mercredi 2 juin 2021

Alors que la population française « se diversifiait », le PIB réel par habitant « est passé de 45 K$ en 2007 à 39 K$ en 2020 »

Réfugiée somalie dans un centre de formation à Fort Morgan au Colorado, le 25 février 2016  
 
Pierre Vermeren est l’auteur de nombreux ouvrages salués par la critique, en particulier On a cassé la République — 150 ans d’histoire de la nation (Tallandier, 2020). Il relève quelques détails intéressants dans un article du Figaro. Extraits.

Les indicateurs démographiques convergent : le continent européen est entré dans un choc démographique durable de grande portée. Sa population va chuter avec la disparition progressive de la génération du baby-boom. D’ici une quarantaine d’années, le continent, Russie comprise, sera passé de 743 millions d’habitants à près de 500 millions, peut-être moins. Le nombre de naissances en Europe (6,2 millions en 2020) est depuis des années inférieur au nombre des décès.

Or cet effet ciseau va s’accroître. L’hypothèse à 500 millions d’habitants est une fourchette haute. Pour la fin du XXIe siècle se profile ainsi un retour à la population du début du XXe siècle, mais bien plus âgée qu’en 1900. Le Japon et les pays riches de l’OCDE en général sont engagés sur une trajectoire analogue, qui correspond aux vœux des populations riches des pays développés, à défaut de satisfaire leurs dirigeants.

La chute des naissances en France est établie depuis dix ans (2010). Occultée au début de la décennie par la transformation de Mayotte en département et au rattachement de ses 10 000 naissances aux chiffres nationaux, elle s’est accélérée en 2020. En 11 ans, la natalité a chuté de 12,5 % en France (-100 000 naissances). Le mouvement semble se précipiter en 2021 sous l’effet du Covid, avec -13 % de naissances en janvier par rapport à janvier 2020. La France à l’horizon 2060 aura comme l’Allemagne 50 à 55 millions d’habitants.

Des nouvelles identiques parviennent du sud, de l’est et du nord du continent. La population de l’Italie décroît désormais, malgré l’immigration. Le Royaume-Uni a perdu un million d’habitants en 2020, conformément aux objectifs des Brexiters, qui voulaient pousser au retour des résidents originaires d’Europe centrale et orientale. […]

La plus grande maternité de France est à Mayotte au large de Madagascar.
9.674 nouveau-nés en 2017, soit plus d’un 1/9 des naissances du Québec pour une population 33 fois plus petite.


 
L’Allemagne, au cœur de l’Europe, ne stabilise sa population depuis la réunification qu’en attirant une triple immigration : en provenance de l’Union européenne, des autres pays européens, et mondiale (Russie et anciennes Républiques soviétiques, Syrie, Afrique, Asie centrale). [Un Allemand sur quatre est un immigré ou fils d’immigré, et un sur trois chez les jeunes.]

D’après Eurostat, la population va chuter de 447 millions en 2020 à 420 millions vers 2080, dans un demi-siècle La situation est très préoccupante, quoiqu’un peu différée en Espagne, en Italie, au Portugal ou en Grèce. La jeunesse au chômage quitte ces pays depuis dix ans pour l’Europe du Nord, y faisant décroître la population, au point qu’une Italie à 35 millions d’habitants est possible d’ici à quarante ans (60 millions en 2020) ; même le pape s’en est ému.

[…]

L’Union compterait ainsi en 2080 un tiers d’habitants issus d’autres continents, conformément à la recommandation de l’ONU formulée en 2000 dans un prérapport public consacré aux « migrations de remplacement » (sic). Fortement influencé par les pays du Sud, il préconisait 139 millions de nouveaux migrants en Europe entre 2000 et 2025 (soit 5,6 millions par an).

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Au demeurant, la poursuite de l’immigration de peuplement produirait deux effets négatifs, outre la réduction à néant de la décision malthusienne des jeunes Européens. Le premier tient à l’immigration de main-d’œuvre non qualifiée. L’exemple de la France est intéressant. Celle-ci, malgré son fort taux de chômage et son endettement croissants, orchestre depuis 1979 une immigration en majorité non qualifiée. En vertu d’un raisonnement productiviste et keynésien anachronique, nos gouvernants espèrent ainsi augmenter le facteur travail et la consommation pour favoriser la croissance. Or plus la population française se diversifie et s’accroît, plus la croissance économique se réduit, jusqu’à devenir négative (le PIB réel de la France par habitant est passé de 45 334 dollars en 2007 à 39 257 dollars en 2020), plus le décrochage s’accuse face à l’Allemagne, à la Suisse et aux États-Unis, plus le chômage grimpe (1 million en 1975, plus de 6 millions aujourd’hui), et plus l’endettement de l’État et les déficits marchands se creusent.

L’autre effet négatif est induit par la pratique de l’Allemagne envers les pays d’Europe du Sud, et de la France envers l’Afrique et les pays du Maghreb : en important des cadres (médecins africains et informaticiens du Maghreb pour la France, jeunes cadres d’Europe du Sud pour l’Allemagne), elles empêchent les pays pauvres de sortir de leur condition, bloquant leur développement, et la résorption des principales sources du sous-développement : la sous-qualification de la main-d’œuvre, l’état sanitaire dégradé des populations, et la dépendance technologique. En 2019-2020, la Tunisie a perdu 80 % de deux promotions de jeunes médecins diplômés, ainsi que 2500 ingénieurs en 2020.

En important de la main-d’œuvre non qualifiée, l’Europe aggrave ses maux au lieu de pratiquer le saut technologique de la robotisation à la japonaise. Et en important des cerveaux, elle aggrave le sous-développement du Sud. En outre, les pays d’émigration entrent eux-mêmes dans une phase démographique nouvelle où les cadres disponibles vont se raréfier, et leurs besoins de main-d’œuvre s’accroître du fait du vieillissement de leur population.

L’Europe est donc priée de faire un constat, et de chercher les ressources internes pour pallier ses maux. Le constat, c’est son incapacité à proposer un avenir désirable. Se reproduire est un fait de nature et l’objectif premier du vivant. Dans l’ordre de la culture, enfanter est un acte de foi en l’avenir et de confiance (« Dieu pourvoira »). Ce sont les pays les plus déshérités de la planète et les plus ravagés qui ont le plus d’enfants, notamment au Sahel menacé de désertification. Dans les pays les plus riches et sûrs (Japon et Allemagne), la natalité est à son étiage. L’Union européenne, pas plus que le Japon ou l’espace post-soviétique n’offre un horizon d’espérance. L’Homme étant un croyant (Rousseau), s’il ne croit à rien, il cesse de vivre. Tel est le message des peuples d’Europe à leurs dirigeants et à leurs élites en orchestrant la grève des berceaux.

Ces derniers portent une grande responsabilité. C’est une chose intelligible que les pays qui se sont fourvoyés dans le totalitarisme au XXe siècle (Russie, Allemagne, Japon) soient en proie à une angoisse existentielle, qui sape leur élan vital. Mais l’Europe méditerranéenne n’est pas concernée : la natalité y a été longtemps plus vive. Le désenchantement du monde a pourtant rejoint l’Europe catholique. La déchristianisation, la dégradation des politiques familiales (le Front populaire avait inventé la politique nataliste), la promotion de l’individualisme et de la sexualité considérée comme une fin en soi — l’Occident est la première civilisation du monde qui met à l’encan ses jeunes filles, en les offrant au monde entier par la pornographie mondialisée —, ont sapé ses fondations anthropologiques. Or celles-ci ont été les piliers de la force et de la fécondité intellectuelle et artistique inouïe de l’Europe.

Pendant soixante ans, la France s’est battue avec succès contre ses démons malthusiens, établis dès le XIXe siècle. Mais en quelques années, intellectuels et politiciens se sont retournés contre la famille, un temps décrite comme une structure d’oppression, le terreau des inégalités sociales, voire un lieu de perversion. Le détricotage méthodique du code civil napoléonien depuis un demi-siècle a fait de la France le pays où l’on se marie le moins au monde. La disparition du mariage, fête éclatante de la jeunesse — qui brille dans Guerre et Paix — laisse une béance dans nos sociétés âgées.

Elle est couplée à la réduction des aides aux familles, à l’appauvrissement des jeunes — qui, même s’ils le voulaient, ne pourraient pas se marier festivement faute de moyens financiers —, à la fermeture systématique des maternités de proximité, à la raréfaction des pédiatres et des obstétriciens, les exemples abondent. La chute de la natalité va se poursuivre et s’amplifier. Sans le soutien de la surnatalité de ses immigrés et domiens, la France serait déjà au niveau de ses voisins du Sud ou du Nord. Tout ce qui a présidé au baby-boom de l’après-guerre a été déstructuré. Les jeunes Français sont élevés depuis vingt ans dans la peur de l’avenir, du chômage et du déclassement, et désormais la terreur écologique. S’y ajoute celle de l’épidémie du Covid qui anéantit aujourd’hui la pulsion de vie. À circonstances inchangées, la natalité française marche vers son étiage, comme au Japon et en Italie.

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«À long terme, une politique nataliste est plus efficace qu'une politique d'immigration»

Selon Laurent Chalard, géographe au « European Centre for International Affairs » (en anglais) à long terme, une politique nataliste est plus efficace qu’une politique d’immigration.

Après avoir atteint un point haut depuis la fin des Trente Glorieuses, avec 802 224 naissances enregistrées en 2010 en France Métropolitaine, leur nombre a chuté de plus de 10 %, pour passer sous la barre des 700 000 en 2020. Cette baisse est attribuable à deux facteurs : une réduction du nombre de femmes en âge de procréer, les générations nombreuses issues du baby-boom n’étant plus en âge d’avoir des enfants, et un déclin de la fécondité, qui s’éloigne du seuil de remplacement des générations (2,06 enfants par femme), s’expliquant principalement par le recul de l’âge à la première maternité.

En effet, les femmes peu diplômées issues des classes populaires qui concevaient auparavant leur premier enfant relativement jeune alignent de plus en plus leur comportement de fécondité sur les femmes cadres, conduisant à une généralisation du phénomène de première maternité tardive, ce qui réduit mécaniquement l’indice de fécondité.

Le rapport Bayrou récemment publié rappelle aussi que la dégradation de la natalité en France a été « concomitante des mesures fiscales touchant notamment le quotient familial »… La politique familiale a été rabotée pendant le mandat du socialiste François Hollande, dont les mesures fiscales concernant le quotient familial qui avantageaient trop les classes moyennes et supérieures selon le président socialiste.

Toutefois, la baisse de la natalité peut aussi s’expliquer par la situation économique des années 2010, en particulier de jeunes ménages, qui serait moins bonne que dans les années 2000. Cette hypothèse est séduisante, mais l’analyse en détail vient l’infirmer puisque le pic des naissances de 2010 correspond à des conceptions de l’année 2009, soit au plus fort de la crise économique !

Il existe une troisième explication (pas nécessairement contradictoire) : les évolutions structurelles de la natalité sont beaucoup plus liées à des changements de mentalité au sein de la population en âge de procréer. Selon cette hypothèse, la baisse de la natalité est le produit d’une homogénéisation des comportements vis-à-vis de la première maternité tardive à l’ensemble de la population féminine. Ce phénomène a pu être accentué par les réseaux sociaux, qui ont tendance à renforcer le mimétisme des conduites chez les individus.

Quelles mesures peuvent permettre de relancer la natalité ?

Si l’on considère que c’est un problème de politique familiale, on insistera pour la renforcer en relevant, par exemple, le plafond du quotient familial, en créant des structures pour l’accueil des plus petits ou en proposant des primes à la natalité. En revanche, si vous pensez que c’est une question purement économique, vous allez promouvoir la stimulation de la croissance et la création d’emplois, qui permettront mécaniquement ensuite de faire remonter la natalité.

Cependant, cela peut s’avérer insuffisant, car elles ne s’attaquent pas à la racine du phénomène, qui est d’ordre psychologique et non économique. En effet, dans les pays développés, la venue d’un enfant est perçue comme une contrainte financière non négligeable, en concurrence avec l’achat d’autres produits de consommation, et non comme une fin en soi. Or, en théorie, le désir d’avoir des enfants est censé dépasser les éventuels soucis matériels en découlant. Mais, dans le cadre d’une société de consommation hyperindividualiste, les mentalités natalistes ne sont guère favorisées, la fécondité s’effondrant dans tous les pays riches, quelle que soit l’origine ethnique de la population, la palme revenant à la Corée du Sud, avec moins de 1 enfant par femme chaque année depuis 2018. Plus qu’une ou plusieurs mesures à mettre en œuvre, il conviendrait plutôt de redonner du sens à la vie de nos concitoyens sur le plan philosophique pour leur donner l’envie de transmettre leur culture à de nouvelles générations.

On peut penser que l’immigration est une solution au manque d’enfants et à la contraction démographe. Cependant, même si l’on évacue le sujet sensible de l’intégration culturelle des nouveaux arrivants, cette solution ne peut être que temporaire, car les descendants des immigrés adoptent peu à peu les mêmes comportements de sous-fécondité que la population de leur pays d’accueil.

En conséquence, pour Laurent Chalard, à long terme, une politique nataliste est plus efficace qu’une politique d’immigration pour assurer les besoins en main-d’œuvre futurs d’un pays et l’équilibre financier de son système de retraites, d’autant qu’elle permet une meilleure cohésion nationale, le multiculturalisme étant, par définition, source de tensions.

Voir aussi

La Chine va autoriser les familles à avoir trois enfants 

Un pays à très faible fécondité peut-il jamais renouer avec le taux de renouvellement des générations ?