William Cavanaugh a publié un ouvrage intéressant sur la violence religieuse. Ce livre publié d'abord en anglais aux Presses de l'Université d'Oxford s’attache à critiquer le préjugé largement répandu dans l’Occident moderne selon lequel la religion serait intrinsèquement porteuse de violence et d’une violence nécessairement pire que la violence séculière. On retrouve cette critique de Voltaire (sur ce personnage lire ici et là) à John Rawls, figure tutélaire de George Leroux, un des pères du controversé cours d’éthique et culture religieuse. C’est sans doute pourquoi Georges Leroux avait écrit en oubliant sans doute la Première Guerre mondiale, le nazisme et le stalinisme : « Alors que la période prémoderne se caractérisait par la recherche de l’hégémonie religieuse et par le prosélytisme qui conduisit l’Europe aux guerres les plus meurtrières de son histoire, la période moderne se caractérise par la sécularisation, la tolérance et le respect mutuel dans l’aire occidentale. » (page 24 de son Rapport d’expert présenté dans la requête Suzanne Lavallée et Daniel Jutras relative au programme d’éthique et culture religieuse, février 2009). Il assènera la même assertion dans son expertise remise dans l’affaire Loyola c. le Monopole de l’Éducation du Québec.
Violence des idéologies séculières
La critique de William Cavanaugh consiste d’abord à mettre en lumière la violence des idéologies séculières qui déchaînent la haine au nom de la nation, de l’État, de la race, de la révolution, de la démocratie, de la lutte des classes, etc. Chacun conviendra en effet aisément que la Terreur de 1793, les crimes du communisme ou du nazisme, les bombardements de Dresde ou d’Hiroshima n’ont rien à envier en cruauté et en barbarie aux croisades ou à l’Inquisition. Mais Cavanaugh va plus loin.
Il montre que l’idée d’une violence spécifiquement religieuse qui serait par principe plus à craindre que la violence séculière repose sur un contresens historique. Les auteurs qui défendent cette thèse prennent en effet comme point de départ de leur réflexion une définition de la religion comme système de croyances nettement distinct des préoccupations et des motivations séculières qui n’a tout simplement pas de sens en dehors de l’ère culturelle moderne et occidentale.
Les prétendues « guerres de religion »
Cavanaugh se sert notamment de l’étude de ce que l’on appelle de manière selon lui relativement impropre, les « guerres de religion » du XVIe siècle en Europe, pour montrer qu’il est absolument impossible d’isoler dans ces conflits les mobiles que l’on qualifierait aujourd’hui de séculiers de ceux que l’on qualifierait de religieux. Mieux encore, il nous convainc que l’État moderne n’a pas résolu les guerres de religion en faisant triompher une forme de rationalité laïque sur les passions religieuses mais que c’est l’émergence de ce même État moderne qui est l’une des causes principales de ces guerres. Et de fait, le protestantisme en favorisant la nationalisation de la religion a permis à de nombreux princes d’éliminer cette forme d’allégeance concurrente à celle exigée par l’État que représentait l’universalisme catholique. À l’inverse, dans un pays comme la France, la conversion d’une partie de la noblesse au protestantisme n’est pas sans rapport avec une forme de résistance féodale à la mise en place de la pleine souveraineté royale.
Légitimation de l’État, diabolisation de l’ennemi
Après avoir servi de discours de légitimation à l’État moderne puis à l’État libéral, le mythe de la violence religieuse sert aujourd’hui à diaboliser les sociétés non occidentales. Cavanaugh s’intéresse particulièrement à l’utilisation du mythe par les néo-conservateurs américains. Ceux-ci ont tendance à considérer que les Arabes sont par nature incapables d’agir selon des mobiles rationnels et que leur unique motivation est une haine absurde et viscérale de l’Amérique et de ses valeurs. Toutes les autres interprétations, notamment celles qui mettent en avant la responsabilité américaine (soutien à la colonisation des territoires palestiniens par Israël, aux différentes dictatures du monde arabe, aux groupes islamistes les plus radicaux, au djihad quand il prenait pour cible les Soviétiques...), sont par avance disqualifiées.
L’autre intérêt du livre de Cavanaugh est de rectifier notre vision des rapports de l’Amérique avec la religion. Il nous invite en effet à ne pas confondre les références à Dieu qui participent à la religion civique américaine (In God we trust) et les églises proprement dites. Les unes et les autres ne vont pas forcément de pair comme le prouvent par exemple les lynchages, dans les années quarante, de témoins de Jéhovah qui refusaient le salut au drapeau, à leurs yeux idolâtres, ou les différentes tracasseries dont sont régulièrement victimes les catholiques. Il nous rappelle aussi, à rebours des préjugés qui ont cours en France sur les Américains, que la prière est interdite dans les écoles publiques au nom de la séparation des églises et de l’État.
Le Mythe de la violence religieuse intéressera donc autant les historiens que les observateurs des conflits contemporains et ceux qui réfléchissent aux rapports entre la religion et l’État dans les sociétés modernes.
Présentation de l’éditeur
C’est une idée dominante : la religion promeut la violence, car elle est absolutiste, source de divisions et irrationnelle. Mais peut-on séparer la violence « religieuse » de la violence « séculière » ? C’est la question que pose William Cavanaugh dans cet essai magistral publié simultanément aux Presses de l’Université d’Oxford et en France.
Au cœur du problème, l’invention d’un concept universel de « religion » accompagnant l’émergence de l’État moderne, la marginalisation de l’Église puis la colonisation. L’examen historique des « Guerres de religion » révèle qu’il est impossible d’isoler le facteur religieux de la résistance des élites locales face aux menées centralisatrices des souverains. L’État-nation s’est approprié le sacré, devenant lui-même l’objet d’une nouvelle « religion » exigeant une loyauté exclusive conduisant à la guerre. En Occident, le mythe de la violence religieuse est une arme pour limiter le rôle public des chrétiens. En politique étrangère, il légitime la « guerre libérale de libération » contre les sociétés non séculières.
William Cavanaugh déconstruit brillamment un mythe fondateur de la modernité et ouvre de nouvelles voies à la réflexion sur l’origine de la violence. William Cavanaugh enseigne à l’Université Saint-Thomas (Saint-Paul, Minnesota, États-Unis).
Le mythe de la violence religieuse
par William Cavanaugh
Éditions de L’Homme nouveau
Paris, 2009
382 pages
ISBN-13 : 978-2915988291
Violence des idéologies séculières
La critique de William Cavanaugh consiste d’abord à mettre en lumière la violence des idéologies séculières qui déchaînent la haine au nom de la nation, de l’État, de la race, de la révolution, de la démocratie, de la lutte des classes, etc. Chacun conviendra en effet aisément que la Terreur de 1793, les crimes du communisme ou du nazisme, les bombardements de Dresde ou d’Hiroshima n’ont rien à envier en cruauté et en barbarie aux croisades ou à l’Inquisition. Mais Cavanaugh va plus loin.
Il montre que l’idée d’une violence spécifiquement religieuse qui serait par principe plus à craindre que la violence séculière repose sur un contresens historique. Les auteurs qui défendent cette thèse prennent en effet comme point de départ de leur réflexion une définition de la religion comme système de croyances nettement distinct des préoccupations et des motivations séculières qui n’a tout simplement pas de sens en dehors de l’ère culturelle moderne et occidentale.
Les prétendues « guerres de religion »
Cavanaugh se sert notamment de l’étude de ce que l’on appelle de manière selon lui relativement impropre, les « guerres de religion » du XVIe siècle en Europe, pour montrer qu’il est absolument impossible d’isoler dans ces conflits les mobiles que l’on qualifierait aujourd’hui de séculiers de ceux que l’on qualifierait de religieux. Mieux encore, il nous convainc que l’État moderne n’a pas résolu les guerres de religion en faisant triompher une forme de rationalité laïque sur les passions religieuses mais que c’est l’émergence de ce même État moderne qui est l’une des causes principales de ces guerres. Et de fait, le protestantisme en favorisant la nationalisation de la religion a permis à de nombreux princes d’éliminer cette forme d’allégeance concurrente à celle exigée par l’État que représentait l’universalisme catholique. À l’inverse, dans un pays comme la France, la conversion d’une partie de la noblesse au protestantisme n’est pas sans rapport avec une forme de résistance féodale à la mise en place de la pleine souveraineté royale.
Légitimation de l’État, diabolisation de l’ennemi
Victimes de la famine organisée en URSS (la dékoulakisation) |
L’autre intérêt du livre de Cavanaugh est de rectifier notre vision des rapports de l’Amérique avec la religion. Il nous invite en effet à ne pas confondre les références à Dieu qui participent à la religion civique américaine (In God we trust) et les églises proprement dites. Les unes et les autres ne vont pas forcément de pair comme le prouvent par exemple les lynchages, dans les années quarante, de témoins de Jéhovah qui refusaient le salut au drapeau, à leurs yeux idolâtres, ou les différentes tracasseries dont sont régulièrement victimes les catholiques. Il nous rappelle aussi, à rebours des préjugés qui ont cours en France sur les Américains, que la prière est interdite dans les écoles publiques au nom de la séparation des églises et de l’État.
Le Mythe de la violence religieuse intéressera donc autant les historiens que les observateurs des conflits contemporains et ceux qui réfléchissent aux rapports entre la religion et l’État dans les sociétés modernes.
Présentation de l’éditeur
C’est une idée dominante : la religion promeut la violence, car elle est absolutiste, source de divisions et irrationnelle. Mais peut-on séparer la violence « religieuse » de la violence « séculière » ? C’est la question que pose William Cavanaugh dans cet essai magistral publié simultanément aux Presses de l’Université d’Oxford et en France.
Au cœur du problème, l’invention d’un concept universel de « religion » accompagnant l’émergence de l’État moderne, la marginalisation de l’Église puis la colonisation. L’examen historique des « Guerres de religion » révèle qu’il est impossible d’isoler le facteur religieux de la résistance des élites locales face aux menées centralisatrices des souverains. L’État-nation s’est approprié le sacré, devenant lui-même l’objet d’une nouvelle « religion » exigeant une loyauté exclusive conduisant à la guerre. En Occident, le mythe de la violence religieuse est une arme pour limiter le rôle public des chrétiens. En politique étrangère, il légitime la « guerre libérale de libération » contre les sociétés non séculières.
William Cavanaugh déconstruit brillamment un mythe fondateur de la modernité et ouvre de nouvelles voies à la réflexion sur l’origine de la violence. William Cavanaugh enseigne à l’Université Saint-Thomas (Saint-Paul, Minnesota, États-Unis).
Le mythe de la violence religieuse
par William Cavanaugh
Éditions de L’Homme nouveau
Paris, 2009
382 pages
ISBN-13 : 978-2915988291
Voir aussi
Les chrétiens du IVe siècle, des persécuteurs comme les païens avant eux ?
Les Religions de la politique. Entre démocraties et totalitarismes par Emilio Gentile
« Le multiculturalisme tue toute identité commune enracinée dans une histoire » (m-à-j entretien)
George Leroux : L’État doit viser à déstabiliser les systèmes absolutistes de croyance [que les parents pourraient transmettre à leurs enfants...]
1 commentaire:
Article parfait. Merci,nous reproduisons et marquons dans nos favoris.
Enregistrer un commentaire