vendredi 20 décembre 2019

Ces médias de grand chemin qui se plaisaient à annoncer la chute prochaine du méchant Boris Johnson

Texte de Samuel Piquet, blogueur et ancien professeur de lettres, créateur de quamel.eklablog.com. Ces médias, souvent massivement subventionnés, aiment faire la leçon sur les « infox », bobards et autres fausses nouvelles des petits médiaux sociaux. Ces gros médias semblent ne pas être gênés par leur patent parti-pris et leurs prédictions si souvent démenties.


Comme après l’élection de Trump ou le referendum sur le Brexit, la victoire écrasante du parti de Boris Johnson aux élections législatives du Royaume-Uni a une nouvelle fois laissé place à une immense remise en question des médias et des analystes politiques.


« Brexit : le chemin de croix politique et familial de Boris Johnson » titrait Le Monde en septembre avant de nous avertir en novembre : « Élections britanniques : Boris Johnson, menacé dans sa propre circonscription ». « Boris Johnson pourrait bien devenir l’occupant le plus rapide du 10 Downing Street » nous expliquait le journal Les Échos en octobre, ajoutant : « De jour en jour les chances de parvenir à un accord entre Londres et Bruxelles s’amenuisent.



Boris Johnson tente de trouver un bouc émissaire pour un probable échec ». La veille du scrutin, L’Obs titrait même : « Jeremy Corbyn, l’inflexible idéaliste qui a sorti la gauche britannique du coma », se révélant aussi doué pour les prédictions qu’Alain Minc. L’article en lui-même vaut son pesant d’or : « le leader du Parti travailliste fait trembler l’Angleterre libérale et secoue l’aile modérée du Labour », annonce la journaliste, avant de s’interroger : « Et si, par un jeu d’alliances, Jeremy Corbyn devenait Premier ministre après les élections du 12 décembre ? ». Puis d’expliquer que les circonstances avaient permis d’« ouvrir une autoroute à ce candidat improbable ». En fait d’autoroute, c’était plutôt le tunnel sous la Manche avant sa construction.

DIABOLISATION

Le Parti conservateur du Premier ministre a remporté une majorité absolue de 365 sièges sur les 650 de la chambre basse du Parlement. Jamais depuis 1987, au sommet du règne de Margaret Thatcher, les Tories n’avaient bénéficié d’un tel rapport de force.

Devant cette erreur de diagnostic, cette incapacité à discerner le réel, cette tendance à sous-estimer constamment la colère du peuple, journalistes et analystes se sont empressés de faire profil bas. Le Parisien a évoqué « un étonnant retournement ». C’est vrai que 53 % de « Yes » en juin 2016, ce n’était pas très clair, beaucoup moins en tout cas que le traité de Lisbonne qu’avait fait ratifier Nicolas Sarkozy, modèle français de limpidité, 2 ans après le non au referendum de 2005.

Quant aux Inrocks, ils ont opté pour la flagellation en titrant « “You f*cking idiots” [en anglais, ils sont anglomanes aux Inrocks] : les musiciens s’insurgent contre la victoire des conservateurs au Royaume-Uni ». Dans cet article, ils citent le membre de Portishead Geoff Barrow qui gazouille : « Je souhaite personnellement à nouveau la bienvenue à la réintroduction du système féodal », un tweet qui a fait rire les journalistes « malgré (eux) ». L’article se termine par une analyse politique brillante de la situation de Lily Allen, « dévastée sur Instagram », qui pointe le « racisme et la misogynie » du candidat, puis par cette sentence pleine de clairvoyance et de hauteur de vue des Inrocks : « C’est beaucoup d’amertume et de désespoir qui se dégagent des témoignages plus ou moins humoristiques de ces célébrités — parmi tant d’autres. Autant essayer de trouver un peu de réconfort dans leurs mots : la jeunesse britannique risque de subir un changement de vie radical dans les années à venir ». Difficile, en effet, de ne pas verser une petite larme en pensant aux futures invasions normandes que la sortie de l’UE aura permises.

Mais c’est sans doute la réaction du politologue Philippe Marlière sur Twitter qui est la plus éclairante. Empreinte de retenue et de lucidité, elle est un mea culpa digne du Confiteor romain : « 10 ans d’austérité féroces + un Premier ministre qualifié par presque tous de charlatan et de menteur + un Brexit qui n’est plus majoritaire chez les électeurs = la plus grande majorité conservatrice depuis Margaret Thatcher. Besoin de comprendre... ».

La veille de l’élection, Radio-Canada et l’AFP (l’Agence France Presque) évoquaient la possibilité d’un gouvernement minoritaire travailliste... le lendemain ces mêmes travaillistes étaient réduits à leurs pires résultats depuis 1935. Ah, ces médias sérieux et subventionnés !


Comment ? Les médias vous disent que Boris Johnson est un charlatan et un menteur et ça ne vous suffit pas ? Que voudriez-vous en plus des critiques et des insultes ? Des arguments ? Le Monde vous l’a dit : « la stratégie de Boris Johnson paraît toujours aussi illisible ». Et que dire du personnage en lui-même ? C’est « le roi de la gaffe et des dérapages » (LCI), il est « controversé », capable de se contredire, provocateur, inflexible et adepte de promesses électoralistes » (France TV Infos), il est « machiste » (Mediapart), « coutumier des remarques acerbes, voire carrément racistes », ce « Trump britannique n’a rien à envier au président américain en termes de formules-chocs », d’ailleurs, « après l’annonce de son élection à la tête du parti conservateur, mais surtout du pays, un mot-croisillon a notamment vu le jour sur Twitter : #NotMyPM » (Le Huffpost).

Comment après tout ça, des citoyens oseraient-ils encore lui donner leur voix ? Impossible, de même qu’il était impossible, selon de nombreux médias, que Trump l’emporte. Alors, certes, les citoyens ont une nouvelle fois mal voté, mais ils sont très certainement en train de se repentir et de se fouetter le torse avec des drapeaux européens en réclamant à cor et à cri un nouveau referendum pour hurler leur amour de l’UE et leur haine du Brexit.




Voir aussi

Étude (Journal of Personality and Social Psychology) — Plus on est « progressiste », plus idéaliserait-on ou nierait-on la réalité ?


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