mardi 25 août 2009

Prof. Jean Laberge — Le programme ECR est vicié dans sa conception même, il doit être abandonné

Jean Laberge, professeur de philosophie au Cégep du Vieux-Montréal et auteur de En quête de sens, continue de se pencher sur le programme d'éthique et de culture religieuse.

Extraits.

« Selon moi, il est préférable de partir de l’exclusivisme chrétien pour aborder ensuite le pluralisme, contrairement à la position qui anime le programme d’Éthique et de culture religieuse (ECR) qui vise l’apprentissage du pluralisme. L’exclusivisme chrétien permet de mieux préparer les jeunes Québécois à penser avec une pensée pluraliste. L’argument est que, même si l’exclusivisme chrétien ne peut justifier ses croyances, il offre néanmoins une garantie de fiabilité. En d’autres termes, il est préférable d’adhérer à une croyance fiable que de pas avoir de croyance du tout, car c’est sur la base de l’adhésion à des croyances fiables qu’il devient possible de comprendre les autres croyances et, partant, de mieux se comprendre soi-même.

L’idée reçue qui circule au sujet du pluralisme, c’est qu’il existe plus d’une valeur (pluralisme moral), ou plus d’une vérité (pluralisme épistémique). Très souvent, on confond le pluralisme avec une position différente, le relativisme, qui allègue que toutes les valeurs (relativisme moral) ou toutes les vérités (relativisme épistémique) se valent, qu’il n’y a pas de valeur ou de vérité qui soit supérieure aux autres. Le pluralisme signifie quelque chose de différent. Il affirme que toutes les valeurs ou toutes les vérités ne se valent pas (le pluralisme est donc différent du relativisme) et, par ailleurs, il affirme que certaines valeurs (ou vérités) entre irrémédiablement en conflit.

[...]

Selon moi, l’exclusivisme chrétien est préférable au pluralisme de Berlin. Après avoir présenté succinctement le pluralisme de Berlin, je montrerai qu’il entre directement en contradiction avec le libéralisme. [Laberge explique plus tard ce qu'il entend par libéralisme : le libéralisme est une philosophie politique qui admet un facteur explicatif unique. Le penseur libéral entend résoudre ou arbitrer les différents conflits survenant au sujet des différentes conceptions de «la vie bonne», il pense qu'il n'existe pas parfois de conflit de valeurs irréconciliables.] Or, comme nous allons le voir, le programme d’ECR repose sur le libéralisme. Par conséquent, le pluralisme de Berlin est incompatible avec le programme d’ECR, de sorte que, ce programme est vicié dans sa conception même, et qu’il doit être abandonné.

[...]

Pour un partisan du pluralisme comme Berlin, les valeurs du bouddhisme et du catholicisme sont conflictuelles, irréconciliables et irréductibles. Aucune n’est meilleure ou supérieure à l’autre. Les deux s’affrontent directement de manière insoluble.

Autre exemple de pluralisme irréconciliable ou « incommensurable » pour employer le vocable de Berlin. La Charte québécoise des droits et libertés de la personne (1975), à l’article 41, stipule que « Les parents… ont le droit d’exiger que, dans les établissements d’enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions… ». L’État québécois ne peut honorer ce droit dit « socio-économique » en raison du fait qu’il reconnaît au préalable la liberté fondamentale de religion (article 3). C’est d’ailleurs la conclusion du rapport Proulx, suivant laquelle, l’article 41 est incompatible avec l’article 3 reconnaissant à tous les citoyens du Québec la liberté de religion. Voilà donc un autre exemple illustrant le pluralisme.

Le pluralisme berlinien est donc tragique. Comme on le verra plus après, l’idéal d’une société libérale parfaitement tolérante et harmonieuse comme le proclament les chantres libéraux aux lunettes roses constitue une pure illusion. La vie d’une démocratie libérale abonde en drames où des valeurs que nous chérissons sont sacrifiées sur l’autel du libéralisme. Le pluralisme de Berlin n’est pas un optimisme digne de Pangloss. L’idée donc que les valeurs, dans une société libérale, soient résolubles (ou « accommodables », pour emprunter un terme à la mode) constitue une belle illusion dont bon nombre de libérlaux se plaise à entretenir.

[...]

Le libéralisme est une philosophie politique moniste. [Le monisme est une doctrine qui tend à expliquer les choses par les transformations d’un élément unique, il s'oppose au dualisme et au pluralisme.] Que ce soit sur la base d’un système de droits, ou de principes de justice comme chez Rawls, le penseur libéral entend résoudre ou arbitrer les différents conflits survenant au sujet des différentes conceptions de « la vie bonne ». [Georges Leroux lors du procès a souvent cité John Rawls.] Comme dit le slogan rawlsien, « le juste a priorité sur le bien ». Le libéral se drape de « l’ouverture » à la différence, au pluralisme, à la tolérance. C’est là cependant l’un des plus grands mythes de toute la modernité ! Le libéralisme est foncièrement moniste, pas du tout pluraliste. Il laisse entendre qu’il l’est ou qu’il veut le devenir, mais il cache son monisme intransigeant derrière un système de droits ou de principes de justice.

Voyez, par exemple - un exemple parmi tant d’autres – le cas évoqué plus haut du droit à l’enseignement religieux et moral énoncé dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (article 41). L’État libéral gère si bien ce conflit de droits qu’il brime purement et simplement le droit des croyants à recevoir l’enseignement religieux qu’ils réclament de droit ! Tolérant, l’État libéral ? Une farce grossière ! Il se réfugie derrière l’existence d’autres droits jugés plus fondamentaux, en l’occurrence celui de la liberté de religion, pour soustraire le droit à l’enseignement religieux et moral. Et quand l’exercice d’un droit menace soi-disant l’intérêt public, l’État invoque alors la clause de L’exercice des libertés et droits fondamentaux (article 9.1 de la Charte québécoise) où il est stipulé que « Les libertés et les droits s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. » Voilà une procédure nettement conséquentialiste dans sa mouture, parfaitement contraire à la nature déontologique des droits ! Qui peut oser encore croire que le libéralisme soit une philosophie politique parfaitement cohérente !

En fait, le libéralisme donne raison au pluralisme : le « bateau libéral » fuit de toutes parts; d’innombrables conflits de valeurs sont résolus arbitrairement, contrairement à ce que prétend le libéralisme. Une chose demeure : les conflits de valeurs existent malgré la mascarade moniste des solutions libérales.

En fait, le libéralisme ne peut tout simplement pas admettre le pluralisme car ce sont des philosophies politiques radicalement contraires. Il suffit d’une simple réflexion pour comprendre ce point crucial. Si Berlin dit vrai, c’est-à-dire si les conflits de valeurs sont insolubles, alors aucune autorité politique ne peut avoir de bonnes raisons d’imposer à qui que ce soit une solution à ces conflits qui, par nature, sont insolubles. Ce qui signifie qu’un État libéral devrait s’abstenir de légiférer, c’est-à-dire d’exister. Voilà l’objection centrale, selon Gray, du pluralisme contre le libéralisme. Alors, le libéral qui veut intégrer le pluralisme doit cesser de rêver. Il doit abandonner le libéralisme s’il veut véritablement épouser le pluralisme.

Le libéralisme du programme ECR

Dans l’introduction à Éthique, culture religieuse, dialogue, Georges Leroux écrit :
L’école laïque n’est pas en effet l’école de ceux qui ont renoncé à la religion et qui tolèrent en les méprisant ceux qui lui conservent une place dans leur vie; elle est l’école du respect de la liberté de religion et de la liberté de conscience de tous. L’athéisme et l’agnosticisme y trouvent une place aussi légitime que la croyance. La démocratie à l’école est à ce prix, et tous les arguments qui, déjà, dans le rapport Proulx, montraient l’importance de cette neutralité dans une société pluraliste nous apparaissent aujourd’hui comme des arguments déterminants.
On ne peut pas trouver plus belle profession de foi au libéralisme que ce passage.

La neutralité accueillante à la diversité dont se drape le libéral est ici éloquente. Tous les conflits réels entre les divers protagonistes sont ici balayés sous le tapis de la neutralité apparente du respect des libertés de conscience et de religion. Ces droits sont conçus comme soustraits aux conflits. Ils les transcendent.

En bon programme de facture libérale, le cours ECR va donc chercher à colmater arbitrairement les conflits insolubles que posent le pluralisme en ramenant constamment l’élève aux balises inviolables mais arbitraires que sont les droits de la personne. Les plus lucides ne manqueront d’observer que la résolution de ces conflits est arbitraire et que ce programme est lui-même foncièrement arbitraire. Ils arriveront au collégial avec une pensée plus confuse que celle avec laquelle nous arrivent nos étudiants actuels.

[...]

 »

Le billet au complet.

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