samedi 16 septembre 2017

Mariage homo, mère porteuse, PMA, fécondation in vitro : l'intérêt des enfants occulté

Auteur d’un essai sur les valeurs, la sociologue Nathalie Heinich analyse les arguments invoqués par les partisans de l’extension de la PMA. Selon elle, la notion d’« égalité » est ici inappropriée et l’intérêt de l’enfant occulté. Elle s’étonne que tout adversaire de cette extension illimitée des droits soit qualifié de réactionnaire. Nathalie Heinich est lauréate du Prix Pétrarque de l’essai 2017. Extraits d’un entretien accordé au Figaro de Paris.

Le Figaro — Ceux qui s’opposent à l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) sont souvent qualifiés d’« homophobes ». Que vous inspire cet anathème ?


Heinich — La principale difficulté dans ce type de débats n’est pas tant le fond de l’argumentation que sa surdétermination par des catégorisations en clans : progressiste ou conservateur, « néo-réac » ou « gauchiste », etc. Comme si se retrouver dans la « bonne » catégorie politique était le seul enjeu, alors qu’il en va souvent de décisions fondamentales pour toute la société. Ainsi, les arguments contre le PACS ou le mariage homosexuel ont été d’emblée occultés derrière le renvoi à une présumée position « droitière », conservatrice, voire homophobe, ce qui permet de ne pas y répondre. [Note du carnet : Parce qu’on accorde encore du crédit à ces invectives progressistes qui visent non pas à débattre, mais à faire taire l’adversaire.]

En ce qui me concerne, j’ai toujours voté à gauche, ma seule religion est l’attachement à la laïcité, et je n’ai aucune passion pour l’institution familiale. Or c’est au nom de mes convictions, et non pas contre elles, que j’estime que ce qui est prioritaire aujourd’hui dans la défense des plus faibles en Occident, ce n’est pas tant la lutte contre les discriminations homophobes (qui a, heureusement, largement porté ses fruits, en tout cas sur le plan juridique), mais plutôt la défense des enfants nés ou à naître, et des femmes que la pauvreté pousse à faire de la gestation un service payant. C’est cela pour moi, le combat progressiste.


Le Figaro — Les partisans de cette mesure évoquent « l’égalité des droits » et la fin d’une « discrimination » entre couples hétérosexuels et couples homosexuels. Le mot « égalité » est-il ici approprié ?

Heinich — Il s’agit plutôt d’une extension de la valeur d’égalité à un contexte qui n’est pas pertinent, en l’occurrence celui des droits civils (droit à se marier, à avoir des enfants, etc.). En démocratie, l’égalité civique (droit de vote) est devenue une règle quasi absolue, alors que l’égalité civile est toujours soumise à conditions (ne pas être déjà marié, ne pas avoir de liens de parenté, être marié pour pouvoir adopter, etc.). Et heureusement, car une valeur peut rarement se réaliser de façon absolue, du fait qu’elle entre souvent en conflit avec d’autres valeurs, tout aussi respectables. En l’occurrence, la valeur de protection de l’intérêt des enfants devrait avoir au moins autant sa place, dans cette histoire, que la valeur d’égalité, dont j’ai montré ailleurs qu’elle est sujette à une extension souvent démesurée, aboutissant à des aberrations juridiques, voire morales. Le droit pour un enfant de connaître ses origines ne peut pas être négligé face à ce que certains invoquent comme un « droit à l’enfant » – encore que les militants LGBT aient cessé d’utiliser cette expression, ayant finalement compris qu’il ne va pas de soi de considérer un enfant comme un bien ou comme un service.

Par ailleurs, l’argument de l’égalité, invoqué pour aligner le statut des couples homosexuels sur celui des couples hétérosexuels, sera forcément utilisé pour exiger la GPA, au nom de l’égalité des couples homos par rapport aux couples lesbiens. Et là, ce sont encore d’autres problèmes éthiques qui sortiront de la boîte de Pandore… Comme souvent, les conflits de valeurs ne portent pas tant sur la valeur elle-même que sur l’objet auquel il convient de l’appliquer. Appliquons donc notre exigence d’égalité aux enfants, et pas seulement aux parents actuels ou virtuels : entre un enfant qui peut dire « mon papa » et celui qui ne le peut pas, n’y a-t-il pas une criante inégalité ?

Le Figaro — « C’est un droit. Cela n’enlève rien aux autres », disent les partisans de cette mesure. Invoquer le mot « droit » au sujet de la procréation est-il selon vous approprié ?

Heinich — Mais ôter à un enfant la moitié de sa généalogie, c’est bien lui enlever quelque chose, et quelque chose de fondamental ! S’obstiner à ne pas le voir, en dépit de l’évidence, dénote l’hypocrisie de l’argument de l’« amour » pour l’enfant : privilégier ses propres droits de parent potentiel en déniant ceux des enfants, c’est faire preuve d’un égoïsme, ou plus probablement d’un narcissisme, qui devrait inquiéter quant aux capacités à élever un enfant en respectant ses besoins. Comme disait le psychiatre Winnicott, ce n’est pas d’amour qu’un enfant a besoin, mais de parents !

Le Figaro — L’extension des droits est-elle une mécanique sans fin propre à l’individualisme libéral ?

Heinich — Ce qui me semble se profiler derrière la volonté d’autoriser la réalisation du désir individuel d’être parent à tout prix, c’est une forme d’hubris [démesure], un fantasme de toute-puissance : « J’en ai envie, donc personne ne peut m’en empêcher. » Comme si l’on vivait aujourd’hui, après le règne de l’enfant roi, le règne des ex-enfants rois devenus adultes, c’est-à-dire parents rois : je veux un enfant, donc personne n’a le droit de m’en priver. Et, de ce point de vue, le cas des mères célibataires qui veulent à tout prix un enfant me paraît encore plus problématique que celui des couples de lesbiennes : ces dernières, au moins, admettent un tiers entre l’enfant et elles, en la personne d’une compagne, tandis que les mères célibataires, en évacuant le père, évacuent tout tiers qui pourrait interférer dans leur toute-puissance sur l’enfant. La clinique des pathologies psychiques engendrées par ce type de situations est assez connue pour qu’on évite de les fabriquer de toutes pièces. D’ailleurs, l’un des arguments des membres du comité d’éthique qui viennent de se prononcer contre la PMA — ils ont été malheureusement minoritaires — est que l’on ne peut pas, d’un côté, tenter de limiter les dégâts causés par les familles monoparentales et, de l’autre, encourager leur formation. L’autre argument est que l’on ne peut pas créer des situations d’impossibilité pour l’enfant de connaître ses origines, alors même que la France est en infraction sur ce point avec la loi européenne, et que l’on connaît, là encore, l’ampleur des dégâts psychiques occasionnés par ces situations. Faire comme s’il n’y avait là aucun problème — du moins aucun problème qui vaille qu’on s’y attarde face à l’impérieuse pulsion de toute-puissance parentale — me paraît d’une inconséquence effrayante.



[Note du carnet : pour la PMA et la GPA (mères porteuses), l’État cède donc aux parents-bobos, des parents-rois qui auraient un « droit » à l’enfant. Notons comme ici l’intérêt de l’enfant passe par perte et profits et l’État ne s’en soucie guère alors que, plus tard dans la vie de ces enfants, l’État use de « l’intérêt de l’enfant » pour se substituer au besoin aux parents qui ne seraient pas d’accord avec les « valeurs » véhiculées dans le programme scolaire uniforme établi par le Monopole de l’Éducation.]

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