Après sept ans de testostérone et plusieurs opérations chirurgicales, le retour à la case départ pour cette « détransitionneuse » ne peut pas être total. Récit du Figaro (30 mai 2022).
« Je n’ai plus de seins. Je n’ai plus d’utérus. Je n’ai plus d’ovaires. Je dois dealer [composer] avec les conséquences désastreuses de ma transition », écrivait Mila, fin 2021. |
L’époque où elle s’appelait « il » est révolue. À 26 ans, Mila* a tourné la page de la transidentité. La jeune fille qui s’était transformée en homme est redevenue une femme. Un gars, une fille… Depuis un peu plus d’un an, Mila est ce que l’on appelle une « détransitionneuse ». Sa chevelure châtain, plaquée en arrière, encadre un visage aux traits fins. Sa voix a retrouvé des tonalités moins graves. À l’état civil pourtant, elle est encore un homme. Une étape qu’il lui reste à franchir, car il faut le temps de prouver à la justice qu’elle ne reviendra pas une nouvelle fois en arrière. Aujourd’hui, elle déroule d’une voix posée les années où elle a vécu dans la peau d’un homme. Comme un souvenir déjà ancien.
Mais après sept ans de testostérone et plusieurs opérations chirurgicales, le retour à la case départ ne peut pas être total. « J’ai détruit mon corps, mais on m’y a aidée. J’ai détruit mon corps en pensant que ça irait mieux. (…) Je n’ai plus de seins. Je n’ai plus d’utérus. Je n’ai plus d’ovaires. Je dois dealer [faire face] avec les conséquences désastreuses de ma transition », écrivait-elle fin 2021, traversée par une « terrible colère ». Un an plus tard, la colère s’est atténuée. Mila a repris le fil de sa vie là où elle l’avait laissé, à l’adolescence. Comme si sa transition n’avait été qu’une parenthèse. « Je me suis refait la même coupe de cheveux qu’à l’époque. Je me suis enfin penchée sur les problèmes que j’avais occultés en transitionnant », explique-t-elle. Quel regard porte-t-elle cette période ? À l’adolescence, élève d’un collège catholique d’une petite ville de province, Mila comprend qu’elle est attirée par les filles. Au lycée, ses préférences se confirment. Mais être « une fille qui aime les filles » la met mal à l’aise. Elle en conclut qu’elle était destinée à être un garçon. D’autant qu’en pleine agitation du vote de la loi mariage pour tous, elle se fait traiter de « sale lesbienne ». Sur des forums dédiés à la communauté trans, sa conviction d’être née dans le mauvais corps se renforce. « Cela fait un peu bizarre au début. Il y a des moments de doute où l’on se demande si on n’est pas en train de s’inventer une vie. Mais à 16 ans et demi, le cerveau arrive facilement à s’accrocher à cette idée. Et puis une fois qu’on s’est lancé, il semble impossible d’en sortir », témoigne-t-elle.
Arrivée à Paris, elle se tourne vers des associations trans où on lui conseille un médecin complaisant qui délivre des ordonnances de testostérones sans poser trop de questions. « Au premier rendez-vous, il m’a dit : “Quand je vous vois, je vois un homme”. Cela a été très rapide », rapporte Mila. Le jour de ses 18 ans, elle se fait sa première piqûre d’hormones. Pendant quelques années, ce traitement lui suffit, car son corps se métamorphose rapidement. Sa voix mue. Elle devient « velue comme un ours ». Son visage et ses épaules s’épaississent. Et puis, peu à peu, Mila ne supporte plus son corps. « Mon sexe, mes seins me dérangeaient. Avec la “testo”, j’ai pris du poids et un début de ventre est apparu. Je suis devenue obsessionnelle, je comptais toutes mes calories. J’étais au bord de l’anorexie », se souvient-elle. Amère, elle dénonce : « Pendant toute cette période, je n’ai eu aucun suivi psychologique. »
« J’étais comme anesthésiée »
Un peu avant ses 21 ans, elle subit une première opération — une hystérectomie — pour se débarrasser de douleurs gynécologiques et faciliter son changement de sexe. Certes, elle n’a « jamais voulu avoir d’enfants » mais savoir que l’on ne pourra jamais en avoir est « différent ». En 2018, un tribunal acte son changement de sexe à l’état civil. Mila, devenue Milo, commence sa vie d’adulte comme « Monsieur ». Pour faire correspondre complètement ses papiers à son identité, elle subit une mammectomie (ablation des seins) un an plus tard. Son dernier lien avec la féminité est rompu. Reste un torse « plat et balafré ».
« À cette époque, j’étais clairement en dépression, décrypte-t-elle. Mon mal-être est allé crescendo. Après les régimes drastiques, j’ai développé une tendance à la boulimie. Je ne voyais plus personne en dehors de ma famille. Je n’avais plus de vie amoureuse. Ma vie sociale était détruite. Pourtant, à aucun moment je ne remettais en cause ma transidentité. J’étais comme anesthésiée, déconnectée de mes émotions. » C’est en poussant la porte d’un psy que Mila recommence à se poser des questions. Elle fait également une rencontre décisive avec une femme qui a suivi le même chemin qu’elle : « Ensemble, nous avons pu avancer, nous poser toutes les questions qui étaient trop difficiles à affronter seules. Sans son soutien, ce cheminement aurait été impossible ». Le retour en arrière ne se fait pas d’un coup. Pendant quelques mois, Mila se considère comme « non binaire ». « Une étape jusqu’au jour où j’ai compris que je n’étais pas et ne serais jamais un homme. Et surtout compris que j’étais une femme. »
« Réveillée d’un long cauchemar »
Pour se retrouver, il ne suffit pas d’arrêter la testostérone. En l’absence d’ovaires, Mila doit prendre des œstrogènes pour renouer avec sa féminité. Il lui faut aussi accepter l’irréversible. « Aujourd’hui, je suis mutilée. Cela a été un gros deuil de me rendre compte que les médecins m’avaient laissé me stériliser à 21 ans et que j’avais ruiné mon corps, confie-t-elle. Heureusement, j’ai échappé à un début de calvitie. J’ai pu retrouver mon visage et ma peau n’a pas été trop abîmée. » Avec le recul, elle analyse ce passage vers un autre genre comme une forme « misogynie intériorisée » qu’elle a finalement réussi à surmonter. Aujourd’hui, Mila éprouve le sentiment de s’être « réveillée d’un long cauchemar » et a accepté d’avoir fait fausse route. Elle refuse de laisser le désarroi altérer son grand sourire. Sa seule inquiétude est pour les enfants trans et les adolescents qui s’engagent dans une transition.
« Avant 25 ans, le cerveau n’a pas fini de se développer. Souvent, les regrets apparaissent à partir de cette période de la vie, quand les tourments de l’adolescence ont fini de nous tirailler. Comment est-ce possible de laisser des mineurs prendre ce type de décision ? C’est une aberration totale », interpelle-t-elle. Alors, bien qu’il lui ait fallu du temps pour accepter de raconter son histoire, de faire confiance, elle juge important de faire entendre sa voix pour mettre en garde.
*Le prénom a été modifié.
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