jeudi 22 août 2013

Belgique — Pourquoi l'école fait de vos enfants des cancres

Dans un libelle qui paraît ce 23 août, l’écrivain et enseignant Frank Andriat s’attaque aux pédagogues, idéologues et ministres qui ont mené, selon lui, l’école à sa ruine.

« Mon métier n’est plus ce qu’il était ; en des sphères où l’on rêve l’école, lentement, patiemment et, semble-t-il, passionnément, on la détruit », écrit l’enseignant en colère Frank Andriat dans Les profs au feu et l’école au milieu. Fort de sa longue expérience dans un athénée [à l'origine une école secondaire pour garçons] bruxellois, il y dénonce, en 144 pages et en dix commandements, un désastre scolaire dont l’ampleur semble être ignorée par les débats syndicaux, politiques et médiatiques.

Premiers accusés : les pédagogues, « les mérules de l’enseignement », qui empêchent les profs d’exercer leur métier et les élèves d’apprendre quoi que ce soit de solide. « Oui, le niveau baisse, même si les pédagogues affirmeront qu’on ne peut pas comparer ce qui n’est pas comparable. Les élèves touchent à tout en ne sachant plus rien. Ce qu’on nous demande de leur enseigner est de plus en plus large. Ils ne cessent d'apprendre à apprendre, mais ils n’apprennent plus grand-chose », estime l’auteur.

Il fustige donc aussi les politiques, « souvent incompétents en la matière ». « Les ministres sont une espèce à part, surtout celles et ceux qui ont reçu la charge de l’enseignement et qui, pour la plupart, ne se satisfont pas de gérer l’école en bons pères et mères de famille », écrit l’auteur. Il y a aussi les inspecteurs : « Ils ne sont plus là pour voir ce qui fonctionne et pour encourager le prof à aller plus loin (ça, c’est la théorie !) mais, dans la pratique, ils viennent voir ce qui ne correspond pas aux nouvelles tendances édictées et qui brisent parfois, après une visite de trente minutes en classe, des enseignants qui exercent le métier avec bonheur depuis plus de trente ans ! » Les seuls que Frank Andriat épargne, ce sont ses collègues, que les « pédagogues en chambre ont transformés en gentils animateurs ».

Extraits :
«

J’aurais voulu ne jamais écrire ce livre, n’être pas saisi par l’urgence de témoigner, n’être pas envahi par la colère, par cet immense sentiment de gâchis qui, au fil des ans, gagne du terrain dans mes tripes.

J’enseigne depuis trente-trois ans. Avec bonheur. Je devrais plutôt écrire que cela fait trente-trois années que je vois mes élèves avec plaisir, que j’en­tre dans mes classes avec joie. Mon métier n’est pourtant plus ce qu’il était ; en des sphères où l’on rêve l’école, lentement, patiemment et, semble-t-il, passionnément, on la détruit. Plus le temps passe, plus les réformes se multiplient, plus je rencontre de professeurs désorientés, et plus j’ai le triste sentiment que l’on programme la mort de l’école.

J’arrive en fin de carrière et je pourrais m’en laver les mains, mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit. C’est de notre futur, de nos enfants. Mes activités d’écrivain pour la jeunesse m’offrent la chance de rencontrer beaucoup de monde : des ados, des enseignants, des parents, des journalistes et, partout, le message est identique : mais où va l’école ? Pourquoi, à douze ans, tant d’enfants ne maîtrisent-ils plus la lecture, le calcul, l’orthographe ? Pourquoi s’expriment-ils aussi mal, pourquoi ce qu’on réussissait n’est-il plus possible aujourd’hui, alors que les moyens sont plus grands, alors que la technologie nous vient en aide ? Mèh ou vat l’écolle ? Car, pour coller à la réalité, c’est ainsi que je devrais écrire la question !

En Belgique comme en France, les pédagogues et les didacticiens ont pris le pouvoir. Et les politiques, souvent incompétents en la matière, ont délégué l’avenir des professeurs et des élèves à ces penseurs en chambre qui ont avec le réel autant de contact qu’un Martien avec la Terre.

Les E.T. de bureau qui réfléchissent à l’ensei­gne­ment indiquent le chemin de leurs utopies pédagogiques aux profs. De leurs lumières, ils éclairent les sentiers obscurs de l’école. Les élèves, boostés par de nouvelles méthodes ludiques, aimeront appren­­dre et deviendront prix Nobel dans une société de la réussite pour tous, où les différences n’existeront plus, et où chacun sera maître de sa personne et de son destin. Tout devient lisse, les amis ! Foin des aspérités, finies les contraintes ! Pour les « apprenants », il s’agit aujourd’hui d’apprendre à apprendre, mais il faut constater qu’ils n’apprennent plus grand-chose.

« Le plus beau métier du monde » est devenu un métier qui n’attire plus personne, un « merdier » que quittent les anciens et que, comme en témoignent les statistiques, les jeunes enseignants fuient après quelques années. Un métier qui pleure. Pourquoi ? Ne sommes-nous pas les rois de la carotte ? N’avons-nous pas tant de congés que les ministres songent à élargir nos plages horaires ? Est-ce le salaire ? Le fait qu’être prof est devenu un pis-aller après avoir échoué partout ailleurs ? Le manque de reconnaissance ?

Il y a quarante ans, « Monsieur le Maître » occupait le haut de l’échelle sociale. Dans notre société de profit et de satisfaction immédiate, les valeurs de l’école n’ont plus la cote. Les mots « effort, rigueur, études, travail, savoir, exigence, excellence » y font partie d’un vocabulaire tabou. « Monsieur le Maître », dont le métier était fondé sur le respect et la confiance, est devenu un prolétaire chargé d’appliquer, surtout sans réfléchir, les techniques magiques inventées par les huiles pédagogiques.

L’école ludique, où l’élève est au centre des apprentissages et où le travail de l’enseignant est sans cesse remis en cause par le premier venu, cette école d’une fausse réussite, sans éclat, est le fruit des réformes pondues par les extraterrestres qui dessinent son futur.

[...]

De nombreux livres intelligents ont été écrits sur le sujet ; j’en cite quelques-uns en fin de volume. Des œuvres qui tirent chacune une sonnette d’alarme. Dans ces pages, j’ai voulu m’attacher aux professeurs, à ces femmes et à ces hommes à qui on a volé leur raison d’être.

Les dix commandements qui suivent brossent simplement, humblement, avec l’humour du désespoir, un portrait de l’école d’aujourd’hui. Il aurait peut-être été bon d’en nuancer certains passages, mais j’ai voulu lui conserver la colère qui l’a fait naître. Il faut frapper avec sa chaussure sur la table pour se faire entendre au milieu des discours autosatisfaits où se complaisent les fossoyeurs de l’enseignement ! Il est urgent et bénéfique de s’indigner. Créons mille villages d’Astérix et résistons, résistons vaillamment ! Ne nous laissons plus détruire par les modes pédagogiques qui nous submergent, ne nous laissons pas décourager en lisant les expériences parfaites décrites dans les magazines, ces expériences que, malgré notre bonne volonté, nous ne parvenons pas à reproduire dans nos classes. Ne laissons pas à d’autres le pouvoir d’éteindre la flamme qui nous anime, indignons-nous, retrouvons notre fierté et ne devenons jamais les otages des dix commandements décrits dans ce pamphlet !

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Les pédagogues tu adoreras et aimeras parfaitement


Maintenant, j’ai compris : je ne parle pas à une raison mais à une croyance, pas à un individu mais à une institution qui défend sa raison d’être. Je ne dois pas essayer de faire valoir ce que je pense. Je dois jouer l’étudiante en pédagogie.

Rachel Boutonnet,
Journal d’une institutrice clandestine


Au commencement était le maître et sa mission était claire. À l’école, on transmettait des savoirs et on conduisait chacun vers le meilleur de lui-même. L’école devait instruire, fournir au plus grand nombre les outils nécessaires pour se défendre dans la société, y trouver une place et s’épanouir.

En primaire, on apprenait à lire, à écrire, à calculer et le maître faisait en sorte que chacun puisse répondre à des exigences précises pour qu’à douze ans, lors de l’arrivée dans le secondaire, le plus grand nombre d’élèves possible pût se défendre et réussir. Il y avait les bons, les moins bons et les mauvais élèves, des classes de niveau, une autorité indiscutable du maître à qui l’on faisait confiance, à qui l’on confiait l’avenir de ses enfants et, malgré des ratés, malgré des injustices, le système fonctionnait et conduisait la plupart dans une direction claire : celles et ceux, quel que soit leur niveau social, qui travaillaient, réussissaient. Pour les autres, souvent, l’école était impitoyable : elle décidait, à coups de rouge dans le bulletin, de la voie à suivre, elle imposait, parfois trop tôt, certaines filières et, surtout, elle dévalorisait tout ce qui n’était pas métier de l’esprit.

L’enseignement général était la voie royale ; le technique et le professionnel étaient réservés à ceux qui n’avaient pas été jugés aptes. Mais, dans chaque type d’enseignement, les profs travaillaient, transmettaient leur passion, leur savoir, leur expérience. Et, au final, bon an mal an, chacun trouvait sa place dans une société qui fonctionnait.

Certes, il y avait des injustices. Les profs étaient sévères, souvent autoritaires, cassants : leur tâche première était d’instruire. Avec des méthodes parfois discutables, avec la rigueur sans figue ni raisin de celui qui, conscient de sa place dans la société, exige qu’on le respecte. L’école faisait autorité, même si elle avait tort de faire peur. À force d’exigence, elle devenait un ascenseur social pour ceux qui, sans elle, n’eussent pas eu l’occasion de poursuivre les études auxquelles leurs parents n’avaient pas eu accès.

Les études, on les méritait. Pour réussir, il fallait prouver sa valeur. Et suer. Comme chacun le fait encore aujourd’hui lorsqu’il veut obtenir honnêtement ce qu’il désire. Quelle que soit l’époque, quelle que soit la culture, quels que soient le pays et les traditions, celui qui veut réussir doit se bouger les fesses et fournir des efforts. Cette affirmation sem­ble banale. Mais, est-ce encore aussi évident que cela ?

À l’école, un minimum de devoirs. À l’école, plus d’exigence. À l’école, pas de frustrations. À l’école, aujourd’hui, il nous est demandé d’apprendre aux jeunes que la vie est un jeu dont ils sortiront vainqueurs, que la réussite est pour tous, qu’il leur suffit de s’approprier ce qu’ils savent déjà — de manière innée sans doute — pour devenir des supermans et des superwomans de la compétence à qui le bonheur sourira de ses dents blanchies.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment a-t-on pu en arriver à mentir de manière aussi crasse à des jeunes qui pensent pouvoir réussir sans étudier la matière, sans assimiler les savoirs nécessaires ? Comment s’étonner de la révolte parfois violente des plus défavorisés, lorsqu’ils réalisent à quel point on s’est fichu d’eux ?

L’école n’est plus celle du méchant maître qui met en échec ou qui, horreur, fait doubler quand il estime que l’élève n’en connaît pas suffisamment pour comprendre la suite. L’école est devenue le temple de la réussite, un effroyable mensonge qui, de manière hypocrite, a repoussé les situations d’échec vers l’en­seignement supérieur et l’université : tout le monde peut devenir médecin ou avocat jusqu’à dix-huit ans, tout le monde peut fantasmer, encore et encore. Ensuite, c’est le carnage, mais on n’en parle plus. Le discours sur l’enseignement secondaire fait croire à la réussite de tous et, si les établissements qui exigent encore du travail de leurs élèves pouvaient rentrer dans le rang, ce serait tellement mieux ! Mais les statistiques sont, elles, impitoyables : les ados réussissent mal. À dix-huit ans, voire plus, celles et ceux qui voient leurs rêves s’envoler ne se tournent pas vers les filières techniques et professionnelles qui manquent pourtant cruellement de mains. Il est trop tard ! Pour eux, l’école se transforme en fabrique de désespoir. Où trouvera-t-on l’argent pour prendre ces jeunes en charge quand ils s’inscriront à des formations pour éviter le chômage ?

L’effondrement du système, c’est aux pédagogues intégristes qu’on le doit, à ces didacticiens qui ont pris l’école en otage avec l’assentiment irresponsable, criminel des politiques. À ces activistes des sciences de l’éducation qui, voulant marquer l’Histoire de leurs idées révolutionnaires, se voient perpétuellement remis en question par d’autres fauteurs de troubles pédagogiques. Et ce seront de nouveau les profs, les élèves et leurs parents qui en subiront les conséquences ! Suis-je sans nuances ? Évidemment. Mais pour secouer le cocotier, il est nécessaire de s’éloigner un peu du politiquement correct, de la philosophie du consensus qui laisse la catastrophe se propager et qui nous conduit lentement mais sûrement à une société sans école. Pour réaliser le rêve d’Ivan Illich peut-être ?

La pédagogie a ses mérites et certains pédagogues permettent à l’école de se dépoussiérer, de découvrir de nouvelles pistes, d’être plus performante. L’école ne peut fonctionner en vase clos et se satisfaire d’elle-même comme elle l’a fait longtemps, mais l’école est l’école et la pédagogie est la pédagogie. À chacune son domaine, à chacune son espace. Si l’école ne remplit plus sa mission aujourd’hui, c’est parce que la pédagogie lui dit comment elle doit travailler. Un peu comme si j’avais un problème électrique et que je téléphonais à un plombier pour venir le régler. Un peu comme si, malade, je contactais mon pâtissier plutôt que mon médecin. Les pédagogues et les didacticiens sont utiles quand ils proposent aux enseignants des pistes qui leur permettent de réfléchir à leur métier, pas quand ils imposent leur vision de l’avenir. Il ne s’agit pas de les éradiquer, mais il est devenu urgent de les mettre en quarantaine !

J’ai commencé à enseigner en 1980 et, au fil des ans et des réformes pensées par les pédagogues et relayées par les ministres, j’ai constaté combien mon beau métier était rogné, détruit, conduit à rien par des gens, certes diplômés et brillants, mais sans la moindre connaissance des réalités du terrain et imposant des idées impraticables dans les classes, des théories fumeuses, des impasses qui conduisent le travail de prof et le bonheur d’être prof droit dans le mur ! Les pédagogues sont devenus la mérule de l’enseignement et, quand le bâtiment, déclaré insalubre, s’écroulera, ils pousseront des cris de poulette effarouchée en déclarant que si les profs les avaient compris et avaient appliqué leurs idées géniales, on n’en serait pas là.

Le maître n’est plus le maître, le prof n’est plus le prof : il n’est plus qu’un plouc incapable d’appliquer ces nouvelles règles qui permettraient la réussite de tous. Un pauvre type bouché et rétrograde qui ne veut pas d’un monde meilleur et à qui il faut des formations en 2013 pour expliquer la merveilleuse pédagogie par compétences mise en place en 1997. Seize ans, et ces profs débiles en sont encore à ne pas comprendre la différence entre une compétence et un savoir ! Et, bien entendu, les politiques s’en mêlent : si les profs n’appliquent pas la nouvelle potion magique, comment obtenir de meilleurs résultats dans les enquêtes PISA ?

Le maître n’est plus le maître ; il est devenu la cause de tous les maux, il est le carotteur de service qui, non content d’avoir des vacances à rallonge, ne travaille que vingt heures par semaine, celui qui refuse de se remettre en question et d’améliorer son taux de réussite en évaluant ses élèves positivement et en cessant d’exiger d’eux des savoirs qui ne leur serviront à rien.

[...]

»

Les Profs au feu et l'école au milieu
par Frank Andriat
publié aux éditions Renaissance du livre
à Waterloo (Belgique)
en août 2013
144 pages
ISBN : 9782507051754
UPC papier : 9782507051426

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