jeudi 10 février 2022

La couleur du pouce en l'air (était L'Homme enceint d'Unicode et Apple)

 Selon la radio publique américaine NPR qui cite des universitaires, choisir le pouce levé de couleur jaune 👍 quand on est blanc ne serait pas neutre, car ne pas choisir le pouce blanc 👍🏻 serait faire preuve d'un manque de prise de conscience du privilège blanc... (Voir l'article écrit par 3 rédacteurs de NPR...)




Une polémique a éclaté après qu’Apple a ajouté un pictogramme « homme enceint » dans la version bêta du futur logiciel de l’iPhone. Une polémique de plus dans ce domaine et sans doute pas la dernière, comme nous allons le voir ensemble. Cette (autre) analyse d’Eugénie Bastié du Figaro souligne les liens entre la Silicon Valley et les tenants de la diversité, et leurs contradictions.

 Le nouvel émoji « homme enceint » sur l’iPhone

Un rappel d’abord. Les émojis sont un jeu de caractères venu des opérateurs télécoms Softbank et NTT Docomo au Japon. Ils sont gérés par le Consortium Unicode, une organisation californienne à but non lucratif créée en 1991 pour que les appareils informatiques puissent s’échanger des textes de manière normalisée et permettre ainsi d’afficher toutes les langues du monde sur tous les ordinateurs dotés des polices adéquates. Son travail a été décisif dans l’essor du Web. Les membres décisionnaires de l’association s’appellent Google, Apple, Facebook, Netflix, Microsoft, mais aussi l’Université de Berkeley et le ministère des Habous et des Affaires religieuses du Sultanat d’Oman.

Un « sous-comité » du Consortium Unicode se consacre aux émojis. Il est présidé par Jennifer Daniel (ci-contre, oui elle a un anneau dans le nez), conceptrice-graphiste chez Google. Elle n’est pas informaticienne et est passée par le New York Times avant de se joindre au géant californien. Ces pictogrammes numériques jouissent d’une incroyable popularité depuis qu’ils ont été intégrés par Apple sur les claviers de l’iPhone en 2008, peu après par Google dans Gmail puis Android, et standardisés par Unicode. Ils sont devenus des figures du quotidien, composantes du langage écrit. Arte a diffusé un documentaire en trois épisodes sur le sujet : Emoji Nation. Nous incluons la vidéo vers ce documentaire dans ce billet.

Ce Consortium Unicode s’est donné pour mission de rendre les émojis plus « inclusifs ». Cette « priorité » est inscrite noir sur blanc dans de nombreux documents. Les émojis étaient imprégnés par la culture et l’imaginaire japonais. Ils ont été projetés sur des centaines de millions de téléphones intelligents, en particulier occidentaux. Le vocable californien, multiculturel et inclusif, a pris le relais. Chaque année, le consortium Unicode dresse des listes d’émojis à inclure ou à corriger, parfois sur proposition extérieure. Il en altère la dénomination, rectifie des intitulés. Ces changements se diffusent dans les cellulaires et les ordinateurs. Une liste complète de ces émoticônes avec leur nom en français existe (voir ici ou , pour Unicode 14.0, il existe aussi une série de symboles et de pictogrammes Unicode : ici et ).

 Les familles mixtes vues en émojis.

Il y a d’abord eu le sujet des couleurs. Le jaune Simpsons des premiers pictogrammes, que l’on pouvait croire neutre, a été considéré par le Consortium Unicode comme une forme de « Blanc des dessins animés », affirme la militante Jennifer Daniel dans le documentaire d’Arte. Tout a été reconstruit selon cette grille d’analyse. Le Consortium Unicode a validé dès 2015 l’ajout des mains et des couples mixtes avec et sans enfants, dans cinq teintes de couleur différentes, du plus noir au plus blanc. La plupart des émojis de personnes ont aujourd’hui leurs déclinaisons colorées.

 

1re partie de 3 du documentaire Émoji Nation

Il y a eu ensuite le sexe et le genre. À l’origine, les métiers avaient une fâcheuse tendance à être masculins, les expressions féminines. On trouve maintenant, une femme avec un casque de chantier, une mécanicienne et une pilote de ligne mais aussi… un ravissant homme sirène. Dans le même temps, des pictogrammes « neutres » sont apparus. Ils ne sont pas définis comme homme ou comme femme. Une « personne de Noël », non genrée, Noël a surgi dans la livraison de l’an dernier, aux côtés du Père et de la mère Noël.

 

2e partie de 3 du documentaire Émoji Nation

La « femme enceinte » figurait dans un document de 2019 qui listait les émojis « toujours genrés ». Elle côtoyait le prince et la princesse, l’homme et de la femme dansants, l’homme barbu (une femme barbue est apparue en 2021) et la femme allaitant. Contrairement à la femme enceinte, une décision assez consensuelle a été prise. Au lieu d’ajouter un homme allaitant, ce qui avait été envisagé, le Consortium Unicode a choisi d’introduire un pictogramme de femme, d’homme et de « personne » donnant le biberon.

 Les émojis « encore genrés » en 2019, tels que traqués par Jennifer Daniels

Le Figaro affirmait récemment que le dernier émoji encore genré est la « femme voilée », dont le visage est couvert d’un hijab. Il avait fait son apparition en 2018, suscitant déjà quelques remous. Le quotidien affirmait donc la semaine passée que, dans une logique inclusive, il n’existait pas de personne « neutre » ou d’homme portant un hijab. C’est inexact depuis Unicode 14.0 dont voici un extrait :

Une personne avec foulard non genrée a récemment été ajoutée. Le numéro de caractère 1F9D5 lui a été attribué.

Les émojis perdent leur polysémie, et c’est une course sans fin et peut-être contraire à l’essence même d’Unicode qui ne code pas toutes les formes des lettres dans toutes les polices. Des centaines d’autres pictogrammes ont été ajoutés pour décrire toujours plus d’émotions, de spécialités culinaires, de sports, de moyens de locomotion.  Avions-nous besoin de l’homme « enceint » au ventre arrondi pour indiquer un glouton (un panda ou une otarie faisaient très bien l’affaire).

 

3e et dernière partie du documentaire Émoji Nation

Ces nouveaux émojis prennent de la place sur nos écrans et compliquent nos choix. Ils s’additionnent mais ne peuvent jamais se soustraire. Nous sommes passés de 300 à plus de 3600 pictogrammes en dix ans. Or, il s’agit d’une course sans fin. Dans cette même vidéo, Jennifer Daniel admet que cette plus grande définition peut créer des « zones d’exclusion » involontaires, car toutes les situations ne peuvent pas être envisagées. Google ayant montré que la classification des teints en six couleurs (dite de Fitzpatrick) pouvait renforcer des biais racistes, ne serait-il pas préférable de doubler ou de tripler le nombre de teintes ?

Pas de drapeau du Québec, mais bien de la Guadeloupe ou de l’Écosse

Le Consortium Unicode a fini par percevoir cette complexité et a décidé de ralentir la cadence. La liste provisoire de la prochaine mise à jour (15,0) ne contient que 21 pictogrammes.  De nouveaux émojis pour représenter des drapeaux ne seront plus acceptés.

Toutefois, les émojis de régions, comme le Québec, peuvent être déjà codés par une série de caractères Unicode (🏴caqc✦ pour le Québec). La sélection de ces 6 caractères (dont quatre sont "caqc") pourrait se faire facilement grâce à un tableau graphique d’émojis. Ce qui manque donc c’est la volonté de la part des fabricants de cellulaires d’inclure le drapeau du Québec dans leurs polices de caractères standards et dans l’outil de sélection d’émoticônes… Cette volonté de la part des fabricants n’a pas manqué pour le drapeau LGBTQ ni pour émojis d’entités régionales britanniques, les seuls pris en charge par la plupart des téléphones intelligents :

 

Émojis pour l’Angleterre, l’Écosse et le Pays-de-Galles pris en charge par la majorité des plateformes

Avec les émojis, les entreprises tech font de la diversité à bon compte. Le remplacement du revolver par un pistolet à eau n’a pas permis, hélas, de réduire le nombre de tueries par les armes à feu aux États-Unis. 

Google, Apple et autres Big Tech, décisionnaires dans le consortium Unicode, votent des deux mains pour ajouter ces petites figurines inclusives. Cela ne les empêche pas de pousser à la démission ou de licencier des militantes féministes (Ashley Gjøvik et Janneke Parrish chez Apple, Timnit Gebru et Margaret Mitchell chez Google) ou des employés trop ouvertement conservateurs (James Damore chez Google, Antonio García Martínez chez Apple), dès lors qu’ils n’entrent plus dans le rang. 

Avec ou sans pictogrammes de couleur, les personnes noires ne représentent 4,4 % des employés de Google aux États-Unis et 3 % dans les fonctions dirigeantes. En Europe, 73 % des dirigeants de Google sont des hommes. Les ordres de grandeur sont les mêmes dans toutes les entreprises de la Big Tech.

Voir aussi 

Émojis : le drapeau trans (mais pas de drapeau du Québec), un Père Noël asexué

Personnes âgées : l’isolement plus mortel que la Covid ?

Une étude américaine parue dans le Journal of Health Economics indique que les résidences pour personnes âgées qui « ont appliqué avec le plus de rigueur les mesures sanitaires contre la COVID-19 » ont été « plus efficaces » pour limiter les contaminations dans leurs établissements au début de la pandémie. Cependant, le taux de mortalité pour d’autres causes que le COVID-19 s’y est révélé par la suite plus élevé qu’ailleurs.

Les chercheurs ont analysé les données de « plus de 15 000 centres d’hébergement américains ». Les établissements notés « 5 étoiles »* ont enregistré « 15 % moins de décès liés à la COVID-19 que les centres de moins bonne qualité » entre les mois de janvier et de septembre 2020. Mais à la fin du mois d’avril 2021, les établissements haut de gamme affichaient « en moyenne 8,4 % plus de décès (toutes causes confondues) que les établissements 1 étoile, et 15 % plus de décès non liés à la COVID-19 ». Des données qui indiquent que « le manque de contact des résidents avec leurs proches n’a pas seulement créé un sentiment de solitude, d’isolement et de désespoir, mais a aussi possiblement accéléré certains décès », selon les auteurs de l’étude.

« Les établissements de bonne qualité ont si bien performé pour prévenir la COVID-19 en isolant les patients, en diminuant les activités de loisirs, les visites, en ne permettant pas aux résidents de manger ensemble, que le taux de mortalité total est plus grand dans les 5 étoiles que dans les 1 étoile », analyse Philippe Voyer, chercheur au Centre d’excellence sur le vieillissement du Québec et professeur à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. « Parce que les gens sont décédés des effets secondaires de l’isolement. » Le chercheur estime que cette nouvelle étude devrait amener les gouvernements à « se remettre en question sur nos façons de faire ».

* Note établie notamment à partir du rapport personnel-résidents et du nombre de chutes recensées.

Voir aussi

La religion hypocondriaque covidienne

Né homme, la justice ordonne qu’il soit déclaré « mère » de son enfant

La Cour d’appel de Toulouse s’est prononcée ce matin sur la filiation d’un enfant engendré au cours d’une relation sexuelle entre sa mère et une femme trans, à savoir son mari ayant obtenu le changement à l’état civil de la mention de son sexe masculin en sexe féminin.

La Cour ordonne la mention du mari devenu femme trans sur l’acte de naissance de l’enfant comme « mère ».

Pour l’Association Juristes pour l’enfance, cette décision qui fait prévaloir le désir et la volonté des adultes sur la réalité de la filiation de l’enfant.

La volonté d’une personne de vivre dans le sexe opposé à son sexe biologique relève de sa vie privée, mais n’a aucune légitimité à impacter l’état civil de l’enfant : le fait d’avoir engendré un enfant ne confère pas le droit de trafiquer son état civil pour l’adapter au ressenti personnel du ou des parents, même entériné par l’état civil des intéressés.

Quel que soit le cheminement des personnes et leur ressenti intime, parler d’une femme qui fournit des spermatozoïdes relève de l’utopie. Contrairement à ce que certains voudraient croire et faire croire, car il s’agit bien d’une croyance, une personne qui engendre un enfant en fournissant ses spermatozoïdes dans une relation sexuelle ne peut être que père.

Cette personne peut se présenter dans la vie courante comme femme et même être désignée comme telle à l’état civil, il reste qu’elle a engendré comme père. Tel est le réel.

D’ailleurs, pour les enfants de cette femme trans nés avant son changement de la mention du sexe à l’état civil, la loi est bien claire sur le fait que ce changement n’a pas de conséquence sur leur état civil. Cette femme trans est donc toujours désignée comme père à l’égard de ses enfants aînés, alors même qu’elle se présente au quotidien comme femme. Le bon sens comme la justice imposaient d’appliquer la même solution à l’enfant né après le changement de la mention du sexe à l’état civil.

Dès lors que la justice s’égare à reconnaître comme mère la personne qui a fourni les spermatozoïdes pour la conception de l’enfant, alors que signifie désormais le mot mère ?

Ce n’est pas parce que la paternité et la maternité ne se réduisent pas à la dimension biologique que cette dimension pourrait être déformée. La déformation de la réalité pour faire prévaloir le seul ressenti des parents est une injustice à l’égard de l’enfant qui est privé de la réalité de sa filiation, remplacée par une filiation mythique car issue du mythe d’une femme fournissant des spermatozoïdes.

Juristes pour l’enfance regrette la régression opérée par cette décision dans le respect dû à l’enfant, une fois de plus sommé de s’adapter pour réaliser le projet des adultes. Nous déplorons le choix des magistrats d’entériner l’accord des intéressés au mépris tant de la loi que de la réalité.

La loi de 2016 qui a permis le changement de la mention du sexe à l’état civil sans modification morphologique, permettant la création de situations comme celle jugée à Toulouse aujourd’hui, n’a rien prévu pour les enfants nés après ce changement d’état civil du père ou de la mère. Nous demandons une intervention du législateur pour rétablir les droits et le respect de l’enfant.

Communiqué de presse de l’association Juristes pour l’enfance du 9 février 2022.