mardi 29 avril 2025

Hongrie — Pour relancer la natalité, Viktor Orban exempte les mères d’au moins 2 enfants d’impôts à vie



Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a instauré une mesure destinée à stimuler la natalité : toute femme ayant au moins deux enfants bénéficie d'une exonération fiscale à vie.

Dans le cadre de la politique nataliste de Viktor Orban, le Parlement hongrois a adopté mardi un ensemble de mesures prévoyant une exonération fiscale à vie pour toutes les mères ayant au moins deux enfants comme le relate CNews. À partir de l’an prochain, cette mesure concernera d’abord les femmes de moins de 40 ans, avant de s’élargir progressivement aux mères de plus de 60 ans d’ici 2029, conformément au texte voté à une large majorité.

Depuis 2020, seules les mères de quatre enfants ou plus bénéficient d’une exonération fiscale en Hongrie. Le Premier ministre Viktor Orban étend cette mesure pour lutter contre le déclin démographique, alors que la population est passée de 10,7 à 9,5 millions depuis 1980. Crèches gratuites, aides au logement ou « prêts bébé » : les incitations se multiplient, mais leurs effets restent limités et leur coût est élevé.

Un coût estimé à 2,3 milliards d’euros

À l’horizon 2029, le coût total de ces mesures est estimé à 2,3 milliards d’euros. Un investissement conséquent que Viktor Orban assume pleinement : selon lui, ce programme de réduction d’impôts, présenté comme « le plus ambitieux d’Europe », transformera la Hongrie en un véritable havre fiscal pour les familles. Il y voit un levier stratégique pour enrayer le déclin démographique tout en renforçant les valeurs familiales traditionnelles.

La Hongrie s’est fixée pour objectif d’atteindre un indice de fécondité de 2,1 d’ici 2035, seuil considéré comme nécessaire au renouvellement des générations. Actuellement, le taux s’élève à 1,52 enfant par femme, bien en dessous de celui de pays comme la France (1,79), mais supérieur à celui du Québec (1,38). Par cette politique nataliste, Viktor Orban et son gouvernement conservateur entendent relancer une démographie en déclin.

Les États-Unis affichent les plus grosses dépenses de santé au monde, mais se trouve en queue de classement pour de nombreux paramètres.


Avec environ 43 % des adultes obèses, les États-unis présentent de loin le pire taux de tous les pays de L’OCDE, devant le Mexique (36 %).

C’est l’une des plus grandes puissances économiques du monde, et pourtant sa population ne se porte pas mieux qu’ailleurs. Au contraire : non seulement la santé des Américains est en moyenne moins bonne que dans la plupart des autres pays développés, mais elle se dégrade. L’espérance de vie en est un exemple frappant : alors qu’elle était comparable à celle des pays européens jusqu’aux années 1970, sa progression s’est peu à peu ralentie et la tendance s’est même inversée à partir des années 2010. Désormais, un Américain vit en moyenne 76,4 ans, soit quatre années de moins que dans les 38 pays membres de L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), et près de sept ans de moins qu’en France. Et pourtant, les États-Unis affichent les plus grosses dépenses de santé par habitant au monde. Un paradoxe qui révèle de profondes défaillances.

« Le fait que l’espérance de vie baisse aux États-unis est vraiment une exception, car elle continue de progresser dans les autres pays occidentaux », note Céline Jaeggy, ancienne conseillère pour les affaires sociales à l’ambassade de France à Washington. Pour ce paramètre, le pays occupe désormais la 32e position sur 38, entre la Pologne et la Colombie. Si ce phénomène touche de plein fouet les populations les plus défavorisées des États-Unis, il n’épargne pas non plus les plus riches. En effet, une récente étude a montré que même les Américains les plus fortunés ont une espérance de vie plus courte que leurs homologues européens, et plus proche de celle des habitants les plus pauvres d’Europe du Nord et de l’ouest.


L’espérance de vie n’est pas le seul indicateur de santé en berne aux États-Unis, comme le révèle un rapport de L’OCDE, publié fin 2023. Le pays se situe aussi en queue de classement pour la mortalité évitable, qui dénombre les vies qui auraient pu être sauvées par de la prévention ou des soins (maladies infectieuses, crises cardiaques, alcoolisme, BPCO, toxicomanie, suicide, etc.). Les États-Unis comptent ainsi 336 décès évitables pour 100 000 habitants, contre 237 dans L’OCDE et 160 en France.

Les chiffres concernant la santé des mères et des nouveau-nés ne sont guère plus réjouissants. La mortalité maternelle - c’est-à-dire le décès d’une femme pendant la grossesse, lors de l’accouchement ou dans les 42 jours suivant la fin de la grossesse - s’établit à 21 femmes sur 100 000 aux États-unis, soit deux fois plus que la moyenne de L’OCDE. Très récemment, une étude a non seulement montré que ce chiffre a bondi de 27 % ces quatre dernières années, mais aussi que certains États sont plus concernés que d’autres, avec des taux allant jusqu’à 60 décès parmi 100 000 femmes enceintes.

Bien que l’écart avec les autres pays soit moins important, la mortalité infantile n’affiche pas non plus de bons résultats : 5,4 enfants sur 1 000 décèdent avant leur premier anniversaire aux Étatsunis, contre 3,6 en France et 4 en moyenne dans L’OCDE. Un chiffre qui semble faible mais qui, rapporté au nombre de naissances aux USA, représente environ 19 000 décès par an !

« Ces mauvais résultats sont en grande partie dus à la forte prévalence de l’obésité », estime Céline Jaeggy, auteur d’une analyse récente sur le système de santé américain. L’obésité est en effet « un facteur de risque majeur pour de nombreuses maladies chroniques, dont le diabète, les maladies cardio-vasculaires et le cancer », rappelle L’OCDE dans son rapport. Cela rend également la grossesse et l’accouchement plus à risque, ce qui peut en partie expliquer les mauvaises performances en la matière.

Or, avec environ 43% des adultes obèses, les États-unis affichent de loin le pire taux de tous les pays de L’OCDE, devant le Mexique (36 %). Sans surprise, la prévalence du diabète est également très élevée, avec 11% de la population concernée. « Même si cela ne reflète pas réellement l’état du système de santé, le fait que le taux d’obésité soit si élevé montre l’échec des politiques de prévention et cela permet de comprendre pourquoi certains indicateurs sont mauvais », poursuit Céline Jaeggy.

En plus de l’épidémie d’obésité, les États-unis font également face à une crise sanitaire sans précédent due aux opioïdes depuis les années 2000. Ces antidouleurs puissants dérivés de l’opium y sont même devenus la première cause de mortalité évitable avant 50 ans, loin devant les accidents de la route et les décès par armes à feu. « Cette crise explique en partie la baisse de l’espérance de vie, commente Céline Jaeggy. Parce qu’elle a été créée par le système de santé, elle touche davantage les populations caucasiennes à faibles revenus, qui ont un accès minimum aux soins, davantage que les Hispaniques et les Noirs américains. »

« Ces mauvais résultats sont en grande partie dus à la forte prévalence de l’obésité, qui est un facteur de risque majeur pour de nombreuses maladies chroniques, dont le diabète, les maladies cardiovasculaires et le cancer » Céline Jaeggy ancienne conseillère pour les affaires sociales à l’ambassade de France à Washington

À l’heure actuelle, les États-unis enregistrent 223 décès liés aux opioïdes par million d’habitants, ce qui place le pays en tête du classement, très loin devant la moyenne de L’OCDE (30 décès par million d’habitants). Une tendance dramatique qui ne semble pas s’améliorer : ce taux a été multiplié par deux en seulement dix ans. Au total, environ 727 000 personnes sont décédées de cette manière ces vingt dernières années aux États-Unis.

Outre la faible proportion de fumeurs (8,8 % versus 25 % en France), il y a en revanche un domaine où les États-unis excellent : « Ils dépensent beaucoup plus que les autres pays, près de 17 % de leur PIB sont consacrés à la santé », rapporte Brigitte Dormont, professeur émérite d’économie à l’université Paris Dauphine. En 2021, les États-unis ont ainsi dépensé 12500 dollars par habitant, soit deux fois plus que la France, en tenant compte des différences de pouvoir d’achat. « Pourtant, ils ont de très mauvais résultats, c’est ce que certains appellent le “puzzle” américain », poursuit-elle.

Un paradoxe qui s’explique avant tout par le fonctionnement du système de santé, souligne Zeynep Or, directrice de recherche à l’irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé). « En France, il existe une assurance-maladie publique et universelle, tout le monde est couvert. Ce n’est pas le cas aux États-unis, où c’est un modèle d’assurance privée, rappelle l’économiste. Comme avec n’importe quelle assurance, les primes sont proportionnelles aux risques de santé des individus. Donc si vous avez certaines maladies, les primes seront plus élevées. Et surtout, elles augmentent avec l’âge. »

Environ la moitié des Américains sont couverts par une assurance proposée par leur employeur, comme l’a imposé l’obamacare en 2015 aux entreprises de plus de 50 salariés. « Le montant de la prime annuelle pour une famille américaine moyenne est d’environ 21000 dollars, dont les trois quarts sont pris en charge par l’entreprise, ce qui laisse environ 6 000 dollars à payer par l’assuré», illustre Céline Jaeggy. Mais certaines entreprises ont trouvé la combine pour échapper à cette obligation qui ne concerne que les salariés travaillant plus de 30 heures hebdomadaires : embaucher à temps partiel.

Par ailleurs, le fait d’être couvert ne signifie pas que tous les soins seront pris en charge. «Les assurances peuvent prévoir des franchises ou encore une part non remboursée du prix de consultation et souvent, elles ne couvrent pas les soins dentaires ou optiques », indique Céline Jaeggy. Selon elle, environ 30 millions de personnes assurées seraient en difficulté pour faire face à leurs dépenses de santé.

En plus de cela, 26,4 millions de personnes n’ont pas d’assurance santé, selon l’administration américaine, soit 8 % de la population. Il existe pourtant deux caisses publiques d’assurance-maladie : Medicaid, pour les familles pauvres avec enfants, et Medicare, pour les 65 ans et plus. Environ 36% de la population est couverte de cette manière. Mais les critères d’accès sont drastiques. « Par exemple, une mère célibataire qui gagne l’équivalent du SMIC (salaire minimal) n’est pas assez pauvre pour être éligible », rapporte Zeynep Or.

Dans les années 2010, sous l’ère Obama, des réformes avaient permis d’abaisser le seuil d’éligibilité. Mais il appartient aux États de les appliquer ou non. Résultat : beaucoup de personnes restent sur le carreau. « Il y a beaucoup de trous dans la raquette, souligne Brigitte Dormont. Si vous travaillez à votre compte, que vous êtes pauvre mais pas assez ou encore que vous êtes pauvre et sans enfant, vous n’avez droit à rien. »

En parallèle de cela, le prix des soins n’est pas réglementé et est donc très élevé. «Un médicament payé 10 euros en France coûte deux à trois fois plus cher aux États-unis, même en tenant compte des différences de pouvoir d’achat», indique Zeynep Or. Les honoraires des médecins sont également plus élevés. « Le coût de la consultation n’est pas encadré, les généralistes sont payés environ 2,5 fois plus, et les spécialistes, 5 fois plus. Cela s’explique en partie par le fait qu’ils doivent rembourser leurs études et que le coût de leur propre assurance est très important», analyse Céline Jaeggy.

Mi-avril, le Washington Post a indiqué que le gouvernement de Donald Trump envisagerait de réduire de 40 milliards de dollars le budget du ministère américain de la Santé. Quelques semaines plus tôt, le président américain avait déjà commencé une profonde refonte de cette administration, en supprimant près d’un quart de ses effectifs. « Ce n’est que le début, la situation va s’aggraver, estime Zeynep Or. Non seulement l’administration Trump est farouchement opposée aux assurances publiques, mais elle est aussi une ardente défenseur de l’économie libérale. Cette vision interdit la régulation du marché de la santé et celui des assurances. Mais tous les indicateurs montrent clairement que l’intervention publique et des règles sont nécessaires pour obtenir des résultats satisfaisants et surtout favorables à la santé de la population », conclut la spécialiste.

Source : Le Figaro

Portugal — en dix ans, la part des naissances de mères étrangères a doublé pour atteindre 33 %

En l'espace de trois ans, la part des naissances de mères nées à l'étranger au Portugal est passée de 21,5 % à 33 %. Dans la région métropolitaine de Lisbonne, plus de 47 % des naissances sont le fait de migrantes.

Le Canada sous les libéraux : cancre de la croissance économique depuis 10 ans


 

Chiffres légèrement différents ci-dessous (pas en parité de pouvoir d'achat et sur 9 ans et demi)


Et toute cette croissance « malgré l'immigration record » au Canada.

dimanche 27 avril 2025

Canada/Québec — Un gouvernement des juges de plus en plus autoritaire

Un texte de Frédéric Lacroix:

L’on m’a reproché, dernièrement, d’avoir utilisé dans un texte l’expression « autoritarisme judiciaire » pour dénoncer le fait que des juges, profitant de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, qui les place en surplomb au-dessus du Parlement, de l’Assemblée nationale et du peuple, en menaient large, très large.


L’on en a pourtant eu, coup sur coup, deux exemples très parlants cette semaine : premièrement une décision du juge Éric Dufour (nommé par Justin Trudeau) qui fait tomber à la fois la hausse des frais de scolarité et l’exigence de cours de français pour les Canadiens non-résidents étudiants à McGill et Concordia et, deuxièmement, une décision du juge Andres C. Garin (nommé par Justin Trudeau) imposant au Québec de reconnaitre la « polyfiliation », c’est-à-dire le concept qu’un enfant pourrait avoir plus de deux parents.

D’un côté, un juge décide unilatéralement que Québec n’a pas le pouvoir de déterminer sa grille tarifaire pour ses universités et que nous devons collectivement continuer à financer les Canadiens qui viennent étudier en anglais à McGill et Concordia, ce qui nous coûte la bagatelle de 200 millions par année (en plus d’angliciser Montréal à tour de bras) et de l’autre, un juge dynamite les bases anthropologiques séculaires de notre civilisation en introduisant le concept déjanté de « pluriparentalité » -pourtant écarté par Québec- dans notre Code civil.

Ces décisions nous sont imposées par le haut, sans débat, par une caste juridique nommée par Ottawa. Des juges, pris d’hubris, s’imaginent que le droit peut créer la réalité et qu’il suffit de décréter qu’un enfant peut avoir trois parents pour que cela soit. Il est aussi remarquable de noter que dans ce jugement, les intérêts de l’enfant sont totalement escamotés. Mais la réalité et la biologie se fichent du droit. Comme le disait Roger Scruton, les « traditions sont des solutions à des problèmes dont on a oublié l’existence. Mais si on retire la solution, le problème va réapparaitre ».

Avec ces décisions lunaires, ces juges sont en train de dynamiter leur légitimité, base de leur autorité. La Charte canadienne (imposée illégitimement en 1982, rappelons-le) se voulait un « contrepouvoir » face à la menace (imaginaire selon moi) d’une « dictature de la majorité ».

Mais force est de constater qu’il n’existe pas de « contrepouvoir » au pouvoir des juges, pouvoir qui semble être devenu absolu et qui nous dépossède.

samedi 26 avril 2025

Mark Carney et le Québec, un rapport trouble (euphémisme)

Texte du chroniqueur Jean-François Lisée. 


On sous-estime l’ampleur de l’intervention passée de Mark Carney (ci-dessus) au Québec. Lorsqu’il était gouverneur de la Banque du Canada, il s’est trouvé devant un cas sans précédent. Comme ailleurs dans le monde, des banques et institutions canadiennes avaient investi des milliards de dollars dans un outil beaucoup plus risqué qu’il n’y paraissait, appelé papier commercial adossé à des actifs (PCAA). On découvrait soudainement que ces actifs n’étaient pas solides et que ceux qui s’y étaient adossés allaient se retrouver le nez sur le sol.

Il fallait agir. Mark Carney était l’homme qu’il fallait. Toutes les grandes banques canadiennes pouvaient compter sur lui. Des prêts d’urgence s’élevant à 41 milliards de dollars furent débloqués par Carney, puis, par le truchement de la Société canadienne d’hypothèque et de logement, 70 milliards supplémentaires ont servi à racheter des banques les investissements pourris dans lesquels elles s’étaient empêtrées.

Carney était sur tous les fronts, lançait à tous des bouées de sauvetage, rappelait tout le monde. Sauf une personne, Henri-Paul Rousseau.

L’homme représentait pourtant le plus grand détenteur de ces investissements au Canada, pour une somme de 14 milliards de dollars : la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Après plusieurs tentatives ratées de parler à la haute direction de la Banque du Canada, Rousseau doit se rendre à l’évidence : contrairement aux grandes banques canadiennes, qui se tireront indemnes de la débâcle grâce à l’aide de la Banque du Canada, la Caisse de dépôt, elle, devra totalement assumer la perte de ses actifs. Elle est larguée par Carney.

Le récit fouillé de cet épisode est narré par Jean-Jacques Pelletier dans son récent Le bas de laine mangé par les mythes (Septentrion). Il explique que, pour ainsi faire sortir la CDPQ du giron des institutions à sauver, Carney a introduit in extremis une distinction que personne n’avait auparavant notée. Ceux qui détenaient des PCAA émis par des banques seraient protégés : c’était le cas des grandes banques. Ceux qui détenaient des PCAA émis par d’autres institutions que des banques seraient ignorés : c’était le cas de la Caisse de dépôt.

Ayant ce précédent en tête, comprend-on mieux les bizarres décisions asymétriques envers le Québec prises par Carney, désormais premier ministre ?

Il a pris la décision de consacrer 3,7 milliards d’argent public pour distribuer des chèques de 220 à 440 $ à chaque Canadien, mais pas aux Québécois et aux Britanno-Colombiens. Le prétexte ? Les chanceux ont payé, dans le passé, la taxe carbone pour laquelle ils ont déjà été surremboursés. Si vous estimez que cet argument est indigne d’un banquier, vous n’êtes pas le seul. C’est aussi l’opinion de toute l’Assemblée nationale. D’autant que, pour payer ces chèques à nos voisins, Carney a utilisé l’argent des contribuables québécois. Grâce à lui, on vient de transférer 800 millions aux autres Canadiens. Souvent interrogé par les journalistes à ce sujet, Carney fait semblant de ne pas comprendre la question. (Il ne la comprend pas en anglais non plus.)

Yves-François Blanchet aime répéter que, aux premiers jours de la crise des tarifs, Carney a dégagé 2 milliards de dollars pour venir en aide au secteur de l’automobile canadien. Mais 2 milliards, c’est la somme que l’industrie québécoise du bois d’œuvre est forcée de payer, au total depuis quatre ans, en droits compensateurs imposés par les États-Unis, droits qui viennent de bondir. Pour compenser ces coûts, Carney semble avoir égaré son chéquier.

Dans la gestion des tarifs et des contre-tarifs, Carney a su faire de la dentelle avec l’industrie ontarienne de l’automobile : les pièces provenant des États-Unis et qui sont utilisés dans la fabrication de voitures canadiennes sont exemptées de contre-tarifs pour protéger la compétitivité de l’industrie locale.

Mais où est passée la dentellière pour l’industrie québécoise de l’aluminium? Les contre-tarifs de Carney sur l’aluminium importé des États-Unis ont deux effets boomerang néfastes. D’abord, le prix de l’aluminium nord-américain est uniformisé, donc tout tarif ou contre-tarif en augmente le prix pour la totalité des acheteurs — la surenchère nuit ainsi à notre industrie. Ensuite, les allers-retours de produits transformés de l’aluminium des deux côtés de la frontière font en sorte que les tarifs Carney s’ajoutent aux tarifs Trump dans le coût de plusieurs produits fabriqués ici. Le premier ministre ne semble pas sensible à cette problématique principalement québécoise.

Voilà pour les sujets que l’ex-banquier doit maîtriser sur le bout de ses doigts. Mais qu’en est-il des questions identitaires et migratoires, où il sort de sa zone de confort ?

Sur l’immigration, il vient de déclarer vouloir faire croître la population canadienne de 1 % par an, même si notre capacité de loger ces nouveaux venus n’augmentera pas, c’est certain, au même rythme. Cette progression forcerait le Québec à accueillir 80 000 nouveaux permanents par an, ce qui excède notre capacité d’accueil. Sur les temporaires, il est d’accord pour en réduire le nombre. Le plus simple serait de déléguer au Québec la gestion du programme fédéral de travailleurs temporaires, ce que propose Pierre Poilievre. C’est manifestement trop demander aux libéraux de Carney.

Sur la laïcité, il est comme tout bon libéral opposé à la loi québécoise, ce qui est son droit. Mais plutôt que de respecter la volonté québécoise et de laisser les règles du jeu en l’état, il promet de tenter de convaincre la Cour suprême d’enlever au Québec le seul levier qui lui permette d’assumer sa différence, la disposition de dérogation, mieux nommée clause de souveraineté parlementaire.

Au sujet de la langue française, de même, il se montre plus enthousiaste que les autres chefs de partis fédéraux à l’idée de dépouiller la loi québécoise de l’usage de la disposition de dérogation et de laisser les juges fédéraux, nommés par Ottawa, en arracher goulûment des morceaux, souvent les plus efficaces.



En janvier, Ottawa avait remarquablement choisi un opposant à la Loi sur la laïcité de l’État québécois, Robert Leckey, pour siéger à la Cour supérieure (comme il l’avait fait pour un juge québécois à la Cour suprême, avec Mahmud Jamal). L’Assemblée nationale a voté une résolution demandant que, dorénavant, ces nominations se fassent à partir de candidats proposés par Québec. Un premier ministre canadien respectueux de la nation québécoise aurait peut-être au moins fait semblant d’examiner posément la proposition ; Mark Carney l’a rejetée dans l’heure.

Voir aussi

Mathieu Bock-Coté : Qui est Mark Carney ?

Carney : il parlait d'être en récession en 2009, il dit l'avoir évitée en 2025... Quel Carney croire ?

Mark Carney accusé de plagiat pour sa thèse de doctorat de 1995 à Oxford

Canada — Mark Carney patine, bafouille et trébuche sur des questions simples liées au genre

Carney maintient le cap Trudeau en ce qui a trait aux traitements chimiques et chirurgicaux des enfants qui se disent trans

Le Premier ministre canadien Mark Carney a invité à son conseil un confondateur de l'Initiative du Siècle

Sondage (n=1500) — Près des 2/3 des Canadiens contre le triplement de la population du Canada d'ici 2100 (le plan de l'Initiative du Siècle)

Le chef libéral Mark Carney a été accusé de s'approprier les idées des autres au cours de la campagne électorale fédérale (en anglais, Globe and Mail)

Les Britanniques avertissent que le nouveau premier ministre canadien a une « touche Midas inversée ». La réputation de Mark Carney en tant que gouverneur de la Banque d'Angleterre est plus entachée qu'il ne le laisse entendre (en anglais, National Post)

Tenir compte des avertissements sévères de la Grande-Bretagne à l'égard de Mark Carney. La presse britannique tant de gauche que de droit s'est montrée beaucoup plus critique à l'égard de notre nouveau premier ministre que la nôtre.  (en anglais, National Post)

Pourquoi les libéraux fédéraux de Carney veulent autant dépenser («Le banquier Carney semble adhérer aux principes de la comptabilité créative. Il n’est pas différent en cela de cette caste d’oligarques et de technocrates mondialistes qui ont conduit l’Occident dans le mur en trente ans.»)

vendredi 25 avril 2025

Mathieu Bock-Coté : Qui est Mark Carney ?


Voir aussi 

Mark Carney accusé de plagiat pour sa thèse de doctorat de 1995 à Oxford

Canada — Mark Carney patine, bafouille et trébuche sur des questions simples liées au genre

Carney maintient le cap Trudeau en ce qui a trait aux traitements chimiques et chirurgicaux des enfants qui se disent trans

Le Premier ministre canadien Mark Carney a invité à son conseil un confondateur de l'Initiative du Siècle

Sondage (n=1500) — Près des 2/3 des Canadiens contre le triplement de la population du Canada d'ici 2100 (le plan de l'Initiative du Siècle)

Le chef libéral Mark Carney a été accusé de s'approprier les idées des autres au cours de la campagne électorale fédérale (en anglais, Globe and Mail)

Les Britanniques avertissent que le nouveau premier ministre canadien a une « touche Midas inversée ». La réputation de Mark Carney en tant que gouverneur de la Banque d'Angleterre est plus entachée qu'il ne le laisse entendre (en anglais, National Post)

Tenir compte des avertissements sévères de la Grande-Bretagne à l'égard de Mark Carney. La presse britannique tant de gauche que de droit s'est montrée beaucoup plus critique à l'égard de notre nouveau premier ministre que la nôtre.  (en anglais, National Post)

 

jeudi 24 avril 2025

Cette censure, il l’appelle démocratie. L’historien Pierre Rosanvallon en appelle à la censure d’un peuple en révolte.

Texte de Mathieu Bock-Côté paru dans le Figaro du 19 avril.

Pierre Rosanvallon est depuis près de cinquante ans une figure majeure de l’intelligentsia française, et c’est vers lui que Le Monde s’est tourné pour justifier l’exécution judiciaire de Marine Le Pen, et défendre les tribunaux qui ont mené la charge. Sa thèse tenait à peu près en une formule : la légitimité démocratique des magistrats est plus grande que celle des élus. Plusieurs ont pu s’étonner : l’éminent penseur considère donc vraiment que la démocratie a bien davantage à voir avec le droit et les juges qui l’interprètent qu’avec la souveraineté populaire, qu’il réduit à la forme d’un peuple arithmétique, addition de volontés individuelles arbitrairement rassemblées par un rituel usé, pouvant se dissoudre au rythme du mouvement des humeurs travaillées par les démagogues ? Rien de tout cela, toutefois, ne devrait nous surprendre, car Rosanvallon, présenté comme un grand théoricien de la démocratie, a consacré une partie importante de son oeuvre à la détacher de la figure du peuple, qu’il a depuis longtemps décrété introuvable - c’est d’ailleurs pour cela qu’il a été consacré grand théoricien.

Revenons-y : compagnon de route de la deuxième gauche, et longtemps occupé à refonder intellectuellement l’état-providence, Pierre Rosanvallon, dès le début des années 1990, se lance dans une grande enquête sur l’histoire de la démocratie, qu’on dit alors triomphante, et dont la définition ne lui semble pourtant plus aller de soi. Son travail, documenté, fouillé, recherché, sans le moindre doute, repose toutefois sur une idée étonnante : le peuple, en démocratie, serait introuvable, insaisissable. Il faudrait certes postuler son existence, au nom du droit reconnu à la société de s’autoproduire, de s’auto-instituer, à condition de reconnaître immédiatement qu’il n’existerait pas vraiment, sauf à travers, le système de représentation qu’on met en place pour l’apercevoir, ou même le construire. Il se matérialiserait ainsi à travers la société civile organisée, les différentes autorités administratives, ou encore les tribunaux, censés incarner la continuité institutionnelle dans le temps. On pourrait y voir une forme de corporatisme de gauche. À sa manière, Rosanvallon a repris la logique argumentative de la contre-révolution, pour l’investir d’un contenu progressiste.

On retrouvait là, évidemment, le présupposé épistémologique de toutes les gauches : la société n’est qu’une « construction sociale ». La société n’est pas construite à partir de réalités anthropologiques, mais à partir d’une projection philosophique, presque d’un plan d’ingénieur, même si elle se construit ensuite au fil de temps, par couches de sédimentation institutionnelle successives. Le peuple n’est pas antérieur à sa mise en forme institutionnelle. On y revient : Rosanvallon a tout fait pour relativiser le moment électoral de la démocratie, comme s’il s’agissait de sa forme primitive, sans jamais parvenir à le congédier totalement. Le peuple électoral, soumis à toutes les manipulations, doit être bridé ou, du moins, neutralisé. Chaque fois qu’on le consulte, il peut surprendre, démanteler l’œuvre du temps. Il peut sortir des consensus dans lesquels on l’invite à se reconnaître, et qui sont censés correspondre à ce qu’on a autrefois osé appeler le cercle de la raison. Il en est de même du référendum, qui peut toujours servir, hypothétiquement, mais dont on limitera l’usage et la portée. Il permet aux mauvaises humeurs de s’exprimer, aux démagogues et aux agitateurs de rejoindre l’opinion. Le peuple tiendrait bien davantage dans le foisonnement institutionnel censé l’incarner que dans l’expression d’une volonté majoritaire peu convaincante, même vulgaire.

Il y a un autre oublié chez Rosanvallon : la définition culturelle, ou même identitaire, du peuple. C’est pourtant ce peuple qui, dans l’histoire, peut surgir pour former de temps en temps un nouvel État indépendant. C’est aussi ce peuple, que je nomme le peuple historique, qui, en Europe, se lève aujourd’hui contre l’immigration massive, effrayé à l’idée de devenir minoritaire chez lui. Sans surprise, il trouve lui aussi sur son chemin des démographes et des sociologues pour lui expliquer qu’il n’existe pas. De ce point de vue, il y a une convergence profonde entre le travail de Pierre Rosanvallon, celui de Patrick Boucheron et d’Hervé Le Bras. Le premier a nié le peuple démocratique, le second le peuple historique, le troisième le peuple démographique. Cela nous rappelle que les sciences sociales entendent moins révéler le réel que d’en confisquer la représentation, en construisant un écran pour empêcher de l’apercevoir. Derrière leur jargon se cache une volonté démiurgique, celle de décréter le réel ou de l’abolir.

Et pourtant, le peuple existe, et il accueille généralement assez mal la savante démonstration de son inexistence, et la poursuite d’une politique ouvertement anti-majoritaire. Alors il se révolte. C’est ce qu’on appelle le populisme. Nous entrons dans une période insurrectionnelle, qu’il faut mater. Rosanvallon constate ainsi que «la démonisation du populisme n’a désormais plus aucun effet ». C’est faux, mais l’aveu est intéressant : il y a eu diabolisation du contradicteur, et d’une part importante de la population, ce qui n’est pas conforme à l’éthique de la conversation civique. Il faut alors plus que jamais verrouiller le débat public. Citons-le : « Il faut donc instaurer une vigilance du langage et poursuivre sans relâche les voleurs de mots et les trafiquants d’idées ». C’est ce qui se passe lorsqu’on trace un cordon sanitaire contre les mauvais partis et qu’on multiplie les délits d’opinion pour empêcher les mauvaises idées de circuler. C’est ici que Rosanvallon retrouve la fonction stratégique qui est la sienne dans le dispositif intellectuel français : point de convergence entre la gauche radicale et l’extrême centre, il en appelle à la censure d’un peuple en révolte. Cette censure, il l’appelle démocratie. 

Illustration du wokisme : les deux versions de Mulan par Disney

En comparant les scénarios du premier « Mulan » sorti en 1998 et celui de la nouvelle mouture sortie 2020, Samuel Fitoussi  montre comment l’influence du wokisme a rendu les rôles de femme dans la fiction insipides et antipathiques.


Voir aussi
 
 
 
 
 

mercredi 23 avril 2025

Pape François : Un pontificat de confusion ?


Pour Laurent Dandrieu de Valeurs Actuelles, élu pour remettre de l’ordre dans l’Église catholique, François la laisse plus divisée et troublée que jamais. Non sans avoir profondément renouvelé son visage.

La renonciation surprise de Benoît XVI, le 28 février 2013, avait laissé l’Église en plein désarroi : outre qu’elle la plaçait dans une situation inédite depuis 1415, elle était l’aboutissement d’une série de crises qui faisaient de la réorganisation de l’Église la mission prioritaire du nouveau pape. Cette nécessité fut l’une des clés de l’élection, non moins inattendue, de François. Douze ans plus tard, à la mort du pape argentin, le désarroi n’est pas moindre, et l’Église n’apparaît pas vraiment en meilleur état qu’au début d’un pontificat prodigue en polémiques, qui a été avant tout source de profondes divisions et de nombreuses confusions. Tentons ici l’esquisse d’un bilan.

Une personnalité complexe et difficile

Inconnu du grand public à son élection, Jorge Mario Bergoglio a suscité au début de son pontificat ce qu’il faut bien qualifier de “Franciscomania”. En affichant simplicité et humilité, parlant un langage direct de curé de campagne, n’hésitant pas à décrocher son téléphone pour répondre aux demandes de simples fidèles, François a su se rendre immédiatement populaire – popularité particulièrement marquée auprès des non-catholiques et des médias, pourtant généralement hostiles à l’Église. Télérama célébrait « un pape qui dépote», le Point « un pape sans la pompe». Le tableau s’est pourtant rapidement contrasté. Si les premiers essais publiés saluaient Un pape pour tous, le Pape des pauvres ou même François, la divine surprise, quelques années plus tard pouvaient paraître un essai à succès sur le Pape dictateur, quand un autre dénonçait au contraire une Françoisphobie. En cause, une politique clivante, mais aussi un caractère et une gouvernance beaucoup moins doux qu’on ne l’avait auguré. Le soir de son élection, un prélat de la Curie, en entendant son nom place Saint-Pierre, fit un malaise, tant il avait eu l’occasion de tester sa brutalité. Bipolaire, imprévisible, autoritaire, François était coutumier des colères homériques et même ses soutiens reconnaissaient qu’il faisait régner au Vatican un « climat de terreur ». Ses vœux annuels aux cardinaux étaient devenus une habituelle volée de bois vert. Ce sera l’une des clés de sa succession : l’envie profonde, au sein de la Curie, d’élire un successeur au caractère plus aimable et bienveillant.

Pauvreté et pouvoir

Ce pontificat aura été profondément marqué par une plus grande attention pour ce que François appellait les « périphéries de l’existence», pour la pauvreté matérielle, spirituelle ou existentielle. Dès son accession au trône de Pierre, François, qui a emprunté son nom de pape au « poverello», François d’Assise, ancien riche qui s’était dépouillé de tout, a rêvé à voix haute d’une « Église pauvre pour les pauvres ». François avait joint le geste à la parole en refusant d’occuper le spacieux appartement papal au profit d’une suite plus modeste à la résidence Sainte-Marthe, où évêques et laïcs de passage pouvaient le croiser à la machine à café, et en adaptant un mode de vie très simple, où prière et travail occupaient tout son temps. C’est une évidence : le pape François n’avait aucune attirance pour les biens de ce monde. Détachement qui n’excluait pas un véritable goût du pouvoir, qui se traduisit par une incapacité notable à déléguer et à faire confiance, et par l’habitude de gouverner seul.

Un exercice personnel du pouvoir

C’est l’un des nombreux paradoxes de François : il aura passé un temps considérable à réformer la curie, tout en se passant très largement d’elle pour gouverner. La réorganisation de l’Église, qui aura essentiellement constitué en une simplification de l’organigramme, aura été presque universellement jugée décevante – y compris par le pape, qui ne sera pas gêné pour critiquer l’inefficacité de la nouvelle organisation de la communication romaine, qu’il avait pourtant lui-même mise en place… Au quotidien, François n’aura cessé de passer par-dessus cette Curie censée l’assister, publiant ses textes sans consulter les experts, multipliant les annonces que les principaux concernés apprenaient par les médias. C’est seul, entouré d’un petit cercle de fidèles, qu’aura gouverné ce pape qui avait pourtant érigé en grand projet de son pontificat la synodalité, c’est-à-dire une gouvernance décentralisée de l’Église. Cette synodalité aura constitué l’un des principaux champs de bataille du règne, certains y voyant l’avenir d’une Église plus simple et plus proche des fidèles, l’autre la voie d’un inéluctable déclin, d’une confusion doctrinale et d’un affadissement du message d’une Église trop soucieuse de se concilier les bonnes grâces de l’opinion et de s’aligner sur l’air du temps. Le paradoxe est en tout cas patent : cette politique de décentralisation aura été lancée au cours du pontificat le plus autoritaire et le plus centralisé depuis le XIXe siècle, qui n’aura cessé de priver les évêques de nombre de leurs prérogatives, rapatriées à Rome, comme sur la question traditionaliste.

La guerre au traditionalisme

C’est l’un des points où la rupture avec Benoît XVI fut la plus nette. Par son motu proprio Summorum Pontificum de 2007, celui-ci avait mis fin à la stigmatisation des traditionalistes et remplacé la guerre liturgique par l’enrichissement mutuel des rites. Son credo, énoncé en 2008 à Lourdes : « Nul n’est de trop dans l’Église.» En annulant ce texte au profit du motu proprio Traditionis Custodes de 2021, François avouait au contraire son intention d’éradiquer cette mouvance, soupçonnée de constituer une Église dans l’Église. En caricaturant au passage le traditionalisme en nostalgie obscurantiste, ignorant la recherche de spiritualité et de sacralité dont elle témoigne, l’attirance pour sa liturgie de nombreux jeunes, comme les nombreuses conversions et vocations qu’elle suscite. Une défiance qui s’étendit jusqu’aux évêques suspects de bienveillance à l’égard de cette mouvance, comme le montra la démission exigée en 2024 par le pape de Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, pourtant le plus dynamique et le plus missionnaire des diocèses de France. Hostilité qui témoignait, de la part du pape, d’une forme d’idéologisation et de sacralisation de la pastorale post-Vatican II, en dépit de son bilan catastrophique, au risque de vouloir casser le peu de choses qui portent du fruit dans l’Église.

Une Église en voie de rétrécissement

Car les statistiques ne sont guère encourageantes. Si la proportion de catholiques dans la population mondiale reste stable (17,5% en 2022), le nombre de prêtres (- 3% en 10 ans) et surtout de séminaristes (- 11%) ne cesse de décroître : l’essor en Afrique et en Asie ne suffit plus à compenser le déclin des autres continents. Dans Pape François. La révolution (Gallimard), le vaticaniste du Figaro Jean-Marie Guénois souligne : « Les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI semblent avoir poussé et maintenu plus de monde dans les églises et dans les séminaires que le pontificat de François, plus clivant à beaucoup d’égards, peu amène pour les clercs, plus social et moins religieux.»

Une communication erratique

François avait la parole facile et imagée, et se faisait comprendre de tous, ce qui avait le mérite de rapprocher de l’Église des gens rebutés par son côté élitiste et intellectualisant. L’inconvénient était que son goût pour l’improvisation et les formules à l’emporte-pièce, les interviews données à des journalistes amis mais hostiles à l’Église, publiées sans jamais être relues, les conférences de presse dans les avions à l’issue de voyages harassants, ont multiplié les faux-pas, les déclarations démenties dès le lendemain, les polémiques inutiles et les raccourcis médiatiques, introduisant une atmosphère de confusion qui a lassé jusqu’à ses plus fidèles soutiens. Et d’autant plus dommageable qu’elle ne s’est pas limitée au domaine de la communication, mais a aussi affecté la clarté du discours sur la foi, suscitant des polémiques théologiques comme l’Église n’en avait plus connu depuis les années 1960.

Une Église profondément divisée

Jamais, dans l’histoire contemporaine, les divisions au sommet de l’Église n’auront ainsi été étalées au grand jour. À plusieurs reprises, des prélats de premier plan (les cardinaux Müller, Burke, Sarah ou Pell) ont, de manière plus ou moins feutrée (le cardinal Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a un jour taxé le pape François de « barbarie théologique»), attaqué des initiatives du pape ou des textes publiés par le Vatican avec son aval, sur des sujets aussi divers que la famille, la théologie morale, la synodalité ou l’immigration. En cause : une confusion noyant la sûreté doctrinale dans des formulations floues visant à flatter l’opinion, une remise en cause de l’héritage théologique et moral de Jean-Paul II et de Benoît XVI, une tentation d’aligner les positions de l’Église sur les évolutions sociétales contemporaines, une pastorale qui, pour se vouloir miséricordieuse, ferait fi de la doctrine et serait comprise par la plupart des fidèles comme une disparition de la notion même de péché – le journaliste athée Eugenio Scalfari, interlocuteur privilégié du pape qu’il a interviewé à plusieurs reprises, l’a ainsi félicité d’« avoir aboli le péché». Le comble a été atteint lors de la publication, en décembre 2023, de Fiducia supplicans, le texte de la Congrégation pour la doctrine de la foi autorisant la bénédiction des couples homosexuels, qui a suscité l’opposition publique de nombreuses conférences épiscopales et de l’Afrique entière. Du jamais-vu dans l’histoire de l’Église.

La défense de la vie
 
Sur un domaine pourtant, la défense de la vie de la conception à la mort naturelle, François a défendu les positions de l’Église avec fermeté, n’hésitant pas à employer des mots qui choquent pour réveiller les consciences : rappelant à des nombreuses reprises que l’avortement « est un homicide», allant jusqu’à comparer les médecins qui le pratiquent à des « tueurs à gages» ou évoquant à propos de l’euthanasie une « culture du rebut ». Ses détracteurs notent pourtant qu’en dépit de ces fermes déclarations, François ne s’est jamais précipité pour soutenir les défenseurs de la vie et que, que ce soit au sein de l’épiscopat américain ou par son lâchage de l’ancien archevêque de Paris Mgr Aupetit sur la foi de simples rumeurs, il a constamment mis des bâtons dans les roues des évêques les plus en pointe sur ces sujets.

Les abus sexuels

Même ambiguïté sur ce sujet ô combien brûlant, où le pape n’a cessé d’alterner dénonciations virulentes et attitudes plus ambiguës, allant jusqu’au soutien obstiné à des personnalités mises en cause, ou même convaincues de tels abus. Le voyage de François au Chili, en 2018, tourna ainsi au fiasco, à cause d’une phrase du pape balayant les accusations contre un prélat, soupçonné d’avoir protégé un prédateur, comme autant de « calomnies» (l’évêque en question, Mgr Barros, devra plus tard démissionner). Cette même année, un scandale avait éclaté lorsqu’il était apparu que l’un des conseillers de François, le cardinal américain McCarrick, était l’auteur d’agressions sexuelles pour lesquelles il avait été sanctionné par Benoît XVI. Dans la foulée, un site américain avait écrit, citant une source vaticane, que la réticence du pape à sanctionner divers prédateurs avait été la cause de sa rupture avec le cardinal Müller. Fin 2022, on révélait qu’un jésuite et célèbre mosaïste, le père Rupnik, ami du pape François, était accusé d’agressions sexuelles sur des religieuses : motif pour lequel il avait été excommunié en mai 2020 – excommunication levée le même mois. Or la seule autorité légitime pour lever ainsi une excommunication est celle du pape… Ledit père Rupnik vivrait aujourd’hui dans un couvent qu’il partage avec d’autres jésuites… mais aussi des religieuses !

La promotion des femmes

Les féministes lui reprochent certes de ne pas en avoir fait assez, en refusant de changer la politique constante de l’Église réservant la prêtrise aux hommes, ou en n’ouvrant pas le dossier du diaconat féminin : reste qu’on peut porter au crédit de François d’avoir ouvert comme jamais les postes de responsabilité aux femmes, nommées à la tête des dicastères (ministères) vaticans ou à des responsabilités importantes à la curie, tandis que les religieuses se voyaient ouvrir les portes du synode.

Écologie et pandémie

L’encyclique du pape sur l’écologie, Laudato si’, restera comme son texte le plus marquant, source d’inspiration pour nombre de jeunes chrétiens. Si cette insistance de François sur l’écologie a beaucoup contribué à sa popularité, beaucoup y ont vu aussi l’un des signes de la transformation progressive de l’Église en une simple ONG focalisée sur des thèmes très horizontaux, par des discours guère différents de ce que l’on peut entendre dans les différentes instances de gouvernance mondiale. L’attitude du pape face la pandémie de Covid-19 aura suscité, à ce titre, de profondes réticences dans le monde catholique : là où l’on attendait une lecture spirituelle permettant de redonner une espérance et profitant de cette crise pour bousculer le rapport des sociétés modernes à la mort, l’Église de François s’est contentée de relayer des consignes hygiénistes, se comportant en simple supplétive de l’OMS et avalisant le fait que la messe soit considérée comme une activité “non-essentielle”… Un paradoxe de plus pour un pape qui n’aura cessé de défendre la piété populaire, tout en condamnant la messe en latin, l’encens et les beaux ornements liturgiques, et en laissant l’un de ses proches déclarer que l’attachement à la messe relevait d’une forme « d’analphabétisme spirituel»…

La pomme de discorde de l’immigration

« Notre théologie est une théologie est une théologie de migrants», déclarait le pape François dès les premières pages de son livre Politique et Société. Le sujet, là encore très horizontal, aura accaparé la parole et l’énergie du pape comme aucun autre. Défendant l’accueil des migrants sans souci du bien commun, ni des conséquences culturelles, économiques et sociales, sécuritaires ou même religieuses de l’immigration de masse, ni même de l’intérêt réel à long terme des migrants ou de leurs pays d’origine, François aura fait du droit à migrer une sorte d’impératif catégorique sous forme de martèlement obsessionnel, et du migrant une sorte de figure rédemptrice – allant jusqu’à faire remplacer l’image du Christ, sur un crucifix du Vatican, par un gilet de sauvetage… Mêlant sans arrêt charité et politique, il n’aura cessé de condamner les politiques visant à maîtriser les flux migratoires et de culpabiliser les opinions occidentales en les taxant d’égoïsme et de racisme. En diabolisant l’attachement légitime des peuples à leur continuité historique, il aura commis une faute pastorale majeure, en détournant de l’Église des pans entiers de l’opinion européenne.

Une diplomatie contestée

Comme Emmanuel Macron, François a souvent voulu faire de la diplomatie par-dessus la tête de ses diplomates – avec des résultats guère plus heureux. Les relations avec la France auront d’ailleurs été tendues, à cause de la volonté insistante du pape qu’aucun de ses trois passages sur le territoire national n’apparaisse comme une visite officielle en France. La grande affaire diplomatique du pontificat de François aura été la normalisation des relations avec la Chine communiste, à travers un accord secret conclu en 2018, négocié par le cardinal Parolin, qui reconnaît à Pékin un droit de regard sur les nominations d’évêques. L’accord a été vivement critiqué par l’ancien archevêque de Hong Kong, Mgr Zen, comme une trahison de l’Église catholique clandestine. Il n’a en tout cas pas mis fin aux persécutions antichrétiennes du régime. Sur la question ukrainienne, les initiatives intempestives du pape auront réussi à mécontenter les deux parties. Sur le plan du dialogue interreligieux, la déclaration cosignée par François et l’imam d’Al-Azhar en février 2019 à Abu Dhabi, reconnaissant « la pluralité des religions» comme « une sage volonté divine »), a horrifié nombre de théologiens, dont le franciscain Thomas Wainandy, membre de la Commission théologique internationale, qui a dénoncé « une subversion doctrinale» qui « sape les fondements mêmes de l’Évangile ». En 2017, le même théologien avait écrit au pape une lettre où il lui reprochait d’entretenir « une confusion chronique » et de « dévaloriser la doctrine de l’Eglise ».

Et demain ?

Le pape a profondément renouvelé le collège des cardinaux : 80 % des électeurs du futur pape auront été nommés par lui. Est-ce à dire que le successeur de François sera son clone ? Pas forcément, car ses nominations furent souvent des “coups de cœur”, impulsifs, qui pouvaient profiter aussi à plus conservateurs que lui. Si des noms de papabili circulent bien évidemment (parmi lesquels le Philippin Tagle, le Hongrois Erdő, le Suédois Arborelius ou le Français Aveline), il faut se rappeler que rien n’est plus incertain qu’un conclave, rencontre sous haute tension d’hommes venus du monde entier et qui ne se connaissent guère, voire pas du tout. Où manœuvres de factions, enjeux psychologiques et questions de fond s’entrechoquent pour un résultat imprévisible. Une seule chose est certaine : s’il veut enrayer le déclin de l’Église, le nouveau pape devra lui donner un nouvel élan missionnaire. Outre l’indispensable réconciliation entre chrétiens, celui-ci ne semble pouvoir passer que par un discours plus clair, plus cohérent, plus lisible, et surtout plus spirituel, réaffirmant avec une netteté sans ambiguïté la spécificité du message catholique et la véritable révolution qu’il a pour mission d’apporter aux hommes : l’amour du Christ, qui leur ouvre la porte de la vie éternelle.

Voir aussi

Mort du pape : comment François a-t-il réconcilié les non-croyants avec l’Église ? (ses positions sur l’environnement ou encore l’accueil des exclus, le pape François a contribué, en douze années de pontificat, à casser certains préjugés sur l’Église catholique selon La Croix).