samedi 16 janvier 2016

Le Québec qui ne sait pas lire

Texte de Mathieu Bock-Côté sur l'analphabétisme fonctionnel de trop nombreux Québécois :

La nouvelle aurait dû être accueillie comme un scandale: à peu près la moitié des adultes québécois peinent à lire. Mais la nouvelle a vite été déclassée par une autre.

Les cyniques diront: nous le savions déjà. De fait, c’est une nouvelle qui revient en boucle. C’est ce qui explique peut-être notre incapacité à rugir.

La Révolution tranquille, amorcée en 1960, s’était donné pour objectif de démocratiser l’éducation au Québec. On y voyait le principal moyen de développement social. [Rappelons qu'en réalité le Québec a accumulé du retard comparé à d'autres provinces depuis la prétendue Révolution tranquille.]

Analphabétisme

Cinquante ans plus tard, il faut bien convenir de son échec relatif. Nous tardons à nous l’avouer, tellement nous tenons à sa légende dorée.

Imaginons un instant la vie d’un analphabète fonctionnel: les portes de la vie civique lui sont fermées. Dans le cadre d’une élection, il peinera manifestement à distinguer entre les programmes ou, du moins, à les approfondir minimalement.

Il sera aussi limité dans sa vie professionnelle et économique. Les promotions lui seront généralement interdites.

Mais l’origine de ce mal est peut-être plus profonde.

Les Québécois accordent-ils vraiment de la valeur à l’éducation? La réponse est trop souvent non. Cela nous vient d’un vieux passé où l’essentiel était de vite gagner sa vie sans s’encombrer des fioritures culturelles ou livresques.

L’éducation, c’était un luxe de snob ou le privilège de rares esprits.

La langue

On le voit encore dans notre rapport à la langue. À la télévision ou à la radio, celui qui parlera rigoureusement le français passera pour hautain.

Mieux vaut parler de manière relâchée pour avoir l’air authentique.

Évidemment, la lecture est traitée comme une passion exotique.

Retour aux analphabètes. Ils représentent un tiers-monde intérieur. C’est un morceau de notre peuple qu’on abandonne à la misère culturelle.

Mener à terme l’alphabétisation des Québécois en une génération devrait être une corvée nationale. Sinon, la solidarité ne voudra rien dire.


Rappel

Selon les derniers chiffres du rapport québécois du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes, au Québec, la proportion d’analphabètes fonctionnels est plus élevée chez les 16-24 ans (49  %) que chez les 25-44 ans (42 %). Dans la population en général, cette proportion est de 53 %.

Comparativement aux anglophones et aux allophones, les francophones pratiquent moins fréquemment des activités de lecture, d’écriture ou de mathématiques en dehors du travail.

Les anglophones de 16-24 ans sont les plus nombreux, en proportion, à avoir déclaré avoir eu plus de 100 livres à la maison à 16 ans (58 % par rapport à 28 % de francophones et 28 % d’allophones).

Au Québec, en 2012, les immigrants, récents ou de longue date, ont globalement des compétences moins élevées en littératie (alphabétisme), en numératie (s'en tirer avec des calculs simples) et en résolution de problèmes dans des environnements technologiques (RP-ET) que les Canadiens de naissance. Étant donné que les immigrants ne constituent pas un groupe homogène, ce constat général doit être nuancé. En effet, les écarts de compétence entre les immigrants et les natifs du Canada concernent seulement les immigrants des catégories «réfugiés» et «regroupement familial». Par contre, les immigrants économiques présentent des compétences en littératie,
en numératie et en RP-ET globalement comparables à celles des personnes nées au Canada.

Exemples de question pour évaluer les compétences de compréhension de texte (littératie) et de manipulation de concepts arithmétiques simples (numératie) :


(détail de l'image précédente)


Voir aussi

Baisse relative du nombre de diplômés par rapport à l'Ontario après la Grande Noirceur

L’État a-t-il vraiment fait progresser l’éducation au Québec?