vendredi 15 mai 2015

France — Les vieilles lunes des pédagogistes

Le projet de réforme des programmes scolaires est un pur produit des pédagogistes qui règnent sur l’Éducation nationale depuis des décennies. Une caste à l’idéologie aussi folle que leur vocabulaire.

Le Conseil supérieur des programmes (CSP), qui a élaboré le projet de réforme défendu par Najat Vallaud-Belkacem, créé en octobre 2013, est issu de la loi de refondation de l’école voulue par Vincent Peillon. Il a pris la place du Haut Conseil de l’éducation (2005-2013), lui-même successeur du Conseil national des programmes (1989-2005) : mais, tandis que ces deux instances ne faisaient que rendre des avis sur les programmes concoctés par la Direction de l’enseignement scolaire, le CSP a pour mission de les élaborer lui-même. Problème : comme l’a souligné le président que lui avait choisi Vincent Peillon, Alain Boissinot, qui a démissionné dès juin 2014, il ne compte « que dix-huit membres qui se réunissent une fois tous les quinze jours. C’est insuffisant au regard de la tâche ».

De ces dix-huit membres, un seul a enseigné au collège — autrefois, car il est aujourd’hui retraité ; les autres n’ont qu’une connaissance très lointaine du domaine éducatif, à l’exception du nouveau président, Michel Lussault (ci-dessus), directeur de l’Institut français de l’éducation, à qui l’on doit notamment la brillante idée de remplacer les notes par des pastilles de couleur...

Pour Jean-Paul Brighelli, le CSP est essentiellement composé de politiques (majorité oblige, les représentants de l’opposition y sont en minorité — mais ils sont là, et ils cautionnent le résultat final), des universitaires de haut rang, qui ne sont jamais allés dans un collège, sinon pour y emmener leurs enfants, et des spécialistes de ces « sciences de l’éducation » qui depuis trois décennies tentent de grignoter l’université française en s’efforçant de croire eux-mêmes à la scientificité des approximations qu’ils professent. Ajoutez à cela une sociologue (Agnès van Zanten) qui depuis des décennies œuvre, comme François Dubet dont elle est proche, à démanteler ce qui reste encore debout, et un représentant de la Ligue de l’enseignement, confédération d’associations qui jouent un rôle éminent dans le sport et les colonies de vacances. Il y a bien le neuroscientifique Stanislas Dehaene, qui depuis des années se bat pour que l’on enseigne convenablement le lire-écrire-compter. Il a dû se sentir bien seul. Quant à son président, Michel Lussault, Blanche Lochmann, présidente de la Société des agrégés, voit avec raison en lui « le triomphe des vieilles lunes déconnectées du terrain. » Le remplacement des notes par des pustules de couleur, c’est lui. Au total, essentiellement une armée mexicaine de grandes pointures incompétentes ou nocives — ou les deux.

Le CSP ne fait pas le plus important du travail. Ce sont donc les groupes d’experts consultés préalablement qui ont fait l’essentiel du travail, que le CSP s’est contenté de corriger à la marge.

Qui sont ces experts ? Généralement très marqués à gauche, enseignants dans les lycées et collèges ou les ex-IUFM où ils ont formé (ou plutôt déformé) des générations de professeurs, ils sont issus de cette caste de pédagogistes qui ont pris le pouvoir à l’Éducation nationale après 1968, et y ont appliqué sans ménagement les thèses du sociologue Pierre Bourdieu, dont François-Xavier Bellamy a magistralement analysé les racines philosophiques et dénoncé les conséquences dans son livre les Déshérités. Pour Bourdieu et ses héritiers, la transmission des savoirs est une violence faite à l’enfant, un simple moyen de reproduction des privilèges et de domination sociale. L’enseignant n’est donc plus là pour transmettre, mais pour aider l’enfant à « construire lui-même ses savoirs ». L’état catastrophique de l’école, soutient Bellamy, n’est donc pas l’échec d’une méthode, mais paradoxalement sa « réussite » : c’est le fruit d’un projet conscient — et dément — pour en finir avec la transmission, laquelle « est une aliénation parce que, en le soumettant à l’emprise d’une autorité qui se rêve créatrice, elle empêche [l’enfant] d’être l’auteur de lui-même ».

Se fixant pour objectifs que les élèves, « familiarisés avec une démarche de questionnement dans les différents champs du savoir », « acquièrent une autonomie qui leur permet de devenir acteurs de leurs apprentissages », « développent des capacités métacognitives qui leur permettent de choisir les méthodes de travail les plus appropriées », « proposent des explications et des solutions à des problèmes d’ordre scientifique et technique », et mettant en valeur « la créativité des élèves qui traverse tous les cycles », ce projet de réforme des programmes, jusqu’au jargon souvent délirant (lire notre encadré) dans lequel les traductions concrètes de ces grandes lignes pédagogiques s’incarnent, est typique de cette utopie d’un enfant éducateur de lui-même et des vieilles lunes pédagogistes qui métastasent les textes officiels de l’Éducation nationale depuis des décennies, mais qui prolifèrent toujours avec une audace plus décomplexée quand la gauche est au pouvoir.

Pour Brighelli, on retrouve parmi ces « experts » la pasionaria du site Aggiornamento, Laurence de Cock, qui fut l’une des chevilles ouvrières du titanesque travail d’éradication des programmes d’histoire. Elle est accompagnée du « plus pédago des pédagogistes », Jean-Michel Zakhartchouk, qui a « participé activement et de façon passionnante » à ces travaux.

Ces nouveaux programmes marquent-ils la puissance des pédagogistes ou, comme l’espère Jean-Paul Brighelli et comme semble le prouver le tollé général qui les a accueillis, constituent-ils, de leur part, une sorte de « baroud d’honneur » ? Il n’est pas interdit en tout cas de l’espérer et de tabler sur le bon sens des enseignants pour traiter ces nouvelles directives avec toute la réserve qu’elles méritent.

Source : Valeurs actuelles et Le Point




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