ne prétend que l’évasion fiscale peut être complètement stoppée par une application stricte de la loi, aucun gouvernement ne prétend que la migration irrégulière s’arrêtera avec l’adoption de mesures de contrôle aux frontières renforcées. Il s’agit plutôt d’atténuer les risques et de ne pas rendre l’entrée illégale si facile qu’elle devienne presque une invitation pour les migrants potentiels à se rendre aux frontières du Canada afin d’accéder à la longue et généreuse procédure de détermination du statut de réfugié du pays.

[…]

Michael Barutciski est professeur agrégé au Collège Glendon de l’Université York. Avant de se joindre à Glendon, il a dirigé le programme de diplomatie à l’Université de Canterbury (Nouvelle-Zélande) et a été boursier en droit au Centre d’études sur les réfugiés de l’Université d’Oxford. À son retour au Canada, il a présidé le Département d’études multidisciplinaires de Glendon et contribué à la création de l’École d’affaires publiques et internationales de Glendon, où il a occupé pendant plusieurs années le poste de directeur des études supérieures. Il a mené des recherches dans des zones de conflit et des camps de réfugiés en Europe, en Afrique et en Asie. Il est docteur en droit de l’Université de Paris (Panthéon-Assas).


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