lundi 24 mars 2014

Compte rendu de l'audience Loyola c. MELS à la Cour suprême (dossier ECR)

Statue de la Vérité
devant la Cour suprême d’Ottawa
Table des matières
9 h 30, l’audience commence.

Me Mark Phillips, avocat pour Loyola, commence son plaidoyer :

1. Le respect des objectifs d’un cours permet d’équilibrer les objectifs du gouvernement et la nature de l’école catholique. L’école n’a pas de difficultés avec les objectifs et les contenus prescrits du cours ECR. Loyola ne s'oppose pas à la posture professionnelle neutre quand il est question d’enseigner les religions du monde, mais elle ne peut accepter cette neutralité quand il s’agit d’enseigner la religion catholique et lorsqu’il est question d’enseigner l’éthique dans cette école catholique. Par contre, cette posture professionnelle neutre se comprend dans une école publique. La loi au Québec accueille les écoles privées confessionnelles. Elle reconnaît leur spécificité. L'école a une obligation religieuse de faire ce qu'une école catholique doit faire en accord avec les structures de l'Église.

2. Les corporations religieuses jouissent de la protection religieuse. Me Mark Phillips cite un document émanant de la hiérarchie catholique qui oblige les écoles catholiques à enseigner la religion catholique et la morale d’un point de vue catholique. La juge Abella demande s’il existe une limite à cette liberté dans l’enseignement de l’éthique d’un point de vue religieux : quid si une religion enseigne quelque chose de contraire à la charte et aux « valeurs nationales » ? Me Mark Phillips pense que l’État devrait avoir beaucoup de libertés quand il évalue l’équivalence des contenus de deux programmes. Pour l’avocat de Loyola, l’importance est d’adhérer aux objectifs et d’enseigner le contenu du programme officiel. En  réponse au juge Rothstein, l’État devrait évaluer au cas par cas les demandes d’équivalence et ne pas juger en bloc ce que les écoles religieuses peuvent enseigner comme équivalent.

Le juge Lebel, le seul juge du Québec qui entendait la cause aujourd'hui, souligne que le ministre prétend qu’une des compétences n’est pas enseignée : la pratique du dialogue. Pour Me Phillips, la fonctionnaire qui a évalué le programme de Loyola n’avait qu’un résumé du programme ECR. Lors du jugement en première instance, le directeur de Loyola a affirmé solennellement que son école pratiquait complètement le dialogue et qu’il s’agit d’ailleurs d’un des traits principaux de l’école jésuite. Il y a donc une dose de mauvaise foi, à ce stade, à prétendre que Loyola n’enseigne pas la pratique du dialogue. Rien dans la législation (article 461 de la Loi sur l'instruction publique) qui a instauré ECR ne parle d’une approche confessionnelle ou non, elle parle plutôt d’objectifs et de contenu.

À une question du juge Moldaver sur ce que devrait, en pratique, dire un professeur si un étudiant déclarait qu’il ne croit pas en Dieu. Me Phillips rappelle que l’expert George Leroux avait dit que le professeur dans une école catholique ne peut rien dire, il doit s’abstenir. Pour l’avocat de Loyola, on ne peut pas demander au professeur catholique de reporter ces discussions à une autre heure où il pourra alors rappeler la doctrine catholique. C’est mettre en danger la nature même de l’école catholique.

[Rappelons ici que, dans son mémoire, Loyola avait illustré ce qu’être un enseignant « neutre » signifiait dans la pratique. L'école fournit l’exemple d’un élève qui dirait approuver la pornographie permise par la loi ou qui dirait vouloir devenir un pornographe. Le professeur jésuite de Loyola ne pourrait critiquer les vœux de l’élève à la lumière de la morale catholique. En fait, le programme exige que l’enseignant admette la prise de position de l’élève ou toute autre position qui ne serait pas illégale. Loyola compare l’argument du procureur général du Québec (PGQ) de se départir de son point de vue catholique pendant un seul cours à l’argument qui consisterait à dire aux juifs ou aux musulmans qu’ils ne doivent pas s’inquiéter parce qu’il n’y a que « quelques morceaux de porc dans le ragoût ».]

Le juge Rothstein demande si un prêtre pourrait enseigner ECR. Me Phillips répond : « ni un prêtre ni un laïc catholique qui se veut en accord avec sa foi ». La juge Abella revient sur la notion d’équivalence quand une école religieuse veut enseigner la morale et la religion d’un point de vue religieux et « transcendant » alors que la nature du programme en jeu est non confessionnelle et séculière. Selon elle, une telle approche confessionnelle contredirait les objectifs du cours. La juge Karakatsanis considère que l'objectif du programme ECR est d'enseigner la neutralité religieuse, une vision laïque. Elle a des difficultés à admettre qu’il existe une différence claire entre les objectifs et l’approche non confessionnelle, alors que les objectifs du cours seraient d’enseigner les religions d’une manière non confessionnelle.

La juge Abella revient à l’attaque : est-ce que l’objectif de ce programme n’est pas précisément d’apprendre aux élèves de ne pas porter de jugement sur les autres positions éthiques (les autres religions) ? Me Phillips répond que l'école n'accepte pas cette contrainte. Abella insiste par ses questions sur la faible durée du programme ECR. L'avocat de Loyola précise le nombre de crédits par année accordés pour ce programme au secondaire (2-2-0-4-2) et le nombre total d'heures pour ces mêmes années : 250 heures. La juge Abella ajoute que l'école peut imposer une ambiance catholique (et ses jugements de valeur) pendant 90 % de l'année scolaire. L'État demande que, pendant 10 % de l'année scolaire, les élèves examinent d'autres positions. L'avocat de l'école souligne la qualité de cette heure : c’est le cœur de sa mission (l’enseignement de la morale et de la religion).

Me Phillips précise en réponse à une question de Karakatsanis qu'en éthique Loyola présentera également les autres positions éthiques.

La juge en chef, McLaghlin, demande quels sont les objectifs du programme. Réponse : reconnaissance de l’autre et poursuite du bien commun. Pour le juge Moldaver, la pratique du dialogue tant vantée dans ce programme est en fait très corsetée puisque le professeur ne peut affirmer ce qu’il pense, ni même questionner l’élève pour l’emmener à réfléchir à la lumière de la tradition religieuse de l’école. Il trouve que le programme réprime le dialogue et la diversité et que le dialogue n'est pas diminué par la position de Loyola.

Me Phillips rappelle que les établissements privés font partie de notre tissu démocratique. Notre tradition impose aussi une approche souple pour respecter cette diversité. La décision du ministre rétrécit le nombre d'options disponibles. La juge Abella demande si une école juive pourrait dire pendant le volet éthique que la position d’une autre religion sur un sujet (comme le mariage, l’avortement) est fausse. Abella semble vouloir montrer que l’éthique est intimement mêlée aux religions et donc que l’objectivité proclamée de Loyola quand il s’agit d’enseigner la religion des autres n’est pas tenable dans le volet éthique puisque Loyola veut l’enseigner d’une façon catholique.

Pour Me Phillips le respect des objectifs oblige l’école d’enseigner les différentes positions de manière respectueuse et Loyola le fait. « Quel est donc le problème ? », de demander la juge Abella. Me Phillips admet que la différence est ténue. Loyola ne demande pas grande chose : pouvoir enseigner et défendre le point de vue catholique pendant le cours ECR. « C’est la pincée de sel qui fait de Loyola une école catholique », c’est cela que vous dites d’ajouter le juge Lebel.

Le temps manque pour parler en longueur de la liberté d’une corporation religieuse. La juge Abella demande de qui on parle quand on réfère à la religion de l'école : les actionnaires, le recteur ? Me Phillips fait référence à la mission affirmée du collège et au guide de l'élève (student handbook). Le juge Lebel semble tendre une perche : peut-on dire que la religion a besoin d’une structure (une corporation) pour s’épanouir ? Le juge Moldaver se demande s’il faut même aller sur ce terrain et ne pas simplement se cantonner au droit administratif et restreindre la question à l’équivalence ou non de programmes. Me Phillips est d’accord et parle d’un désaccord sur « un minuscule aspect » du programme.

Il indique que certains intervenants parleront de l'aspect collectif de la liberté religieuse.

Fin du plaidoyer de Me Phillips.

Me Mark Phillips (à gauche) et Paul Donovan, directeur de Loyola,
lors de la suspension de séance. (Photo : Cardus)

L’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) défend la dimension communautaire de la liberté religieuse, cite les jugements passés de la juge en chef, de la juge Abella et du juge Lebel qui insistent sur la dimension collective de la liberté religieuse. Plusieurs mentions à la décision des frères huttériens (huttérites). Les communautés religieuses doivent pouvoir jouir de la liberté religieuse, à travers des institutions, sinon elles devront avoir user de recours collectifs.

L’ACLC se penche maintenant sur la norme d’examen applicable. Cette cour ne devrait pas hésiter à intervenir si l’analyse des fonctionnaires (sur la proportionnalité des objectifs) était erronée. Il faut chercher ici l’équilibre entre les objectifs de l’État et la liberté des écoles religieuses et des parents.

Au tour de l’Alliance évangélique du Canada et de Me Albertos Polizogopoulos. À nouveau, l’État a-t-il cherché à concilier les objectifs de l’État et les droits de l’école ? Parmi ces droits, le plus haut tribunal du pays a toujours déclaré que l’on doit pouvoir pratiquer sa religion au Canada sans intervention de l’État.

Pour Me Polizogopoulos, parmi les « valeurs nationales » qu’évoquait la juge Abella figure ce droit de pratique de sa religion libre de toute surveillance gouvernementale. On ne peut considérer la liberté de Loyola sans se pencher sur le contexte dans lequel se situe cette école et on ne peut passer sous silence le fait que le gouvernement québécois a montré de l’hostilité envers la manifestation publique de la religion et que Loyola vit dans un contexte où sa position est marginalisée. Le contexte compte. Une société démocratique valorise la diversité des opinions. Toute limite imposée doit être raisonnable et dont la justification peut se démontrer.

Pour l’Alliance évangélique du Canada, le nombre d’heures pendant lequel on suspend la nature religieuse de l’école n’est pas une mesure pertinente. La simple suspension — peu importe le temps — est grave. Pour Me Polizogopoulos, Loyola n’a pas à justifier sa demande d’équivalence, il revient à l’État d’expliquer son refus d’équivalence. L’important n’est pas que Loyola cesse d’être catholique pendant 250 heures, mais que Loyola cesse d’être catholique et cela est inacceptable dans une société libre et démocratique.

Me Ranjan K. Agarwal pour la Ligue catholique des Droits de l’Homme, Association des parents catholiques du Québec, Faith and Freedom Alliance and Association de la communauté copte orthodoxe du grand Montréal. Il est impossible pour les personnes de pratiquer leur religion sans profiter d’un regroupement sous la forme d’une personne morale. Comment acheter un terrain pour leur temple, avoir un compte en banque, bénéficier des dons de bienfaisance ?

Me Agarwal répète les propos du juge Lebel dans l’affaire des frères huttériens (huttérites) : la religion n’est pas uniquement une affaire personnelle, il y a des aspects collectifs. La personne morale permet la longévité, la pérennité de ces structures au-delà de la vie des fondateurs. En Ontario et au Québec, les sociétés bénéficient de protection contre la coercition en vertu de l'article 2a de la Charte  il en va de même aux États-Unis et dans l'Union européen.

Comment déterminer quelles sont les croyances sincères d’une corporation, de cette personne morale ? Il faut se pencher sur les statuts de cette personne morale. Une entreprise comme La Baie n’a pas de personnalité religieuse, mais ce n’est pas le cas d’une église, d’un établissement scolaire à vocation religieuse. Le Canada ne cherche pas à fondre les convictions dans un creuset, mais il encourage la diversité.

La juge Abella demande si l’État peut promouvoir (imposer) une tolérance religieuse même si cela peut avoir un impact sur l’autonomie d’un établissement religieux. Me Agarwal  répond que cette entité doit montrer qu’elle peut prendre en compte ces objectifs (la tolérance) et les concilier avec ses propres objectifs. Il suggère que le jugement dans l'affaire Amselem doit être amplifié pour mieux tenir compte de l'aspect collectif de cette liberté.

Suspension de séance à 11 h. Reprise à 11 h 15.

Me Milton James Fernandez pour la Corporation archiépiscopale catholique romaine de Montréal et l’archevêque catholique romain de Montréal retrace l’historique de cette corporation remontant au XIXe siècle. Souligne les objectifs de ces corporations : ceux liés à l’éducation, aux hôpitaux et aux églises. L’évêque a le devoir de surveiller l’éducation dans un établissement catholique et de déterminer s’il est conforme à la doctrine catholique. Me Fernandez souligne les propos du juge en première instance, le juge Dugré.

Rappelle la décision du juge Dickson en 1985 sur la loi du Jour du Seigneur (datant de 1907), une loi qui enfreint la liberté religieuse est nulle. Pour Me Fernandez, la décision des fonctionnaires, entre autres M. Pettigrew contrevient au droit canadien quand il mentionne qu’une approche confessionnelle ne peut satisfaire les critères d’équivalence à moins que l’école démontre que son programme est bien équivalent. Le fonctionnaire a placé la charge de preuve sur les épaules de l’école ce qui est inacceptable, c’était à l’État de faire la démonstration contraire. L'État s'est fait juge de la religion alors que l'État n'est pas arbitre du dogme. Appliquer le critère de la foi ici enfreint la Charte.

Me Palbinder K. Shergill, une dame, prend la parole pour l’Organisation sikhe mondiale (OSM) du Canada. Pour cette organisation, Loyola jouit de droits religieux collectifs. Les organisations internationales l’ont affirmé et n’ont pas eu de difficultés à déterminer les convictions d’organisations religieuses. L’OSM n’a pas de problème avec les objectifs du programme ECR. Pour les sikhs, les autres religions ne posent pas de difficultés : la foi sikhe reprend des écrits d’autres religions. Le but du dialogue est de susciter la réflexion et le partage. L'approche du PGQ inhibera le dialogue.

Pour Me Shergill le problème surgit quand l’État veut dicter dans une école catholique comment cette école doit enseigner la foi catholique et la morale. Pour répondre au juge Rothstein, l’État peut limiter la manière d’enseigner la morale par exemple si celle-ci visait à enseigner une vision homophobe. Les sikhs doivent pratiquer leur religion au sein d’une communauté, on ne peut être sikh tout seul. Pour les sikhs, les établissements scolaires sont vulnérables à l'intervention de l'État dans le domaine de la liberté religieuse, dans les écoles privées comme dans les écoles publiques. Il nous faut une approche cohérente qui puisse s'appliquer à toutes les écoles.

C’est au tour de Me Robert Reynolds, Alliance des chrétiens en droit, de plaider. Jusqu’à quel point l’État peut-il s’impliquer en matières religieuses ? L’État québécois a décidé de présenter sa vision de la religion, cette approche se dit neutre, mais elle est fondamentalement agnostique et contraire à la manière dont les religions se considèrent. Le programme est hostile à la plupart des religions et enseigne le pluralisme normatif; toutes les religions sont présentées comme d'égales valeurs. Le programme est superficiel, dans un exercice les élèves sont même encouragés à inventer leur religion et le programme considère clairement la religion comme une simple invention humaine. Or, la vraie religion c'est la recherche de la vérité, du divin, elle engendre la foi et une façon de vivre. Dans le cas du parent associé à cette affaire, le professeur Zucchi, la religion est au centre de sa vie. Mais l’État oblige Loyola, une école catholique, à adopter une attitude agnostique : que toutes les religions sont également fausses ou non pertinentes.

La juge Abella demande si l’État a le droit de promouvoir le fait que plusieurs religions prétendent détenir la vérité. Pour Me Reynold, oui, mais en même temps l’État n’a pas le droit d’empêcher l’école d’affirmer ses convictions religieuses et d’abandonner sa raison d’être. Le cours ECR enfreint la liberté de religion du parent Zucchi : il veut enseigner sa foi, il veut que son fils croie, le programme ECR par contre vise à enseigner l’agnosticisme ou le désengagement religieux.

Me Reynolds cite le droit international qui prend très au sérieux le droit des parents d’enseigner et transmettre leur religion et leur morale sans entrave de la part de l’État. Le gouvernement doit respecter ce droit. L’État n’a pas cherché à concilier ce droit dans sa décision de refus d’équivalence. Ce refus n'est pas raisonnable et ne peut être justifié.

Me Chipeur pour les Adventistes du 7e jour. Suspendre l’expression de la foi religieuse pendant une heure n’est pas acceptable. Il cite l’Évangile de Luc (19:39-40) pour soutenir cette proposition : « 39  Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, réprimande tes disciples ! » 40 Mais il prit la parole en disant : « Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. »

Est-ce que les actes du gouvernement du Québec n’équivalent pas à une loi contre le blasphème ? En effet, ils cherchent à museler l’expression religieuse dans les écoles qui serait devenue inacceptable dans une société laïque quand on parle de morale ou de religions. À ce titre, la décision du ministère doit être renversée. Pour répondre à la juge Abella, sur les limites de la liberté des écoles religieuses en la matière, Me Chipeur cite le juge Dickson. Le gouvernement devait chercher l’accommodement, mais il a imposé le silence à l'école catholique et aux enseignants en empêchant l'expression confessionnelle.

Il cite Multani pour rappeler que l'État doit chercher l'accommodement, sauf s'il existe une raison grave contraire, comme la sécurité publique, l'ordre, la santé, les croyances fondamentales des autres. L'État devait-il considérer la religion de l’école  Non, selon l’avocat des adventistes, voir l’affaire Trinity Western. L’État ne devrait pas prendre en compte la nature religieuse de l’école à moins qu’une objection ait été présentée à cet effet. Le gouvernement du Québec ne devrait pas poser de questions religieuses. L'État doit accommoder les écoles tant que celles-ci peuvent répondre par l'affirmative à une question simple : est-ce que le cours est enseigné en accord avec la valeur de tolérance ?

Un des juges rappelle que c’est un critère différent de celui proposé par Me Phillips. Pas vraiment de répondre Me Chipeur : l’État n’a pas posé de questions précises, il s’est contenté de soulever la religiosité de l’approche de Loyola, il n’a en aucune façon soulevé des objections sur des aspects précis. La neutralité demandée aux professeurs de l’école publique, acceptable à l'école publique pour Me Reynolds, enfreint la liberté de religion dans le cas d’une école religieuse. 

Le procureur général du Québec, Me Boucher devant la Cour suprême
(Capture d'écran)
Me Boucher à la barre pour le Monopole de l’Éducation du Québec.

Il faut recentrer le débat sur la question en litige : l'équivalence du programme de Loyola et la légitimité de la décision de la ministre de refuser cette équivalence. Il commence par citer les lois qui encadrent le jugement du ministère   La Loi sur l'instruction publique (LIP_, articles 447 et 461. La loi sur l'enseignement privé, article 25. La loi sur le ministère de l'Éducation, articles 2. Il conclut en disant que le ministère devait juger si le programme de Loyola était équivalent à celui d'éthique et culture religieuse. Pour Me Boucher, il revient en vertu de l'article 461 de la LIP à la ministre de déterminer la « substance », le « contenu » des programmes d'enseignement.

Il reprend ensuite les différences entre le programme ECR et ce que proposait Loyola comme équivalent :
  • le programme du ministère était non confessionnel alors que celui de Loyola était de nature religieuse ;
  • le programme de Loyola « n’amène pas l’élève à réfléchir sur le bien commun, ni sur des questions éthiques, mais l’amène plutôt à adopter la perspective jésuite du service chrétien » ; 
  • le programme ministériel dans son volet éthique ne propose pas d’enseignement moral alors que celui soumis par l’appelante apparaît être axé sur l’enseignement des repères moraux édictés par l’Église catholique », ensuite
  • « contrairement à ce que prévoit le programme ministériel, le volet culture religieuse du programme local de l’appelante vise l’étude des autres religions en lien avec la religion catholique ; » et enfin
  • « la compétence “pratique du dialogue” du programme ministériel est absente du programme local soumis par l’appelante », alors qu'ECR encourage le questionnement, la clarification de points de vue, le sens critique.
Le juge Lebel corrige la ministre : il n’existe pas de croyances jésuites, mais des croyances catholiques. Pour Me Boucher, la ministre a dû reprendre les termes de Loyola. Les objectifs d’ECR sont très différents de ceux du programme de Loyola. ECR propose le respect des positions ; Loyola veut enseigner la foi et la morale catholiques. L’avocat du gouvernement québécois se penche ensuite sur le rôle d’animateur neutre prescrit aux enseignants dans le programme ECR. Les fins de ces deux programmes (ECR, Loyola) sont différentes. On ne parle pas ici d’un détail, mais de la nature même du programme ECR. Donc, demande le juge Lebel, un programme qui s’inscrit dans une perspective religieuse ne pourra jamais être jugé équivalent ? Réponse : Loyola ne pourra pas inscrire sa vision dans le cadre ECR.

La juge Abella demande comment une école religieuse peut démontrer que son programme est équivalent. Me Boucher dit qu’il est clair que si le programme est confessionnel il s’agit d’autre chose que le programme ECR. La ministre n’avait pas la preuve faite en première instance (où Loyola explique qu’il enseigne le volet dialogue par exemple), mais elle avait en main une description succincte d’un programme religieux envoyée quand on lui a demandé une équivalence.

Le juge Lebel demande si l’école devra donc enseigner un programme ECR contraire à ses convictions. Me Boucher dit avoir entendu cela de la part d’intervenants, mais pas de la part de Loyola, Me Phillips est d’accord avec le contenu du programme ECR. Pour Me Boucher, ce programme neutre ne contrevient pas à la liberté de religion comme cette cour l’a établi lors de la cause S.L. contre Commission scolaire des Chênes. [Note du carnet : La cour a simplement dit qu’on ne lui a pas présenté de preuves convaincantes dans ce sens, le juge Lebel a d’ailleurs écrit explicitement que cela ne signifiait pas que, avec plus de preuves, il ne pourrait pas condamner le programme ECR.]

Le procureur du monopole de l’Éducation cite les critères d’un Me Jose Woehrling pour pouvoir enseigner un programme neutre portant sur les religions et l’éthique dans une école publique et donc privée. C’est exactement, selon Me Boucher, ce qu’est le programme ECR. L’avocat rappelle que la description du programme Loyola ne dit pas un mot sur la pratique du dialogue. Or, cette pratique est fondamentale et elle a un contenu formel : de nombreuses formes de dialogue structurées doivent être enseignées et mises en pratique. Cela permet d’expérimenter les aptitudes de vivre-ensemble. La décision de la ministre était raisonnable : les compétences ont été prises en compte, il en manque une, les programmes n’étaient pas équivalents.

La juge Abella souligne que la loi ne requiert pas l’identité, mais l’équivalence. Équivalence dans un contexte particulier, une école catholique. Pour Me Boucher, lors d’une discussion d’éthique, il n’y a pas d’entraves pour un catholique (un élève) à défendre sa foi, on ne vise pas à lui faire changer ses valeurs, mais à lui faire comprendre qu’il en existe d’autres. Personne ne conteste que Loyola puisse enseigner la morale catholique, l’école ne peut pas le faire dans le cadre ECR. Le programme ECR n’est pas un cours religieux et n'importe[rait] pas de jugements de valeurs. [Cela reste à démontrer pour ce carnet : il valorise la conception selon lesquelles les religions et les morales sont égales et qu'elles sont acceptables pour autant qu'elles s'accordent avec le respect de l'autrui et la religion civique contemporaine. Lors de cette audience, on a ainsi réussi à mentionner l'homophobie et que cela ne saurait été acceptable. Voir l'arrêt Whatcott de la Cour suprême  pour qui même la vérité ne saurait protéger de poursuites ceux qui blessent les minorités à la mode.]

Pour la juge en chef, on peut aborder dans les volets éthique et pratique du dialogue de très nombreuses valeurs et perspectives religieuses. Il est difficile pour la juge en chef de concevoir que l’enseignant dise « je ne peux vous répondre en fonction de ma religion ». Me Boucher dit qu’un élève pourra donner son avis et exprimer sa conviction. La juge en chef parle plutôt de la conviction du professeur.

Pour le juge Moldaver, en parlant du dialogue, « il me semble que le professeur doit fermer la bouche ». La salle s'agite. Pour Me Boucher, si le professeur pouvait affirmer son point de vue on brimera alors, peut-être, la pleine liberté d’expression des élèves.

Me Boucher réitère que personne n’empêche Loyola de parler de la foi catholique, dans le cadre d’un autre cours pour lequel le ministère accorde 4 crédits. Le juge Lebel ajoute, ce n’est peut-être pas tant qu’on empêche Loyola de faire quelque chose, mais qu’on l’oblige de faire quelque chose que cette école réprouve. Me Boucher réplique qu’il voudrait bien savoir ce que Loyola reproche au cours ECR.

Un des juges (Cromwell) souligne que la décision de première instance contredit les prétentions du ministère sur l’absence de reproches par rapport au programme ECR. Le procureur général du Québec a beau jeu de dire que Loyola aujourd’hui ne reproche que la posture professionnelle, personne ne demande de déclarer le programme d’ECR inconstitutionnel, il ne contrevient donc pas à la liberté religieuse. La Cour d’appel a d’ailleurs un avis contraire à celui du juge de première instance, le juge Dugré.

Me Boucher souligne un des objectifs : exposer les élèves à des points de vue différents à ceux qu’ils entendent à la maison. C’est un objectif impérieux et il ne contrevient pas à la liberté religieuse en ce faisant. Cette absence d’infraction à la liberté religieuse est confortée par l’ensemble des experts universitaires (en sciences religieuses, éducation, philosophie, etc.) consultés lors de l’élaboration de ce programme, la position de l'AECQ, la Commission de la Jeunesse, ainsi que le rapport dithyrambique de la Fédération des établissements d’enseignement privé du Québec qui accueillait le programme ECR [Écouter le discours du directeur de cette fédération : « Georges Leroux est mon gourou »]. La ministre ne pouvait donc penser que le programme entravait la liberté de religion et pouvait être contraire à la Charte quand elle a rejeté la demande d’équivalence. Comment lui reprocher alors de ne pas avoir considéré que le refus d'équivalence constituait une infraction possible à la liberté religieuse ?

Me Boucher cite alors la décision S.L. contre Commission scolaire des Chênes où l'on adressait les mêmes critiques à savoir qu'il entravait la liberté des parents avec les mêmes arguments. La juge Deschamps (qui a depuis lors pris une retraite prématurée) affirmait que le simple fait d’enseigner des religions différentes n’enfreint pas la liberté religieuse et que les appelants n’ont pas fait la preuve qu’il y avait infraction à la liberté religieuse. Loyola peut choisir ses professeurs, Loyola peut choisir les sujets qu’elle abordera lors des cours lors des classes d'ECR, les exemples du programme ne sont que des suggestions. L’école peut donc minimiser les risques qu’elle dit voir dans le programme ECR.

Pour Me Boucher, le matériel didactique analysé et présenté en preuve ne pourrait être approuvé, car il s’agit de caricatures, une des entraves au dialogue dénoncées par le programme ECR. [Ce matériel didactique n'a pas à être approuvé, quant aux manuels d'ECR aucun n'était approuvé pour le secondaire en 2008... C'est aussi oublier que pour le témoin expert de Loyola, Gérard Lévesque, le programme ECR lui-même, pas seulement le matériel didactique, est superficiel, présente une vision tronquée des religions centrée sur les "phénomènes", mélange à dessein légendes, mythes et religions, etc. Lire son rapport.]

Me Boucher mentionne la présence dans la salle de sa fille qui a suivi le programme ECR. Le procureur général insiste sur le fait que le programme ne vise pas à faire changer d'avis les élèves, mais qu'il est neutre. [Quel serait alors son effet, peut-on se demander, puisque le programme ne prescrit quasiment aucun fait à connaître, mais commande plutôt une attitude à adopter envers « la diversité » ? The lawyer doth protest too much, methinks.(L'avocat proteste trop, ce me semble.)]

Me Boucher aborde la liberté religieuse « corporative », collective. Pour le juge Lebel, le mémoire du ministère semble souvent réduire la liberté de religion à la seule liberté de conscience, le fait de croire, d’avoir une intime conviction. Me Boucher reprend son argument écrit : la religion est une affaire personnelle, individuelle. Une affaire de choix personnels, de croyances intimes. Le juge Lebel demande si cette insistance signifie que la liberté de religion se limite au for intérieur ? Pour l’avocat du gouvernement québécois, le problème avec une liberté religieuse autonome attribuée à une personne morale c’est de savoir de quelles croyances il s’agit : celles des actionnaires, des parents, des élèves ? Il cite Brooke et Amselem.

Réplique de Me Phillips.

Me Boucher a commis une erreur d’importance quand il a cité l’article 461 de la Loi sur l’instruction publique [l’éducation privée est un clone au Québec de l’éducation publique] : « Ces programmes comprennent des objectifs et un contenu obligatoires et peuvent comprendre des objectifs et un contenu indicatifs qui doivent être enrichis ou adaptés selon les besoins des élèves qui reçoivent les services. » Me Phillips rappelle qu’on y parle d’objectifs, mais que Me Boucher a ajouté le mot de « substance ». Or, ce mot n’y figure pas. Me Phillips cite d’autres textes et le programme officiel pour insister sur le contenu et les objectifs et non la façon non confessionnelle de présenter le programme ECR.

Pour Loyola quand on considère tous les textes, il existe de la place pour une école comme Loyola pour enseigner l’éthique dans une approche catholique. Ce que propose Loyola est une approche riche qui enseigne les religions du monde avec respect. En outre, il est bon que l’élève sache également d’où il vient, ce qu’il est en tant que catholique.

Fin de l’audience vers 13 h.

Cette audience a été nettement plus courte que celle qui opposait les parents de Drummondville à leur commission scolaire.

Notre  impression

Pour résumer, les questions suivaient deux grands axes :
  • D'une part, si on fait valoir la liberté de religion de Loyola, qu'en est-il du « droit de l'État de promouvoir la diversité, la tolérance et le respect » ? Et quand ces deux droits rentrent en conflit, comment établir l'équilibre entre ces deux droits ? C'est la ligne de questionnement suivie par la juge Abella.
  • D'autre part, est-ce que la ministre a sérieusement envisagé la nature confessionnelle de cette école catholique quand elle a refusé la demande d'équivalence ? Doit-on conclure logiquement qu'aucun programme sur les religions du monde et l'éthique donné dans une perspective religieuse ne pourra être accepté comme équivalent ? Est-ce que ce refus d'équivalence est bien l'atteinte minimale à la liberté religieuse acceptable dans une société démocratique qui tente de concilier les droits de l'État et d'un établissement scolaire privé ? C'est la ligne adoptée par le juge Lebel qui n'est pas sans rappeler celle du juge de première instance, le juge Dugré.
Me Phillips a admis que ce que Loyola demandait était minime (« tiny »), disant d'emblée que son client « ne demande pas la lune », il lui paraît donc naturel que l'on concède une demande tellement raisonnable. Me Boucher a justifié le refus qui était raisonnable à l'époque étant donné les documents produits qui indiquaient selon lui des différences flagrantes entre les deux programmes. Aujourd'hui encore, si la demande actuelle est minime, tout empiétement des droits religieux de Loyola, si tant est qu'il y ait infraction et que Loyola jouisse de droits religieux, ne peut donc être que minime et donc acceptable en regard de la loi. Non seulement, pour Me Boucher, la demande de Loyola aujourd'hui est-elle minime, mais Loyola peut choisir ses enseignants, son matériel didactique et les questions éthiques abordées en classe pour éviter les sujets qui seraient controversées pour une école catholique.

Il serait vain de tenter de deviner l'issue de cette cause aux questions des juges. Toutefois, il semble que les sept juges assemblés aujourd'hui étaient mieux disposés envers Loyola que les trois juges de la Cour d'appel qui avait donné tort à l'école montréalaise, trouvant que le refus d'équivalence était raisonnable et que l’empiétement à la liberté de religion de Loyola, s'il y en avait un, était minime. Voir notre relation de cette audience et notre billet sur la décision de la Cour d'appel.

Voir aussi

Supreme Court told Loyola is "not asking for the moon" (Catholic Register)

Le programme d'enseignement Éthique et culture religieuse débattu devant la Cour suprême (Presse canadienne)

Private high school fights for right to teach Catholic faith at Canada’s highest court (LifesiteNews)

Barbara Kay: Quebec case puts Catholic teaching in crosshairs (National Post)

Opinion: Loyola High School is defending freedom of religion (Gazette de Montréal)

Supreme Court hears religious freedom arguments in Loyola case (The BC Catholic)


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