mardi 5 juillet 2016

Québec — Lente disparition des « noms de famille » composés

Jusqu’en 1981, le choix du nom de l’enfant n’était régi par aucune loi, mais la coutume voulait qu’on donne aux enfants d’un couple le nom de famille du père. La refonte de la section du droit de la famille du Code civil, entré en vigueur en 1981, permet l’attribution à l’enfant, au choix de ses père et mère, du nom de famille de l’un d’eux ou d’un nom composé d’au plus deux parties provenant des noms de ses père et mère (Code civil, art. 51).

La nouvelle loi impose cependant aux femmes le maintien de leur nom de naissance leur vie durant. L’expression « nom de famille » n’est donc plus tout à fait idoine, les membres d’une famille pouvant avoir plusieurs noms différents, mais elle continue d’être utilisée par habitude. Cette disparation du nom de famille (chaque parent ayant un nom différent et les enfants pouvant en avoir d'autres) symbolisait bien le lent délitement de la famille de la fin du XXe.

Certains parents n’avaient pas attendu la loi et, en 1980, 2 % des bébés ont reçu un nom double. Le choix du nom composé évolue très rapidement, et la proportion, qui était déjà de 15 % en 1986, atteint 21 % en 1992 et diminue à 15 % en 2000 et à 13 % en 2004. On aurait pu penser à un mouvement de fond et on a même parlé d’évolution vers un système matrilinéaire mais, devant le revirement, on peut constater que l’élément de mode était important et que cette vogue des noms doubles est en train de décliner.

Aujourd'hui, moins de 10 % des parents le choisissent encore. « L'un des gains de la lutte féministe pour l'égalité » selon Radio-Canada, cède la place au retour de la tradition.

Témoignages de parents

Interrogée par la SRC, Alexandra Rochon-Fabien, marraine de la petite Romane, fille d'Émilie Bossé, explique : « C'est juste compliqué parce qu'à la banque c'est Alexandra Rochon-Fabien, avec mon téléphone cellulaire c'est Alexandra Rochon. J'ai tout le temps des problèmes parce que je n'ai pas été constante dans le nom que je donnais chaque fois ».

Dans les Cahiers québécois de démographie publiés au printemps 2015, quatre chercheurs, Laurence Charton, Louis Duchesne, Denise Lemieux et Françoise-Romaine Ouellette, font le compte rendu de leur étude qualitative réalisée auprès d'un échantillon de 25 personnes dont le profil correspond à peu de choses près à la répartition des noms transmis aux enfants en 2010.

« C'était pour suivre la tradition, dira un père dont l'enfant porte son nom et dont la conjointe a un nom composé. On ne voulait pas qu'il ait trois noms de famille. »

« Pour moi, c'était naturel qu'il ait le nom du père, explique une mère. Mon frère va peut-être avoir des garçons, ça va pouvoir continuer la lignée. »

Au surplus, selon elle, les noms composés sont plutôt donnés aux «bébés-accident», par les couples qui ne sont pas solides ou qui envisagent de se séparer.

Une autre mère de l'étude pense la même chose. En donnant le nom de son conjoint à leur enfant, elle cherchait à le reconnaître comme père, mais aussi à faire savoir que son couple est stable, solide.

« Moi, dira une autre, je porte juste le nom de mon père, puis je ne suis pas morte. [Le nom composé], ça fait prétentieux. [...] Ça fait péteux de broue. Ça fait hautain. »

Les mères prennent « tellement d'importance dans l'éducation des enfants que le nom, moi, ça, je laisse aller, puis je ne me sens pas mal du tout », enchaîne-t-elle.

Un des pères cités résumera la pensée de plusieurs autres hommes interviewés. Pour lui, la transmission du nom est une question de reconnaissance de son rôle.

Certaines femmes ayant elles-mêmes reçu cet héritage féministe du nom composé choisissent de ne transmettre que le nom du père à leur enfant. C'est le cas de Geneviève, dont les parents se sont séparés quelques mois après sa naissance. Pour elle, son nom composé est un dur rappel du conflit qui a empoisonné son enfance. Craignant que le fait de choisir entre ses deux noms de famille puisse raviver la rancoeur qui s'est apaisée au fil des ans, elle a voulu faire «moins compliqué» et transmettre le seul nom de son conjoint à son enfant.

Plusieurs noms de famille au début de la colonie, les « dits »

Les doubles noms ont existé depuis le début de la colonie. À l'époque, il s'agissait de surnoms accolés au patronyme, par exemple Poirier dit Lafleur. Cela aidait à distinguer les nombreuses familles qui avaient le même nom. Mais à la fin du 19e siècle, l'État, pour des raisons pratiques, a demandé de choisir un seul nom légal.

« En 1881, on s'est dit c'est Brien ou Desrochers, on n'en veut plus de noms doubles, mais il y en a qui ont quand même subsisté, comme des Miville-Dechêne, des Beaugrand-Champagne des Gérin-Lajoie », explique Marcel Fournier, conseiller pour l'émission de télévision Qui êtes-vous? à Radio-Canada, qui remonte l'arbre généalogique de nos vedettes.

Le registre des noms existe depuis 1621, du temps de la Nouvelle-France. Et il y a encore 3500 patronymes de cette époque au Québec.

Aujourd'hui, la loi prévoit qu'un enfant ne peut porter que deux noms de famille. Les parents aux doubles noms ont des choix parfois difficiles, car ils doivent abandonner un ou plusieurs noms... et choisir le patronyme qu'ils laisseront en héritage.