Une anecdote à la mode ces dernières années sur les origines du vibromasseur et le traitement de l’hystérie à l’époque victorienne serait un mythe.
Depuis sa publication en 1999, The Technology of Orgasm de Rachel Maines est devenu l’un des ouvrages les plus cités sur l’histoire du sexe (Maines, 1999). Selon cet opuscule, au plus fort de l’ère victorienne, les médecins auraient régulièrement traité leurs patientes en les stimulant jusqu’à l’orgasme. Ce traitement de masse — un remède à la maladie désormais disparue de « l’hystérie » — aurait selon Rachel Maines été rendu possible grâce à une nouvelle technologie : le vibromasseur. Les vibromasseurs auraient permis aux médecins de masser rapidement et efficacement le clitoris des femmes, sans épuiser leurs mains et leurs poignets.
Cette thèse a été répétée dans des dizaines d’ouvrages universitaires et citée avec approbation dans de nombreux autres. Quelques érudits ont contesté diverses parties du livre. Pourtant, aucun chercheur n’a contesté sa thèse principale, du moins pas dans des articles évalués par des pairs. Son message s’est même répandu dans la culture populaire, apparaissant dans une pièce de Broadway, un long métrage, plusieurs documentaires et de nombreux livres et articles grand public. Cette idée autrefois controversée est maintenant devenue un fait accepté.
Le film sorti en 2011 s’appelle Hysteria dans la version originale (mais Oh, my God! en France…)
L’ennui c’est que cette histoire semble totalement fausse.
Il n’y a absolument aucune preuve que les médecins victoriens utilisaient des vibromasseurs pour stimuler l’orgasme chez les femmes en tant que technique médicale, affirme l’article, rédigé par deux historiens de Georgia Tech. Pire : « Le massage manuel des organes génitaux féminins », écrivent-ils, « n’a jamais été un traitement médical de routine pour l’hystérie ».
En quelques mots voici la thèse de Maines : « Le massage jusqu’à l’orgasme des patientes était un élément de base de la pratique médicale chez certains médecins occidentaux (mais certainement pas tous) depuis l’époque d’Hippocrate jusqu’aux années 1920, et la mécanisation de cette tâche a considérablement augmenté le nombre de patients qu’un médecin pourrait traiter en une journée de travail » (Maines, 1999, p. 3).
Selon les auteurs de Georgia Tech, cette affirmation est entièrement fausse. Il existe quelques preuves circonstancielles que peu de médecins et de sages-femmes ont pratiqué le massage génital avant le XXe siècle, mais aucune preuve ne soutient l’affirmation selon laquelle le massage génital a été un « élément de base de la pratique médicale ». En ce qui concerne la deuxième partie de cette affirmation, à savoir que les médecins utilisaient des vibromasseurs pour mécaniser le processus de massage génital jusqu’à l’orgasme, il n’y a pas la moindre preuve que cette pratique ait jamais eu lieu. Un tel « traitement » n’a jamais été un élément de base de la pratique médicale, et il n’aurait pas non plus été considéré comme non sexuel.
« Il n’y a aucune preuve de cela », déclare Hallie Lieberman, un des auteurs de l’article.
Manque de rigueur dans le processus de publications universitaires
Le succès ces 19 dernières années de Technology of Orgasm met en évidence un échec fondamental du contrôle de la qualité dans les publications universitaires. Cet échec s’est produit à chaque étape, à commencer par l’évaluation de l’ouvrage aux presses de l’université Johns Hopkins. Mais le plus flagrant est le fait que pas une seule publication universitaire n’a mis en évidence les failles empiriques des principales affirmations du livre au cours des 19 années qui ont suivi sa parution.
Hallie Lieberman et Eric Schatzberg estiment que Technology of Orgasm n’est pas un cas isolé. Les pressions qui poussent à publier des recherches défectueuses dans les sciences naturelles et les sciences sociales quantitatives existent également dans les sciences humaines et les sciences sociales qualitatives. Dans les sciences humaines et sociales qualitatives, ces pressions encouragent la recherche étroite, banale et non pertinente, souvent déguisée par une prose jargonnante et une théorisation insipide (Billig, Learn to Write Badly: How to
Succeed in the Social Sciences, 2013). Mais ces pressions participent également à la publication de recherches empiriques bâclées dans des domaines qualitatifs.
Il existe peu de garanties contre les recherches empiriques défectueuses dans les sciences humaines.
L’édition savante implique rarement une quelconque vérification des faits. On pourrait croire que les pairs examinateurs et les relecteurs des presses universitaires s’assurent que les affirmations empiriques d’un manuscrit sont prouvées, Ce n’est pas le cas, ces évaluateurs ne mettront en doute que les données qui s’opposent à ce qu’ils savent déjà. De même, les critiques de livres examinent rarement les citations ou les sources d’un ouvrage. La vérification des faits est beaucoup plus fréquente dans un article de magazine typique que dans une publication universitaire, malgré les plaintes des journalistes concernant le déclin de cette pratique (Canby, Fact-Checking at the New Yorker dans V. S. Navasky & E. Cornog [rédacteurs], The
Art of Making Magazines: On Being an
Editor and Other Views from the Industry, 2012). Comme la vérification des faits n’est pas une pratique courante dans les publications savantes, les contestations factuelles de ces articles, en particulier dans le domaine de l’histoire, sont rares et peuvent être perçues comme des attaques personnelles plutôt que comme faisant partie du processus scientifique. Par conséquent, pour Lieberman et Schatzberg, les universitaires sont peu incités à remettre en question la recherche établie.
Il est révélateur que les critiques les plus virulentes à l’encontre de la thèse de Maines soient parues dans la presse populaire et les carnets et forums en ligne notamment sur H-NET, et non dans les revues savantes.
Source : Échec du contrôle de la qualité universitaire : la technologie de l’orgasme
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