samedi 27 avril 2019

Québec — Formation des enseignants en histoire

Extrait de la préface écrite en janvier 2019 par l’historien Gilles Laporte au livre La Mémoire qu’on vous a volée (de 1760 à nos jours) de Gilles Proulx.

Au moment d’écrire ces lignes, l’opinion s’émeut à propos d’une maison bicentenaire détruite à Chambly et ayant appartenu à un patriote de 1837. Pour l’expliquer, la ministre de la Culture ne trouve rien de mieux à répondre que « Quand tu as 5000 patriotes, tu ne peux pas classer 5000 maisons parce qu’il y a eu un patriote dedans. »

La ministre sait-elle seulement qu’il n’y a plus guère aujourd’hui qu’une centaine de maisons debout ayant appartenu à un patriote et que les seules vraiment protégées appartiennent à Parcs Canada [le fédéral] ?

Parmi ces forces à l’œuvre afin de miner notre rapport au passé québécois, je m’en tiendrai plus longuement à une seule que j’ai bien étudiée et qui joue un rôle crucial dans la transmission de la mémoire : l’enseignement de l’histoire dans nos écoles.

Soyons juste, depuis septembre 2017, les élèves québécois ont à nouveau droit à un véritable cours d’histoire axé sur les connaissances. L’histoire du Québec et du Canada est désormais vue chronologiquement sur deux années, en 3e et 4e secondaire. Ce redressement salutaire met fin à une des pires expériences pédagogiques jamais menées, qui a bien failli dégoûter toute une génération de son histoire.

Il s’agit donc d’un authentique succès qui laisse cependant en plan de nombreux problèmes dans 1'apprentissage de l’histoire à l’école. Le plus sérieux de ces problèmes concerne la formation des enseignants dans nos universités. Suivre deux ou trois cours d’histoire du Canada et être ensuite jugé apte à l’enseigner dans nos écoles, cela ne vous paraît-il pas absurde ? C’est pourtant la réalité au pays de Maria Chapdelaine.

Le programme actuel de formation des enseignants consiste en un baccalauréat [licence en Europe] de quatre années ou la moitié des cours sont consacrés à « apprendre à enseigner ». Au prix d’effrayantes redondances, le futur enseignant doit suivre quinze cours de « didactique », de « psychopédagogie », de « démocratie scolaire », d’« épistémologie » et autres « métacognitions ». Quant à la formation en histoire : tout au plus dix cours dont deux seulement sur l’histoire du Québec et du Canada.

J’ai moi-même enseigné l’histoire aux futurs enseignants. Chaque fois, j’étais pris du même vertige à la pensée qu’il s’agissait là du seul bagage de connaissances sur lequel ils allaient devoir compter.

Les enseignants actuels sont-ils préparés pour le virage des connaissances et pour transmettre le goût de l’histoire à nos jeunes ? De toute évidence non. Ce constat est d’ailleurs corroboré par les enseignants eux-mêmes.

Lors d’une enquête menée en 2017, la plupart des enseignants d’histoire interrogés ont confié avoir très peu appris durant leur formation universitaire, notamment dans les cours de didactique et de psychopédagogie. À l’inverse, quand on leur demande « Quels cours vous ont semblé manquer dans votre formation ? », les cours d’histoire arrivent en tête. L’impression qui s’en dégage est un climat de profonde morosité et de cynisme à l’égard de la formation reçue. Les enseignants se perçoivent désormais comme des techniciens à qui l’on demande de simplement gérer des classes, mais ni d’approfondir la matière ni de susciter la curiosité des élèves et encore moins de transmettre un héritage culturel commun. Aussi mal outillé, écrit Éric Bédard, « le maître qui se retrouve en classe devant ses élèves avec pour seul bagage ses quelques cours universitaires sur le passé québécois est donc condamné à suivre l’un des manuels approuvés par le ministère, rédigés le plus souvent par l’un des didacticiens spécialistes en pédagogie qui lui aura enseigné à l’université. »

Il y a pourtant quantité de bons candidats à l’enseignement : ceux notamment ayant complété un baccalauréat de trois ans en histoire. Mais malgré les demandes répétées, ces diplômés se voient forcés de reprendre à zéro dans le programme de quatre ans qui seul permet d’être initié aux mystères de l’approche socioconstructiviste et surtout d’assurer la mainmise des facultés de sciences de l’éducation sur la formation, quitte à alimenter le cynisme et même le décrochage d’enseignants démotivés.

La formation des maîtres et les réformes scolaires successives ont ainsi profondément transformé notre système d’éducation. Les connaissances n’ont plus grande importance : c’est le « cheminement » qui compte, comme si tout ce que l’on ne découvre pas soi-même n’avait aucune valeur « pédagogique ». Conséquence logique : la « mixité sociale » prévaut sur l’apprentissage. Plus question donc de regrouper les élèves par capacité d’apprentissage : chaque classe doit « refléter la société ». Il s’agit là d’une erreur fondamentale qui a bouleversé notre système d’éducation selon Émile Robichaud, car c’est l’école dans sa totalité qui devrait être un microcosme de la société et non chacune des classes. La classe est le lieu de l’apprentissage systématique : par conséquent, pour qu’un enseignement digne de ce nom soit possible, il faut que les élèves d’une même classe aient le même rythme d’apprentissage, sinon la classe perd son sens et les enseignants... font de la discipline.

Ironiquement, ces réformes successives visaient toutes à alléger l’enseignement afin de lutter contre le décrochage scolaire. Or, le taux de décrochage n’a pas bougé d’un poil et loin d’être allégé, l’enseignement se retrouve plutôt surchargé par des lubies pédagogiques et par de nouvelles missions confiées à l’école : citoyenneté, tolérance religieuse, sexualité ou éducation financière. La lubie pédagogique sans doute la plus tenace consiste à « initier l’élève à la méthode historique » par l’analyse de documents. Exit la connaissance des dates charnières, des grands personnages et des grands enjeux d’une époque, désormais c’est par l’analyse d’extraits de textes, d’illustrations d’époque ou de vidéos que le jeune « construit son rapport au passé et exerce sa citoyenneté [ ... ], son sens critique et sa créativité ».

L’analyse d’extraits d’une lettre de Marie de l’Incarnation ou d’une pièce au procès de Marie-Angélique suffit apparemment pour comprendre la « société en Nouvelle-France ». On mise ainsi sur les histoires particulières propices à monter en épingle des destins atypiques, mais qui annihilent l’impression que le jeune est l’héritier d’un parcours historique cohérent dans lequel il peut s’inscrire. En somme, il n’y a plus une histoire du peuple québécois, il n’y a plus que des récits de Québécois [Marie-Angélique était une esclave noire née au Portugal condamnée pour avoir incendié en 1734 un quartier important de Montréal : l’Hôtel-Dieu et 45 maisons]. Dans les faits, l’élève n’a alors ni l’érudition ni le recul nécessaires pour interpréter des documents et véritablement tirer profit de la « méthode historique ». Quant aux fameuses vertus « critiques » et « créatives », elles se résument le plus souvent pour l’élève à repérer dans un document ce que le prof souhaite entendre. Le résultat est au mieux une pure perte de temps.

Finalement, bien qu’il ait été revu dans le bon sens, le programme d’histoire actuel prescrit toujours la même épreuve uniforme certificative. Or cet « examen » ne sanctionne ni l’acquisition de connaissances ni le labeur accompli par l’élève durant l’année. Il consiste tout simplement... à analyser un document. Le jeune est donc convié à travailler sur un problème historique dont il n’a peut-être jamais entendu parler durant l’année ; à exercer son sens critique et sa créativité et, donc, en pratique, à repérer dans le document les mots-clés que l’examinateur souhaite voir apparaître.

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