mardi 5 décembre 2017

Dictionnaire du conservatisme




Jean-Christophe Buisson reçoit dans l’émission Historiquement Show sur la chaine Histoire Eugénie Bastié, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois pour Le Dictionnaire du conservatisme sous la direction de Christophe Boutin, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois (aux éditions du Cerf).



Présentation de l’ouvrage

D’Abstraction à Zouaves pontificaux, ce Dictionnaire du conservatisme évoque des hommes (de Gaulle ou Proudhon) comme des valeurs (Équilibre ou Honneur), des moments historiques (monarchie de Juillet ou Révolution) comme des institutions (Institut ou Sénat), des perspectives futures (développement durable ou transhumanisme) comme des mythes (Antigone ou Père). Juristes, historiens ou littéraires, ses auteurs dégagent ainsi une image du conservatisme : divers mais cohérent, à la fois éternel et actuel, pensée qui structure face au monde de l’éphémère et du relatif, opposant d’indispensables certitudes à la désagrégation moderne.

Le Dictionnaire du conservatisme
aux éditions du Cerf
Collection Idées
Paris, novembre 2017
1072 pages
ISBN : 9782204123587


L’ouvrage est dirigé par Frédéric Rouvillois [entretien ci-dessous], Olivier Dard, Christophe Boutin. Il se compose de 250 articles rédigés par des spécialistes (y compris le québécois Mathieu Bock-Côté pour sa critique conservatrice du multiculturalisme) afin de mieux cerner les notions et les problématiques liées au conservatisme et de considérer la place de ce courant dans l’histoire des idées.



« Le vrai conservateur, c’est celui qui pense que notre civilisation est fragile mais qu’on peut la défendre »
Frédéric Rouvillois

Être conservateur, voilà un état qu’on ne connait guère en France, et pourtant tout le monde parle de cette famille politique qui hante notamment la droite depuis plus d’un siècle. De l’utilité de définir les mots et grands noms de ce courant politique (Le dictionnaire du conservatisme, de Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois et Olivier Dard, éditions du Cerf).

Écrire un dictionnaire, en tant que « livre sur la signification des mots» n’est-ce, dès le départ de votre travail, une démarche foncièrement conservatrice – par exemple si on l’oppose à une encyclopédie qui vise à rassembler l’ensemble de toutes les sciences?

Frédéric Rouvillois — C’est une question amusante et originale à laquelle je n’avais pas pensé, mais effectivement, en un sens, il y a dans la démarche encyclopédique une forme de dimension prométhéenne – une volonté de dominer le monde, l’univers, d’un seul regard – alors que la démarche du dictionnaire est plus mesurée, plus prudente, plus modeste. Le dictionnaire se soumet d’une certaine façon au réel là où l’encyclopédie semble vouloir soumettre le réel. D’où une dimension conservatrice du dictionnaire, et ce sur plusieurs plans : par la philosophie comme nous venons de le montrer, mais aussi conservatrice en tant que force conservatoire des mots, de la langue et de la culture.

En France, depuis la parution du premier dictionnaire sous le règne de Louis XIV, c’est ainsi qu’on pense cet objet.

On parle souvent d’une certaine inadaptation de la culture française au conservatisme, ou du fait que le conservatisme n’a pas de grande tradition politique définie comme par exemple en Angleterre. Mais votre dictionnaire regorge de penseurs, courants intellectuels ou écrivains qui portent au pinacle la pensée conservatrice, même si ces courants peuvent sembler parfois concurrents, sinon contradictoires. La supposée « faiblesse » du conservatisme français (mais en même temps son intérêt) ne réside pas dans cette diversité concurrentielle des conservatismes qu’a produit sa culture?

Oui, et on en revient au choix du dictionnaire: le conservatisme n’a jamais trouvé son nom en France, si on excepte une petite partie du XIXe siècle avant d’être ostracisé et rejeté de manière presque systématique par la suite. Au XXe siècle, il y a une foule de penseurs qui sont de par leur pensée des conservateurs, et veulent défendre par exemple une forme de tradition, d’enracinement, d’identité mais qui soit n’utilisent pas ce terme pour se désigner (c’est le cas par exemple du général de Gaulle) ou en viennent à récuser ou refuser violemment ce terme quand il leur est assigné. Ils sont nombreux. L’un de ceux qu’on a beaucoup évoqué dans ce livre est Maurras, qui refusait très largement ce qualificatif de conservateurs, lui-même considérant ce terme comme désignant les conservateurs de la fin du XIXe siècle, soit un courant sans colonne vertébrale ou véritable ligne de pensée.

On a aussi l’impression que plus qu’une doctrine, le conservatisme est un état d’esprit, comme le souligne par exemple le titre d’un ouvrage d’un grand penseur conservateur américain, Russell Kirk, quand il parle de « conservatist mind » ou d’« imaginative conservative ». Ce rapport au monde conservateur est-il une force ou une faiblesse selon vous?

Ce qui est clair, c’est qu’il n’y a pas une doctrine conservatrice qui serait clairement établie comme il y a pu avoir un marxisme, un fascisme ou un gaullisme à l’origine. Le conservatisme est une nébuleuse qui présente des éléments de toutes sortes. Il y a des éléments doctrinaux, mais aussi des questions économiques, anthropologiques ou historiques qui sont de natures diverses. Chacune de ces positions comporte le même « état d’esprit » Cette diversité est en effet à la fois sa force et sa faiblesse paradoxalement. C’est ce qui fait que sont intégrés dans le conservatisme à la fois des penseurs libéraux et des penseurs critiques envers le libéralisme, mais aussi des penseurs réactionnaires. C’est une nébuleuse extrêmement vaste dont les frontières ne sont pas aisées à établir et sont susceptibles de débat. Cela correspond d’ailleurs assez largement à ce qui fait la droite, et même certains segments de ce qu’est la gauche qui sont appelés à rentrer dans cette nébuleuse. On a beaucoup insisté par exemple dans ce livre sur la question de l’écologie qui est une forme de conservation de la nature. Depuis les années 60-70, elle est considérée de gauche alors qu’il nous semble incontestable que l’écologie est au fond une pensée conservatrice – et qu’inversement le conservatisme est nécessairement tourné vers la nature – telle la fameuse « écologie intégrale » défendue par le pape dans Laudato Si est selon nous conservatrice.

Dans votre article sur l’idée de « Progrès », vous évoquez trois familles de conservatisme. Quelles sont ces trois tendances de conservatisme ?

J’en parlais en effet par rapport au « mythe du progrès », qui me semble typique de la pensée de gauche selon laquelle l’humanité, par son propre effort, serait amenée à s’améliorer de manière nécessaire et illimitée dans le temps. Et que l’humanité irait vers une plus grande fluidité, une plus grande transparence, plus rationnelle, plus juste, heureuse etc. C’est à mon sens l’une des caractéristiques de la gauche et l’antithèse du conservatisme. À l’opposé du progressiste, le conservateur n’est sûr de rien sur ce point de vue-là. Le conservateur a toujours à l’esprit, pour reprendre la formule de Paul Valéry selon laquelle « les civilisations sont mortelles » ou que du moins elles sont dans leur constitution extrêmement fragiles. Le travail du conservateur va être d’identifier ce qui est important et de faire en sorte de le conserver dans le temps. Bref, le conservateur est à l’opposé du progressiste un pessimiste ou optimiste modéré. Il pense que les choses sont fragiles mais qu’on peut les défendre. Le vrai conservateur est celui-là. Et que par conséquent travailler à leur conservation est pertinent.

A partir de cette idée, on peut considérer qu’il y a un certain segment du conservatisme qu’on pourrait dans certains cas appeler le réactionnaire qui considère qu’au fond tout est déjà fichu. Et qu’en toute hypothèse, c’était mieux hier. C’est un conservatisme, un peu paradoxal, qui pense d’une certaine façon qu’il n’y a déjà plus rien à conserver.

Et à côté de ce conservatisme, il y a des formes de combinaisons entre le conservatisme et le progressisme qui peut accepter sur certains points que les choses s’améliorent dans le temps, et que par ailleurs, il faut savoir renoncer au passé pour pouvoir conserver un petit peu. C’est le « il faut que tout change pour que rien ne change ».


Source : Atlantico


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