Le 26 octobre, à Saint-Denis en banlieue parisienne, un chauffard tue deux piétonnes. « Il téléphonait au volant », titre le Parisien, avant d’ajouter qu’il était également « sous l’emprise du cannabis ». Cette dernière information n’est pourtant pas anodine : le cannabis est mis en cause dans 12 % des accidents mortels de la route. En 2011, cela représente 455 accidents mortels sur les routes de France, responsables du décès de 499 personnes, selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr). Et ces dégâts sont probablement sous-évalués, puisque « la présence de drogue dans les accidents n’est renseignée que dans deux cas sur dix ».
Les chiffres de la consommation de cannabis montrent pourtant que son usage est largement répandu. Selon la Mission interministérielle de lutte contre la dépendance et la toxicomanie (Mildt), 5 millions de Français auraient consommé du cannabis en 2011 ; 1,2 million en consomment de façon régulière et 550 000 quotidiennement. Plus inquiétant, la jeunesse française est la plus grosse consommatrice de cannabis en Europe. Selon la cinquième enquête Espad (“Projet européen d’enquête en milieu scolaire sur l’alcool et les autres drogues”), menée dans 39 pays européens en 2011, 24 % des adolescents français déclarent avoir fumé au moins une fois dans les trente derniers jours, contre 7 % en moyenne en Europe. Et la tendance est en forte augmentation : plus 60 % entre 2007 et 2011.
Serge Lebigot est président depuis quinze ans de l’association qu’il a créée, Parents contre la drogue. Pour lui, cette augmentation est liée à la loi du silence : les adultes refusent d’affronter la toxicomanie de leurs enfants. « Je pensais que les copains de mon fils fumaient, mais pas mon fils ! », lui confient-ils souvent. Ils ferment les yeux : « La résine de cannabis,je croyais que c’était du chocolat ! », disent-ils. Or, pour Lebigot, ce sont avant tout les parents qui ont les clés pour résoudre le problème de la dépendance. C’est ce qu’il montre dans son dernier livre, le Dossier noir du cannabis, où jeunes et parents témoignent de leur combat contre cette drogue. Greg a passé la trentaine. Il raconte comment il est devenu, à l’adolescence, une « loque » à cause du cannabis. « À 17 ans, j’étais en situation d’échec scolaire. J’ai fini par trouver un lycée dans une zone chaude. Tout le monde fumait ! J’en ai pris pour essayer de m’intégrer. Et là, je tombe littéralement par terre. Après, c’était parti ! »
Que fait alors l’infirmière scolaire ? « Elle était habituée. Elle n’en a parlé à personne. » Ses professeurs ? « Ils savaient ce qui se passait. Nous fumions tous, nous étions tous pâles, maigres, avec les yeux rouges. Mais ils faisaient semblant de rien. » Ses parents ? « Ma mère ne supportait pas de me voir comme ça. Mais elle ne m’en parlait pas. Le sujet était tabou, elle avait peur d’admettre que oui, son fils se droguait. »
Les premières années se passent dans « l’euphorie totale ». Puis le paradis artificiel devient « prison » : « J’ai failli tuer deux personnes sur la route. Je suis alors tombé en dépression : une noirceur d’âme terrible ! » Il a mis des années à en sortir, « il a fallu le soutien de mon épouse, son accompagnement quotidien, sans relâche ». Ses anciens amis fument tous, encore aujourd’hui.
« Pour certains, cela n’a pas de conséquences graves. Mais pour d’autres ! Mon meilleur ami est passé à la cocaïne et l’héroïne. Il a perdu ses dents. Sa vie est un chaos. » Greg se dit aujourd’hui encore habité par la colère : « J’ai raté ma jeunesse et je nourris des regrets. »
Son cas n’est pas isolé. Le cannabis est responsable de le décrochage scolaire de milliers d’enfants. Il entraîne des troubles du comportement et de l’attention : difficulté à se concentrer, dépression, schizophrénie. Il provoque aussi des ravages dans la vie familiale. Dans l’un des témoignages recueillis par Serge Lebigot, une mère, Debra, est contrainte de mettre son fils à la porte pour protéger ses deux autres enfants de son influence et de sa violence. « Il n’est pas rare que nous accueillions des parents qui sont frappés par leurs enfants prêts à tout pour s’acheter leur drogue ! »
Pourtant, les jeunes restent convaincus que « c’est pas grave ! On s’arrête quand on veut ! ». Un discours qu’encouragent encore les propos de le ministre de l'Éducation socialiste français Vincent Peillon qui plaidait, l’an dernier, pour la dépénalisation du cannabis ou de Marisol Touraine ministre socialiste des Affaires sociales et de la Santé sur l’ouverture imminente d’une piquerie à Paris. « Les jeunes nous disent : “De toute façon, ce sera bientôt autorisé !” »
Pour Greg, ce discours sur la dépénalisation est « démagogique », une « façon de se voiler la face » et d’abandonner plus encore les adolescents. « Jeune fumeur, j’étais pour, bien sûr ! Ça allait me simplifier la vie. Mais aujourd’hui, je considère que cela causerait un désastre sanitaire, avec, notamment, l’explosion de l’usage des drogues dures. » Une crainte que justifie l’exemple de l’Espagne, où la politique de tolérance à l’égard du cannabis, depuis 1992, est responsable, d’après Serge Lebigot, du taux record de la consommation de cocaïne chez les jeunes (près de 10 % de jeunes garçons de 14 à 18 ans, en 2007).
La France finance des associations qui interviennent dans les écoles pour sensibiliser les enfants aux risques encourus, telles qu’Asud ou Gaia. Mais ce sont les mêmes qui militent pour l’ouverture des piqueries et prônent la dépénalisation du cannabis ! Pour Serge Lebigot, il s’agit ni plus ni moins d’« un lobby pro-drogue », toujours prisonnier du « credo libertaire soixante-huitard ». L'Asud soutient que « l’usage de la drogue comme droit légitime et imprescriptible est protégé par la Déclaration des droits de l’homme de 1789. » L’argent public est très généreusement investi dans leurs combats.
Selon une enquête diligentée par Contribuables associés intitulée “Salles de shoot [piqueries en hexagonal] : des associations dopées à l’argent public”, « l’État verse chaque année des dizaines de millions d’euros à des associations militant ouvertement pour les salles de shoot ou la dépénalisation de la drogue ». Ce n’est pas le cas de l’association Parents contre la drogue. Elle ne reçoit aucune subvention, ni du gouvernement ni des entreprises. Et l’Éducation nationale lui ferme ses portes. Quelle est la raison de cet ostracisme ? Parents contre la drogue est pour une interdiction ferme de l’usage de la drogue, ce qui lui vaut des accusations récurrentes de « réac de droite », « intégriste », « croisé de la prohibition », s’amuse Serge Lebigot.
Les solutions qu’il propose sont inspirées de l’étranger. La Suède a fait l’expérience, dans les années 1970, de la légalisation de toutes les drogues. Elle opte depuis pour une politique dont l’objectif est de créer une “société sans drogue”. Des programmes de prévention sont appliqués dès l’école élémentaire. Des tests de dépistage aléatoires sont faits à l’école et dans les entreprises.
Les individus contrôlés positifs sont soumis à une obligation de soins. « Pour nous, c’est hors de question. Cela concerne les libertés individuelles », estime Danièle Jourdain Menninger, présidente de la Mildt. Et pourtant, selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), quatre pays pratiquent déjà des dépistages en milieu scolaire occasionnels (Belgique, Royaume-Uni, Irlande et Hongrie) ou réguliers (Suède, Norvège, Finlande, République tchèque). Et les résultats sont là : la Suède a le plus bas niveau de consommation de drogue de l’Union européenne.
Le Dossier noir du cannabis,
de Serge Lebigot,
aux Éditions Salvator,
à Paris
192 pages, 16 €.
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