jeudi 7 janvier 2010

Éthique et culture religieuse: bilan des débats

Un collectif de professeurs de philosophie a envoyé cette lettre au Devoir qui l'a publiée ce matin en supprimant le passage barré ci-dessous.
Que reste-t-il du programme Éthique et culture religieuse (ECR) après les répliques formulées à l'endroit de l'étude Quérin ? C'est la question à poser pour faire suite à l'empres­sement dont les concepteurs de ce programme et leurs collaborateurs ont fait montre dans leur réaction à l'analyse critique qu'en a faite Joëlle Quérin, chercheuse associée à l'Institut de recherche sur le Québec. Mises à part les attaques ad hominem, leur défense du cours ECR est soit d'ordre politique, soit pédagogique.

Le point de vue davantage politique concerne l'attitude que le programme favorise chez les élèves en tant que citoyens appelés à vivre au sein d'un Québec empreint d'une diversité de croyances. La critique souvent adressée au programme ECR et reprise par Mme Quérin consiste à lui reprocher de conduire au multi­cul­tu­ralisme, entendant par là le fait de mettre sur un même pied d'égalité les diverses religions, sans accent privilégié sur celles qui sont traditionnellement liées à l'identité québécoise. Ce multi­cul­tu­ralisme est vu comme une conception canadienne contraire à l'intégration par le Québec de la diversité culturelle issue de l'immigration et au renforcement de l'identité québécoise.

À cela, les idéateurs du programme, Jean-Pierre Proulx et Georges Leroux, ont rétorqué dans la page Idées du Devoir du 16 décembre que cette critique n'est aucunement fondée. Selon eux, le nouveau programme promeut la construction commune d'un « vivre-ensemble au sein d'une culture partagée » ouverte à la diversité mais intégrée grâce à la prépon­dérance accordée à la tradition religieuse du Québec, dont particu­lièrement la tradition chrétienne. Ils en veulent pour preuve le fait que « l'intention minis­térielle est claire et réaffirmée plusieurs fois. L'enseignement devra privilégier les traditions religieuses qui ont contribué à façonner l'histoire et la culture québécoise [...] ».

Poudre aux yeux

Voilà qui est révélateur de ce sur quoi les défenseurs du programme appuient leurs prétentions, à savoir des énoncés de principe inclus au libellé du programme et sur les « orientations minis­térielles de 2005 » ayant présidé au programme. Comme nous allons l'indiquer, c'est là accorder beaucoup d'importance à ce qui trop souvent ne s'avère que vœux pieux ou poudre aux yeux.

La lecture des contenus d'apprentissage et celle des manuels prévus par le ministère de l'Éducation font ressortir à l'évidence que la prépon­dérance que ce programme dit accorder aux valeurs qui ont façonné la nation québécoise est insignifiante. Non seulement elle porte sur ce qui est accessoire en matière religieuse (les symboles et objets religieux, les rites, les fêtes ou autres aspects du culte), mais la prépon­dérance accordée au christianisme consiste en une simple priorité chronologique consistant à mentionner par exemple la fête de Pâques avant la Wesak bouddhiste et le Divali hindou, ou encore à mentionner sur la liste des guides spirituels le prêtre avant l'iman et le gourou.

Cet écart entre les principes qu'on met de l'avant pour défendre le programme ECR et les contenus officiels d'appren­tissage vient clairement confirmer la finesse de l'analyse de l'étude Quérin. Celle-ci porte, non pas sur de simples extraits de l'orien­tation générale du programme, mais sur sa structure d'ensemble dont les diverses composantes convergent vers le multi­cul­turalisme.

La critique de cette étude aurait pu aller beaucoup plus loin en faisant ressortir que l’ECR va jusqu’à discréditer à plusieurs égards la tradition chrétienne reconnue par l’ECR comme un vecteur d’intégration. Et ce, entre autres choses de façon générale, en jetant le discrédit sur toute religion par le fait de stipuler qu’au niveau secondaire la question de l’existence du divin sera traitée par l’exposé de la pensée des seuls auteurs qui en ont fait une critique virulente, à savoir « l’athéisme, l’idée de l’aliénation religieuse, chez Marx, Freud et Sartre, l’idée de la mort de Dieu chez Nietzsche ».

Jugement critique

L'aspect plus spécifiquement pédagogique du programme est abordé par Luc Bégin, qui affirme avoir été expert-conseil dans l'élaboration du programme et qui nous fait part de sa réaction à l'étude Quérin dans Le Soleil du 16 décembre. Il réagit à l'accusation d'endoc­tri­nement des élèves au multi­cul­tu­ralisme en s'appuyant lui aussi sur les intentions du programme et en faisant état de ce à quoi « le programme ECR entend plutôt initier les jeunes », c'est-à-dire « la pratique du dialogue qui incite pourtant à construire une pensée critique et articulée et à aborder collectivement des sujets complexes ».

Les contenus des cours prescrits par le programme de niveau secondaire soumettent effec­ti­vement à l'esprit des jeunes élèves des questions fort complexes, tels le sens de la vie, l'origine de l'univers, la vie après la mort, la relation au divin, etc. Or le programme et les manuels font en sorte qu'aucun principe et critère n'est fourni aux élèves pour se former un quelconque jugement critique. La conception de l'enseignant qui en fait un simple animateur est défendue par Georges Leroux, qui affirme dans un premier temps que « la responsabilité d'un regard historique et objectif sur des traditions multiples doit éviter [...] l'écueil d'une position d'endoc­trinement ». Et, par la phrase qui suit ce passage, Leroux définit sans gêne l'endoc­trinement comme suit : « L'endoc­tri­nement se rapproche de l'enseignement confes­sionnel, puisqu'il propose un contenu vrai et véridique. » (Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un programme, Fides, page 55.)

Dialogue descriptif

Pire, le cours ECR impose aux jeunes élèves des exigences démesurées avant qu'ils ne puissent émettre quelque forme d'avis. Ces exigences sont liées à l'obligation sans cesse réitérée d'éviter une longue liste de jugements défectueux. Il s'ensuit que les cours ECR ne peuvent que faire naître chez l'élève l'impression qu'il ne peut émettre d'opinion. Voilà ce que les défenseurs du programme nomment le « dialogue descriptif ». Au fond, il s'agit d'imposer de façon insidieuse aux élèves un faux respect absolu de la description de la diversité multi­cul­turelle et, comme l'affirme l'étude Quérin, de les soumettre à l'endoctrinement au multi­cul­turalisme.

Le programme ECR lèverait les critiques justifiées qu'on lui adresse s'il était conséquent avec lui-même et transmettait les principes et critères au fondement des traditions identitaires du Québec qui sont, de surcroît, à l'origine conceptuelle et historique des chartes de droits si chères à ses concepteurs.
Ont signé cet article les professeurs de philosophie actifs et retraités suivants : Marcel Bérubé, Charles Cauchy, Maurice Cormier, Michel Fauteux, Michel Fontaine, Gérard Lévesque, John White.






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5 commentaires:

Romanus a dit…

Intéressant. Pourquoi 'manipuler' la lettre avant de la publier?

Remarquer que l'une des raisons pour lesquelles je ne lis plus les journaux est que justement, les média manipulent les nouvelles.

Anonyme a dit…

Selon moi, John White, Gérard Lévesque, Charles Cauchy et Maurice Cormier n'ont aucune crédibilité. Ces professeurs a la retraire peuvent bien y rester.

Angelo a dit…

Anonyme (toujours ces noms !)

1) Apprenez à lire : ils ne sont pas tous à la retraite

2) Quels sont vos professeurs "crédibles" et pourquoi ?

3) Georges Leroux et Jean-Pierre Proulx pour l'imposition du cours au nom de la tolérance et de la diversité sont à la retraite.

Ethos a dit…

Éthique et culture religieuse - Un cours à conserver !

Ma réplique se résumera à trois citations : celle de Gandhi, celle de Jean-Jacques Rousseau et celle d’Alexis de Tocqueville :

Gandhi affirme : « Les religions représentent des routes différentes qui convergent au même point. Peu importe si nos chemins ne sont pas les mêmes, pourvu que nous atteignions le même but. À vrai dire, il y a autant de religions que d’individus. Si un homme parvient au cœur de sa propre religion, il se trouve, de ce fait, au cœur même des autres religions (…) Après une étude et une expérience approfondies sur cette question, j’en suis venu à la conclusion que 1) toutes les religions sont vraies; 2) aucune n’est tout à fait exempte d’erreurs; 3) toutes les autres me sont presque aussi chères que la mienne, dans la mesure où notre prochain devrait nous êtres aussi cher que nos proches parents. J’ai autant de vénération pour la foi des autres que pour la mienne… Dieu a créé différentes religions, tout comme il a créé leurs adeptes. Comment donc pourrais-je concevoir que la foi de mon voisin soit inférieure, et souhaiter qu’il se convertisse à ma religion ? Si je suis vraiment un ami loyal, je ne peux que prier pour lui souhaiter de vivre en parfait accord avec sa propre foi. Il y a plusieurs demeures dans le royaume de Dieu et elles sont toutes aussi saintes. QUE PERSONNE NE REDOUTE DE VOIR S'AFFAIBLIR SA PROPRE FOI EN SE LIVRANT À UNE ÉTUDE RESPECTUEUSE DES AUTRES RELIGIONS. La philosophie hindoue voit des fragments de vérité dans toutes les religions et nous enjoint d’avoir du respect pour chacune (...) La tolérance est aussi éloignée du fanatisme que le Pôle Nord du Pôle Sud. Une connaissance approfondie des religions permet d’abattre les barrières qui les séparent » (Gandhi, Tous les hommes sont frères : vie et pensées du Mahatma Gandhi d’après ses œuvres, Éditions Gallimard, Commission Française pour l’UNESCO, 1969).

Et Jean-Jacques Rousseau d’ajouter : « Émile qu’il ne pût apprendre de lui-même par tout pays, dans quelle religion l’élèverons-nous ? À quelle secte agrégerons-nous l’homme de la nature ? La réponse est fort simple, ce me semble ; nous ne l’agrégerons ni à celle-ci ni à celle-là, MAIS NOUS LE METTRONS EN ÉTAT DE CHOISIR CELLE OÙ LE MEILLEUR USAGE DE SA RAISON DOIT LE CONDUIRE » (Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, Garnier-Flammarion, Paris, 1966).

Alexis de Tocqueville affirme : « La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes, le berceau de son enfance, la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauvegarde des mœurs ; les mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée » « On ne peut donc pas dire qu’aux Etats-Unis la religion exerce une influence sur les lois ni sur le détail des opinions publiques, mais elle dirige les mœurs, et c’est en réglant la famille qu’elle travaille à régler l’État » « C'EST LE DESPOTISME QUI PEUT SE PASSER DE LA FOI, MAIS NON LA LIBERTÉ. La religion est beaucoup plus nécessaire dans la république qu’ils préconisent, que dans la monarchie qu’ils attaquent, et dans les républiques démocratiques que dans toutes les autres » (Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome I, Flammarion, Paris, 1981).

Eric Folot

Ethos a dit…

Éthique et culture religieuse - Un cours à conserver !

Ma réplique se résumera à trois citations : celle de Gandhi, celle de Jean-Jacques Rousseau et celle d’Alexis de Tocqueville :

Gandhi affirme : « Les religions représentent des routes différentes qui convergent au même point. Peu importe si nos chemins ne sont pas les mêmes, pourvu que nous atteignions le même but. À vrai dire, il y a autant de religions que d’individus. Si un homme parvient au cœur de sa propre religion, il se trouve, de ce fait, au cœur même des autres religions (…) Après une étude et une expérience approfondies sur cette question, j’en suis venu à la conclusion que 1) toutes les religions sont vraies; 2) aucune n’est tout à fait exempte d’erreurs; 3) toutes les autres me sont presque aussi chères que la mienne, dans la mesure où notre prochain devrait nous êtres aussi cher que nos proches parents. J’ai autant de vénération pour la foi des autres que pour la mienne… Dieu a créé différentes religions, tout comme il a créé leurs adeptes. Comment donc pourrais-je concevoir que la foi de mon voisin soit inférieure, et souhaiter qu’il se convertisse à ma religion ? Si je suis vraiment un ami loyal, je ne peux que prier pour lui souhaiter de vivre en parfait accord avec sa propre foi. Il y a plusieurs demeures dans le royaume de Dieu et elles sont toutes aussi saintes. QUE PERSONNE NE REDOUTE DE VOIR S'AFFAIBLIR SA PROPRE FOI EN SE LIVRANT À UNE ÉTUDE RESPECTUEUSE DES AUTRES RELIGIONS. La philosophie hindoue voit des fragments de vérité dans toutes les religions et nous enjoint d’avoir du respect pour chacune (...) La tolérance est aussi éloignée du fanatisme que le Pôle Nord du Pôle Sud. Une connaissance approfondie des religions permet d’abattre les barrières qui les séparent » (Gandhi, Tous les hommes sont frères : vie et pensées du Mahatma Gandhi d’après ses œuvres, Éditions Gallimard, Commission Française pour l’UNESCO, 1969).

Et Jean-Jacques Rousseau d’ajouter : « Émile qu’il ne pût apprendre de lui-même par tout pays, dans quelle religion l’élèverons-nous ? À quelle secte agrégerons-nous l’homme de la nature ? La réponse est fort simple, ce me semble ; nous ne l’agrégerons ni à celle-ci ni à celle-là, MAIS NOUS LE METTRONS EN ÉTAT DE CHOISIR CELLE OÙ LE MEILLEUR USAGE DE SA RAISON DOIT LE CONDUIRE » (Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, Garnier-Flammarion, Paris, 1966).

Alexis de Tocqueville affirme : « La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes, le berceau de son enfance, la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauvegarde des mœurs ; les mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée » « On ne peut donc pas dire qu’aux Etats-Unis la religion exerce une influence sur les lois ni sur le détail des opinions publiques, mais elle dirige les mœurs, et c’est en réglant la famille qu’elle travaille à régler l’État » « C'EST LE DESPOTISME QUI PEUT SE PASSER DE LA FOI, MAIS NON LA LIBERTÉ. La religion est beaucoup plus nécessaire dans la république qu’ils préconisent, que dans la monarchie qu’ils attaquent, et dans les républiques démocratiques que dans toutes les autres » (Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome I, Flammarion, Paris, 1981).

Eric Folot