lundi 12 janvier 2009

Un message du directeur de la revue Égards en partie sur le cours d'éthique et de culture religieuse

La décomposition morale et intellectuelle de l’Occident (et en particulier du Québec) a connu, en 2008, une espèce d’accélération. Que l’on pense seulement à l’Ordre du Canada attribué à celui qui a le plus œuvré pour légaliser l’avortement dans notre pays, à la victoire d’Obama chez nos voisins du sud, aux tristes maladresses du gouvernement Harper, à la cuisante défaite de l’ADQ, à l’élection du premier député de Québec solidaire, Amir Khadir, un digne émule de Marion Cotillard face au 11 septembre (voir La Presse du 7 juin 2006), à ces élèves suspendus de leur école, à Granby, pour avoir refusé d’assister au nouveau cours d’éthique et de culture religieuse, à cet homme d’Alma acquitté après avoir « aidé » son oncle malade à se donner la mort par pendaison, plus généralement à la renaissance d’un anticapitalisme puéril et aux agressions sournoises de la part de l’État québécois contre la liberté de conscience et de religion.

En ce qui a trait à la liberté de conscience et de religion, une des grandes tristesses de cette année climatérique fut certainement l’indolence dont firent preuve nos évêques face à l’obligation imposée à nos enfants de suivre un tout nouveau cours d’éthique et de culture religieuse. Par leur refus de s’y opposer, croyant peut-être rendre à César ce qui appartient à César, ils remirent pratiquement à l’État ce qui appartenait aux parents. Nos évêques, aveuglés par un spiritualisme plus mortel pour les libertés que le pire matérialisme, ont-ils vraiment compris l’enjeu politique ? J’en doute. L’imposition à tous du cours ÉCR s’attaque non seulement à la religion chrétienne, mais à notre liberté civile. Le parent a toujours eu le droit moral (reconnu ou non, c’est un autre débat, mais ce droit est déjà parfaitement énoncé dans saint Thomas, au XIIIe siècle!) de décider quel enseignement religieux recevra son enfant. L’Église du Québec, non contente dans le passé de méconnaître au nom de l’Église la souveraineté des parents dans leur ordre, l’ignore aujourd’hui au nom de l’État. On voit à quel point l’étatisme québécois est l’enfant du cléricalisme. Les clercs qui se sont substitués, avant les années 60, aux laïcs ont exercé une action aussi nuisible que les fonctionnaires qui, après la Révolution tranquille, s’emparèrent indûment du gouvernement local (et en particulier des écoles). Les éducateurs n’agissent pas plus au nom de l’Église que de l’État, mais in loco parentis, comme dit la tradition. La liberté scolaire est une liberté cardinale. Ni les évêques ni les ministres, ni les intellectuels ni a fortiori les technocrates n’ont à décider à la place des parents quant à l’éducation religieuse de leurs enfants. Quelle que soit la façon dont ce droit s’incarne et se déploie (plusieurs scénarios sont possibles), il a à tout le moins une portée négative: le père bouddhiste ou juif qui habiterait un village dans lequel on ne trouve qu’une école confessionnelle catholique aurait le droit de retirer son enfant du cours de catéchèse. L’imposition d’un cours comportant un enseignement moral et religieux est condamnable, indépendamment de la qualité intrinsèque de ce cours. Ce droit étant un droit naturel, l’Église ou l’État ne nous en prive que par un acte de tyrannie (appuyé ou non par la population, sa nature tyrannique demeurerait). Nos évêques se sont cru autorisés à donner à l’État ce qui appartient aux citoyens.

Ces mêmes évêques ont béni, il y a une dizaine d’années, l’abrogation du droit à l’éducation confessionnelle garanti par l’article 93 de la Constitution de 1867, enchâssé dans l’article 29 de la charte fédérale de 1982. Ils ont « bradé » ainsi non un privilège de l’Église, mais une franchise – comme on disait au Moyen Âge – des parents catholiques et aussi des parents protestants. Ils trahirent en outre, en ouvrant la voie à ce qui allait devenir l’imposition d’une religion d’État nommé le pluralisme normatif, tous les parents du Québec, y compris les parents incroyants, juifs, bouddhistes, animistes ou musulmans. En acceptant récemment l’imposition du cours ÉCR, l’Assemblée des évêques a de nouveau abandonné honteusement les parents et s’est mise de facto au service de l’État et de ses basses oeuvres, méritant par là le mépris silencieux (et douloureux) de bien des fidèles. Ces derniers se souviendront que l’Église du Québec a pris jusqu’au bout le parti de l’État contre les droits des pères et des mères de famille. Seuls les marxistes et les nazis ont été aussi loin que la Belle Province. Seuls les évêques du Québec se sont montrés si faibles, si apathiques, si médiocres d’esprit et de coeur, si indignes de leur haute fonction. On ne peut exclure, dans ce Québec moderne qui ressemble chaque jour davantage à un laboratoire d’éradication des libertés, une déliquescence et une destruction des libertés constitutives de la nationalité canadienne-française qui se passeraient dans l’indifférence, dans la nonchalance, dans l’inertie, avec un effet d’autant plus dévastateur pour les communautés qu’il se produit en l’absence de persécution violente. Rappelons une des vérités fondatrices de notre civilisation: l’école ne relève en définitive ni de l’État ni de l’Église, mais des parents, des ménages, c’est-à-dire de la société civile. Toutes nos libertés se trouvent en miniature dans celles des familles. Lorsque les familles n’exercent plus sur la vie publique (le gouvernement local, les écoles, etc.) une influence prépondérante, les libertés meurent d’inanition : elles ne survivent qu’enracinées dans le foyer domestique.

La façon dont l’irréligion et le libéralisme s’en prennent sans vergogne aux droits et aux franchises traditionnels des familles illustre une nouvelle fois qu’une société libre et antichrétienne constitue une absurdité, une contradiction dans les termes : hors du christianisme et de la filiation judaïque, l’esclavage est de fait (les admirables convenances entre la théologie chrétienne et les libertés politiques n’ont pas d’analogue dans l’islam). Une liberté abstraite, hypostasiée, vidée de toute substance, seule avec elle-même dans un tête-à-tête narcissique, s’épuise, s’éteint et s’abolit. Un mélange de foi et de cruauté inhérent à un retour du sacré sans le Christ succédera inévitablement aux désertifications sociales, humaines, politiques provoquées par le nihilisme et la culture de l’infidélité et de la déloyauté. Les défaillances de quelques clercs ne modifient nullement le fond des choses. Au bout du compte,puisque les confessions protestantes ne résistent plus à la dissolution libérale qu’en se réfugiant dans un fidéisme sclérosé, c’est le catholicisme ou la mort pour l’Amérique française et britannique. Dès aujourd’hui, humblement, fermement, loin de ce découragement léthargique ou aigri caractéristique des milieux marginalisés, tirons les leçons de nos défaites. Le conservatisme québécois et canadien s’affaisse sous le poids de sa vacuité morale et intellectuelle. L’ADQ, en particulier, pareille en cela aux autres mouvements populistes (du boulangisme jusqu’au poujadisme pour n’évoquer que le cas français), s’est tarie à cause de sa débilité doctrinale. Notre tâche, à Égards, est de continuer à offrir à la résistance conservatrice (qui s’incarne d’abord dans les familles) des idées, des principes et, comme dirait Platon, « de beaux discours ». Le reste appartient au mystère du grain de sénevé.

Un joyeux Noël à tous nos lecteurs et à tous nos amis !



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