mardi 30 décembre 2014

Jésus n'a jamais existé... dit le professeur de cégep. Vraiment ?

Il y a quelque temps, un de nos correspondants au cégep avait eu maille à partir avec son professeur d'histoire au cégep. Ce « professeur » avait déclaré que rien ne prouvait l'existence historique de Jésus. Évidemment, la classe bien conditionnée par l'école et la culture médiatique québécoises n'avait pas réagi sauf notre correspondant.

Qu'en dit donc Jean-Christian Petitfils, un historien, pourtant la cible de critiques de la part de certains chrétiens conservateurs ? (Notons au passage que l'hypercritique utilisée pour remettre en question l'historicité de Jésus aboutirait à remettre en cause la plupart des figures de l'Antiquité.)

« Des textes anciens qui prouvent que Jésus a bien existé

Parlons des sources. Quelques notations peuvent être glanées chez Pline le Jeune, Tacite, Suétone et surtout Flavius Josèphe, ce Juif romanisé du Ier siècle qui évoque dans ses écrits la figure de Jean le Baptiste et celle de Jésus, « un homme exceptionnel » accomplissant des « choses prodigieuses ». « La veille de la Pâque, dit le Talmud de Babylone, on pendit Yéchou le Nazaréen. » Mais tous ces textes anciens ne sont utiles que dans la mesure où ils prouvent que Jésus a bien existé. Même un polémiste ardent, très antichrétien, comme Celse au IIe siècle ne met pas en doute ce fait.

Ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que certains maîtres du soupçon traiteront très artificiellement Jésus comme un mythe ou un personnage imaginaire conçu à partir de citations du Premier Testament. Faut-il se tourner vers les Évangiles apocryphes? Ils ne nous apprennent pour ainsi dire rien du Jésus de l'Histoire. Ce sont des écrits tardifs, emplis de légendes, certains imprégnés de doctrines gnostiques étrangères au christianisme. Il reste donc les quatre Évangiles canoniques, Matthieu, Marc, Luc et Jean.

[...]


L’Évangile de Jean, le plus mystique et le plus historique

Mais leurs rapports à l'Histoire ne sont pas identiques. Les auteurs des Évangiles dits synoptiques (parce qu'on peut les lire en parallèle), Matthieu, Marc et Luc, ne sont pas des témoins directs - même si le premier Évangile comporte probablement un noyau primitif écrit en araméen par Lévi dit Matthieu, l'un des Douze. En revanche, le quatrième Évangile est celui d'un disciple de la première heure, un témoin oculaire, Jean.

Comme le père Jean Colson l'a montré, ce Jean n'était pas le fils de Zébédée, le pêcheur du lac de Tibériade, mort martyr très tôt, mais un disciple de Jérusalem, portant le même nom (très répandu), qui faisait partie du haut sacerdoce juif. Il s'est «endormi» à Éphèse en l'an 101. Cet éblouissant théologien, très versé dans la connaissance du judaïsme, « fut prêtre, disait au IIe siècle Polycrate, évêque de cette ville, et a porté le petalon », c'est-à-dire la lame d'or, insigne réservé aux grands prêtres et aux membres des grandes familles aristocratiques.

De fait, il connaît mieux Jérusalem et la topographie de la Judée que la Galilée et les bords du lac. Familier de l'administration du Temple, il est le seul à nous donner le nom du serviteur à qui Pierre a entaillé l'oreille de son glaive, Malchus. C'est lui qui, après l'arrestation de Jésus, permet à Pierre d'entrer dans la cour du grand prêtre en glissant un mot à la servante qui garde la porte. C'est quelqu'un du sérail. Il n'a pas suivi constamment Jésus en Galilée, mais il a été épaulé par certains de ses proches. «C'est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité», lit-on à la fin de son Évangile.

Si l'on se rapporte à un texte du milieu du IIe siècle, qu'on appelle le Canon de Muratori, ce « nous » renvoie à un certain nombre de disciples et d'apôtres (dont André, frère de Simon-Pierre) qui ont encouragé le «disciple bien-aimé» à écrire son Évangile en lui faisant part de leurs propres informations. Cet évangile est à la fois le plus mystique et le plus historique, ces deux approches étant complémentaires. Tout ce que dit Jean est vrai, mais immédiatement replacé dans sa dimension spirituelle. La chronologie de ce témoin exceptionnel est à préférer à celle des synoptiques qui ont ramassé en une année, de façon très schématique, le ministère public de Jésus, qui se déroule en fait sur trois ans, du printemps 30 au 3 avril 33, date de sa mort.

Parmi les sources du dossier historique, pourquoi se priver de recourir aux reliques de la Passion, celles du moins que l'on peut raisonnablement considérer comme authentiques? A propos du linceul de Turin, de nouvelles découvertes ont été faites depuis la très contestée datation au carbone 14 révélant que le linceul était un faux du XIVe siècle : trace d'une couture très particulière (la seule comparable a été trouvée à Massada, la forteresse juive tombée en 73), présence d'écritures grecques et latines le long du visage, etc.

Le groupe sanguin sur les trois reliques de la Passion est le même

Des scientifiques américains, espagnols et français ont établi que les taches de sang figurant sur les trois grandes reliques de la Passion pouvaient se superposer: le linceul de Turin, le suaire d'Oviedo, linge qui aurait été mis sur le visage de Jésus aussitôt après sa mort, et la tunique d'Argenteuil, que Jésus aurait portée sur le chemin de croix. Le groupe sanguin est le même, AB, un groupe rare. On a également retrouvé sur ces linges des pollens de plantes ne poussant qu'au Proche-Orient. Ces découvertes sont restées ignorées de la plupart des médias.

Bref, on peut considérer que ces trois reliques, qui ont connu des pérégrinations très diverses au cours des âges, s'authentifient elles-mêmes, constituant une source très précieuse pour éclairer le déroulement de la Passion: le chemin de croix, le crucifiement, la descente de croix et la mise au tombeau. Partant de ces données, que peut-on dire de la vie de Jésus? Une certitude: il n'est pas né le 25 décembre de l'an 1, mais probablement en l'an -7, à une date inconnue. Selon Matthieu et Luc, il voit le jour au temps du roi Hérode le Grand. Or, celui-ci meurt en -4.Si l'on se réfère à l'épisode de l'étoile de Bethléem raconté par Matthieu, le calcul astronomique moderne a permis de constater qu'en l'an -7, une conjonction très rare des planètes Jupiter et Saturne était intervenue à trois reprises dans la constellation des Poissons.

Des tablettes en écriture cunéiforme, découvertes à Sippar en Mésopotamie, l'avaient déjà notée. C'était le signe pour les Juifs de la venue du Messie. Le rabbin portugais Isaac Abravanel le disait encore au XVIe siècle. Ce phénomène expliquerait pourquoi l'évangéliste Matthieu nous parle d'une étoile qui apparaît et disparaît. Le rapprochement entre ces données scientifiques et l'étoile des mages est troublant. Benoît XVI, dans son dernier livre, L'Enfance de Jésus, l'admet d'ailleurs comme hypothèse.

L'historien, naturellement, ne peut se prononcer sur la naissance virginale de Jésus. On a longtemps pensé que le vœu de virginité de Marie était incompatible avec la mentalité juive, jusqu'au jour où l'on a trouvé dans les manuscrits de la mer Morte le rouleau dit du Temple, un texte parlant de vierges consacrées dans le cadre du mariage: «Si une femme mariée prononce un tel vœu sans que son mari le sache, il peut déclarer ce vœu nul. Si toutefois il est d'accord avec une telle mesure, les deux sont dans l'obligation de le garder.» Cela permet de comprendre la surprise de Marie, vierge consacrée, à l'annonce de l'ange Gabriel, et celle de Joseph qui avait songé à la répudier en secret.

Jésus était très probablement un Nazaréen, membre d'un petit clan de juifs pieux venus de Mésopotamie, qui prétendaient descendre du roi David. Ce clan attendait la naissance du Messie en son sein et avait fondé en Galilée le village de Nazara ou Nazareth (de netzer, le « surgeon », autrement dit le rejeton de Jessé, père de David). Marie faisait vraisemblablement partie de ce groupe qui, selon Julius Africanus, gardait soigneusement ses généalogies. Jésus était sans doute considéré comme cet héritier royal.

Historiquement, le massacre des Innocents relaté par Matthieu n'a rien d'impossible. La suppression d'une dizaine ou d'une quinzaine de nourrissons de Bethléem n'aurait été qu'un infime épisode dans la multitude des crimes d'Hérode le Grand, tyran sanguinaire et paranoïaque. En tout cas, Jésus a grandi au milieu de ses «frères» et « sœurs ». À Nazareth, tous se disaient frères et sœurs. L'un d'eux, Jacques, fils de Marie femme de Clopas (qu'Hégésippe présente comme le frère de Joseph, l'époux de Marie), sera le premier évêque de Jérusalem et mourra en 62 de notre ère. Un autre, Syméon, son frère (ou cousin) et successeur, ne disparaîtra que sous le règne de Trajan (98-117). Il sera un témoin d'importance pour les premiers chrétiens.Quand il se fait baptiser par Jean en l'an 30 de notre ère, Jésus est un Juif pieux pleinement immergé dans la foi d'Israël, enraciné dans le monde culturel de son temps.

[...]
 »

Source

Plus de détails :

Jésus
par Jean-Christian Petitfils
publié à Paris
aux éditions Fayard
le 5 octobre 2011
690 pages
ISBN-13: 978-2213654843












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Manuel d'histoire (2) — Chrétiens tuent les hérétiques, musulmans apportent culture raffinée, pacifique et prospère en Espagne

Nous poursuivons ici l'analyse du manuel d'histoire pour le premier cycle du secondaire (I)  édité par une maison d'édition réputée (La Chenelière). (Lire le premier billet)

Dans ce billet, quelques commentaires sur la page 205 de ce manuel approuvé par le Bureau d'approbation du matériel didactique du Monopole de l'Éducation (MELS). Rappelons qu'au Québec, contrairement à la France, les manuels (mais pas les cahiers d'activités) doivent être approuvés par le MELS. En France, le dernier gouvernement à faire de la sorte était celui de Vichy de sinistre mémoire.

I. Chrétiens tuent hérétiques, musulmans raffinés, pacifiques

La page 205 présente sur le haut le sort réservé aux hérétiques dans la chrétienté médiévale (pas enviable), le bas parle des Arabes musulmans dans la péninsule ibérique, héritiers d'une culture raffinée, pacifique et prospère qui seront pourchassés par l'Inquisition.

On notera cette opposition flagrante : méchants aux Nord (surtout l'Inquisition), gentils, pacifiques, raffinés au Sud avant l'arrivée des méchants (surtout l'Inquisition) et des ingrats.

II. Les hérétiques chez les chrétiens, mais quid des hérétiques chez les musulmans ?

D'Hier à demain, manuel A, 1ercycle du secondaire (12-13 ans), édition Chenelière, p.  205.
Il s'agit ici de l'exécution d'amauriciens, des panthéistes, en 1210.

Le meurtre d'un dominicain, Pierre de Castelnau, en 1208 pousse en effet le pape Innocent III à lancer la croisade contre les Albigeois. Mais il est tendancieux de laisser entendre que le Roi de France participa à cette guerre. Au contraire, Philippe II Auguste  ne voudra jamais participer personnellement à cette croisade. En revanche, la conquête du Midi méditerranéen (Avignon, Beaucaire, Nîmes, etc.) par Louis VIII fut une affaire strictement royale, ni le Pape, ni les seigneurs croisés n'y prirent part. (Voir Alix Ducret, dans Mythes et polémiques de l'histoire, p. 54.)

Le manuel n'explique en rien le contexte politique de l'époque, tout semble uniquement une affaire de religion pour ce manuel. C'est paradoxal dans une époque matérialiste comme la nôtre.

Au début du treizième siècle, le roi d'Aragon Pierre II et son beau-frère, le comte de Toulouse, soutiennent la cause des Albigeois tandis que les rois chrétiens de Navarre épousent à chaque génération l'une des filles des émirs qui règnent sur la moitié sud de l'Espagne. Une alliance devient envisageable entre les Albigeois et les Maures d'Espagne contre le catholicisme. Les princes d'Europe du Nord veulent à tout prix éviter cette nouvelle menace après l'expulsion des Sarrasins de Sicile, un siècle plus tôt par les Normands. Ce sont du reste des seigneurs normands et du nord du domaine français qui vont diriger la croisade contre les Albigeois. Plusieurs historiens voient d'ailleurs dans cette guerre contre les Albigeois une manière d'éliminer des rivaux et d'étendre les terres de ces seigneurs septentrionaux et de faire rentrer ces territoires dans le domaine capétien. Dès que la noblesse albigeoise sera vaincue, l'hérésie disparaîtra. (Voir Alix Ducret, dans Mythes et polémiques de l'histoire, pp. 57-58.)

Il est en outre étonnant que la modernité ait des élans de sympathie envers les cathares qui dénonçaient la sexualité et la procréation comme incarnations du Mal... En effet, la procréation donnant lieu à une vie nouvelle avec un nouveau corps, elle est condamnée par la doctrine cathare, pour qui tout ce qui est corporel est mauvais. Dans le christianisme orthodoxe, par contre, ce qui est demandé au croyant c'est la chasteté laquelle consiste à ne pas avoir de relations sexuelles immorales.

Et les hérétiques musulmans ?

Le manuel passe sous silence ce que les musulmans faisaient de leurs hérétiques... Quel sort réservaient-ils aux panthéistes comme les amauriciens ou aux manichéens comme les cathares ?

Exécution du soufi Mansoûr el-Halloûj (922)
sur l'ordre du calife abbasside Al-Mouqtadir
Bien que l'absence d'une église unique musulmane, de synodes ou de conciles qui établissent la doctrine précise de la foi ne permette pas d'établir une équivalence exacte avec la notion d'hérésie dans le christianisme, il ne faut cependant pas croire que les musulmans étaient plus tendres envers ceux qu'ils considéraient comme de dangereux déviants ou des mécréants.

Dès la fin du VIIIe siècle, les musulmans ont commencé à traiter les manichéens, les zoroastriens, les apostats, les païens, les athées et tous ceux qui critiquaient ouvertement l'islam et l'unicité de Dieu comme des hérétiques, ce crime était punissable par la mort. (J. Bowker, entrée Zindiq dans Concise Oxford Dictionary of World Religions, 1997) À la fin du VIIIe siècle, les califes abbassides ont commencé à persécuter et à exterminer en grand nombre les hérétiques qui remettaient en cause leur autorité religieuse, les mettant parfois à mort sur ​​simple soupçon d'hérésie. (C. Glassé, dans The new encyclopedia of Islam, p. 491). La persécution commença à grande échelle sous le règne d'el-Mahdî,  elle fut poursuivie par ses successeurs, el-Hâdî et, un peu moins, par le célèbre Hâroûn er-Rachîd. Ensuite, le calife abbasside El-Ma'Moûn institua la Mihna, surnommée l'inquisition musulmane, qui devait faire imposer la doctrine d'État de la création du Coran, alors qu'aujourd'hui l'orthodoxie sunnite considère le Coran comme incréé. Bien des docteurs de la loi se soumirent, mais quelques-uns résistèrent : ils  furent arrêtés, flagellés ou emprisonnés. L'inquisition mutazilites ou mihna continua avec le calife Al-Wâlhiq (842-847).

Le mutazilisme disparaît définitivement entre le XIe et le XIIIe siècle. Il a été interdit, ses livres brûlés, et l'on ne connaît sa doctrine que par les textes des théologiens qui l'avaient attaqué.

Il est vrai que la chasse aux hérétiques devint par la suite relativement rare en islam (notons qu'on exagère aussi l'ampleur de l'Inquisition en Europe), mais elle existait bien. Elle touchera après l'inquisition des mutazilites principalement, mais pas uniquement, les groupes aux idées religieuses dissidentes qui se révoltaient contre l'ordre établi, religieux et politique puisqu'il n'y a pas traditionnellement de distinction en islam entre les deux (voir B. Lewis, p. 62).

Quelques exemples d'hérétiques persécutés en islam :  Al-Ja'd Ibn Dirham (mutilé et crucifié en 752),  Bachâr ibn Bourd (714 – 784),  Ibn al-Rawandî (827 – 911),  soufi Mansoûr al-Hallûj (858 – 922) qui s'était dit en union avec Dieu,  Lissan-Edine Ibn al-Khatib (v. 1313 – 1374), etc.

Ce silence au sujet du traitement des hérétiques et des rebelles en islam par le manuel n'est peut-être pas sans arrière-pensées politiques et philosophiques :
« Ce n’était pas la première fois qu’un islam mythique et idéalisé fournissait les verges destinées à châtier les défauts de l’Occident. Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières avaient loué l’islam pour son absence de dogmes et de mystères, l’absence de prêtres et d’inquisiteurs, ou autres persécuteurs, lui reconnaissant ainsi de réelles qualités, mais les exagérant pour en faire un outil polémique contre les Églises et le clergé chrétien. Au début du XIXe siècle, les juifs d’Europe occidentale, émancipés récemment, mais encore imparfaitement, en appelèrent à un âge d’or de légende en Espagne musulmane, âge de tolérance et d’acceptation complète dans une harmonieuse symbiose. » 
(Bernard Lewis, Race et esclavage au Proche-Orient, p. 393)

III. Islam raffiné, pacifique, prospère et à nouveau l'Inquisition des chrétiens

La page 205 se termine par un encadré sur les Arabes musulmans en Espagne que nous reproduisons ci-dessous :

D'Hier à demain, manuel A, 1ercycle du secondaire (12-13 ans), édition Chenelière, p.  205.

Ce petit encadré vaut son pesant d'or... Nous analyserons ci-dessous ce faisceau de faussetés, d'approximations et d'insinuations.

« Les Arabes s'installent... »

Couronne
wisigothe
Les Arabes sont en fait minoritaires dans les troupes qui envahissent la péninsule ibérique : il s'agirait plutôt principalement de soldats berbères. Au passage, les « Arabes » ne s'installent pas en Hispanie, ils l'envahissent militairement en profitant des conflits internes aux chrétiens. Des villes comme Tarragone (en 718) seront complètement détruites par les immigrants envahisseurs.

«... Ils apportent avec eux une culture raffinée, pacifique et prospère... »

Ah, la mission civilisatrice des « Arabes » ! (Note au réviseur linguistique des éditions Chenelière : « apporter avec soi » est un pléonasme.)

En quoi cette culture militaire qui a conquis une grande partie du pourtour méditerranéen par les armes est-elle pacifique ?

Pour ce qui est du prospère, ce n'est pas tant la culture qui l'est que les territoires conquis par les musulmans, notamment la Syrie et  l'Égypte.

Le manuel affirme, sans aucune preuve, que cette culture est raffinée. En quoi était-elle plus raffinée en 711 que celle de l'Hispanie wisigothique ? Tout à coup, dans notre monde relativiste (il n'y a plus d'arts  primitifs, mais des arts premiers qui ont leur musée), il y aurait des cultures raffinées et d'autres moins ?  Comment, en 711, la culture arabe (si ce n'est pas la culture berbère) — sortie depuis peu des déserts arabes — peut-elle prétendre dépasser en raffinement la civilisation wisigothique ?

Mais on connaît mal (et ce manuel n'en dira rien) la culture wisigothe. L'orfèvrerie wisigothe connut un grand essor, notamment dans l'atelier royal d'où sortirent croix et couronnes votives qui, comme à Byzance, étaient suspendues au-dessus des autels (voir ci-contre). Les sculpteurs abandonnèrent la représentation de la figure humaine au profit de motifs géométriques, végétaux et animaux où se mêlaient les influences romaine, byzantine et germanique.

Si l'orfèvrerie wisigothe est raffinée, son architecture l'est aussi. L'arc outrepassé si caractéristique de l'art « musulman » fut utilisé par les Wisigoths bien avant l'arrivée en Hispanie des musulmans. L'arc outrepassé sera repris et amplifié dans l'architecture omeyyade de l'émirat de Cordoue (à partir de 759) où il acquit une forme plus fermée que l'arc wisigothique.



Arcs outrepassés de Sainte-Marie de Melque,
début de la construction au VIIe siècle
(Autres exemples)



Arc outrepassé de la mosquée de Cordoue
début de la construction 786
Dans les grands centres urbains de l'Hispanie wisigothe comme Mérida, Tolède, Hispalis (Séville), Cordoue, Lisbonne, Carthagène, Barcelone ou Saragosse, des édifices religieux s'étaient substitués à des bâtiments plus anciens. De grands évêques, qui étaient également de grands auteurs, firent de leurs sièges épiscopaux des centres intellectuels en les dotant de bibliothèques et d'écoles. Le plus célèbre d'entre eux fut sans doute Isidore de Séville (vers 570-636), dont les œuvres furent lues et commentées pendant tout le Moyen Âge. « C'est dans le royaume wisigothique que la culture classique jette en Occident son dernier éclat. Le rôle politique joué par l'épiscopat, la diffusion de l'éducation et de l'écriture, l'importance de la société urbaine assurent une longue survie à l'héritage de la civilisation romaine » de résumer le professeur Michel Zimmermann.

L'Espagne wisigothe accueille les intellectuels d'Afrique du Nord chassés par les Vandales, les Byzantins puis les Musulmans. Le pays se spécialisa dans les compilations et les florilèges, tout en produisant des œuvres originales en histoire, en droit et en théologie. Ses écoles, qui transmettaient la culture classique, formèrent aussi bien des clercs et des laïcs, et de nombreux actes de vente conservés sur ardoise témoignent de la diffusion de l'écriture dans les communautés rurales.

Les Espagnols du VIIe siècle continuèrent à vivre dans des villas de type romain, décorées de fresques, au centre de vastes domaines agricoles ou artisanaux

En droit (Liber Iudiciorum terminé en 654), les femmes espagnoles pouvaient hériter de terres et les gérer de manière indépendante de leur mari ou de leur parenté mâle. Elles pouvaient tester (disposer de leurs biens par testament) si elles n'avaient pas d'héritiers, elles pouvaient ester (en justice) dès l'âge de 14 ans et décider qui marier dès l'âge de 20 ans (voir Suzanne Fonay Wemple).

En quoi la culture wisigothe était-elle donc moins raffinée que celles de Bédouins et de Berbères qui envahirent l'Espagne en 711 ? Pour Ph. Conrad, « il semble extrêmement difficile d'accueillir, sans réserve, la thèse selon laquelle la civilisation de l'Espagne musulmane serait un "miracle arabe". Comment des Bédouins, originaires d'un désert aride, vivant jusque-là sous la tente, auraient-ils créé, ex nihilo, une civilisation essentiellement urbaine ? » (Voir Alix Ducret, dans Mythes et polémiques de l'histoire, p. 70.)

Michel Zimmermann résume l'éclat de l'Espagne wisigothe : « La synthèse entre la vigueur de l'héritage romain et le dynamisme du peuple wisigoth fit du VIIe siècle un moment de grande prospérité culturelle ».

«... Ils vivent en bon voisinage avec les chrétiens et les juifs... »

Euh.. Si l'on considère bon voisinage le fait

  • que les chrétiens et les juifs devaient s'acquitter d'une capitation mensuelle occasion à des humiliations (soufflet du percepteur musulman), 
  • qu'ils se font expulser du centre des villes, de leurs églises (comme leur église de Cordoue transformée en mosquée), 
  • que leur responsabilité collective peut être décrétée pour la défaillance d'un de leur membre, 
  • qu'ils doivent se garder de toute provocation envers la religion musulmane, 
  • que la simple vue d'une croix ou d'un porc peut être interprétée comme une injure faite au prophète Mahomet. 

Les périodes troublées que connaît assez fréquemment l'Espagne musulmane sont également le prétexte des pires excès. Les chrétiens de Séville en font la cruelle expérience en 891, à l'occasion d'une révolte de la garnison yéménite contre le gouverneur local. (Voir p. 45 de Mozárabes y mozarabías de Manuel Rincón Álvarez, éditions universitaires de Salamanque, 2003).

De manière générale, les musulmans andalous, attachés comme ceux du Maghreb, au rite malékite défini au VIIIe siècle par le docteur médinois Malek Ibn Anas limitent les contacts avec les « infidèles ». Un faquih (juriste) musulman recommande de ne leur adresser la parole qu'à distance, en évitant de frôler leurs vêtements. Des distinctions doivent permettre de distinguer les croyants des dhimmis. Ceux-ci se voient interdire le port d'arme. Ils doivent l'hospitalité à tout voyageur qui la réclame. Ils ne peuvent monter à cheval et doivent se contenter de mulets ou d'ânes. Le fouet et la prison sont les peines prévues pour toute infraction à ces interdictions. Les infidèles doivent s'effacer quand ils croisent un croyant et se lever s'ils sont assis au passage d'un musulman. Les maisons des dhimmis doivent être moins hautes que celles des musulmans, la construction des églises est limitée, etc. (Voir Mythes et polémiques de l'histoire, pp. 68-69)

Voir aussi

Histoire — « On a trop souvent mythifié el-Andalous »

Les chrétiens et les juifs dans l'Occident musulman

«... Mais au XIe siècle les forces chrétiennes décident de chasser les Arabes musulmans... »

Vivant en « bon voisinage », ces « forces chrétiennes » sont bien ingrates...

On note que ce ne serait que les « forces chrétiennes » pas les chrétiens (parce qu'eux vivaient en bon voisinage ?) qui décident de chasser le pacifique musulman. Pourquoi « les Arabes musulmans » ?  Il s'agit pour les chrétiens de se libérer du joug des musulmans et de l'islam, pas d'un peuple puisqu'on cherchera à convertir les musulmans ! Les musulmans sont des Arabes, des Berbères, des juifs ou des chrétiens convertis.

Enfin, les chrétiens n'ont jamais eu de cesse de chasser les « forces musulmanes ». La Reconquista recommence dès 718 (ou 722 selon les sources) à partir des Asturies et des monts Cantabriques. En 795 Charlemagne établit la marche d’Espagne, un territoire gagné sur les musulmans composé par des comtés dépendants des monarques carolingiens. Parmi eux, celui qui jouera le plus grand rôle fut le comté de Barcelone.

Ce qui est vrai c'est qu'à partir du XIe siècle les royaumes chrétiens se concentrent sur les royaumes musulmans et que la Papauté met son poids dans la balance. Les chrétiens profitèrent de l'émiettement des forces musulmanes et des rivalités chroniques entre les princes musulmans pour travailler à la Reconquista. Déjà, le roi Ferdinand Ier, après avoir uni en 1037 le Léon et la Galice à la Castille, avait manifesté, par son refus d'annexer la Navarre (1054), sa volonté de concentrer ses efforts contre les musulmans. Par ses offensives heureuses, il avait réduit au rang de tributaires les rois de Séville, Badajoz, Tolède, Saragosse, et élargi ses frontières dans toutes les directions. En 1063, le pape Alexandre II décidait l'octroi d'une indulgence spéciale à quiconque irait lutter contre les musulmans d'Espagne, et les chevaliers de France vinrent en nombre se joindre à leurs pairs d'outre-mont.

La Reconquista commence dès la fin de la conquête musulmane. Le territoire en orange foncé ne fut jamais conquis par les Maures. La zone orange claire qui comprend (de gauche à droite) Porto, Bragance, Léon et Barcelone fut reconquise au cours du IXe siècle.

«... Pour atteindre leur objectif, elles font appel à l'Inquisition... »

L'Inquisition espagnole ou Tribunal du Saint-Office de l'Inquisition est une juridiction ecclésiastique instaurée en Espagne en 1478, quatorze ans avant la fin de la Reconquista qui s'achève le 2 janvier 1492 quand Ferdinand II d'Aragon et Isabelle de Castille chassent le dernier souverain musulman de la péninsule, Boabdil de Grenade. L'inquisition sert non pas à reconquérir les territoires sur les « Arabes », mais à détecter les faux convertis (juifs ou musulmans d'ailleurs). L'élite musulmane s'exile après la prise de Grenade en 1492. Les musulmans qui ne s'exilent pas sont forcés de se convertir à partir de 1502. On les nomme les morisques. Après plusieurs révoltes, les derniers morisques furent expulsés de Castille en 1609 et d'Aragon en 1610.

Notons que la tradition islamique demande à ce que les musulmans partent des pays conquis par les chrétiens :
« Les musulmans ont-ils le droit de vivre sous un gouvernement chrétien ou bien doivent-ils émigrer ? La réponse est sans équivoque : ils doivent partir, hommes, femmes et enfants, tous sans exception. Ce gouvernement est tolérant ? Leur départ n’en est que plus urgent, car le danger d’apostasie est plus grand. […] Mieux vaut la tyrannie de l’Islam que la justice des chrétiens. »
(Bernard Lewis, Juifs en terre d’Islam, p. 470)

Enfin, il faut rappeler que la déportation de masse de chrétiens (notamment au XIIe) avait fait partie des outils de « pacification » des musulmans d'Espagne. C'est ainsi qu'à la suite d'une expédition chrétienne en 1125 jusqu'à Grenade par Alphonse d'Aragon, les chrétiens demeurés en el-Andalus sont en majorité déportés en Afrique du Nord pour y être installés près de Meknès et de Salé où l'interdiction de pratiquer leur religion entraîne la disparition rapide de ces communautés. Dans l'ensemble d'el-Andalous, le nombre des chrétiens est désormais très réduit, à un moment où, dans le contexte général des croisades et des « réveils » religieux radicaux berbères, l'antagonisme entre islam et chrétienté atteint son intensité maximale.

«...nombreuses années ... la Reconquista »

Est-ce que plus de sept siècles (718 — 1492) peuvent vraiment être décrits comme de «  nombreuses années » ?

À suivre 

Nous reviendrons sur ce manuel qui est une source intarissable de clichés et stéréotypes du prêt-à-penser politiquement correct. On comprend pourquoi il a été approuvé par le « politburo » du MELS.





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