Inexistants au Québec il n’y a pas si longtemps, les centres d’apprentissage libre, dits « écoles démocratiques », se multiplient depuis trois ans. Le gouvernement cherche à légiférer pour, dit-il, éviter les dérives.
Début juin, par un après-midi splendide, le centre d’apprentissage libre Alternature, près de Shawinigan, grouille d’activités et de cris d’enfants. Au bord d’un étang surplombé d’une immense glissade d’eau, six garçons âgés de 6 à 10 ans se lancent de la boue joyeusement, pendant qu’à quelques mètres d’eux, huit filles du même âge apprennent une pièce de théâtre, qu’elles présenteront aux parents pour la fête de fin d’année.
On se croirait en camp de vacances, et c’est presque le cas. Depuis deux ans, le centre d’apprentissage libre, fréquenté par une quinzaine de familles d’enfants qui font l’école à la maison, s’est installé « en nature » sur le site d’un camp d’été qu’il loue pendant la saison morte.
S’inspirant de la philosophie des écoles démocratiques, Alternature tient un « conseil de vie » hebdomadaire, où les enfants votent sur les grandes orientations et des activités à venir. Pour les encadrer, le centre a embauché une « facilitatrice », Mathilde Ayotte-Bournival, une ancienne enseignante d’art dramatique et de mathématiques au primaire qui s’est éloignée du système scolaire par conviction.
Son rôle est d’accompagner et de soutenir les enfants dans les activités qu’ils ont envie de faire. « Il y a des journées où il n’y a strictement rien de prévu au programme. Il faut que ça parte des enfants », explique-t-elle.
Les parents, qui paient 70 $ par semaine par enfant pour fréquenter l’endroit, doivent donner une journée de leur temps sur 16 à titre bénévole, mais ils n’ont aucune obligation d’organiser des activités éducatives.
« Il faut un genre de déprogrammation. Il n’y a pas de cloche, les enfants mangent quand ils veulent », lance Marion Vallerand, cofondatrice du centre et maman d’un des garçons qui se lancent de la boue.
Un projet de réglementation sur la table
Alors qu’elles étaient inexistantes au Québec avant 2016, on compte aujourd’hui une dizaine d’« écoles démocratiques » similaires, qui ont pour la plupart ouvert leurs portes au cours des trois dernières années. Deux autres ouvriront cette semaine, à Saint-Lazare, en Montérégie, ainsi que dans la petite municipalité d’Irlande, près de Thetford Mines, dans Chaudière-Appalaches.
Le gouvernement Legault travaille actuellement sur un projet de réglementation pour encadrer leurs activités. « On veut s’assurer que ces centres ne deviennent pas des écoles illégales », affirme cette source gouvernementale, qui n’est pas autorisée à en parler publiquement à ce stade du processus.
En principe, les « facilitateurs » n’ont pas le droit d’enseigner de matières prévues dans le programme scolaire. (On ne voit pas pourquoi sauf à préserver le monopole des écoles mieux contrôlées par l’État.
Les « facilitateurs » et « facilitatrices » n’ont en principe pas le droit de prodiguer de matières qui sont prévues dans le programme scolaire. Le suivi du cursus scolaire prévu par la loi est l’unique responsabilité des parents, mais plusieurs centres admettent qu’ils ne font aucune vérification pour savoir si les enfants suivent un programme éducatif quelconque à la maison.
Les responsables font le pari que les enfants apprennent par le jeu.
Quand les enfants apprennent une pièce de théâtre, ils sont définitivement en train de développer des compétences à lire des textes variés et à communiquer oralement, comme l’exige le Ministère dans son cursus.
Tous s’entendent pour dire que ce type d’éducation n’est pas pour tout le monde. « Mais le modèle scolaire, où tout est prédéfini à partir d’en haut, ça ne marche pas non plus pour certains enfants, dit la facilitatrice Mathilde Ayotte-Bournival. Personnellement, j’ai même l’impression que c’est une minorité pour qui ça fonctionne vraiment bien », dit-elle.
Entrer au cégep ou à l’université, pas un problème
Même s’ils n’ont pas suivi de programme officiel, les enfants déscolarisés arrivent dans la plupart des cas à entrer au cégep ou à l’université, affirment plusieurs parents adeptes du mouvement.
Les enfants doivent dans certains cas obtenir leur « équivalence 5e secondaire » en passant un test dans les centres de services scolaires. Mais beaucoup d’enfants déscolarisés expriment aussi le désir d’entrer à l’école en 3e, 4e ou 5e secondaire.
« Un enfant qui veut aller au cégep, il a la motivation et la maturité d’un enfant de 16 ans. S’il a du retard, il va se rattraper en deux mois, et ça va marcher encore mieux puisqu’il ne sera pas écœuré de l’école », avance Ève-Marie Bourque, une ancienne enseignante qui travaille maintenant au centre d’apprentissage libre Florescence, dans Lanaudière.
« Quand ils veulent aller au cégep, il y a comme un déclic qui se produit et soudainement, ils veulent apprendre autre chose », renchérit Marc-Alexandre Prud’homme, PDG et éducateur au centre d’apprentissage libre Mont-Libre.
L’arrivée dans un système très structuré, après des années à gérer leur propre horaire selon leurs envies, est pour plusieurs déstabilisante, « mais ils rentrent assez facilement dans le moule », affirme la conseillère pédagogique Bchira Dhouib, qui a fait son mémoire de maîtrise à l’Université de Montréal sur les parents déscolarisants, et qui évalue les programmes des parents qui font appel à ses services.
« Moi, j’ai dû demander à plusieurs proches comment on fait pour étudier pour un examen, dit Kieryn Darkwater, directeur général de la Coalition for Responsible Home Schooling, qui a fait l’école à la maison. Ç’a été une adaptation, mais j’ai survécu ! »
Source : La Presse
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