lundi 26 février 2024

Écoles du Québec — « Si je me ferme les yeux, je pourrais croire que je suis à Toronto »

Effet de l'immigration incontrôlée, dans certaines régions, des élèves reçoivent à peine une heure de francisation par semaine. Les services offerts dans les écoles de plusieurs régions du Québec sont tellement insuffisants que de nombreux élèves allophones peinent à apprendre le français, déplorent des enseignantes.

Le nombre d’élèves qui ont besoin de services de francisation a bondi dans des écoles de Québec, si bien que des jeunes qui ne parlent pas un mot de français sont «parachutés» dans des classes régulières, déplorent plusieurs intervenants.

«Dans ma classe, j’ai un seul élève québécois de souche», témoigne une enseignante du primaire qui a préféré garder l’anonymat pour éviter les représailles de son employeur.

«Si je me ferme les yeux, je pourrais croire que je suis à Toronto», illustre-t-elle.
«Dans mon école, le français a déjà disparu.»

Son école ne se situe pourtant pas à Montréal, ni à Laval, ni à Brossard, où on a depuis longtemps l'« expertise»  pour accueillir de jeunes allophones (sans que cela soit très concluant, voir
Mépris de l'identité québecoise dans les écoles du Québec : français méprisé, élèves humiliés, propos dégradants sur les femmes, violences, fête de Noël perturbée)

Elle enseigne à Vaudreuil. Un coin de pays où, il n’y a pas si longtemps, l’immigration se faisait au compte-gouttes.

Mais depuis quelques années, la population allophone a explosé. Le nombre d’élèves issus de l’immigration au Centre de services scolaire (CSS) des Trois-Lacs a pratiquement doublé en 9 ans.

Pendant ce temps, les services linguistiques ne suivent pas au même rythme. Beaucoup de jeunes sont laissés à eux-mêmes en classe ordinaire alors qu’ils ne maîtrisent pas le français, dénoncent des enseignants.

30 minutes par semaine

«Trente minutes de francisation une ou deux fois par semaine». Voilà le total de l’aide offerte aux élèves allophones d’une classe de 1re année, peut-on lire parmi les réponses à un sondage réalisé en février par le Syndicat de l’enseignement de la région de Vaudreuil (SERV-CSQ).

Cet enjeu ne concerne pas seulement la Montérégie. Des enseignants de la Côte-Nord, des Laurentides, de l’Outaouais et de la Capitale-Nationale disent aussi vivre le même problème, selon la Fédération des syndicats de l’enseignement et la Fédération autonome de l’enseignement.

Quatre ministres du gouvernement Legault ont tiré la sonnette d’alarme pour quémander à Ottawa plus de fonds et de contrôle pour faire face à l’afflux de demandeurs d’asile.

Élèves ignorés

L’éducation serait un des domaines risquant des ruptures dans les services, un enjeu qui va bien au-delà de celui de l’accueil des migrants.

«Ça prendrait le quadruple des budgets qu’on a actuellement», estime Véronique Lefebvre, présidente du SERV-CSQ.

Les élèves qui auraient besoin d’un soutien linguistique intensif ne reçoivent que du soutien ponctuel, tandis que ceux qui auraient besoin d’un soutien ponctuel n’en reçoivent pas du tout, déplore Mme Lefebvre.

Bon nombre de ces élèves auraient eu besoin de passer par une classe d’accueil, c’est-à-dire de se familiariser avec la langue et les bases culturelles auprès d’un enseignant spécialisé en francisation, estime-t-elle.

Anglais, langue commune

«On peut se retrouver avec des élèves complètement démotivés» parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, observe Martine Dumas, présidente du Syndicat des Seigneuries.

A priori, on pourrait penser que ces élèves se retrouvent en «immersion» française. Mais où est l’immersion quand la majorité du groupe n’est pas francophone? s’inquiètent les enseignantes interrogées.

«Un des problèmes, c’est que l’anglais devient la langue commune [à l’école]», observe Marie-Claude Nolin, orthopédagogue à Vaudreuil.

Cela lui fait plaisir, en tant que pédagogue d’expérience, de prendre des élèves de 3e année en sous-groupe pour leur apprendre la distinction entre le son «on» et le son «en», par exemple.

Mais ce travail aurait pu être fait beaucoup plus tôt par des professeurs de francisation, s'ils étaient davantage disponibles. «Il y a toujours un enjeu de qui fait quoi», résume-t-elle. Car pendant ce temps, d’autres élèves qui ont des troubles d’apprentissage n’ont pas accès à ses services d'orthopédagogie.

De plus en plus de dépenses pour l'accueil de l'immigration

D'ailleurs, le nombre de classes d’accueil a doublé par rapport à l’année précédente, malgré la difficulté à recruter du personnel, souligne Marie-Claude Barrette, du Service des communications du CSS des Trois-Lacs.

EXTRAITS D’UN SONDAGE ÉLOQUENT

Progression «lente» ou «maigre», services «insuffisants» ou réduits en plein milieu de l’année. Des enseignants ont témoigné dans les commentaires d’un sondage interne de leur impuissance à aider leurs élèves allophones.

    «Service [de francisation] qui s’arrête en décembre car le budget est épuisé.» (niveau : maternelle)

    «Ils sont intégrés n’importe comment, sans soutien, sans que je sois formée. Cela n’aide en rien ces enfants [...] Je ne suis absolument pas qualifiée pour enseigner le français langue seconde.» (niveau : 4e année)

    «Je sais que je peux avoir recours à une application de traduction. Toutefois, on n’en a pas trouvé traduisant en Punjabi.» (niveau : 1re année)

    «Avec 1h seulement [de francisation] par semaine, je ne trouve pas que mon élève s’améliore suffisamment.» (niveau : 3e année)

    «Je suis découragée! [...] Aucun service [pour les élèves qui auraient besoin de soutien linguistique ponctuel] car on a trop d’élèves à cote 22 [qui ont besoin de soutien intensif].» (niveau : 1re année)

    «Je trouve cela très difficile d’enseigner mon programme avec 13 élèves sur 20 qui sont en apprentissage de la langue.» (niveau : 1re année)

    «Plusieurs élèves n’arrivent pas à suivre les consignes de groupe, ils ne peuvent pas réaliser les tâches [...] Ils sont simplement assis dans la classe et entendent du français autour d’eux [...] Les termes mathématiques ne sont toujours pas accessibles alors ils ne cheminent pas à leur plein potentiel.» (niveau : 1re année)

    «Mon élève ne veut pas parler en classe.» (niveau : 6e année)

    «La progression est très lente. Je doute de l’efficacité des services tels qu’ils sont.» (niveau : 1re année)

    «Certains parents ont choisi d’engager un tuteur ou une tutrice au privé pour pallier les difficultés de leur enfant.» (niveau : 6e année)

    «On attend pour obtenir la formation que l’on a demandée depuis plusieurs mois. C’est le silence radio à mon école.» (niveau : 1re année)

Source: Sondage interne réalisé par le Syndicat de l’enseignement de la région de Vaudreuil (SERV-CSQ) auprès de plus de 80 professeurs du primaire.e. L'anglais comme lingua franca dans ces écoles dites francophones.

Source: Journal de Montréal

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