La création d'un grand oral au baccalauréat encouragera le politiquement correct au détriment des savoirs fondamentaux, argumente l'essayiste Roland Hureaux dans le Figaro. Roland Huteaux est un ancien élève de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration, l’auteur a été le collaborateur de Philippe Séguin. Il a publié, notamment, « Les nouveaux féodaux, l’erreur de la décentralisation » (Gallimard, 2004) et « La grande démolition, la France cassée par les réformes » (Buchet-Chastel, 2012).
Se souvient-on encore du passage de Claude Allègre au ministère de l’Éducation nationale ? Il y recueillit la sympathie de la droite par quelques formules-chocs comme la promesse de « dégraisser le mammouth ». Non seulement il n’en fit rien, mais ce ministre profita de cette popularité factice pour poursuivre les réformes les plus nocives.
M. Blanquer, pour sa part, multiplie les petits signaux en direction de la droite éducative : retour du latin (sans rétablissement du Capes de lettres classiques, néanmoins), classes bilingues, redoublements autorisés, apprentissage analytique de la lecture, chorales voire uniforme à l’école. On comprend la satisfaction que suscitent ces annonces, mais il faudrait attendre de voir quelle mise en oeuvre suivra avant de donner un satisfecit au ministre sur ces sujets. Reste sa réforme du bac, elle aussi bien reçue. Qu’en penser ?
Une partie du projet, au moins, est très inquiétante : l’instauration d’un grand oral d’une demi-heure où les candidats s’exprimeraient librement sur un sujet choisi par eux deux ans plus tôt.
Le premier risque porte sur l’organisation des lycées : même s’il doit s’appuyer encore, nous dit-on, sur une « dominante », un tel oral serait la consécration des travaux que les élèves doivent réaliser dans le cadre des « enseignements pratiques interdisciplinaires », qui ont vu leur importance renforcée par Najat Vallaud-Belkacem. Or leur effet est d’affaiblir une des qualités qui restent au corps enseignant français, celle d’être des spécialistes, pour les transformer en animateurs interdisciplinaires. Cette orientation tend à faire de nos établissements, non plus des lieux d’apprentissage, mais de simples « lieux de vie ». Seules les ZEP [zones d'éducation prioritaires, grosso modo les banlieues immigrées dotées de plus de moyens], à la recherche, elles, de méthodes efficaces, sont exonérées de cette évolution.
L’autre risque est plus politique : celui d’instaurer, plus clairement encore qu’aujourd’hui, la dictature du politiquement correct au coeur de l’enseignement secondaire.
Le grand oral devant un jury, cela existe certes à l’ENA et dans beaucoup de grandes écoles – pas les plus sérieuses comme Normale ou Polytechnique, du reste. Mais à vingt ans ou plus, les candidats ont suffisamment de maturité pour jouer le jeu qu’on attend d’eux quitte à faire la bête. À l’adolescence, ce sera plus difficile et il n’est de toute façon pas souhaitable d’inciter les jeunes à jouer la comédie. Ajoutons que l’exercice concernera, en terminale, toute une classe d’âge et non les seuls candidats à des concours.
Outre le politiquement correct et les modes qui risquent fort de peser sur les sujets choisis, ce grand oral sera la dernière épreuve, particulièrement solennisée. Elle privilégiera la confiance en soi, le culot, l’air « branché ». Elle ouvrira aussi la porte insidieusement, au motif de compenser certains handicaps, à la discrimination positive des minorités de toute sorte, qui reste avant tout une discrimination. Avec ou sans instructions, les jurys y seront conduits assez naturellement pour suivre l’air du temps.
Pour le reste, on ne peut que se louer du souci de décloisonner les séries, mais sera-ce dans le sens de la simplicité ? Au lieu de trois séries, L, S et ES, la réforme, fondée sur un choix d’options aboutirait à 30 combinaisons de filières ! N’avait-on pas le moyen de revaloriser les séries L sans inventer une telle usine à gaz, en parlant par exemple de « lettres et communication », ce à quoi le ministère s’est toujours refusé ? Quelle place dans ces combinaisons pour l’histoire et la géographie, matière de culture au moins autant aujourd’hui que la littérature et la philosophie (dont l’épreuve écrite demeure, il est vrai, sans doute pour rassurer) ou pour la seconde langue ? Les matières seront, selon les élèves, tantôt des majeures, tantôt des mineures : nous souhaitons bien du plaisir aux proviseurs qui devront organiser les emplois du temps.
On sait au demeurant combien l’instauration du contrôle continu en mai 68 au sein de l’Université y avait généralisé le bachotage au détriment de la culture générale et de la liberté de l’esprit.
Comment concilier des résultats du bac connus assez tôt pour gérer l’orientation des élèves et assez tard pour ne pas démobiliser les élèves en fin d’année ? Problème technique en apparence, mais qui se pose dans une hypothèse de sélection généralisée et précoce.
Le principal risque demeure que cette réforme soit une nouvelle étape dans le formatage de la jeunesse, et par là de la population, à une pensée unique. Après la chasse aux [bobards] le formatage des esprits par le nouveau bac ?
Voir aussi
France — La Fondation pour l'école salue certains amendements sénatoriaux de la Loi sur les écoles hors contrat
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Le cours ECR, école de l'unanimisme politiquement correct
Se souvient-on encore du passage de Claude Allègre au ministère de l’Éducation nationale ? Il y recueillit la sympathie de la droite par quelques formules-chocs comme la promesse de « dégraisser le mammouth ». Non seulement il n’en fit rien, mais ce ministre profita de cette popularité factice pour poursuivre les réformes les plus nocives.
M. Blanquer, pour sa part, multiplie les petits signaux en direction de la droite éducative : retour du latin (sans rétablissement du Capes de lettres classiques, néanmoins), classes bilingues, redoublements autorisés, apprentissage analytique de la lecture, chorales voire uniforme à l’école. On comprend la satisfaction que suscitent ces annonces, mais il faudrait attendre de voir quelle mise en oeuvre suivra avant de donner un satisfecit au ministre sur ces sujets. Reste sa réforme du bac, elle aussi bien reçue. Qu’en penser ?
Une partie du projet, au moins, est très inquiétante : l’instauration d’un grand oral d’une demi-heure où les candidats s’exprimeraient librement sur un sujet choisi par eux deux ans plus tôt.
Le premier risque porte sur l’organisation des lycées : même s’il doit s’appuyer encore, nous dit-on, sur une « dominante », un tel oral serait la consécration des travaux que les élèves doivent réaliser dans le cadre des « enseignements pratiques interdisciplinaires », qui ont vu leur importance renforcée par Najat Vallaud-Belkacem. Or leur effet est d’affaiblir une des qualités qui restent au corps enseignant français, celle d’être des spécialistes, pour les transformer en animateurs interdisciplinaires. Cette orientation tend à faire de nos établissements, non plus des lieux d’apprentissage, mais de simples « lieux de vie ». Seules les ZEP [zones d'éducation prioritaires, grosso modo les banlieues immigrées dotées de plus de moyens], à la recherche, elles, de méthodes efficaces, sont exonérées de cette évolution.
L’autre risque est plus politique : celui d’instaurer, plus clairement encore qu’aujourd’hui, la dictature du politiquement correct au coeur de l’enseignement secondaire.
Le grand oral devant un jury, cela existe certes à l’ENA et dans beaucoup de grandes écoles – pas les plus sérieuses comme Normale ou Polytechnique, du reste. Mais à vingt ans ou plus, les candidats ont suffisamment de maturité pour jouer le jeu qu’on attend d’eux quitte à faire la bête. À l’adolescence, ce sera plus difficile et il n’est de toute façon pas souhaitable d’inciter les jeunes à jouer la comédie. Ajoutons que l’exercice concernera, en terminale, toute une classe d’âge et non les seuls candidats à des concours.
Outre le politiquement correct et les modes qui risquent fort de peser sur les sujets choisis, ce grand oral sera la dernière épreuve, particulièrement solennisée. Elle privilégiera la confiance en soi, le culot, l’air « branché ». Elle ouvrira aussi la porte insidieusement, au motif de compenser certains handicaps, à la discrimination positive des minorités de toute sorte, qui reste avant tout une discrimination. Avec ou sans instructions, les jurys y seront conduits assez naturellement pour suivre l’air du temps.
Pour le reste, on ne peut que se louer du souci de décloisonner les séries, mais sera-ce dans le sens de la simplicité ? Au lieu de trois séries, L, S et ES, la réforme, fondée sur un choix d’options aboutirait à 30 combinaisons de filières ! N’avait-on pas le moyen de revaloriser les séries L sans inventer une telle usine à gaz, en parlant par exemple de « lettres et communication », ce à quoi le ministère s’est toujours refusé ? Quelle place dans ces combinaisons pour l’histoire et la géographie, matière de culture au moins autant aujourd’hui que la littérature et la philosophie (dont l’épreuve écrite demeure, il est vrai, sans doute pour rassurer) ou pour la seconde langue ? Les matières seront, selon les élèves, tantôt des majeures, tantôt des mineures : nous souhaitons bien du plaisir aux proviseurs qui devront organiser les emplois du temps.
On sait au demeurant combien l’instauration du contrôle continu en mai 68 au sein de l’Université y avait généralisé le bachotage au détriment de la culture générale et de la liberté de l’esprit.
Comment concilier des résultats du bac connus assez tôt pour gérer l’orientation des élèves et assez tard pour ne pas démobiliser les élèves en fin d’année ? Problème technique en apparence, mais qui se pose dans une hypothèse de sélection généralisée et précoce.
Le principal risque demeure que cette réforme soit une nouvelle étape dans le formatage de la jeunesse, et par là de la population, à une pensée unique. Après la chasse aux [bobards] le formatage des esprits par le nouveau bac ?
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