dimanche 10 août 2014

Pour la lecture des classiques : « On est un meilleur ouvrier si on a lu Montaigne ou Proust »

Entretien dans le FigaroVox avec Antoine Compagnon, historien de la littérature française, spécialiste notamment de Marcel Proust. Il est professeur au Collège de France. Il est l'auteur d'Un été avec Montaigne, petit recueil de chroniques sur l'auteur des Essais, succès surprise de l'année 2013, atteignant aujourd'hui la barre des 160 000 exemplaires vendus. Extraits.

Imaginiez-vous que la philosophie et la littérature classique pouvaient être des lectures de vacances? Cela témoigne-t-il d'une soif de savoir et d'un besoin de transmission chez beaucoup de Français?

— L'idée selon laquelle les classiques n'intéresseraient plus personne est manifestement fausse. On constate au contraire qu'il existe une demande et un public pour ce type d'œuvres, ce qui dément le discours ambiant sur la crise de la lecture, de la littérature, des grands écrivains. Il importe d'aller vers ce public et de répondre à sa demande. [...]

Vous parvenez à remplir trois amphis (dont deux en retransmission vidéo) à chacun de vos cours sur Marcel Proust. Quel est votre secret?

— Je l'ignore. Comme beaucoup, je supporte mal de m'entendre ; je n'ai donc pas écouté ces émissions sur Montaigne. Mais, comme professeur, l'objectif qui m'a toujours guidé a été de faire comprendre à mes élèves qu'ils étaient plus intelligents qu'ils ne le croyaient. Mon but a toujours été qu'on sorte de mon cours en maîtrisant quelque chose qu'on ne pensait pas pouvoir maîtriser.

Que peut nous apprendre Montaigne aujourd'hui? Est-il toujours aussi moderne? En quoi?

— Montaigne se pose des questions que les lecteurs du XXIe siècle se posent aussi. En lisant les Essais, ils apprennent quelque chose sur Montaigne, mais aussi sur eux-mêmes, quelque chose qu'ils ne soupçonnaient pas. Plus largement, je n'ai jamais pensé que la culture générale et la culture littéraire en particulier étaient incompatibles avec la formation professionnelle. La littérature permet de vivre mieux, mais aussi d'être plus efficace dans son métier, quel que soit ce métier. On est un meilleur architecte, plombier ou ouvrier si on a un peu de culture littéraire. Lire Montaigne introduit une distance nécessaire, critique, par rapport à toute activité.

Vous poursuivez aujourd'hui l'aventure avec Baudelaire. Votre démarche est-elle la même?

— Baudelaire reste lui aussi très actuel. Il est par exemple l'un des premiers à avoir mis en cause le progrès, notion très débattue aujourd'hui. Mais il est moins rond, moins sympathique que Montaigne ; sa personnalité est plus sombre, plus ambiguë. Il est hostile à la démocratie, favorable à la peine de mort. Beaucoup le jugent réactionnaire. J'ai hésité à parler de ces aspérités à la radio avant de décider qu'il fallait faire la lumière sur toute son œuvre et sa personnalité. J'ai même enregistré une émission sur sa réputation d'antisémitisme. Baudelaire, c'est l'amertume et la mélancolie. Paradoxalement, l'été n'est pas sa saison et le matin n'est pas son heure. Le temps de Baudelaire, c'est le crépuscule, l'automne. Il y a donc de l'ironie à l'écouter sur la plage.

L'attrait pour ces auteurs classiques est-il lié à la pauvreté de la littérature contemporaine? Qui sont les héritiers de Montaigne, Proust ou Baudelaire aujourd'hui?

— Les Montaigne, Baudelaire ou Proust, ne sont pas nombreux. Il n'y en a pas un par génération et la littérature contemporaine n'est pas spécialement pauvre. Ce sentiment n'a rien de nouveau ; on l'a toujours eu, parce qu'on est exigeant. En 1913, cette impression était partagée, et c'est seulement après coup qu'on a marqué l'année d'une pierre blanche, parce que c'est celle de la parution de Du côté de chez Swann, du Grand Meaulnes, etc. À toute époque, certains lecteurs sont retournés vers les classiques parce que la littérature contemporaine leur semblait insatisfaisante.

[...]



La littérature, ça paye
Antoine Compagnon, HEC Paris





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3 commentaires:

Dia a dit…

une des raison de la légitime méfiance à l'égard de la "culture générale" c'est qu'elle est toujours – par la cuistrerie des professeurs mercenaires – empreinte de l'idéologie la plus officielle. La preuve ? Cette déclaration misérable de la starlette universitaire je cite : "Baudelaire... Beaucoup le jugent réactionnaire. J'ai hésité à parler de ces aspérités à la radio"

c'est absolument pitoyable et grotesque d'avouer ainsi que l'on a pour honteux métier d'abaisser la réflexion et la beauté au niveau de la bêtise et de la platitude ambiante.

Quant au titre de son prêche : "ça paye" c'est sans doute une allusion au sens comique de l'expression.

Ce bouffon ignorant va pontifiant jusqu'à Columbia son ignorance de la vraie grandeur de l'art, laquelle grandeur élève les oeuvre de l'esprit bien au dessus de toute valeur et toute utilité.

Il ne faut pas se demande à quoi la culture sert mais plutôt se demander à quoi l'on sert soi-même.

Notre orateur ancillaire, lui s'est manifestement mis au service de l'ordre de la marchandise ce qui lui épargne de se poser la moindre question.

Misère.

Laurent F a dit…

Dia,

Je pense que vous avez été un peu hâtif dans votre sévère condamnation de ce monsieur.

Avez-vous écouté un bout de son allocution ?

Son titre (ça paie) est une petite provocation parce qu'il est devant un parterre d'élèves de la "Business school" (grrr.) HEC. Mais il parle de la valeur esthétique, sociale (comprendre les autres) et psychologique. Il s'insurge contre la valorisation de l'étude de la littérature comme une simple compétence rédactionnelle. Bref, plus subtil que cela donc.

Dia a dit…

@Laurent

vous avez raison bien sûr et j'approuve – faut-il le préciser – l'esprit dans lequel PUELAQ a publié cette intervention.

Mais je prenais une position de principe. Imagine-t-on défendre le sacré en prouvant que les agenouillement et la prière font baisser l'hypertension artérielle ?

C'est l'ensemble de la société qui est au service de la culture et la culture elle n'est au service de rien et sûrement pas au service de la marchandise ou de l'argent.

Prendre une autre voie pour sauver la CsG (la Culture seulement Générale) c'est déjà renoncer à la valeur toujours essentiellement critique, rebelle, dérangeante, anti-bourgeoise, c'est renoncer à l'inquiétude du spirituel. Le travail de l'esprit est exigence, défi et pas confort. Pour végéter dans le cloaque de ses préjugés consensuels et de sa bonne conscience, pour obéir en "mutins de panurge" il y a la télé.

"Baudelaire... Beaucoup le jugent réactionnaire. J'ai hésité à [en] parler "

Hésiter, justifier, c'est faire une concession de trop. Aller dans le sens de la marchandise, dans le sens de l'idéologie officielle. C'est accompagner la tendance dont il s'agit de combattre les effets. Faire pschitt !