samedi 9 juin 2012

L'ancien ministre Louis O'Neill sur la Cour suprême et ECR : « Un jugement qui laisse perplexe »

L'ancien ministre et théologien Louis O'Neill revient sur le jugement de la Cour suprême dans le dossier ECR sur son carnet :

Pas facile de décrypter le jugement rendu par les honorables juges de la Cour suprême concernant le cours Ethique et culture religieuse. Il s’appuie sur deux évaluations juxtaposées et donne l’impression que le glaive de la justice aurait pu aussi bien pencher d’un côté de la balance que de l’autre. Au point de conclure, comme l’ont fait certains, que ce n’est que partie remise.

Une problématique embrouillée

La juge Deschamps, dont l’opinion reflète aussi celle de six collègues, constate au départ que « le programme dit en réalité peu de chose sur le contenu concret de l’enseignement et sur l’approche qui sera effectivement adoptée par les enseignants dans leurs relations avec les élèves. Il ne détermine pas non plus le contenu des manuels ou des autres ressources pédagogiques qui seront utilisés, ni leur approche à l’égard des faits religieux ou des rapports entre les valeurs religieuses et les choix éthiques ouverts aux étudiants. Le programme est composé d’énoncés généraux, de diagrammes, de descriptions d’objectifs et de compétences à développer, ainsi que de recommandations diverses sur son application. Il ne permet guère d’apprécier quel effet entraînera réellement son application ». Donc rien qui prouve qu’il viole la Charte canadienne ou la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ou qu’il porte atteinte aux droits des parents.

Dans une deuxième partie du jugement le juge LeBel, appuyé par le juge Fish, se rallie à l’opinion des autres magistrats mais introduit certaines nuances. « Par ailleurs, écrit-il, l’état de la preuve ne me permet pas non plus de conclure que le programme et sa mise en application ne pourront éventuellement porter atteinte aux droits accordés aux appelants et à des personnes placées dans la même situation. A cet égard, le seul manuel scolaire versé au dossier laisse dans une certaine mesure perplexe quant à la présentation des rapports entre le contenu religieux et le contenu éthique du programme. Par exemple, le contenu proposé à des élèves de six ans à l’occasion de la fête de Noël inviterait-il à la folklorisation d’une expérience et d’une tradition assimilées à de simples contes sur des souris ou des voisins surprenants ? Ce sont des questions et des inquiétudes possibles. Le dossier soumis à notre Cour ne permet pas d’y répondre. Toutefois, il se peut que la situation juridique évolue au cours de la vie du programme ECR ».

De tels propos laissent songeur. Comment a-t-on pu formuler un jugement en apparence définitif en s’appuyant sur des données incomplètes et insuffisantes ? N’était-on pas placé devant une situation où, vu les enjeux particulièrement délicats, on se devait d’appliquer le principe de précaution ? Celui-ci aurait conduit à reconnaître le droit à l’exemption prévu à l’article 222 de la Loi sur l’instruction publique. En outre, lors des débats entourant l’imposition du nouveau cours, il fut à maintes reprises question de relativisme, de pluralisme normatif, de ce danger de folklorisation auquel a fait allusion le juge LeBel. Dans un tel contexte, marqué par l’ambiguïté et l’incertitude, il eut été séant, me semble-t-il, de tenir davantage compte des convictions intimes des appelants, de leurs inquiétudes, et donc faire preuve de prudence en accordant le droit à l’exemption.

On n’a pas mis en doute les convictions sincères des appelants. Ce préalable avait servi de critère dans des décisions antérieures, par exemple dans le cas du port du kirpan ou dans celui du droit de construire un souccah sur le balcon d’un condominium. On ne comprend pas pourquoi il ne s’applique pas ici. C’est parce que les appelants, paraît-il, n’ont pas su faire la preuve que le nouveau cours portait atteinte à leurs convictions religieuses. Mais peut-on exiger de simples citoyens un argumentaire méthodique et détaillé dans une cause de ce genre où les honorables juges eux-mêmes avouent s’y retrouver difficilement, tellement il manque de pièces au dossier ? On aurait pu prendre acte de l’existence de convictions sincères, sans exiger de démonstration rigoureuse, comme avait tenté de le faire un plaideur de première instance qui s’était évertué, pareil à un inquisiteur zélé, à tenailler un adolescent en le bombardant de questions insidieuses sur la sincérité de ses convictions religieuses.

La suite des choses

Le jugement rendu par la Cour suprême n’empêche en rien une commission scolaire de reconnaitre le droit à l’exemption fondé sur un préjudice appréhendé par des parents. Ce qui irait, semble-t-il, à l’encontre dudit jugement serait que le ou la ministre de l’Éducation interdise une telle application de la loi. Le jugement de la Cour suprême ne rend pas inopérant l’article 222 de la Loi sur l’instruction publique.

Demeure en suspens la délimitation des droits parentaux. Ceux-ci ne sont pas absolus et sont restreints de prime abord par ceux des jeunes. On voit mal que des ados n’aient rien à dire sur des choix qui concernent leur propre liberté de conscience. En outre, les citoyens en général auraient raison d’intervenir face à un exercice de droits parentaux qui irait à l’encontre de valeurs sociales communément admises, comme cela se produit parfois dans des sectes. En revanche, les parents ne perdent pas leurs droits de premiers intervenants quand ils font appel aux service d’un système d’éducation, qu’il soit public ou privé. La délégation de responsabilité ne supprime pas ces droits, car « les parents ont par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » (Déclaration universelle des droits de l’homme, art.26, para 3).

Autre voie à explorer : renvoyer à l’enseignement de l’histoire et à des disciplines connexes l’initiation aux différentes traditions religieuses. Cela rendrait superflu cet étrange mixage que constitue le cours ECR et libérerait la transmission du savoir de l’indéfinissable substrat idéologique qui en constitue l’ossature. Ce qui n’empêche pas de conserver un volet éthique fondé sur des valeurs faisant consensus dans une société moderne héritière de la double tradition judéo-chrétienne et gréco-latine, telles le respect de la vie, la dignité de la personne, l’égalité, la responsabilité, la solidarité.

On pourrait en outre explorer une troisième voie, celle où, tout en maintenant le cours ECR sans qu’il soit obligatoire, on créerait un espace de liberté où l’on puisse offrir à ceux qui le désirent et là où le nombre de demandeurs le justifie, un cours de véritable culture religieuse dispensé par des enseignants compétents et qui sachent faire preuve d’une sensibilité spirituelle idoine. Ce qui à la fois respecterait la liberté de conscience et ajouterait un enrichissement culturel de qualité. Il y a de la place, dans un contexte de laïcité ouverte, pour une innovation de ce genre.

Voir aussi

« Match nul » sur la constitutionnalité du programme ECR, entretemps Jésus, Superman même combat !

Jugement de la Cour suprême : Réaction du Mouvement laïque québécois

ECR en Cour suprême — Mémoire du Regroupement chrétien pour le droit parental en éducation

LexView — Whose Children Are They, Anyway?

« In Canada, the state is the first educator of children in matters of faith... It seems.»

La neutralité de l'État et la neutralité de l'enfant

Réaction de l'avocat des parents à la décision de la Cour suprême du Canada

Ethics and Religious Culture in Quebec: Canada’s Supreme Court has erred

« État ou parent, qui est le premier éducateur des enfants ? »

Quebec’s Ethics and Religious Culture course is more about indoctrination than education





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