mercredi 3 septembre 2008

Réunion houleuse à Valcourt devant un grand déploiement de fonctionnaires

Plus d’une centaine de parents de la région de Valcourt se sont réunis mardi soir à l’école secondaire L'Odyssée pour entendre et débattre avec des fonctionnaires invités par la Commission scolaire des Sommets aux prises avec une menace de retrait massif d’enfants des classes d’ECR.

Si vous ne voulez avoir qu’une idée partielle et aseptisée de ce qui s’est produit à Valcourt hier, lisez le reportage de la Tribune de Sherbrooke.

Laïus habituels et partiaux

La réunion a débuté par la présentation quelque peu cocasse des nombreux fonctionnaires invités par la commission scolaire : MM. Pierre Bergevin et Jacques Pettigrew du Monopole de l’Éducation, plusieurs commissaires, le directeur de l’école Odyssée où se tenait la réunion, des enseignants, des attachés en communications, etc. Ils souriaient. Madame Yolande Martel, directrice générale de la Commission scolaire des Sommets, faisait office de maître de cérémonie. On avait l’impression qu’à l’annonce du nom et de la fonction du fonctionnaire un spot aurait dû sortir le serviteur de l’État de l’obscurité de la foule et que celle-ci aurait dû l’applaudir. Il n’en fut rien, le vulgum pecus est décidément mal élevé. Le ton était donné.

Pierre Bergevin, de la direction des programmes du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), a commencé une longue introduction en rappelant que les commissions scolaires étaient déconfessionnalisées depuis 1998. M. Bergevin a soigneusement omis d’indiquer que cette déconfessionnalisation s’est accompagnée d’une privation de droits pourtant inscrits dans la Charte des droits canadienne. Il n’a pas jugé bon de rappeler que lors des discussions à l’Assemblée nationale, en 1997, concernant la demande du gouvernement fédéral de modifier l’article 93 de la Constitution (rendant inopérant l’article 29 de la Charte fédérale), la ministre de l’Éducation avait solennellement affirmé qu’il s’agissait d’abolir les commissions scolaires confessionnelles, mais que les écoles demeureraient confessionnelles et que leur statut ne serait révisé qu’après consultation des parents de l’école. (Le texte du discours est reproduit en annexe du rapport Proulx, page 262 de l’imprimé soit page 276 du PDF).

Monsieur Bergevin a poursuivi en rappelant que la préparation des sacrements avait été remise entre les mains des communautés religieuses depuis plusieurs années déjà.

On ne voit pas très bien le rapport avec l’imposition d’un cours unique à l’école publique (des pays plus tolérants enseignent plusieurs religions et la morale laïque dans les écoles publiques) ni l’imposition de ce cours aux écoles privées confessionnelles (elles ne sont bien sûr pas déconfessionnalisées, donc la déconfessionnalisation ne pourrait expliquer l’imposition de ce cours aux écoles confessionnelles privées !)

M. Jacques Pettigrew, responsable du programme ECR au Monopole de l’Éducation, a ensuite enchaîné avec ce qui allait devenir un leitmotiv lancinant : « Nous croyons que ce programme respecte la liberté de conscience des parents et des enfants parce que nous tenons pour acquis que le développement de la foi est quelque chose qui se fait à la maison [...] L'école n'est pas là pour porter un jugement sur quelque tradition que ce soit, elle n'est pas là pour dire quelle religion est meilleure ».

Deux refrains lassants

Deux refrains lassants ont bercé la réunion : c’est la loi, la décision de l’Assemblée nationale et ce cours n’est pas un cours de religion.

Premier refrain. Il est vrai que ce cours faisait partie de la loi 95 de 2005. Mais il faut rappeler les circonstances peu satisfaisantes qui entourent son adoption. Quand le projet de loi 95 a été adopté en 2005, la Charte du Québec a été elle-même modifiée en l’espace d’une nuit – l’expression est à prendre à la lettre puisque la modification n’a fait l’objet d’aucun débat public et a été adoptée après une période de 12 heures de consultations particulières.

En outre, on touche ici à un droit fondamental : celui d’instruire ses enfants selon ses convictions philosophiques et religieuses sans que l'État rende cette instruction plus compliquée. Le Monopole maintient (c’est son second leitmotiv) que cet enseignement respecte ce droit (ce n’est pas au Monopole de le juger : il est alors juge et partie). Et quand il s’agit de droits fondamentaux (on nous l’a assez seriné pour les « mariages » gays), la majorité ne peut décider et brimer les droits d’une minorité dans une démocratie.

Deuxième refrain. Le cours d’éthique et de culture religieuse est objectif et n’est pas un cours d’enseignements des croyances des religions ou un cours de religions qui pourraient convaincre les enfants (la position changeait d’une interprétation de ce refrain à l’autre).

D’une part, plus personne ne prétend que ce cours sera donné de manière neutre que ce soit dans son volet éthique où les « propos inacceptables » – à l’aune de quelle morale politiquement correcte ? – des élèves seront réprimés ou comme on l’a vu [1], [2], etc. dans le traitement des religions qui est parfois partial dans les manuels pourtant approuvés ou autorisés.

D’autre part, c’est une fiction de croire que les récits de toutes les religions présentés avec respect dans les manuels se distinguent fondamentalement des récits qu’on utilise pour enseigner la religion aux jeunes enfants. Dans les deux cas, on dit la même chose avec le même ton sûr : Mahomet a parlé à l’ange Gabriel, Mahomet a reçu le Coran, Bouddha est né une telle année, il fut illuminé, il a tout compris. La seule différence est qu’ici on aborde plusieurs récits de révélation et de création, dès les premières années du primaire, et qu’ils sont contradictoires.

Très peu de parents paraissaient convaincus par la réponse monotone des deux responsables du programme au Monopole de l’Éducation. Les parents « laïques » autant que « religieux » unis dans le fait que cet enseignement plurireligieux était totalement inadapté aux jeunes enfants, selon eux, qui prennent souvent pour argent comptant ce genre de récits alors qu’un enseignement factuel de ces religions concentré en un seul cours à la fin du secondaire, sans doute facultatif, pourrait très bien intéresser de nombreux parents.

Évidences anecdotiques ignorées du revers de la main

Les témoignages de l’influence possible de l’exposition à diverses religions « traitées avec respect » à un jeune âge (désir de conversion au bouddhisme et fumigation autochtone en classe) ont tout simplement été ignorés du revers de la main par les représentants du MELS si ce n’est pour dire que les expériences spirituelles ne pouvaient pas être enseignées. Même pas le yoga, humm ?

D’autres sujets plus importants au primaire

MM Bergevin et Pettigrew n’ont pas plus réussi à convaincre certains parents qu’il n’y avait pas de matière plus importante à enseigner à l’école primaire que ce cours dont on peut douter que les enfants retiennent grand-chose sauf qu’il faut respecter les autres (rappel transversal : ça peut se faire dans d’autres cours) et que toutes les grandes religions se ressemblent (elles ont des récits similaires, des personnages similaires au nom bizarre et des fêtes tout aussi exotiques).

Rappel : les enfants québécois écrivent mal le français [1] [2] [3].

Diversité grandissante comme prétexte

L'émergence d'une diversité religieuse au Québec qui expliquerait selon M. Bergevin l’imposition d’un programme unique n'a semblé convaincre personne. Peu au fait du contenu du volet éthique qui n’est pourtant pas exempt de défauts : [1] [2] [3] [4] [5], les parents n’acceptaient pas l’imposition de six religions alors que, pour certains d’entre eux l’école devait ne plus du tout enseigner la religion et que, pour d’autres, elle ne devait pas s’opposer aux parents et à leur volonté de transmettre une foi, déjà bien fragile au Québec.

« On a de la difficulté à garder notre religion avec les femmes voilées, les enfants qui ont des poignards... En plus, il faudrait apprendre leur religion ! » a commenté Isabelle Charland présente à la réunion.

Un autre citoyen de la région, immigrant lui-même, a reproché au ministère de jouer sur la culpabilité des Québécois pour imposer ce cours : il était insultant de considérer que sans ce cours un vivre ensemble dans un Québec divers serait impossible, le Québec est déjà un pays très tolérant a-t-il ajouté et un tel cours d’éthique et de culture religieuse peut s’enseigner de multiples manières comme le fait, par exemple, l’école secondaire catholique Loyola qui s’est fait pourtant refuser l’exemption à ce cours.

Le Monopole ne semble songer à la diversité que lorsqu’il s’agit de trouver un prétexte pour imposer son cours et non quand il s’agit de permettre une diversité d’enseignements conformes aux traditions philosophiques et religieuses des parents.

Prédominance du christianisme n'égale pas majorité et ne sera pas chiffrée

C’est avec amusement que l’on a entendu M. Bergevin nous dire que la prédominance donnée au christianisme ne signifiait pas qu’une majorité du cours sur les religions serait réservée au christianisme, ni qu’il pouvait citer un chiffre précis qui correspondrait au minimum de contenu chrétien. Il a bien fait car, au 3e cycle du primaire, les manuels de Modulo ne consacrent que 27 % de leurs contenus au christianisme guère plus que les 20 % consacrés à la spiritualité autochtone au 1er cycle du primaire…

Mais alors que signifie cette promesse que le christianisme serait prédominant ? Peu de choses. Une autre manière d’endormir la méfiance de la masse de la population québécoise ? En quoi consacrer tant de temps aux minorités religieuses (souvent infimes au Québec) sert-il vraiment le Québec qui se doit de viser également à une intégration à sa culture dominante, et là dominante veut dire nettement plus que simplement majoritaire ?

Mention sous les rires et sarcasmes de la DPJ

Interrogé sur les conséquences du retrait des enfants dont les parents s’opposent à ce cours, le directeur général adjoint de la CSS, Christian Provencher, soutient que la CSS prendra le temps de bien analyser les choses. Il a déjà été nettement moins prudent par le passé. À la Commission scolaire des Chênes, les absences seront compilées, mais aucune sanction n'a été prévue pour les élèves concernés.

Selon le régime de sanction des études, un élève du primaire qui aurait réussi toutes ses matières et n'échouerait que le cours d'ECR, par exemple, pourrait tout de même réussir son cycle. Au secondaire, à la fin de ses études, l'élève doit entre autres avoir réussi ce cours ou celui d'éducation physique.

Les représentants du MELS ont souligné que retirer un enfant des classes serait, selon eux, contraire à la Loi de l'instruction publique (LIP). Si les parents dérogent à cette obligation de fréquentation scolaire (1 heure par semaine!), la loi prévoit diverses mesures, dont l'intervention de l'école et, en dernier recours, l'intervention de la Direction de la protection de la jeunesse.

Cette mention a déclenché les rires et les sarcasmes d’un public unanimement opposé à ce genre de menaces et de sanctions. On notera que la journaliste de la Tribune de Sherbrooke ne fait pas mention de ce joyeux chahut.

Rappel : la DPJ a déjà déclaré se désintéresser de ce type de plaintes..
« Au Québec, les directeurs d'école ont l'obligation de signaler à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) tout jeune de 16 ans et moins qui ne va plus en classe. Or, la DPJ elle-même estime que ce n'est pas son mandat de ramener dans le droit chemin les décrocheurs!

«Un jeune qui ne fréquente pas l'école, ce n'est pas un motif d'intervention suffisant pour nous», explique Judith Laurier, porte-parole de l'Association des centres jeunesse du Québec. «Nous, on s'occupe des enfants négligés, abandonnés, maltraités ou abusés sexuellement, dit-elle. Le jeune de 15 ans qui ne va plus à l'école pour jouer au Nintendo dans son sous-sol, cela ne nous concerne pas.»

Faute d'autres recours, les écoles continuent pourtant de signaler, chaque année, des centaines de cas d'absentéisme à la DPJ. La vaste majorité de ces signalements ne sont pas retenus. »
Mais pourquoi exemption à Terre-Neuve alors ?

Un citoyen a alors demandé aux porte-parole du MELS si d’autres provinces avaient imposé ce genre de cours. M. Pettigrew a mentionné le cas avéré de Terre-Neuve. Il a fallu attendre une intervention d’un autre parent pour apprendre que Terre-Neuve permettait l’exemption à ce cours tant des élèves à titre individuel que des écoles à titre collectif. La crédibilité de M. Pettigrew n’a pas été renforcée par cette omission.

Quant à savoir pourquoi le Québec n’en avait pas fait autant, M. Bergevin a entonné l’explication traditionnelle : l’éducation est de compétence provinciale, n’expliquant en rien pourquoi le Québec était moins libéral et tolérant que Terre-Neuve.

L’État éduque vos enfants, vous déboursez et laissez faire l’État

La lecture cet article du Code civil du Québec :
605. Que la garde de l'enfant ait été confiée à l'un des parents ou à une tierce personne, quelles qu'en soient les raisons, les père et mère conservent le droit de surveiller son entretien et son éducation et sont tenus d'y contribuer à proportion de leurs facultés.
, invoqué pour justifier le droit de retrait du cours d'ECR, a été accueilli avec un paternalisme désarçonnant de la part de M. Pettigrew. Celui-ci n’a pas hésité à déclarer, en substance, que les parents peuvent surveiller leurs enfants après que l’école ait fait leur éducation selon le programme établi par l'État. Bref, les parents comme tiroirs-caisses qui paient l’entretien d'enfants et assurent la surveillance de ceux-ci pendant que les enseignants se reposent.

Peu convaincants

Très peu de parents ont semblé convaincus par la soirée. « Personnellement, vous ne m'avez pas convaincu, je vais retirer mes enfants et c'est mon droit en tant que parent », a déclaré Stéphane Brochu à la Tribune. « Est-ce que réellement nos enfants peuvent jouer dans ce laboratoire d'expérimentation ? On est inquiets », a commenté Patrice Gagnon, jeune parent, enseignant et membre de la CLÉ.

Bientôt un procès qui ternirait la réputation du Québec ?

La réunion s’est terminée avec beaucoup moins de participants, de nombreux parents lassés par les réponses répétitives des hauts fonctionnaires ayant quitté la salle, et nettement moins de sourires sur les visages des fonctionnaires et des chargés en communication auprès du ministère.

Les deux représentants du MELS ont fait savoir qu'ils livreraient un rapport aux autorités ministérielles. Si ce rapport n’aboutit que sur le bureau de Mme Courchesne, qui n’a montré qu’entêtement, manque de tact (« il faut marcher sur les orteils ») et mépris des parents (« que les parents songent plutôt au bien de leur enfant »!) il y a fort à parier que le Monopole poursuive à ne pas prendre en compte les critiques et s’entêtent à imposer ce cours tel quel jusqu’à ce que des actions en justice le confrontent, ternissent sa réputation et celle du Québec et ne donnent raison à l’opposition officielle qui avait demandé un moratoire d’un an dans l’imposition du cours d’ECR.