samedi 21 décembre 2013

Finkielkraut : non à l’école humanitaire !

Extraits d'un entretien que Le Point a eu avec le philosophe français Alain Finkielkraut :

Finkielkraut — [...] La qualité première de l’enseignant est en effet [aujourd'hui] la sollicitude envers les élèves en grande difficulté. C’était un maître, c’est désormais une assistante sociale. Notre société sécularisée a gardé de ses origines chrétiennes le parti pris systématique de la victime, mais elle n’a plus aucune considération pour ce que Pascal appelait l’« ordre de l’esprit ».

Dès lors, les professeurs de classes préparatoires [sorte de cégeps d'élite qui préparent aux concours très sélectifs des Grandes Écoles, des universités de prestige] sont regardés avec suspicion. Ils ont déserté le terrain de la souffrance et se sont réfugiés dans les beaux quartiers, où ils transmettent leur cher savoir à des héritiers, à des nantis.

Le Point — Quels que soient les présupposés idéologiques à l’œuvre contre l’excellence, la réalité, c’est que les meilleurs élèves bénéficient des meilleurs professeurs. Dans ces conditions, jamais M. Germain n’aurait pu distinguer le jeune Albert Camus, orphelin et pauvre.

Finkielkraut — La gauche compassionnelle a tué et remplacé la gauche républicaine et c’est au détriment de ceux-là mêmes à qui elle prétend venir en aide.

M. Germain était un instituteur exigeant, qui ne plaisantait pas avec la discipline, et, s’il a distingué Albert Camus, c’est précisément parce qu’il le jugeait meilleur que les autres élèves : tout le contraire de ce qu’on demande aujourd’hui à l’enseignant humanitaire. Celui-ci est sommé de faire cours en fonction de l’élève en difficulté, parfois même les bons élèves sont d’autorité placés au fond de la classe. Le résultat, c’est que le niveau général baisse inexorablement, que les parents qui en ont les moyens envoient leurs enfants dans l’enseignement privé ou dans les collèges et lycées publics qui maintiennent la rigueur et l’exigence républicaines.

Ainsi, le fossé se creuse entre les héritiers et les autres, et plus il se creuse, plus on veut jouer sur la corde sensible et réviser les exigences à la baisse en se réglant sur les capacités des plus faibles. Nous sommes dans un cercle vicieux.

Le Point — Mais faut-il, sous prétexte de refuser l’égalitarisme, renoncer à l’égalité républicaine ?

Finkielkraut — L’égalité républicaine, c’est l’égalité des chances, ce n’est pas la réussite garantie pour tout le monde. Un message désastreux est aujourd’hui envoyé à tous les élèves. On laisse entendre que, si les fils de la bourgeoisie ou les enfants d’enseignants font de bonnes études, c’est exclusivement en vertu de leur naissance : pour être admis à Normale sup [une des Grandes Écoles de prestige], pour obtenir l’agrégation d’histoire ou pour devenir docteur en médecine, ils n’auraient pas d’effort à produire, mais simplement un certificat d’état civil. Quant aux élèves « défavorisés », pourquoi s’obstineraient-ils ? [On leur dit que ] Leur échec est programmé et entièrement imputable à l’injustice du système social. Au lieu de les stimuler et, comme on dit dans le sport, l’un des derniers domaines où règne l’excellence, de leur « mettre la pression », le discours de l’école et sur l’école les installe dans le ressentiment.

Le Point — N’empêche, le dernier classement Pisa révèle aussi un système de plus en plus inégalitaire et de moins en moins performant.

Finkielkraut —  Si l’on regardait ce classement avec lucidité, on constaterait que les pays qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui ont conservé les anciennes méthodes pédagogiques, notamment l’apprentissage par cœur, et qui cultivent, avec le goût de l’effort, le respect des maîtres. Je ne plaide pas pour un enseignement à la coréenne. La République m’allait très bien.

Le Point — Une autre caractéristique des pays les plus performants est qu’ils ont, contrairement à la France, une société culturellement homogène [donc moins d'immigrés de cultures différentes...] Nous devons, quant à nous, offrir des chances égales aux enfants d’immigrés. Pourquoi ne pas leur envoyer, à eux aussi, les meilleurs profs ?

Finkielkraut —  Je ne crois pas qu’on leur envoie nécessairement de mauvais professeurs.

[...]

En revanche, je lis avec frayeur des rapports qui nous disent que le français n’est rien de plus que la langue dominante d’un pays plurilingue et qui nous répètent sur tous les tons qu’il n’y a pas d’asymétrie entre la culture française et les cultures d’origine des nouveaux arrivants. Si cette idée entre définitivement dans les consciences, il n’y aura plus de fondement à la transmission.

Le Point — L’asymétrie que vous évoquez n’est-elle pas tout bonnement une justification des inégalités ?

Finkielkraut —  L’asymétrie n’est pas la supériorité, mais l’ascendant en France de la culture nationale sur les cultures venues d’ailleurs. Le système scolaire s’effondre. Nous sommes entrés dans une période de sauve-qui-peut. Et, effectivement, tout le monde ne peut pas. Les misérables sont les grands perdants du tournant misérabiliste pris depuis quelques décennies par l’Éducation nationale.







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