vendredi 16 septembre 2016

Joëlle Quérin et « La face cachée du cours Éthique et culture religieuse »

Sociologue (Ph.D.) spécialisée sur les questions liées à l’éducation et professeur au cégep de Saint-Jérôme, Joëlle Quérin a réfléchi en profondeur au cours ECR. Il y a quelques années, en 2008 [2009], elle publiait pour l’Institut de recherche sur le Québec une étude majeure qui avait eu un grand écho à propos du cours ECR, où elle explicitait et révélait ses finalités politiques (transparence totale, comme on dit, j’étais et je suis encore associé à l’IRQ). En fait, elle expliquait quels objectifs politiques sert ce cours, en montrant comment il proposait d’instrumentaliser l’école pour faire la promotion du multiculturalisme. Elle revient sur la question dans un chapitre du livre La face cachée du cours Éthique et culture religieuse (Léméac, 2016). Je lui ai posé quelques questions à propos de ce cours.


Q. — Dans le livre La face cachée du cours ECR, vous revenez sur la question des orientations politiques du cours ECR dans un texte très fouillé où vous montrez comment le cours n’est pas exempt d’une volonté d’endoctrinement. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces objectifs politiques ?

Joëlle Quérin — Dès la première fois où il a été question de remplacer l’enseignement religieux confessionnel par un cours d’éthique et culture religieuse, dans le rapport Proulx (1999), l’objectif était clairement annoncé : il s’agissait d’apprendre aux enfants comment se comporter en présence de la diversité religieuse. Cet objectif a été réitéré plusieurs fois dans des rapports émanant du Ministère de l’éducation tout au long des années 2000, et surtout à l’approche de l’implantation du cours en 2008. On était alors en pleine crise des accommodements raisonnables, et les appels se faisaient de plus en plus nombreux de la part d’acteurs institutionnels, tels que le Comité sur les affaires religieuses du Ministère de l’éducation et la Commission Bouchard-Taylor, pour mettre en place ce cours au plus vite. On espérait que celui-ci permettrait à terme de calmer la grogne populaire autour des accommodements, en apprenant aux enfants à accepter toutes les pratiques religieuses qui les entourent. Le professeur de philosophie Georges Leroux parlait du cours ÉCR comme d’une « thérapie » collective devant « inculquer le respect absolu de toute position religieuse », notamment le port du kirpan à l’école. C’est effectivement ce que prescrit le programme ministériel d’ÉCR, qu’on pourrait renommer Accommodement 101 : un endoctrinement multiculturaliste qui s’échelonne du début du primaire jusqu’à la fin du secondaire.

Q. — Plusieurs croient que le cours ECR a néanmoins la vertu de transmettre une solide culture religieuse aux jeunes générations, dans un monde où la religion joue un rôle de plus en plus grand. Est-ce le cas ? Autrement dit, s’agit-il d’un cours d’histoire des religions, ou de culture religieuse?

— Absolument pas. Le titre du cours est extrêmement trompeur à cet égard. On peut comprendre les parents d’avoir d’abord été séduits par un tel cours qui, en apparence, devait offrir à leurs enfants une solide culture religieuse essentielle à la compréhension du monde d’aujourd’hui.

Le programme d’ÉCR l’énonce pourtant très clairement : le volet culture religieuse du cours ne porte pas sur l’histoire des doctrines et des religions. D’ailleurs, le volet éthique du cours non plus ne vise pas à enseigner les doctrines philosophiques. Assimilées à un enseignement « encyclopédique » et ennuyeux, ces connaissances sont explicitement rejetées par les concepteurs du programme, qui les jugent inutiles à l’atteinte des objectifs du cours. Dans le programme, l’accent est mis sur les « attitudes » et les « comportements » que les enfants doivent adopter à l’égard de la diversité religieuse, et non sur la transmission de connaissances.

Q. — Certains répondent : très bien, ECR cause problème, mais par quoi devons-nous le remplacer? Je me permets de reformuler la question : imaginons qu’on parvienne à abolir ECR. Faut-il le remplacer par quelque chose, ou devons-nous simplement redistribuer le temps qui lui est consacré à autre chose ?

— Plusieurs solutions de rechange sont proposées par divers collaborateurs de La face cachée du cours Éthique et culture religieuse.

Pour ma part, je suis ouverte à plusieurs possibilités, mais j’aurais tendance à faire une distinction entre les niveaux primaire et secondaire.

Au primaire, les périodes accordées au cours ÉCR pourraient simplement être redistribuées parmi les matières de bases, comme le français et les mathématiques, mais aussi l’éducation physique, dont les enfants ont grandement besoin. D’ailleurs, certains enseignants le font déjà, lorsqu’ils doivent rattraper du retard dans certaines matières ou lorsqu’ils sont mal à l’aise avec le cours ÉCR.

Voir aussi

Joëlle Quérin répond à ses détracteurs chez Denise Bombardier (vidéo)

Joëlle Quérin explique son étude sur le cours ECR à RDI (vidéo)

Joëlle Quérin sur VTélé (Mario Dumont) au sujet du cours ECR (vidéo)

Livre sur le cours ECR : Au-delà des apparences (Guy Durand)

Livre Regards sur le cours ECR : La Religion sans confession

Le Devoir (Louis Cornellier) : « L'école n'est pas au service des parents. »


Storiavoce, webradio consacrée à l'histoire

Une nouvelle venue dans le paysage des webradios : Storiavoce a vu le jour le 6 septembre dernier.

Retrouvez-la sur http://storiavoce.com/

Les quatre grandes périodes (antique, médiévale, moderne, contemporaine), illustrées par des conférences de qualité.

Exemple d'émission : L’armée romaine dans la tourmente

Spécialiste d’Histoire militaire à l’époque romaine, Yann Le Bohec a publié un ouvrage sur les causes de la crise du IIIe siècle intitulé L’Armée romaine dans la tourmente (Éditions du Rocher, 2009). Longtemps occulté par la vision marxiste de l’Histoire, le domaine militaire est ici réhabilité et le domaine militaire est ici réhabilité et donne des clés d’explications incontournables dans la compréhension de l’époque romaine, de ses forces et de ses faiblesses, de ses crises et de ses renaissances.



Critique de l'ouvrage par Didier Paineau

L'Armée romaine dans la tourmente, un maître-livre sur une période clé
Ecrivains et auteurs : Yann Le Bohec
Thèmes : Histoire Essai

Yann Le Bohec est professeur d’histoire romaine à la Sorbonne. Il est spécialisé dans l’histoire militaire. Nous ne dirons jamais assez qu’il ne s’agit pas de relations d’exploits guerriers, mais de guerre dans son ensemble, qui va de la taille d’une épée à la plus fine analyse stratégique. Outre l’ouvrage présenté ici, le lecteur séduit, pourra toujours commander au Rocher, ce que le professeur y a fait paraître sur César ou les guerres puniques. Le professeur Le Bohec sait allier la clarté et la profondeur. La rigueur de sa problématique, la simplicité directe de son style et la franchise modeste de ses propositions, sont un enchantement. Il est à rebours de tant d’universitaires qui manient la langue de bois et semblent confondre profondeur et confusion.

La Paix Romaine

L’empire romain, né avec Auguste au début de notre ère, connaît une remarquable stabilité, épicée par les frasques réelles ou supposées de ses dirigeants. La situation bascule après la dynastie des Sévères (193-235). L’empire est attaqué au nord et à l’est, il est en proie à des désordres intérieurs majeurs (entre 235 et 268, seize empereurs se succèdent, quatorze finissent assassinés et on compte une quarantaine d’usurpateurs, nom communément donné aux vaincus!) et s’enfonce dans la crise économique et financière, la crise sociale et morale. Si de nombreux érudits se sont accordés à donner une origine militaire à cette crise, le mépris dans lequel est souvent tenu l’histoire militaire a laissé cette question dans l’ombre. Yann Le Bohec vient combler cette lacune.

Après avoir décrit les piliers de la Paix Romaine sous les Antonins, l’auteur explique la puissance de l’armée romaine, seule armée permanente au monde avec celle de la Chine. A 18 ans, les jeunes romains passaient devant le conseil de révision. On prenait les meilleurs, les esclaves étaient exclus et les pérégrins ne pouvaient entrer que dans les unités auxiliaires (ainsi que les citoyens recalés à l’entrée dans la légion). Si l’on était retenu, c’était parti pour vingt-cinq ans de service ! L’armée était très disciplinée, convenablement payée et disposait de tous les services nécessaires. En 193 on compte trente légions de 5000 hommes et autant d’auxiliaires répartis dans tout l’empire. C’est de l’infanterie lourde. La stratégie de l’empire romain n’est pas comparable aux stratégies de nos états aujourd’hui. Les états antiques n’ont pas nos moyens d’étude ni de contrôle, ni les statistiques, ni les sciences économiques n’existent… La stratégie romaine est donc globalement défensive, n’excluant pas les guerres préventives, sans doute depuis le désastre du Teutobourg en l’an 9 (voir sur le site l’article sur le livre du même auteur). Le limes qui protège l’empire est une expression assez anachronique et ne doit pas être vu comme une gigantesque barrière. Il est plus empirique, s’adaptant à la géographie, mur ici, fortin là pour contrôler une oasis et empoisonner les puits en cas d’urgence… Il n’est surtout pas un dogme ! L’armée est fière d’être romaine, elle repousse ses ennemis sans difficulté, elle « romanise » l’empire.


Les ennemis de Rome, de plus en plus forts

Yann Le Bohec innove en étudiant les ennemis de l’empire. Il commence par les Germains, et, en effet quelle évolution depuis le règne d’Auguste ! Elle tient en deux éléments principaux. Les Germains ont constitué des confédérations plus stables que les agrégats de peuples occasionnels de la période précédente : les Francs et les Alamans, bientôt complétés par de nouveaux venus, les Goths. Leur armement et leur tactique (phalange, attaque en « museau de porc » c'est-à-dire en triangle) viennent au secours d’une frénésie ancienne et redoutée.

Les Iraniens, eux aussi, ont évolué. Ils ont appris de leurs ennemis romains, sans doute par des transfuges comme nous le dit Hérodien… Ils se dotent d’une infanterie lourde ( ?) au sein d’une armée permanente sous la dynastie des Sassanides. La société est soudée autour d’une religion unique et forte, le zoroastrisme. Les tactiques s’améliorent, notamment la poliorcétique (technique de siège).

Il semble que les ennemis de Rome connaissent en plus un essor démographique. La force de ces ennemis et leur capacité de nuisance oblige l’empire à faire face de tous côtés et encourage des ennemis secondaires à plus d’audace comme les Bretons, les Daces et les nomades d’Afrique du nord…

La crise tous azimuts

Les guerres permanentes qui s’ensuivent provoquent l’inflation et la crise économique par la hausse vertigineuse de la solde des légionnaires et l’augmentation de leur nombre. En plus, le pouvoir central ne pouvant faire face partout, des provinces font sécession et tentent de prendre leur destin en main, Palmyre avec la célèbre reine Zénobie ou la Gaule de Postumus. Après 275, les « empereurs illyriens » rétablissent la situation. Mais l’armée a changé. Elle a plus recours à des étrangers, privilégie les armes de jet, l’épée longue, la lance, utilise de la cavalerie lourde, toutes techniques empruntées aux ennemis. Elle est moins disciplinée, par exemple les soldats romains pillent leurs propres compatriotes ce qui était impensable mais la logistique aussi s’est dégradée! La crise monétaire rend la paye incertaine et sa part en nature augmente.

Le redressement

Avec Dioclétien la situation se redresse mais il semble que les Romains s’adaptent sans penser une globalité qu’ils n’ont pas les moyens d’envisager. L’armée augmente en effectif, on renonce à une conscription dont la qualité s’est dégradée par ailleurs (on ne cherche guère à entrer dans une armée qui accumule les revers). Au début de l’empire les soldats n’avaient le droit de se marier, leurs compagnes avaient donc le statut de prostituées. Malgré tout des enfants naissaient, les castris (nés au camp) et, ainsi que les provinciaux, ont pris une part croissante dans les effectifs. Les « Italiens » sont devenus peu à peu largement minoritaires.

[...]

Didier Paineau


L'Armée romaine dans la tourmente,
par Yann Le Bohec,
aux éditions du Rocher,
collection L'Art de la guerre,
paru en mars 2009,
à Monaco,
nombreuses illustrations, bibliographie, sans index hélas,
320 pages,
21 euros


Remplacer le cours d’ECR par un cours sur le patrimoine québécois

Éric Lanthier dans le Héraut de (la rue) Prince Arthur suggère d'abolir le programme ECR et de le remplacer par un cours sur le patrimoine québécois. 

Nous le trouvons trop pessimiste quand il déclare que « les Québécois ont cessé de se battre contre ce cours qui ne plaît qu’aux adeptes du multiculturalisme ». Le simple fait que de nombreuses personnes continuent de vouloir l'abolir ou l'améliorer (Louis Cornellier du Devoir qui simplifie à outrance la position des parents religieux) montre bien la persistante insatisfaction des Québécois face à ce cours controversé. Les Québécois combattent ce programme non seulement en demandant son abrogation, mais également en ne l'enseignant guère dans les écoles et en continuant de vouloir en exempter leurs enfants de manière isolée (nous avons reçu cette semaine plusieurs demandes d'aide de parents qui voudraient que leur enfant en soit exempté, ils sont convoqués par le directeur de l'école (aux ordres) et se trouvent désarmés devant le Monopole de l'Éducation au Québec).

Le cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR) ne fait pas consensus au sein des idéologues; il est contesté par les identitaires, par les croyants de foi athéiste, par les laïcistes intégristes et par les tenants du droit des parents de choisir un cours correspondant à leurs valeurs et à leurs croyances. Par l’usure des choses, les Québécois ont cessé de se battre contre ce cours qui ne plaît qu’aux adeptes du multiculturalisme.

Pour ma part, je suis un partisan du droit des parents. L’école n’appartient ni à l’État, ni à la société civile, ni aux employés qui y travaillent dans des conditions exécrables mais aux parents. L’école a toujours été l’extension du foyer. Le système scolaire est donc un outil collectif pour compléter le travail des parents et pour s’assurer que leur enfant soit équipé à vivre dans le présent siècle.

Base du nouveau programme

Au lieu d’endoctriner les élèves dans une vision du monde contraire à celle des parents, l’école devrait instruire les jeunes sur nos racines et sur notre patrimoine. Cette approche pourrait les aider à mieux comprendre notre contexte culturel.

La place d’ECR

Le cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR) devrait être enseigné uniquement à la fin du secondaire pour donner strictement aux élèves des connaissances sur le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme, l’islam, l’hindouisme et la spiritualité amérindienne. En ce qui concerne les autres niveaux du primaire et du secondaire, le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) [Note du carnet : il est devenu le Ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, MEES, en 2015] pourrait offrir aux élèves un cours sur le patrimoine québécois. Essentiellement, ce cours serait en trois volets : le patrimoine religieux, le patrimoine colonial et le patrimoine culturel. Ainsi, il répondrait aux grandes questions suivantes :
  • Pourquoi les fêtes de Noël, de Pâques et de l’Action de grâce font-elles partie du calendrier québécois?
  • D’où vient la fête de Noël?
  • Quelle est la différence entre la Pâque juive et les Pâques chrétiennes?
  • Pourquoi les chrétiens affirment-ils que Jésus est Dieu fait homme?
  • Pourquoi Jacques Cartier plantait-il des croix en Nouvelle-France?
  • Qui furent les premiers chrétiens en Nouvelle-France?
  • Pourquoi fuyaient-ils la persécution?
  • Comment se fait-il qu’il y ait des clochers dans tous les quartiers et dans tous les villages du Québec?
  • Pourquoi des rues et des municipalités portent-elles des noms de saints?
  • Quelle est la différence entre les protestants et les catholiques?
  • Comment les cabanes à sucre sont-elles apparues?
  • Comment danse-t-on les rigodons et les «sets carrés»?
  • Quels sont les vêtements d’époque québécois?
  • Quelle est l’histoire du hockey sur glace?
  • Depuis quand les Québécois s’adonnent-ils à la chasse et à la pêche récréatives?
  • Quels sont les mets typiquement québécois?
  • Qui sont les auteurs, les acteurs et les scientifiques qui ont marqué le panorama québécois?

Par ailleurs, ce cours permettrait aux enfants issus des communautés culturelles de comprendre la culture et le patrimoine québécois. Esquiver ces grandes questions ne serait qu’un mépris pour notre histoire et pour notre patrimoine. Il est temps qu’un leader politique se lève et rallie les élèves autour d’une compréhension commune des sources de notre réalité contemporaine. À défaut, ne sachant pas d’où on vient, on ne sait pas où l’on va…