mardi 8 novembre 2022

Université — Après le bannissement du mot « nègre », celui de la périphrase « le mot en “n’ » ?

Impression de déjà-vu à l’Université d’Ottawa, où un professeur de sciences politiques a essuyé les critiques de certains de ses étudiants pour avoir abordé « la situation du mot en “n’’ », sans nommer directement le terme, dans un de ses cours, en septembre dernier.

Derrière le sérieux de la façade néoclassique, des étudiants intolérants et bornés ?

Le journal étudiant anglophone de l’Université d’Ottawa, The Fulcrum, indique dans un article du 2 novembre avoir reçu un courriel provenant d’étudiants qui dénoncent une discussion portant sur « le mot n », tenue dans le cadre d’un cours de pensée politique de deuxième année, donné par le professeur Jean-Rodrigue Paré, au mois de septembre.

« La classe discutait de la lecture assignée qui portait sur Socrate, le philosophe, et son raisonnement moral sur la justice. Soudainement, le professeur a évoqué le mot “n” en disant “comme la situation du mot ‘n’… oui, je vais en parler”. Il l’a évoqué comme un moyen de justifier que toutes les idées et tous les mots soient autorisés dans une salle de classe », a témoigné un des étudiants au Fulcrum, qui a demandé à ce que son identité demeure anonyme.

Même si le mot en soi n’a pas été prononcé, la discussion autour du terme a rendu certains étudiants « mal à l’aise » et « pas en sécurité », poursuit l’article, si bien que des étudiants ont préféré quitter la classe.

Une autre étudiante qui a témoigné anonymement a décidé pour sa part de se désinscrire du cours. « Je ne pouvais pas être dans un environnement d’apprentissage qui était activement hostile aux Noirs », a-t-elle mentionné au journal étudiant.

Rappelons que la professeure à temps partiel de l’U d’O., Verushka Lieutenant-Duval, a été suspendue à l’automne 2020 pour avoir prononcé le « mot en n » dans le cadre d’un de ses cours, ce qui avait déclenché un véritable débat de société sur la liberté d’expression dans un cadre académique. Mme Lieutenant-Duval témoigne depuis août dernier aux audiences du tribunal d’arbitrage qui doit déterminer si sa suspension était justifiée. La prochaine journée d’audience est prévue le 1er décembre prochain.

Le professeur s’explique

Appelé à commenter le dossier au Droit, le professeur Jean-Rodrigue Paré a avancé qu’il tentait d’expliquer la philosophie du penseur anglais John Stuart Mill, selon laquelle « lorsqu’on empêche quelqu’un de s’exprimer, lorsqu’on empêche des idées de circuler, on ne sait jamais si c’est au prochain Socrate qu’on vient de fermer la gueule. » M. Paré a également mis de l’avant la philosophie de David Hume, qui établit que ce n’est ni le mot ni l’idée « qui porte en soi la connotation morale ».

« C’est ce que j’expliquais tout bonnement. Et là j’ai senti le malaise. Il y a eu un gros silence. […] Quand j’ai senti le gros froid, j’ai dit ah ! Vous pensez “au mot en n’’ ? »

La discussion a eu lieu au moment où les audiences de Verushka Lieutenant-Duval battaient leur plein. « C’était comme l’éléphant dans la pièce », a affirmé M. Paré.

Le professeur a soutenu avoir entamé une discussion avec une étudiante offusquée en lien avec ses propos, à savoir si le terme en question pouvait comporter une utilisation d’intentions justes. « J’ai dit absolument, comme n’importe quel mot, n’importe quelle idée et n’importe quel objet, lance-t-il. Et là, le scandale est parti. C’est d’avoir dit ça, d’avoir dit que ce mot-là pouvait être utilisé avec des intentions justes. Il y a une dizaine d’étudiants sur 150 qui ont pris ça de travers. Alors je me suis dit on va s’expliquer. »

M. Paré, qui enseigne depuis plus de 20 ans à l’Université d’Ottawa, a toutefois indiqué que les élèves qui ont été offensés n’ont pas digéré [accepté, compris ?] ses explications.

« Si je vous dis “le mot en n’’, vous avez le mot à l’esprit. Que je le dise ou que je ne le dise pas, ça ne change strictement rien. C’est de l’évoquer, ça amène l’existence du mot lui-même. En faisant ça, ceux que ça dérange, de dire “le mot en n’’ ça les offense aussi, parce que ça les fait penser au mot. Alors c’est extrêmement difficile de naviguer à travers ça. Il y a un flou intellectuel que j’essayais de clarifier. […] J’ai fait la différence entre le droit de le dire et est-ce que c’est une bonne chose de le dire. »

Le professeur note avoir constaté que certains élèves ont effectivement quitté son cours avant la fin, dans la foulée du tollé créé par la discussion. « Je comprends leur intention qui est valable aussi, a souligné M. Paré. On veut s’assurer que les gens soient confortables, qu’il y ait un [bon climat] dans la classe. Je comprends tout à fait ça. Mais le moyen de le faire est totalement injuste à mon avis. Ce n’est pas en empêchant les gens de s’exprimer qu’on va pouvoir manifester la justice et l’injustice de l’intention. »

Un courriel a été envoyé au groupe d’étudiants au lendemain des événements pour réitérer la position du professeur, sans que celui-ci ne présente toutefois ses excuses, comme ce que lui demandaient des élèves. « Si je m’excuse, c’est que j’ai fait quelque chose de mal de manière intentionnelle, ce qui n’est absolument pas le cas. »

Le professeur croit-il que cet incident aura un impact sur la façon dont il compte enseigner à l’avenir ? M. Paré estime que sa méthode d’enseignement n’en sera pas affectée. « J’ai la chance d’avoir la couenne dure et je ne pense pas que l’Université ait un grand appétit pour continuer ce débat-là. »

Le Droit a d’ailleurs demandé une réaction à l’Université d’Ottawa, pour savoir si une plainte sera déposée contre M. Paré dans la foulée de ces événements. Nous attendons une réponse.

Source : Le Droit de Gatineau


Québec — Les résultats en français en baisse au secondaire

Les élèves de 5e secondaire ont été moins nombreux à réussir leurs cours de français en 2022 qu’avant la pandémie. Les taux de réussite en mathématiques et en sciences ont également diminué, révèlent les plus récents chiffres du ministère de l’Éducation obtenus par La Presse de Montréal.

 


 

En 2018, le taux de réussite au cours de français de 5e secondaire s’élevait à 91 %. En juin 2022, il était de 87,1 %.

Pour en arriver à ce taux, le ministère de l’Éducation prend en compte le résultat à l’épreuve unique administrée à la fin de l’année, mais aussi la note attribuée par les enseignants. Sont exclus de ce calcul les élèves qui ont décroché avant de terminer leurs études secondaires.

Au sortir de la pandémie, ces résultats ne surprennent pas Priscilla Boyer, professeure agrégée du département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

« J’ai hâte de voir si les résultats des prochaines années seront plus faibles. Ce n’est pas vrai que l’apprentissage est équivalent quand on est une journée sur deux à la maison », dit Mme Boyer.

Au plus fort de la pandémie, des élèves de 3e, 4e et 5e secondaire ont passé plusieurs semaines à faire l’école à la maison la moitié du temps. [Les élèves suédois de même âge n’ont jamais dû faire de même]

En français, explique Priscilla Boyer, les élèves de 5e secondaire doivent écrire un texte argumentatif. Cette année, ils devaient répondre à la question : « Les objets connectés contribuent-ils à notre mieux-être ? »

Cet examen avait été préparé en 2020, mais a été annulé en raison de la pandémie. En 2022, le Ministère a réutilisé les copies déjà imprimées « dans un souci d’écoresponsabilité et de saine gestion des fonds publiques [sic] », avait expliqué la directrice de la sanction des études dans une lettre envoyée aux centres de services scolaires.

Or, certains textes que devaient lire les élèves en préparation à leur rédaction « étaient datés » [de deux ans], dit Mme Boyer. « Les élèves devaient en parler au passé, ça a peut-être influencé [le taux de réussite] », poursuit la professeure. [Les élèves de cet âge ne maîtrisent donc pas les temps du passé !?]

Car la recherche a démontré que le thème de l’examen a un effet sur les résultats, dit Mme Boyer, qui donne en exemple l’examen de français de 2014, où les élèves devaient répondre à une question sur les personnes âgées.

« Les jeunes ont galéré pour trouver des arguments, ils ne comprenaient pas super bien le sujet, et ça a représenté un tel défi que ça a fait chuter les résultats en orthographe », relate-t-elle.

L’examen de français, « une recette à appliquer »

Spécialiste de l’enseignement du français, Suzanne-G. Chartrand émet quant à elle l’hypothèse que les enseignants ont peut-être passé moins de temps à préparer les élèves à cet examen de 5e secondaire.

Dans les écoles, préparer l’examen de français de 5e secondaire, « ce n’est plus un mois, c’est un trimestre ! », dit Mme Chartrand.

Dans le passé, Priscilla Boyer a enseigné à ce niveau et constate elle aussi que la dernière année de français au secondaire est « construite autour de cet examen » pour que les élèves réussissent.

« On formate tellement le genre que c’est une recette à appliquer : ta première phrase, c’est ton sujet amené. La deuxième, ton sujet posé. Mais un texte argumentatif, ce n’est pas toujours comme ça, il n’y a qu’à regarder n’importe quelle chronique dans le journal », observe Mme Boyer.

Si elle croit que l’épreuve unique de français est un outil précieux pour suivre l’évolution des connaissances des élèves québécois, elle observe néanmoins qu’on « perd de vue un certain objectif, qui est de maîtriser le français ».

La difficile maîtrise de l’orthographe

Suzanne-G. Chartrand estime que dans ce contexte, les taux de réussite en français ne reflètent en rien la réalité. Il suffit de regarder les élèves qui entrent au cégep et qui se retrouvent dans des centres d’aide en français, dit-elle.

« Ils ne savent pas écrire un texte ou organiser minimalement une pensée. Sur le plan de l’orthographe, de la ponctuation, de la syntaxe : c’est minable ! C’est 40, 50 % des élèves », dit Mme Chartrand. [C’est vrai avec ou sans pandémie, voir les liens ci-dessous.]

Les épreuves ministérielles en français montrent que le volet de l’orthographe « a toujours été problématique », abonde Priscilla Boyer, elle-même spécialisée en orthographe.

« Comment se fait-il que depuis 1986, on considère que 50 % des jeunes qui sortent [du secondaire] n’ont pas la note de passage au volet orthographe, même s’ils ont réussi l’épreuve d’écriture ? », demande Mme Boyer.

Celle qui a fait de l’orthographe sa spécialité observe aussi un grand écart entre les élèves.

« La réalité, c’est que ça prend plus qu’une 5e secondaire pour apprendre la langue. Ça se termine à l’université, pour ceux qui se rendent jusque-là. Ça prend du temps, apprendre à orthographier. »

– Priscilla Boyer, professeure agrégée du département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières

[C’est très contestable, beaucoup de gens qui n’allaient pas à l’université savaient bien écrire il y a cinquante ans ou plus. On sait que les résultats en dictée baissent en France, même dictée à 30 ans d’écart avec dans les deux cas une scolarité généralisée.]

Une baisse en maths et en sciences

Les taux de réussite en mathématiques et en sciences ont également diminué, révèlent les données fournies à La Presse par le ministère de l’Éducation.

En mathématiques régulières, le taux de réussite a chuté de 2,6 points de pourcentage, passant de 79,9 % en 2018 à 77,3 % en 2022.

C’est aussi le cas en sciences et technologie, où les taux de réussite sont passés de 92,2 % en 2018 à 87,8 % en 2022, une baisse de plus de 4 points de pourcentage.

Que ce soit en français, en mathématiques ou en sciences, le taux de réussite à ces cours a augmenté pendant la pandémie. En combinant tous les cours qui comportent une épreuve unique, les taux de réussite ont bondi, allant jusqu’à atteindre près de 92 % pour l’ensemble du Québec. [Est-ce que ces taux de réussite veulent encore dire quelque chose quand les résultats baissent, mais que les taux de réussite augmentent ?]

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