samedi 17 août 2019

Disparaître ? de Jacques Houle

Recension intéressante par Frédéric Lacroix du livre Disparaître ? de Jacques Houle.


Le quatrième de couverture de ce livre s’ouvre sur ces propos saisissants : « Au Québec, jusqu’à la fin des années 1990, s’est maintenue une majorité d’ascendance canadienne-française au-delà des 80 %. Au rythme de décroissance actuel, elle pourrait disparaître sous la barre des 50 % au cours du siècle. Sur l’île de Montréal, c’est déjà fait. Parmi les premières causes de ce suicide collectif : un taux d’immigration parmi les plus élevés au monde — 50 000 nouveaux arrivants en moyenne par année — et une politique migratoire qui entretient des mythes sur les retombées positives de l’immigration de masse. N’est-il pas grand temps pour cette fragile communauté de destin d’assujettir son hospitalité à sa capacité réelle d’intégration ? »

« Disparaitre », tout est dans le titre.

Ce livre aborde frontalement un enjeu radioactif : celui de l’immigration de masse à laquelle nous sommes soumis depuis une quinzaine d’années. Un volume d’immigration qui est en effet parmi les plus élevés au monde, soit, en termes relatifs, environ deux fois plus que les États-Unis et quatre fois plus que la France. Une immigration de masse qui est en train de reconfigurer Montréal en pâle copie de Toronto, soit en cité-État multiculturelle où l’anglais domine. En 2036 (dans 17 ans seulement !), Statistique Canada prévoit que les francophones seront rendus à 69 % de la population du Québec seulement. L’élection majoritaire d’un parti nationaliste à Québec sera-t-elle alors encore possible ?

L’immense mérite de ce livre est d’aborder le sujet de façon décomplexée, en évitant les périphrases alambiquées et en appelant un chat un chat. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Camus.

Dans le cas du mouvement indépendantiste, le refus de nommer les choses clairement depuis vingt-cinq ans est à l’origine d’une grande partie de ses malheurs. Quand on se replonge dans les archives, on est saisi par la liberté de parole de René Lévesque, par exemple, qui n’hésitait pas à dire : « On s’est donné un ministère de l’Immigration. L’autre, à Ottawa, pour lequel on paye, y a le droit de continuer à nous noyer, c’est lui qui a le pouvoir. Mais on en a un à Québec pour enregistrer la noyade ». Aïe. René Lévesque avait (et a toujours) raison. Les pouvoirs du Québec en immigration sont très limités, presque symboliques. Ottawa fixe les seuils et Québec suit. Mais dire cela aujourd’hui ?

La montée du mouvement indépendantiste au Québec a été due, bien sûr, au contexte favorable crée par le boom démographique de l’après-guerre. Mais pas seulement. L’autre facteur décisif, à mon avis, fut qu’une certaine élite québécoise était prête non seulement à se battre pour le bien commun, mais se battait en s’arc-boutant sur le réel et en utilisant les mots justes pour le décrire. Il y avait un accord intime entre le verbe et la réalité. Lorsque le mouvement indépendantiste s’est mis à sacrifier aux idoles du politiquement correct après le référendum de 1995, son verbe n’entrant plus en résonance avec le réel laissait de plus en plus indifférent.

Heureusement, monsieur Houle n’entend pas rajouter au malheur du monde.

L’auteur débute avec un récapitulatif des visées britanniques suite à la conquête de la Nouvelle-France en 1760. L’objectif fondamental est de transformer la Nouvelle-France en colonie anglaise. Pour cela, l’immigration de masse était l’arme de choix. Elle fut employée abondamment et de façon remarquablement constante au cours de l’histoire canadienne afin d’arriver au résultat que l’on connait, soit la neutralisation du Manitoba comme deuxième province de langue française dans l’ouest, les Métis francophones ayant été mis en minorité en 20 ans seulement, et l’écrasement des minorités de langue française partout à l’extérieur du Québec et du Nouveau-Brunswick. Comme le rappelle l’auteur : « À l’extérieur du Québec, les flux migratoires ont profité exclusivement à la communauté canadienne-anglaise qui dispose désormais d’une supériorité numérique écrasante ». En 2036, Statistique Canada prévoit que les francophones hors Québec représenteront seulement 2,7 % de la population, alors qu’ils étaient encore 10 % en 1951.

Conclusion de l’auteur : « Il est donc trop tard pour changer le cours du destin : la communauté francophone du reste du Canada va disparaitre. Très bientôt. A jamais. » Malgré toute la sympathie que l’on peut ressentir pour le combat admirable des francophones hors Québec, il importe de regarder la réalité en face : l’auteur a raison. Les francophones hors Québec en sont rendus à plus de 70 % d’assimilation cumulative au fil des générations ; on ne peut malheureusement pas être plus précis, car Statistique Canada a saboté les statistiques ethniques pour nous empêcher d’effectuer ce calcul précisément. M. Houle n’hésite pas à qualifier « d’ethnocide » la politique du Canada menée envers les francophones hors Québec. Voilà qui est la vérité. Ceux-ci n’ont obtenu que quelques miettes de droits, avec la Loi sur les langues officielles en 1969, qu’une fois que leurs communautés ont été brisées par les lois interdisant les écoles françaises, qui furent votées dans toutes les provinces anglaises et ont été appliquées pendant des décennies, rompant les reins démographiques des communautés francophones hors Québec. Les droits qui furent accordés depuis avaient surtout pour but de donner le change au mouvement souverainiste ; du genre : « Voyez comme nous sommes bons avec les francophones, alors que vous, vous êtes méchants et vous souhaitez restreindre l’accès aux écoles anglaises, nous sommes vertueux et vous êtes racistes ! » La vertu des hypocrites ; on connait la chanson.

L’auteur centre ensuite son propos sur le Québec. Progression logique, car le sort des francophones hors Québec préfigure le nôtre. Il rappelle qu’à partir de 2003, le PLQ a massivement augmenté les volumes d’immigration, passant d’une moyenne de 30 000 immigrants (ou moins) par année dans les décennies précédentes à 50 000 par année dès la prise du pouvoir par le PLQ. Le Québec reçoit maintenant 0,6 % de sa population annuellement en volume d’immigration, ce qui « place le Québec parmi les régions qui reçoivent le plus d’immigrants au monde, devant tous les États américains et la plupart des pays d’Europe ». Rien que ça… Ce qui n’empêche pas le patronat de réclamer encore plus et toujours plus d’immigrants. Comprenons une chose : les intérêts du patronat, du PLQ et d’Ottawa, c’est souvent la même chose.

La minorisation des francophones à Montréal est maintenant chose faite. La minorisation est en cours de façon accélérée à Laval et dans toute la couronne montréalaise. Le Canada ne changera pas une recette gagnante : ayant éradiqué les francophones partout à l’extérieur du Québec et du Nouveau-Brunswick à l’aide de l’arme migratoire, les fédéralistes s’attardent maintenant à finir le travail au Québec même.

La partie la plus intéressante du livre est à mon avis la discussion des effets d’une immigration trop importante sur la cohésion sociale et le capital social des sociétés qui la subissent. La description de la déstructuration sociale entrainée par l’immigration de masse à Montréal vise juste : « Les classes dominantes et supérieures habitent les enclaves cossues comme Westmount ou Outremont, et une nouvelle classe moyenne en voie d’enrichissement économique et d’ascension sociale fait main basse sur des quartiers populaires comme Mercier, Saint-Henri, Rosemont ou Hochelaga-Maisonneuve. Quant aux catégories sociales à faible revenu, Québécois de souche ou issus de l’immigration, elles sont malheureusement placées en situation de concurrence intense à la fois sur le marché des emplois précaires et pour l’accès aux logements sociaux ou aux logements privés plus ou moins dégradés. Bref, ce sont les plus pauvres, les plus vulnérables, qui font les frais d’une immigration trop élevée. »

L’auteur cite le géographe français Christophe Guilluy, parvenu à une certaine notoriété pour avoir annoncé la crise de « gilets jaunes » en France : « Après avoir fait porter le poids de la mondialisation économique aux plus démunis, les classes dominantes imposent aux catégories populaires, autochtone ou immigrée, la réalité concrète du multiculturalisme… en s’en préservant ». Quiconque a jeté un coup d’œil aux statistiques de fréquentation des écoles privées à Montréal a pu se rendre compte qu’effectivement, les classes dominantes entendent mettre leur progéniture à l’abri des effets de l’immigration de masse qui déstructure les écoles publiques de Montréal, alors que dans certains quartiers, celles-ci n’accueillent plus aucun élève québécois « de souche ». Pour la classe dominante, l’expérience de l’immigration de masse se limite souvent aux « bons petits restos ethniques pas chers ».

Notons que l’auteur cite abondamment le livre de Dubreuil et Marois « Le remède imaginaire », paru chez Boréal en 2011, livre qui, le premier, avait osé remettre en question le paradigme du « toujours plus » en immigration en déboulonnant les prétendus effets bénéfiques de la chose. Économiquement, démographiquement, les « bénéfices » annoncés de l’immigration ne sont pas au rendez-vous. Ce livre, très fouillé, explique pourquoi. Il est toujours un incontournable dans ce débat.

Alors que monsieur Houle est précis en décrivant les problèmes posés par l’immigration massive, il l’est moins quand vient le temps de proposer des solutions. La première et la plus importante de celles-ci étant bien sûr la réduction significative des volumes d’immigration. Une réduction qui n’est pas si « radicale » que ça, notons le bien, puisqu’il serait simplement question de la ramener aux niveaux historiques, soit environ 30 000 immigrants par année, ce qui correspond à un taux annuel de 0,36 %. Une proposition qui fait toutefois abstraction de la réalité, étant donné que c’est Ottawa et non Québec qui fixe réellement les volumes d’immigration. Comme le dit Monsieur Houle, le Québec ne contrôle qu’environ le tiers de l’immigration qu’elle accueille, soit l’immigration « économique ». Comment pourrait-il couper le volume de 40 % alors qu’il n’en contrôle que 33 % ?

La réduction significative des volumes dépend donc de la « bonne volonté » d’Ottawa, mais comme l’auteur l’a démontré, la volonté d’Ottawa est de nous voir disparaitre, pas de nous aider. Il faudrait aussi centrer notre politique d’immigration sur les pays de langue française. Fort bien. Mais comme le Remède imaginaire l’avait expliqué, il n’existe pas au monde un bassin important de francophones qualifiés qui souhaitent immigrer chez nous, pour la bonne raison qu’ils occupent déjà de bons emplois dans leurs propres pays. Penser en attirer 30 000 par année relève de l’utopie. La majorité de ceux qui sont prêts à venir chez nous sont souvent peu qualifiés et ne pourront occuper que des emplois précaires à faible salaire. Si le patronat salive à l’idée de pouvoir exercer ainsi une pression à la baisse sur les salaires pour empocher des profits à court terme, il faut se demander si cela est une stratégie gagnante à long terme pour notre économie : ne faudrait-il pas plutôt investir dans l’automatisation et l’amélioration des procédés, ce qui aurait l’avantage d’augmenter la productivité de nos entreprises, qui est souvent à la traine en comparaison de nos compétiteurs internationaux ? Posons la question franchement : le patronat est-il accro à la main-d’œuvre bon marché ? Ne faudrait-il pas l’inciter plutôt à miser sur l’innovation et l’amélioration de la productivité ?

Le livre blanc présenté en 1977 par Camille Laurin pour expliquer la nécessité de la loi 101 mentionnait déjà à l’époque que : a) la fraction des francophones diminuera inéluctablement hors du Québec ; b) la fraction représentée par le Québec dans la population canadienne risque fort de diminuer ; c) la fraction des francophones au Québec et à Montréal diminuera si les tendances ne changent pas ; d) la fraction des Britanniques risque de devenir infime au Québec et même à Montréal ; e) la fraction représentée par le tiers-groupe (les allophones) devrait se substituer au groupe britannique et prendre une importance croissante à Montréal. Le document ajoute : « Devant ces prévisions, comment n’aurait-on pas pensé que, pour l’avenir linguistique du Québec, il fallait orienter les options linguistiques des immigrants ? ».

Le Livre blanc a été écrit alors que la moyenne annuelle d’immigrants reçus au Québec était de 18 166, soit un taux annuel de 0,28 %. Mais même un volume d’immigration plus faible que celui proposé par l’auteur (30 000) n’empêchait pas alors les immigrants de s’intégrer en majorité aux anglophones et n’empêchait pas « la noyade » dénoncée déjà par René Lévesque. Un faible volume d’immigration signifie donc une « noyade » moins rapide, mais noyade il y aura tout de même. Pour garder la tête hors de l’eau, il faut parvenir à intégrer, voire « assimiler » la grande majorité des immigrants qui s’installent chez nous. Comment réaliser cela ? « That is the question » comme dirait l’autre.

Le point de départ de cette réflexion pourrait être ceci : toutes les prédictions du Livre blanc de 1977 se sont réalisées ; a) les francophones hors Québec sont en voie de disparition ; b) le poids du Québec dans la fédération diminue constamment ; c) le pourcentage de francophones est en chute libre à Montréal et dans toute la couronne montréalaise ; d) les anglophones d’origine britannique sont maintenant en infime proportion ; la majorité des anglophones du Québec étant en réalité des immigrants anglicisés ; e) les allophones sont maintenant plus nombreux que les anglophones au Québec. La Charte de la langue française était pourtant censée garantir l’avenir de la majorité de langue française au Québec.

Mais cet avenir est plus chancelant que jamais. En 2019, un peu plus de la moitié des allophones qui s’installent chez nous s’assimilent toujours à la communauté anglophone. Environ 65 % des transferts linguistiques effectués au Québec se font vers l’anglais. Pour le Québec français, l’eau est en train de monter. La noyade est en cours.

La loi 101 était conçue en vue de la création d’un État indépendant, État qui ne verrait pas ses lois et Chartes fondamentales être invalidées par les tribunaux d’un autre État hostile à notre survie.

Il plane donc au-dessus de cette question le fantôme pesant de l’indépendance du Québec.

Peut-on éviter la noyade en restant au Canada ?

Non.

Seule l’indépendance pourrait nous permettre de déverrouiller « l’accord Canada-Québec » (en le faisant sauter !), et nous permettrait de réellement fixer non seulement les volumes d’immigration dans le sens de nos intérêts collectifs, mais l’ensemble de notre politique linguistique et de notre politique de population.

Se saisir de cette question existentielle de façon décomplexée, utiliser les mots justes pour décrire le réel, et renouer avec la liberté de parole des origines est sans doute la condition d’une renaissance du mouvement indépendantiste.


Voir aussi

Disparaître ? de Jacques Houle : Regard franc sur l’immigration

L'immigration met-elle en cause l'existence de la nation ?