vendredi 20 août 2010

Le bulletin chiffré

Joseph Facal revient sur le bulletin chiffré et unique des écoles québécoises :

J’imagine que vous attachez de l’importance aux résultats scolaires de votre enfant, non ?

Vous aimeriez donc que son bulletin indique clairement s’il progresse ou non vis-à-vis de lui-même et par rapport aux autres. Vous voulez un bulletin où l’on retrouverait les 56 %, les 71 % ou les 88 % de jadis, avec la moyenne de la classe à côté et les commentaires du prof en bas. Idéalement, le même partout, pour pouvoir comparer les écoles entre elles. [Note du carnet. C'est sans doute irréaliste : certaines enseignants et écoles coteront plus sévèrement que d'autres et c'est sans doute bien ainsi.] Un peu ce que vous et moi avons connu.

Bref, c’est simple, non, cette histoire de revenir à un bulletin chiffré et moins obscur ? Détrompez-vous, c’est loin d’être simple.

Le bulletin est supposé refléter les acquis de l’enfant. Vous et moi avons connu une époque où les acquis étaient des connaissances. Nous allions à l’école pour apprendre qui avait découvert la Nouvelle-France et en quelle année.

Depuis quelques années, l’enseignement au Québec repose plutôt sur l’idée que l’important est que l’école enseigne non plus des connaissances, mais surtout des compétences.

Une compétence, c’est une connaissance dont on sait se servir. Connaître ce qu’est un marteau est bien, savoir clouer est mieux. Au lieu d’apprendre que Jacques Cartier a touché nos rives en 1534, l’enfant doit pouvoir faire un projet de recherche sur les débuts de la Nouvelle-France pour vous en parler à l’heure du souper.

Cela sonne bien, mais ça pose au moins quatre problèmes.

Le premier est que la compétence ne peut venir qu’après l’étape de la connaissance. Il faut apprendre les faits de base sur Jacques Cartier AVANT de pouvoir avoir une opinion personnelle sur lui. On a trop réduit l’importance de cette première étape incontournable.

Le deuxième problème est que les « compétences » sont plus difficiles à évaluer que les « connaissances ». Tu sais ou tu ne sais pas, c’est clair et net. Mais quel est le degré de compétence avec lequel l’enfant manie sa connaissance ? D’où ces étranges bulletins qui disent que votre gars est capable, pas capable ou relativement capable d’« exprimer » ceci ou cela.

Le troisième problème est que l’apprentissage par compétences, qui n’est pas entièrement mauvais, est devenu, pour certains pédagogues, un subterfuge pour faire disparaître l’échec, la comparaison avec les autres et le redoublement. Il y a en effet des gens qui pensent que c’est affreusement élitiste et traumatisant d’évaluer et de classer. Si l’enfant poche ses maths de 5e, son estime de soi va en souffrir et il pourrait devenir assisté social, batteur de femme ou joueur compulsif.

Le quatrième problème est qu’en imposant la pédagogie par projets, la tentation est immense pour l’enfant de copier ce qu’il aura pigé sur Wikipédia en tapant « Jacques Cartier ». On voit cela même à l’université. Presque involontairement, plusieurs deviennent des experts de la fraude intellectuelle.

Bref, le type de bulletin est indissociable du type d’enseignement. On ne peut séparer les deux. Si vous voulez un bulletin comme ceux de jadis, il faut aussi revenir à un enseignement plus traditionnel qui priorisera les connaissances.

Que l’enfant commence par apprendre qui était Jacques Cartier. Excusez-moi, mais ça n’a pas vraiment d’importance de savoir si, à douze ans, il aurait aimé ou non vivre à cette époque.




[Note du carnet : la nouvelle ministre du Monopole de l'Éducation vient d'annoncer que d'ici un an le bulletin serait chiffré, unique et porterait aussi sur les connaissances et non plus uniquement les compétences, sonnant ainsi un peu plus l'enterrement d'un autre pan de la réforme Marois imposée d'en haut à toutes les écoles du Québec par le Monopole, à quelques exceptions près comme notamment les écoles françaises comme Stanislas ou Marie-de-France.

Au Parti québécois,à l’origine de la réforme controversée de l’éducation, on a préféré ne pas faire de commentaire, sauf pour indiquer que la ministre Beauchamp avait raison de ne pas précipiter les choses.

Au contraire, l’Action démocratique du Québec (ADQ) reproche au gouvernement sa décision de remettre le changement, jugé urgent, à l’an prochain.

« Le gouvernement baisse encore les bras et laisse tomber les parents et le milieu scolaire qui réclament ce changement depuis des années », a indiqué la porte-parole en éducation de l'ADQ, la députée Sylvie Roy, par voie de communiqué.

Madame Roy se demande pourquoi il faudrait une année de plus pour s’adapter à quelque chose « qui va simplifier le travail et la compréhension de tout le monde ».]






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