dimanche 6 juin 2010

Le cours d’Éthique et de culture religieuse : une porte ouverte au multiculturalisme ?

On trouvera ci-dessous le texte de l'allocution prononcée par Joëlle Quérin, doctorante en sociologie et chercheure associée à l’Institut de recherche sur le Québec, le 22 mai 2010 dans le cadre du colloque Égalité et Laïcité, quelles perspectives ?

La consultation actuelle autour du projet de loi 94 soulève une question importante : celle du port de signes religieux dans la fonction publique. Toutefois, s’il est une sphère d’intervention de l’État où la question de la laïcité est particulièrement névralgique, c’est l’école. En tant qu’institution publique, l’école est censée refléter nos choix de société. En tant qu’agent de socialisation, elle est aussi un lieu d’apprentissage de la vie en commun. Ainsi, comme toutes les autres institutions publiques, l’école est un lieu où la « laïcité ouverte » peut s’appliquer, mais elle est aussi, et c’est là sa particularité, un lieu où cette « laïcité ouverte » peut s’enseigner.

Contrairement à ce que suggère son intitulé, le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR) n’a pas pour objectif de transmettre des connaissances sur les doctrines morales et sur les religions. Il vise plutôt à faire en sorte que les enfants intériorisent les principes fondateurs du multiculturalisme, soit le fait qu’il n’y ait au Québec aucune culture commune, mais plutôt une diversité de cultures, et que la seule chose qui nous unisse au-delà de cette diversité culturelle sont les Chartes des droits et libertés et quelques règles strictement procédurales qui encadrent la vie publique. Le multiculturalisme postule en outre que l’État a le devoir de favoriser l’expression des particularismes culturels, incluant les pratiques et les symboles religieux, ce qui implique l’adoption d’une « laïcité ouverte ». Le cours ÉCR, obligatoire dans toutes les écoles primaires et secondaires du Québec depuis septembre 2008, occupe alors une place de choix parmi les outils de promotion du multiculturalisme et de la « laïcité ouverte » qui en découle.

Un cours sans contenu

S’il est possible d’affirmer que le cours ÉCR n’a pas pour objectif premier de transmettre des connaissances, c’est d’abord et avant tout parce qu’il ne prescrit aucun contenu. En effet, le programme ministériel ne comporte aucune mention de ce que les élèves doivent apprendre1. Articulé autour de trois compétences dont la présentation occupe l’essentiel du programme, ce cours typiquement représentatif de la réforme scolaire n’indique nulle part ce que les élèves doivent connaître au terme de chaque année scolaire. Tout au plus, trouvons-nous à la fin du programme quelques tableaux présentant des listes de fêtes religieuses, de personnages célèbres, ou encore de symboles religieux, présentés comme des « exemples indicatifs » dans lesquels les enseignants et les rédacteurs de manuels scolaires peuvent piger à leur guise. Toutes ces listes se terminent par «  et cetera », laissant ainsi à chaque enseignant la possibilité de choisir le contenu de son cours dans ces tableaux ou ailleurs. Ainsi, lorsque vient le temps d’aborder le thème des fêtes, certains enfants entendent parler de Noël et de Pâques, alors que d’autres voient plutôt Divali et la Fête des mères. Le choix des célébrations religieuses ou laïques n’a aucune importance, l’essentiel étant que l’enfant comprenne qu’il existe une « diversité » de manières de fêter au Québec et que notre société est riche de cette « diversité ».

Loin d’être un oubli ou une erreur, cette absence de contenu dans le programme ministériel est un choix délibéré, qui découle de l’approche par compétences poussée ici à l’extrême. Georges Leroux, l’un des principaux consultants ayant participé à la conception du cours, justifie en ces termes la décision du Ministère : « Dans l’univers très riche des programmes formulés selon des compétences, nous ne travaillons pas à partir de contenus prédéterminés : les jeunes ne recevront pas dans ce programme des connaissances encyclopédiques sur telle ou telle religion, ou doctrine morale »2. Le cours s’offre donc du début du primaire à la fin du secondaire, sans avoir de contenu prédéterminé, l’approche par compétences étant apparemment suffisamment « riche » pour se passer de contenu ! Comme d’autres défenseurs du cours, Leroux rejette les savoirs en les qualifiant d’« encyclopédiques », comme si cela suffisait à les disqualifier en cette époque post-réforme.

Dans ces circonstances, si le cours ÉCR n’est ni un cours sur les religions, ni un cours sur les doctrines morales, de quoi s’agit-il ? Essentiellement, ce cours vise à indiquer aux enfants comme agir, comment composer avec la diversité qui les entoure, une question pourtant non résolue au Québec.

Trois compétences

En l’absence de contenu, le cours est structuré autour de trois compétences, dont la plus importante s’appelle Pratiquer le dialogue. Loin de se limiter à l’apprentissage des règles d’une discussion ordonnée, « la pratique du dialogue mène à l’adoption d’attitudes et de comportements favorables au vivre-ensemble », comme l’indique le programme ministériel. Parce qu’il s’agit de la compétence centrale du programme, la compétence relative au dialogue, qui doit apprendre aux enfants à adopter des attitudes et des comportements précis face à la diversité, doit être mobilisée dans chacune des « situations d’apprentissage et d’évaluation », autrement dit, dans chaque leçon, exercice ou examen. Un enseignant qui respecte le programme ministériel ne peut donc pas transmettre des connaissances sur l’éthique ou sur une religion sans faire intervenir cette compétence.

Les deux autres compétences, Réfléchir sur des questions éthiques et Manifester une compréhension du phénomène religieux, sont donc inséparables de cette compétence qui impose aux enfants des attitudes et des comportements. Cela se manifeste très clairement dans les manuels scolaires, dans lesquels chaque section où l’on présente du contenu est suivie de questions adressées aux enfants pour lancer leur « dialogue ».

Ainsi, dans le volet « éthique » du cours, on présente différentes manières de s’habiller, de parler, de manger, de jouer, et l’on conclue chacune de ces sections par une affirmation du type : « Cette diversité est une grande richesse. Maintenant que tu sais qu’il existe une telle diversité, trouve les comportements qu’il faudrait adopter pour favoriser le vivre-ensemble ».

Au-delà de la diversité des sujets traités d’une année scolaire à l’autre et d’un manuel à l’autre, deux constantes ressortent de ce volet éthique : la liberté identitaire des individus et l’unanimité sur les moyens de composer avec la diversité qui en découle. En effet, dès le plus jeune âge, on insiste sur la liberté et l’autonomie des enfants, que l’on invite à remettre en question les règles de la maison et à affirmer leur identité par des activités et des pratiques vestimentaires qui ne feront sans doute pas l’affaire de tous les parents. En contrepartie, une fois admis que chacun est libre d’exprimer son identité comme il l’entend, il en découle une obligation d’accepter et d’accommoder collectivement les expressions de l’identité de chacun.

Imprégné lui aussi de « dialogue », le volet « culture religieuse » est très semblable au volet éthique, dans la mesure où les mêmes dogmes sont appliqués à un objet plus précis : la diversité religieuse. Encore une fois, il ne s’agit pas d’étudier l’histoire des religions, les doctrines ou les textes sacrés, car ces connaissances apparaissent trop encyclopédiques aux yeux des concepteurs du cours. Il s’agit plutôt d’apprendre aux enfants à reconnaître les manifestations du religieux qui les entourent, et à choisir la bonne manière de composer avec cette diversité religieuse. Les postulats sont toujours les mêmes : chaque élève est libre d’afficher ses préférences religieuses, en conséquences, on ne peut pas faire obstacle à cette libre expression individuelle.

Puisque le programme ne prescrit aucun contenu, il est impossible de savoir quels sont les récits ou les personnages religieux enseignés d’une école à l’autre. Toutefois, puisque le programme spécifie que l’accent doit être mis sur les manifestations du religieux, autrement dit, sur ses aspects visibles, les prescriptions vestimentaires et alimentaires des religions minoritaires reviennent à répétition dans les manuels scolaires. Elles sont présentées comme des obligations auxquelles le croyant ne peut se soustraire, comme des « droits » fondamentaux. La conclusion s’impose donc : il faut les accommoder. Les questions soumises au « dialogue » sont ainsi orientées de telle manière que l’accommodement émerge comme seule solution acceptable. Après avoir rappelé aux enfants qu’il existe autour d’eux une grande diversité de pratiques religieuses, on leur demande de trouver des moyens pour que chacun « se sente respecté dans ses droits », pour que chacun puisse « exercer son droit à la liberté de religion ». Certains manuels suggèrent même aux enfants des accommodements qu’ils pourraient accorder s’ils occupaient un poste de direction : adapter le menu de la cafétéria, modifier le code vestimentaire, etc.

La pédagogie de l’accommodement se pratique également de manière subtile à travers les images. En effet, les manuels du primaire comportent de nombreux dessins, alors que ceux du secondaire contiennent surtout des photos. Sur ces images, les minorités religieuses sont pratiquement toujours représentées avec leurs signes religieux ostentatoires. Même les petites filles musulmanes sont constamment représentées avec le hijab, et parfois même avec le niqab ! Ces représentations sont particulièrement pernicieuses, puisqu’elles envoient aux élèves le message que les personnes qui adhèrent à des religions minoritaires ne peuvent se départir de leurs vêtements et objets religieux. Bref, une musulmane, ça porte un voile, que cela vous plaise ou non ! À force d’être exposés à ces images récurrentes, les enfants apprendront donc qu’ils n’ont pas le choix d’accepter que leurs petites camarades musulmanes soient voilées. Quant aux élèves musulmanes, elles seront constamment renvoyées à leur différence, et apprendront que pour bien représenter leur religion, elles doivent couvrir leurs cheveux, leur cou et leurs épaules. L’école fait ainsi le jeu des communautés religieuses qui exercent de la pression sur les musulmanes pour qu’elles portent le voile, même à un très jeune âge.

Faut-il s’en étonner ?

Aussi troublante soit-elle, l’orientation du cours ÉCR n’a rien d’étonnant.

D’une part, ce cours respecte parfaitement l’esprit de la réforme scolaire et de l’approche par compétences, qui ajoute aux traditionnels savoirs et savoir-faire transmis par l’école un nouvel élément, les « savoir-être ». Ceux-ci ne se limitent plus au simple respect des règlements de l’école, mais deviennent de véritables injonctions comportementales insérées directement dans les programmes scolaires. En tant que dernier-né de la réforme, le cours ÉCR est l’exemple parfait des dérives pédagogiques de la réforme.

D’autre part, s’il ne faut pas s’étonner du caractère idéologique du cours ÉCR, c’est parce que ceux qui ont milité pour la mise en place de ce cours et qui ont participé aux différentes étapes ayant mené à son implantation avaient déjà annoncé leurs couleurs depuis longtemps. Dès 1999, le rapport Proulx recommandait la mise en place du cours ÉCR, sous prétexte que le régime d’option entre enseignement religieux et enseignement moral était discriminatoire, mais qu’un retrait complet de toute forme d’enseignement des questions religieuses aurait été aussi dommageable car il n’aurait pas permis de développer chez les enfants la « capacité d’apprécier les autres »3. La laïcité était donc incompatible avec les bons sentiments !

Les nombreux documents publiés par la Commission des affaires religieuses du Ministère de l’éducation depuis le début des années 2000 allaient dans le même sens. Chaque fois que ce comité recommandait la mise en place du cours ÉCR, les justifications invoquées étaient politiques et non pédagogiques. Il ne s’agissait jamais de remédier au manque de connaissances des enfants, toujours de leur apprendre le « vivre-ensemble », tel que défini par quelques intellectuels bien-pensants. Ces objectifs devinrent particulièrement évidents à partir de 2007, au moment de la crise des accommodements raisonnables, lorsque la Commission des affaires religieuses écrivit qu’« en favorisant l’évolution des cultures institutionnelles [l’]implantation [du cours d’ÉCR] facilitera la gestion de la diversité religieuse, y compris la pratique des accommodements raisonnables et des ajustements volontaires »4.

Les groupes de travail formés par le gouvernement Charest abondèrent dans le même sens. Dans le rapport Fleury sur la religion et l’école, on présenta le cours ÉCR comme étant un moyen pour « sensibiliser » les enfants à la nécessité des accommodements5, alors que dans le rapport Bouchard-Taylor, on demanda au gouvernement de faire une « promotion énergique » du cours6, qui devait permettre de « développer les aptitudes nécessaires au vivre-ensemble, dans le contexte d’une société diversifiée »7.

Les intellectuels qui défendirent le cours dans les revues spécialisées comme dans celles destinées au grand public tinrent également ce discours. Selon Georges Leroux, le cours était la « seule thérapie possible »8 face aux dérives observées lors de la crise des accommodements raisonnables. Ce cours devait également permettre, selon lui, de faire en sorte que les enfants soient en accord avec la décision de la Cour suprême sur le kirpan, pourtant massivement rejetée au Québec9. Quant à Gérard Bouchard, [lors du procès de Drummondville] il affirma que si le cours avait été implanté depuis longtemps, il n’y aurait pas eu de crise des accommodements raisonnables10.

En somme, le programme ministériel ne fait que refléter des intentions annoncées depuis longtemps, soit de passer par l’école pour imposer une certaine vision du « vivre-ensemble » reposant sur une conception multiculturaliste du Québec. Cette stratégie d’instrumentalisation de l’école à des fins politiques permettait de contourner le débat public sur des questions controversées en s’adressant directement à la jeune génération, disponible pour recevoir un tel enseignement.

Une question de démocratie

La question de la démocratie a été abordée à plusieurs reprises au cours de ce colloque. En ce qui concerne le cours ÉCR, il est clair que ses concepteurs ont voulu contourner la démocratie, contourner les citoyens adultes, afin d’imposer leur idéologie aux enfants. S’il faut retirer le cours ÉCR des écoles du Québec, c’est d’abord et avant tout pour des raisons démocratiques. Le modèle d’intégration et de laïcité que le Québec se donnera ne doit pas être imposé par une poignée d’intellectuels qui se sont emparés de l’école, mais doit plutôt faire l’objet d’un choix collectif. Ceux qui nous répètent que « le Québec a choisi la laïcité ouverte » cherchent à nous leurrer. Le Québec n’a rien choisi parce que la population n’a pas été écoutée. Or, nous sommes capables de réfléchir collectivement à ces questions et de choisir nous-mêmes le modèle qui nous convient. De grâce, laissons les enfants tranquilles et faisons confiance à la démocratie.



[1] Le programme ministériel est disponible à l’adresse suivante :
  1. Pour le primaire : https://www7.mels.gouv.qc.ca/DC/ECR/pdf/ethiquecultrel_primaire.pdf

  2. Pour le secondaire : https://www7.mels.gouv.qc.ca/DC/ECR/pdf/ethiquecultrel_secondaire.pdf
[2] Leroux, Georges. « Orientation et enjeux du programme d’éthique et culture religieuse », Formation et profession, mai 2008, p. 8

[3] Québec. Ministère de l’éducation. Laïcité et religions. Rapport du groupe de travail sur la place de la religion à l’école, version abrégée, 1999, p. 5

[4] Québec. Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Comité sur les affaires religieuses. Le programme d’études Éthique et culture religieuse. Avis à la ministre de l’Éducation, du Loisir et de Sport, juillet 2007, p. 16

[5] Québec. Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Comité consultatif sur l’intégration et l’accommodement raisonnable en milieu scolaire. Une école québécoise inclusive : dialogue, valeurs et repères communs, 2007, p. 41

[6] Québec. Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. Fonder l’avenir : le temps de la conciliation, 2008, p. 260.

[7] Ibid., p. 141

[8] Leroux, G., op. cit., p. 13

[9] Idem. Éthique, culture religieuse, dialogue : Arguments pour un programme. Montréal, Fides, 2007, p. 46

[10] Radio-Canada.ca Cours d’éthique et culture religieuse : Gérard Bouchard défend la nouvelle formation, page mise à jour le 20 mai 2009, en ligne, adresse URL : http://www.radio-canada.ca/regions/estrie/2009/05/12/001-ethique-culture-drummond-mardi_n.shtml