samedi 14 janvier 2017

France — Le « prédicat » ou la grammaire réinventée, où l'on reparle du Québec

Derrière le débat en France autour du terme « prédicat » qui a intégré les manuels de grammaire en France se cache un plus grand bouleversement de la manière de concevoir l’orthographe.

Voilà un mot que les plus de dix ans ne peuvent pas connaître. Apparu dans les manuels scolaires de France à la faveur de la réforme des programmes de la rentrée 2016, le « prédicat » désigne « ce qui est dit du sujet ». Dans la phrase « l’élève fait ses devoirs », le prédicat est « fait ses devoirs ». Il est construit autour du verbe principal de la phrase, et est en somme constitué de tous les mots qui n’appartiennent ni au groupe sujet, ni aux groupes compléments de phrase.

Contrairement aux rumeurs, le prédicat n’est pas une nouveauté sortie du chapeau des pédagogistes à l’aube de la rentrée 2016 pour intégrer les nouveaux programmes de grammaire. Le mot aurait été inventé par Aristote, et est depuis longtemps utilisé en grammaire latine puis française, comme il l’a été dans les manuels des années 1930. Cette notion est aussi enseignée depuis plusieurs années au Québec (voir l’illustration ci-dessous), par exemple, notamment depuis la nouvelle politique éducative mise en place outre-Atlantique il y a une dizaine d’années. Et même si celle-ci a été un fiasco notoire, la France socialiste s’en inspire et fonce. (Comme on peut le voir dans de nombreux dossiers le Québec qu’il soit dirigé par le PLQ ou PQ fait la même politique sociale et éducative que le France de gauche : mariage homosexuel, euthanasie, éducation sexuelle qui intègre la théorie du genre, restriction de la liberté scolaire, etc.)


Parents désorientés

L’idée de l’introduction du prédicat est de simplifier l’apprentissage de la grammaire, en décomposant la phrase pour en comprendre la logique, et en reportant l’enseignement des notions de COD et de COI — introduite aujourd’hui en CM1... – à la cinquième ! Une nouveauté qui est loin de faire l’unanimité. Les parents d’élèves, tout d’abord, se disent « déroutés », « déboussolés par la nouvelle manière d’enseigner la grammaire » et « désorientés » : « des profs oublient que les parents sont des accompagnants dans les apprentissages », note Valéry Marty, présidente de la Peep, fédération de parents d’élèves. Pour certains militants pédagogistes, le fait que les parents sont désorientés est une vertu, car cela permettrait d’éviter que les parents instruits n’aident leurs enfants alors que les parents moins pourvus ne pourraient le faire et qu’on assiste à une reproduction des élites. L’ennui c’est que de toute façon certains parents connaissent le prédicat (beaucoup d’universitaire, les enseignants) et que les parents riches peuvent se payer des tuteurs. Cette volonté de rupture dans la reproduction des « élites » scolaires est donc vouée à l’échec.

« Simplification »

Mais les profs sont les premiers sidérés. Comme le souligne l’enseignante Lucie Martin, sur un carnet de Télérama, difficile d’expliquer notamment les notions d’accords avec le participe passé sans savoir ce qu’est un COD ou un COI. Et d’expliquer que l’inspection lui a répondu que « si l’on aborde ces questions d’accords, il faut enseigner aux élèves les différents compléments ». En somme, conclut-elle, « nous rajoutons bien une notion, le prédicat, mais sans enlever les autres ». Drôle de « simplification ».

Ajoutons que quiconque veut apprendre des langues à déclinaison ou plus techniquement les langues accusatives (allemand, russe, latin, grec, arabe, japonais avec を o, etc.) doit pouvoir identifier le COD (et de nombreux autres types de complément), Bref, on assiste à l’introduction d’un concept simplification (le « prédicat ») qui ne prépare pas à l’acquisition de savoirs pratiques linguistiques plus complexes (d’autres langues).

« Un degré d’acceptabilité des erreurs »

Derrière cette réforme « simplificatrice » de la grammaire se cache une nouvelle manière de concevoir la grammaire en général, explique Lucie Martin. « En fait, en langue, tout est négociable », a-t-elle entendu lors de sa formation : « Si l’élève fait une faute, mais qu’il est capable de justifier son choix, même de façon totalement erronée, alors nous devons considérer qu’il a raison. » Même récit édifié de Anne-Sophie Ducatillon, dans le Parisien : à cette professeur de lettres dans un collège de Saint-Amand-les-Eaux (Nord), il a été expliqué lors de sa formation continue « qu’il existe un degré d’acceptabilité des erreurs des élèves, s’ils peuvent justifier la logique de leur démarche ». Et de citer en exemple la phrase « le plafond s’émiettent » (sic). Ça fait mal aux œils (sic).



Programme ECR : la contestation ne lâche pas

Le controversé programme obligatoire d’éthique et de culture religieuse continue d’attirer les critiques.

Récemment, Jean-Pierre Proulx, souvent présenté comme un des « pères » du programme ECR, affirmait que le programme ECR avait passé le test judiciaire et que le débat devait se clore sur le terrain politique.

Il est vrai qu’il est regrettable que cette saga — née de la volonté d’imposer un seul programme à contenu moral à tous les Québécois sous couvert d’un consensus fictif — dure encore et que nul homme d’État n’ait compris qu’il fallait que cesse cette imposition et que les parents aient nettement plus droit au chapitre et au choix de l’éducation qui les satisfont. Las, il faut craindre que la prochaine version du programme ECR ou le programme de remplacement soit tout aussi obligatoire (nous sommes au Québec après tout, royaume du respect de la diversité uniforme !) et, lui aussi, chargé idéologiquement.

Daniel Baril, très actif dans la lutte contre le volet religieux d’ECR (voir l’émission sur le cours ECR qu’il a fait à Radio VM), a répliqué récemment à M. Proulx. Extraits :

On constate toutefois que M. Proulx ne remet aucunement en question les fondements du cours, et c’est là que réside l’essentiel du problème : ECR est, par son essence même, un cours de promotion et de formation de la pensée religieuse croyante qui n’a pas sa place à l’école publique. Il constitue une véritable dérive de l’école québécoise prétendument laïque.

À son avis, la Cour suprême (CS) aurait cautionné ce cours, du moins dans son caractère obligatoire. Si le premier jugement de la CS, faisant suite à une plainte de parents chrétiens déposée en 2008, concluait en ce sens, il n’en constituait pas pour autant le dernier mot : « Il se peut que la situation juridique évolue au cours de la vie du programme ECR », écrivait le juge LeBel.

Le deuxième jugement de la CS, à la suite de la plainte du collège Loyola, a invalidé une grande part des fondements et objectifs du programme en permettant aux écoles confessionnelles de maintenir un enseignement religieux confessionnel. Ces deux jugements offrent de nombreuses pistes pour une nouvelle contestation juridique du cours.

M. Baril a raison d’insister sur le fait que la première décision de la Cour suprême du Canada n’avait rien de concluant puisque la cour reprochait aux parents d’avoir présenté leur recours trop tôt (avant même que leurs enfants n’aient été exposés au programme ECR) et qu’ils manquaient donc de preuves pour démontrer que le programme pourrait présenter des effets négatifs. Reproches curieux — restons polis — puisque les parents demandaient l’application d’une mesure conservatoire pour empêcher que leurs enfants soient soumis au programme ECR... Ajoutons que les juges et M. Baril dans son livre reprochent aussi aux parents de n’avoir présenté qu’un seul manuel comme pièce au dossier, alors que plusieurs manuels avaient été analysés par les avocats des parents, mais que c’est le juge Dubois très conciliant envers les demandes du procureur du Québec, M. Boucher, qui fit en sorte que ces autres manuels ne soient pas versés au dossier. Ne fut donc admis que le manuel ECR qui serait utilisé l’année suivante par le benjamin des enfants dont les parents se présentaient en justice, aucun manuel n’avait été choisi par le professeur ECR pour la classe de l’aîné, cet enseignant allait composer son cours au fur et à mesure de l’année.

Le juge Dugré dans l’affaire qui opposait le collège Loyola au Monopole de l’Éducation du Québec accepta lui une étude du philosophe Lévesque qui portait sur huit manuels et cahiers ECR. Cette étude et le mémoire du professeur Farrow de McGill achèveront de convaincre le juge Dugré que le Monopole de l’Éducation allait bien trop loin. Il donna donc raison au collège Loyola qui demandait de pouvoir enseigner un meilleur programme de morale et de religions du monde qui respecterait les convictions du collège.

Bref, rien n’empêcherait de contester une nouvelle fois le cours ECR avec de nouvelles preuves, un autre angle d’attaque (laïciste par exemple) et une attaque nettement moins modeste que celles des parents du premier procès qui n’attaquaient pas la constitutionnalité du programme, mais ne demandaient que le droit d’exercer leur autorité parentale et de retirer leurs enfants d’un programme scolaire alors qu’ils se considèrent comme les premiers éducateurs de leurs enfants. Ce droit leur a été nié par des juges le long de l’Outaouais. Mais à qui sont les enfants en fin de compte ? Historiquement, les régimes autoritaires ont toujours répondu que l’État (la cité) avait préséance sur les parents en matière d’éducation de ses futurs citoyens. Quant à une nouvelle contestation devant les tribunaux, M. Baril pense que sa victoire récente dans l’affaire de la prière de Saguenay change la donne et qu’il aurait des chances de gagner s’il devait s’attaquer au programme ECR. 

Au-delà du fait que nous ne pensons pas que les jugements aient définitivement validé le programme ECR, ajoutons que nous n’accordons guère de crédit aux juges de l’Outaouais. Nous pensons que ceux-ci partagent avec les auteurs du programme ECR les mêmes préjugés sur le rôle actif que l’État doit avoir dans l’éducation morale et politique des enfants, sur le multiculturalisme (inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés), le peu d’importance du choix des parents face à la mission de l’État (c’est aux parents de démontrer qu’un programme gouvernemental peut porter un grave préjudice à leurs convictions et non à l’État de montrer qu’accorder l’exemption aux enfants de ces parents-là pourrait concrètement porter un grave préjudice à la société) et quand bien même il y aurait préjudice pour ces juges, il ne serait pas grave puisque l’adoption du multiculturalisme religieux comme valeur (entendre partager la même vision que les juges) est plus importante pour de jeunes que la conservation de la vision religieuse des parents de ceux-ci.

La juge Deschamps qui a rédigé la décision dans le premier procès a tout le long de l’audience marqué son peu de respect pour les arguments des parents québécois. Pour elle, « dès qu’il y a comparaison, il y a un peu de relativisme », d’où ses haussements d’épaules et son sourire narquois en salle d’audience quand les avocats des parents condamnaient le relativisme du programme ECR (toutes les religions se valent et doivent être respectées).

À notre avis, l’opinion de Deschamps était faite avant l’audience, elle n’a fait qu’enrober son haussement d’épaules en langage juridique par ses clercs et auxiliaires juridiques en reprenant largement les arguments du gouvernement québécois et en passant sous silence ceux de la partie adverse. Les journalistes étant des travailleurs surmenés ne rapportent que les arguments qu’elle a retenus et ne retournent pas au dossier pour voir ceux de la partie adverse. Dans la saga judiciaire du cours ECR (6 procès), aucun journaliste n’a couvert les débats en y assistant patiemment dans la salle (quelques journalistes se trouvaient dans les couloirs et quelques-uns furent brièvement convoqués comme témoins).

La juge Deschamps a démissionné de la Cour suprême du Canada peu de temps (le 7 août 2012) après sa décision dans l’affaire de Drummondville rendue le 17 février 2012, à l’âge de 59 ans. Les juges de la Cour suprême peuvent siéger jusqu’à l’âge de 75 ans.

Voir aussi

Les juges-prêtres

La Cour suprême du Canada : décideur politique de l’année 2014

Suicide assisté : décision disproportionnée de la Cour suprême dans ses effets prévisibles et potentiels ?

Cour suprême du Canada — limites aux propos chrétiens « haineux » « homophobes » ?

Cour suprême — « toutes les déclarations véridiques » ne doivent pas « être à l’abri de toute restriction » (la vérité n’est plus une défense !)

À qui sont ces enfants au juste ?

« Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. » (Giraudoux, 1935)

« État ou parent, qui est le premier éducateur des enfants ? »

Les commissions canadiennes des droits de la personne : « Extirper l’hérésie et le blasphème » ?

Réflexions sur la « victoire » du collège Loyola

Du danger de l’indolence dans les sociétés contemporaines

Juge puinée Deschamps en pleine audience ECR : l’église catholique en faveur du créationnisme (c’est faux)