jeudi 15 avril 2021

Mathieu Bock-Côté : « Le racialisme est un totalitarisme »

« Privilège blanc », « blanchité », « racisme systémique »… Pour l’auteur de « La Révolution racialiste » (Presses de la Cité), un nouveau régime rééducateur se profile et doit être ardemment combattu.

À ceux qui prendraient les injonctions « diversitaires » du moment pour une vague révolte, le sociologue et essayiste québécois Mathieu Bock-Côté répond sans ambages : « Non, Sire, c’est une révolution. » Après ses explorations sans concession du multiculturalisme et du politiquement correct, le chroniqueur au Figaro complète, dans La Révolution racialiste, un essai dense et incisif, sa trinité anti-woke par le passage au crible de cette tendance croissante qu’ont nos sociétés à caractériser les individus par leur couleur de peau. « Liberté, égalité, racisé. e. s » pourrait être la devise de ces nouveaux sans-culottes, qui invitent l’Occident à expier son « péché blanc ». Bock-Côté, fièrement indépendantiste, est bien placé pour observer (et craindre) un mouvement tout droit venu des États-Unis, inoculé au Québec et qui tente de s’introduire en France. « En temps de révolution, qui est neutre est impuissant », écrivait Victor Hugo. C’est aussi le message de notre auteur — et il est urgent de l’entendre.

Le Point — Qu’est-ce que le « racialisme » ?

Mathieu Bock-Côté — Il s’agit d’une idéologie qui fait de la race le concept fondamental autour duquel construire notre représentation du monde. Il clive les sociétés occidentales entre Blancs et racisés — notre société serait un système producteur de différences raciales dissimulant la suprématie blanche derrière la fiction de l’universalité et racisant les populations minoritaires en les refoulant à la périphérie de la l’ordre social dans une situation de subordination perpétuelle.

Chacun est assigné à sa race : le Blanc doit y consentir pour renoncer à son privilège blanc, le racisé est appelé à en faire un principe de revendication pour inverser le stigmate qui l’a marqué. En fonction de sa position sur le spectre racial, on est soit appelé à l’autocritique pénitentielle, soit transformé en figure messianique. Le racialisme opère un renversement orwellien de notre définition du racisme.


 — Comment cela ?

— Celui qui refuse de tenir compte de la couleur de la peau dans l’organisation de la société est accusé de verser dans le daltonisme racial. Son aveuglement permettrait la reproduction des inégalités raciales dissimulées derrière la société libérale — il en serait donc complice. L’universaliste serait le vrai raciste.

Le racialisme assigne chacun à une identité raciale dont il ne peut s’extraire. Plus encore, il fait de la racialisation des appartenances un principe d’émancipation et va même jusqu’à valoriser une forme de ségrégation raciale à prétention positive, comme on le voit avec la multiplication des groupes racisés non mixtes, dont les Blancs sont exclus d’office, à moins de se taire, comme le proposait à la manière d’un accommodement raisonnable Audrey Pulvar récemment.

J’ajoute que le racialisme vient abolir la diversité des nations, des peuples, des cultures, des civilisations, des religions, pour définir les hommes exclusivement par leur couleur de peau. Il déréalise ainsi l’histoire de notre civilisation et la rend inintelligible.

— Vous parlez d’une « révolution » et d’un « basculement dans l’histoire d’une civilisation ». Pourquoi ?

— Les concepts fondamentaux à partir desquels s’est constituée la civilisation occidentale sont aujourd’hui non seulement déconstruits, mais renversés dans leur signification.

Jusqu’ici, l’histoire occidentale serait maudite : c’est d’une conversion quasi religieuse qu’elle aurait besoin. La civilisation occidentale est invitée à renaître à la lumière de la révélation « diversitaires », au nom de laquelle il faudrait reconstruire intégralement l’ordre social, pour l’arracher à l’emprise du racisme systémique.

La légitimé politique reposerait exclusivement dans les revendications des marges identitaires, qu’il ne faudrait jamais critiquer : si un « racisé » se dit victime de racisme, il l’est, et ce serait lui faire violence que de questionner les fondements de son ressenti, de son accusation. Nous ne sommes pas devant un mouvement réformiste formulant des aspirations légitimes, mais devant un mouvement révolutionnaire.


 

— N’exagérez-vous pas le problème ?

— Une certaine droite bourgeoise veut voir dans tout cela des excentricités propres aux campus américains. Sottises ! La mouvance woke, qui représente l’avant-garde du régime « diversitaire », détermine les paramètres de la vie publique. Cette idéologie est aujourd’hui hégémonique dans l’université, les médias, la musique classique, la pédagogie, les sports, les musées, l’opéra, le cinéma, et même le monde de l’entreprise, comme on le voit dans les départements des ressources humaines. C’est une tâche d’ingénierie sociale et de rééducation psychologique sans fin qui s’annonce.

— Pourquoi cette révolution se produit-elle aujourd’hui, alors que nos sociétés n’ont jamais été aussi peu racistes ? 

 — Depuis une trentaine d’années, le régime « diversitaire », qui s’est progressivement implanté et qui aujourd’hui se radicalise en se racialisant, a travaillé à reconditionner les populations occidentales en les poussant à construire leur subjectivité sur le mode victimaire. C’est dans cette idéologie que sont socialisées les jeunes générations, laquelle structure fondamentalement leur vision du monde. Certes, les gens issus de l’immigration sont très nombreux à vouloir s’intégrer, mais ils sont mis en procès : qui s’intègre n’est-il pas en train de trahir sa communauté d’origine ? Par ailleurs, sur le plan médiatique, il devient plus payant de se présenter comme une victime de l’ordre « blantriarcal » que de s’intégrer au peuple historique de la société d’accueil.

Brisons aussi un tabou : au fil des dernières décennies, les sociétés occidentales ont accueilli des populations nouvelles bien au-delà de leur capacité d’accueil. Dans ce contexte, l’identité ethnique diasporique transnationale tend à s’imposer, d’autant qu’elle s’accroche à l’univers de référence de l’empire américain. C’est à travers les catégories de cet empire que les populations issues de l’immigration dans le monde occidental en viennent à définir leur propre situation, en s’identifiant systématiquement à la situation tragique des Noirs américains, comme si l’expérience de tous les « racisés » était interchangeable. On voit où conduit une vision du monde qui définit d’abord les groupes humains à partir de la couleur de la peau. Et on en vient paradoxalement à croire que les États-Unis représentent un modèle d’émancipation raciale. C’est absurde ! 

— Les personnes appartenant à des minorités sont loin d’être toutes en faveur de la « politique identitaire ». Ce mouvement n’est-il pas le fait d’une minorité numérique, blanche ou de couleur ? 

 — Absolument. Faut-il rappeler qu’une nation n’est pas une race et qu’il est possible de s’intégrer à une culture ? Mais le régime « diversitaire » fait de la mouvance racialiste la seule représentante légitime des populations issues de l’immigration. C’est la mouvance woke qui fixe aujourd’hui les codes de la respectabilité idéologique et qui peut condamner à la peine de mort sociale ceux qui transgressent l’orthodoxie. S’ils veulent réintégrer la cité, ils devront prêter serment d’allégeance au régime, réciter ses prières, en s’excusant pour leur blanchité, puis en promettant de se mettre à l’écoute des minorités pour se rééduquer et devenir leur allié. De telles scènes sont régulières dans l’actualité nord-américaine. 

 — L’antiracisme comme nouveau communisme ?

— Le racialisme comme totalitarisme, en fait. Il y a des vagues dans l’histoire du totalitarisme à prétention « progressiste » : 1793-1794, 1917, la fin des années 1960. La tentation totalitaire de la modernité se réactive aujourd’hui. Ce qui la caractérise, c’est l’ambition d’une maîtrise intégrale de l’existence : ce qui implique la transformation de la société en camp de rééducation à ciel ouvert, à travers une propagande permanente que l’on nomme « campagne de sensibilisation ».

— N’allez-vous pas un peu loin ? Vous parlez d’événements sanglants !

— Je n’ai pas parlé de « régime » mais de « tentation » totalitaire, même si, par ailleurs, à travers les lois contre la « haine » (que l’on en vient à définir comme toute critique résolue du régime « diversitaire »), qui peuvent aller, on vient de le voir, en Écosse, jusqu’à la criminalisation des « propos haineux » dans la sphère privée, le régime montre jusqu’où il est prêt à aller pour combattre la dissidence. Désormais, les Écossais seront surveillés chez eux par leurs invités et, qui sait, par leurs enfants, éduqués à voir partout des micro-agressions. Comment ne pas y voir une forme de stasification qui, demain, s’étendra hors de leurs frontières ? La démocratie libérale a de plus en plus l’allure d’un décor vidé de sa substance.

— Vous critiquez le « racisme systémique ». N’y a-t-il pas des cas où les institutions défavorisent de fait les minorités ?

— Le concept de racisme systémique est un ticket d’entrée dans le club de la discussion « raisonnable » sur la diversité : qui le refuse peut même se faire accuser de négationnisme, on l’a vu au Québec. Il repose sur l’assimilation de toute forme de disparité statistique à des manifestations du racisme systémique. Mais disparité ne veut pas dire nécessairement discrimination ! Les facteurs sociaux sont toujours multiples et relatifs. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’injustices, mais ce concept ne permet pas de les aborder intelligemment. Dans la perspective du racisme systémique, la simple existence, au sein d’une société, d’une culture historique créerait un biais raciste défavorable à l’endroit des communautés issues de l’immigration. Pour être véritablement inclusive, elle devrait s’extraire d’elle-même, se purger de son identité.

— N’y a-t-il pas une contradiction entre la fixité de la race — on ne peut pas passer d’une race à l’autre — et la fluidité du genre — on nous dit aujourd’hui que le genre est pure construction sociale ?

— La transidentité de genre est banalisée, mais le passage d’une identité raciale à l’autre n’est pas permise. Alors même que la race n’est que construite socialement, nous dit-on. Au fond d’eux-mêmes, les racialistes en font une identité primordiale. On en trouve plusieurs dans la jeunesse woke pour se demander ainsi si un « racisé » peut avoir une relation avec un Blanc sans que ce soit une forme de trahison raciale. Le racialisme repose en fait sur le principe de l’imperméabilité ethnique et conne chacun dans une case dont il ne peut plus sortir. Plus une société est absolument floue dans un domaine, plus elle a besoin d’être absolument figée dans un autre : c’est le paradoxe qui se présente à nous aujourd’hui.

— La France n’est-elle pas épargnée par ce mouvement ?

— Épargnée, non, mais elle y résiste, à travers ses mœurs, sa manière de vivre, son identité. Les Français ne le voient pas toujours, mais de l’étranger, c’est évident. La presse américaine, notamment le New York Times et le Washington Post, ne le lui pardonne pas. Elle la caricature en URSS écrasant ses minorités.

— Comment arrêter la révolution racialiste ?

— Il n’y a aucun compromis possible avec cette idéologie. Ses concepts viennent en grappe : quand on en prend un, tous suivent. J’ai longtemps eu un côté Michel Sardou : « Si les Ricains n’étaient pas là/Vous seriez tous en Germanie. »

Mais cette période est terminée. Aujourd’hui, les États-Unis sont un empire décadent et l’américanisation mentale est toxique. Quant au Canada, il se perd dans une forme de diversité Potemkine, même si le Québec y tient tête. Il faut entreprendre le démantèlement progressif du régime « diversitaire ». Et ne nous leurrons pas. Il ne suffira pas, devant cette révolution, de brandir de manière désincarnée « l’universel » : c’est à partir de la culture de chaque peuple et de notre patrimoine de civilisation qu’il est possible d’y résister.

Ce n’est d’ailleurs qu’à partir d’un enracinement particulier qu’on peut s’élancer vers l’universel, en France comme ailleurs.

Source : Le Point

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