samedi 1 août 2015

Abolir la Commission des droits

Texte de Mathieu Bock-Côté :

Régulièrement, la Commission québécoise des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) nous rappelle malgré elle pourquoi il faudrait urgemment l’abolir. Car si officiellement, elle s’occupe des droits et libertés de chacun, ce qui lui donne des airs de gardienne de la vertu, dans les faits, elle est surtout occupée à faire la promotion d’une sociologie victimaire qui présente la société occidentale en général, et la société québécoise en particulier, comme une machine à exclure les minorités, qu’il faudrait pour cela déconstruire profondément. En gros, le majoritaire est coupable, et le minoritaire est victime. Il faudrait retirer les privilèges du premier et faire respecter les droits bafoués du second. La CDPDJ s’occupera ensuite de la reconstruction de l’ordre social à partir de l’utopie diversitaire qu’elle se croit appelée à implanter, pour peu qu’on en donne les moyens à ses idéologues zélés.
Sa dernière intervention en donne un bon exemple. La CDPDJ dénonçait la sous-représentation des femmes et des minorités ethniques à la Sureté du Québec, surtout que cette dernière n’aurait pas pris les moyens nécessaires pour la corriger – c’est-à-dire qu’elle n’aurait pas mis en place les fameux « programmes d’accès à l’égalité ». Nous sommes tellement conditionnés par cette pseudo-lutte aux discriminations que nous nous indignons immédiatement sans voir à quel point une telle analyse ne tient pas la route. La méthode de la CDPDJ a une valeur sociologique nulle : elle découpe la population en catégories statistiques, elle vérifie si on trouve une proportion correspondante de ces groupes dans les différents organismes publics ou privés, et si tel n’est pas le cas, elle en arrive à la conclusion que certains groupes sont victimes de discrimination – de discrimination systémique, pour emprunter le jargon faussement scientifique de la CDPDJ.

Cette disparition statistique ne saurait pas s’expliquer autrement. Il faut à tout prix que la société « majoritaire » soit coupable d’exclusion et le « minoritaire » victime de discrimination. Les préférences des uns et des autres ne comptent plus vraiment. À la rigueur, elles seront tout autant d’effets de structures de domination engendrant des inégalités à corriger. Dans le cas présent, on se dira : si les femmes ou les minorités ethniques ne sont pas suffisamment représentées à la SQ, c’est que la culture de l’organisation est exagérément centrée sur une version masculine de la culture québécoise francophone. Si la SQ se transforme en profondeur, elle sera plus attractive pour les femmes et les groupes ethniques, et le problème sera réglé. En attendant, elle devra créer des filières particulières d’accès à l’emploi pour les groupes apparemment marginalisés. [Carnet : les hommes sont très minoritaires parmi les infirmières, les enseignantes et les fonctionnaires aux conditions d’emploi douillettes, que fait la CDPDJ ?]

On est là en pleine entreprise d’ingénierie sociale. L’individu avec ses talents, ses désirs et ses aspirations est grossièrement nié, comme si son existence ne comptait pour rien. Il ne s’agit plus d’embaucher la meilleure personne possible pour un poste indépendamment du sexe ou de l’origine ethnique. On transforme l’individu en représentant d’un groupe dont il devient bien malgré lui le porte-parole. En fait, les individus issus des « minorités » sont transformés en chair à quota : on ne les veut pas pour eux-mêmes, on les veut pour équilibrer les comptes de la diversité. À celui qui dit : peu m’importe que le policier soit blanc, noir ou jaune, pour peu qu’il s’agisse d’un bon policier, on répondra plutôt que la couleur importe pour beaucoup, comme s’il fallait emprisonner l’individu dans ses origines. Il y a là quelque chose de profondément insultant pour l’immense majorité des « minoritaires » qui a su faire carrière sans miser sur les cases diversitaires à cocher dans les formulaires d’embauche.

En fait, on pratiquera même une forme de racisme à rebours : quand un poste est officiellement réservé à une personne issue des « minorités », on doit comprendre que le « Québécois blanc francophone » en est exclu formellement. À cause de son sexe ou de son origine ethnique, il ne peut même pas y appliquer. En quoi cette discrimination raciale assumée est-elle moralement acceptable ? Exclure un noir ou une femme parce qu’il est noir ou qu’elle est femme, c’est du racisme et du sexisme, mais exclure un homme ou un blanc parce qu’il est homme ou qu’il est blanc, c’est de l’antiracisme ? Comprenne qui pourra. Cette sociologie bancale est traversée par un biais idéologique tel qu’elle bafoue allégrement les règles les plus élémentaires de la rigueur.

On en revient à la CDPDJ. Elle se pose comme l’instance moralisatrice par excellence de notre société. Elle évalue chaque institution à partir de son cadre théorique et sermonne celles qui ne s’y plient pas, celles qui ne s’y soumettent pas. Elle divise la société en deux camps : ceux qui partagent sa vision des choses, et qui luttent contre l’exclusion, et ceux qui ne reconnaissent pas la valeur de son cadre d’analyse, et qui perpétuent consciemment ou inconsciemment un système injuste, inégalitaire et exclusif. Elle déforme notre vision des choses en nous invitant à reconnaître des injustices structurelles là où il n’y a souvent que des disparités s’expliquant de manière bien plus complexe. Une évidence s’impose : la préservation des droits et libertés est bien trop importante pour être confiée à une organisation qui promeut une idéologie radicale au nom d’une conception falsifiée de la justice sociale.

Voir aussi

L’État se féminise et se « diversifie » (les effectifs des commissions scolaires sont à 70,4 % féminins, mais selon la CDPDJ il y aurait toujours une sous-représentation des femmes...)

Un Québec de plus en plus divers, est-ce vraiment une bonne chose ?

Novlangue — OQLF prescrit « action positive » plutôt que « discrimination positive »

Discrimination positive (et diversité) : victoire partielle d’une étudiante blanche américaine

Une police de l’opinion au Québec ?

Pays-Bas – Homosexuels fuient la « diversité » d’Amsterdam pour s’installer dans les régions rigoristes du pays

Prière à Saguenay — Le gouvernement des juges (et en première instance de la CDPDJ)

Le mouvement féministe québécois est-il allé trop loin ?

Menaces de mort contre une chroniqueuse opposée à la promotion de l’homosexualité dans les programmes scolaires (aucune poursuite)

Crimes haineux au Canada et au Québec — mauvaise nouvelle pour les rééducateurs du peuple (Statistiques Canada : Diminution des crimes haineux. Les Noirs et les Blancs sont plus ciblés que les Arabes, et les Juifs que les musulmans)

« Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire » (sauf l’islamophobie, l’homophobie, la transphobie, le sexisme, etc.)

Cour suprême — « toutes les déclarations véridiques » ne doivent pas « être à l’abri de toute restriction » (la vérité n’est plus une défense)

« Extirper l’hérésie et le blasphème » ? (sélectivité des poursuites des commissions des droits de la personne)

Manifestation « spontanée » de vivre-ensembleMC métissé, la ministre de l’Immigration passait par là par hasard


Les CPE québécois ne sont pas un exemple à suivre

Pour l’Institut économique de Montréal :

Le gouvernement du Québec avait des objectifs louables lorsqu’il a décidé de subventionner les services de garde il y a près de vingt ans, notamment celui de favoriser l’entrée des femmes sur le marché du travail. [Note du carnet : C’est quand même étonnant comme entrée en matière pour un institut souvent décrit comme libertarien et donc pour un rôle réduit de l’État.]

Mais il a commis une grosse erreur en cherchant à atteindre ce but, que les autres provinces tentées d’imiter ce programme ne devraient pas répéter : au lieu de subventionner directement les parents, il a donné l’argent au « système de garderies ».

Sans surprise, les coûts ont explosé. Le coût annuel du programme est ainsi passé de près de 300 millions en 1997-1998 à 2,6 milliards en 2014-2015, un bond de 767 %. C’est beaucoup plus que la hausse de places offertes, qui, elle, n’a même pas triplé. Même en tenant compte de l’inflation, le coût par place a plus que doublé.

Ce coût serait peut-être justifié si le système profitait surtout aux enfants défavorisés, mais ce n’est pas le cas. Ce sont majoritairement les familles mieux nanties qui obtiennent des places dans les centres de la petite enfance (CPE), pendant que des mères seules voient leur enfant traîner sur des listes d’attente pendant des années.

D’autres avantages présumés d’un tel système ne se sont pas matérialisés. Par exemple, en comparant les résultats scolaires de jeunes de moins de 5 ans du Québec et du reste du Canada, le professeur de l’UQAM Pierre Lefebvre conclut que le système de CPE n’a pas amélioré les scores de développement cognitif des enfants.

Il est vrai que le Québec a connu un solide rattrapage depuis quelques années en ce qui concerne le travail des femmes.

Toutefois, le taux d’activité des femmes a progressé partout au Canada de 1996 à 2014, alors que les autres provinces n’ont pas de garderies à 7 $.

Certaines provinces ont même fait encore mieux que le Québec à ce chapitre, notamment les provinces maritimes.


D’ailleurs, on obtiendrait exactement le même effet si on donnait l’argent directement aux mères afin qu’elles placent leur enfant dans une garderie privée. [Note : Ou fassent le travail d’éducation de leurs enfants en bas âge elles-mêmes...?] Ce ne sont pas les garderies subventionnées qui permettent à ces femmes d’aller sur le marché du travail, mais bien la subvention elle-même, qui diminue le coût des services de garde.

L’emprise des syndicats

Le système de garderies subventionnées a aussi engendré des conséquences inattendues dont les partisans d’un tel modèle dans le reste du Canada devraient s’inquiéter.

Des éducatrices en CPE aux gardiennes qui ont leur propre garderie à la maison, tout ce beau monde est maintenant syndiqué. Les syndicats ont maintenant un rapport de force énorme et n’hésitent pas à prendre les parents en otage lorsque leurs membres n’obtiennent pas les augmentations salariales qu’ils veulent. Le coût de la seule syndicalisation des travailleuses en milieu familial, en 2008, a été estimé à plus d’un milliard de dollars pour l’État québécois.



Les contraintes budgétaires forcent le gouvernement à limiter l’offre de nouvelles places, ce qui crée des listes d’attente qui vont jusqu’à trois ans dans certains CPE. Et qui dit liste d’attente, dit pots-de-vin et passe-droits, de nombreux cas ayant été répertoriés dans les médias.

Donner l’argent aux parents, et non au système

Le gouvernement du Québec aurait pu atteindre les mêmes objectifs sans étatiser toute une activité économique. Il aurait pu verser directement une allocation aux parents en fonction de leurs revenus et les laisser ensuite choisir la garderie de leur choix en payant le juste prix courant. Il aurait quand même pu imposer des normes de qualité, et les garderies privées en concurrence auraient de toute façon eu intérêt à améliorer leur service pour attirer les parents chez elles. Les files d’attente n’existeraient pas et l’État aurait sans doute économisé des milliards de dollars.

Ceux qui regardent avec envie le modèle québécois de garderies dans le reste du pays devraient réfléchir à ces résultats mitigés avant de s’engager dans une aventure similaire.

par Michel Kelly-Gagnon et Yanick Labrie
Respectivement président-directeur général et économiste à l’Institut économique de Montréal

Voir aussi

Le coût des garderies québécoises

Étude sur les garderies qui se paieraient d’elles-mêmes : la multiplication des pains

« Le Québec, leader en matière de petite enfance »

Les éducatrices en milieu familial travaillent plus qu’en CPE pour un salaire équivalent

« Le système de garderies à 7 $ est-il payant pour le Québec ? Non. »

Étude Fortin, Godbout sur les garderies : « étude loufoque », système injuste, Ottawa premier gagnant

Les CPE ont échoué sur le plan pédagogique... comportemental et démographique

Maternelle publique et gratuite : sans effet sur les résultats au primaire




Italie — Chère laïcité

En condamnant les écoles catholiques de la ville à payer la taxe foncière, la Cour de cassation de Livourne (Toscane) a rallumé la guerre de l’école libre dans la péninsule. Une victoire pour les tenants de la laïcité ; un camouflet pour l’Église italienne, qui menace de fermer ses établissements accueillant 10 % des élèves transalpins ; et un casse-tête pour le gouvernement, qui ne sait où trouver les 9 milliards de dollars que coûterait la scolarisation dans le public de tous les élèves du privé.

La Cour de cassation italienne a donc accepté le recours déposé, en 2010, par la ville de Livourne, en Toscane, qui, pour la première fois, voulait obliger deux écoles catholiques, gérées par la congrégation des Filles de Marie-Auxiliatrice, à payer la taxe foncière. La décision concerne des arriérés remontant à la période 2004-2009, pour un montant de 422 000 € (605 000 $). Montant auquel pourraient s’ajouter ceux de la taxe foncière pour les années suivantes…

Selon la loi en vigueur, toute propriété de l’Église catholique sans but lucratif est exemptée de la taxe foncière. Mais, pour la Cour de cassation, les deux instituts n’ont pas à bénéficier de cette exemption, car les parents d’élèves paient des frais de scolarité. Il s’agit donc d’une activité à caractère commercial, même si les établissements en question ne réalisent aucun bénéfice financier. (Comparer avec le traitement de Planned Parenthood aux États-Unis considérée comme une organisation sans but lucratif alors qu’elle fait payer ses interventions et vend des tissus et organes de fœtus avortés.)

Pas de jurisprudence

Cette décision a suscité une vive polémique en Italie, l’Église catholique redoutant qu’elle s’étende à tous ses établissements. Le juge Giorgio Santacroce, président de la cour, a tenu toutefois à préciser, hier, que la sentence n’a pas lieu de faire automatiquement jurisprudence. « Ce sera aux juges de décider au cas par cas », assure-t-il. Cependant, même après cette précision « technique », le jugement de la Cour laisse perplexe.

Sur les 14 325 établissements scolaires privés que compte l’Italie, 13 625 ont un statut paritaire. Autrement dit, ils sont sous contrat avec l’État italien et respectent les normes en vigueur dans les établissements publics, en matière d’examens ou de diplômes. Et parmi ces établissements paritaires, 63 % sont gérés par des catholiques.

« L’État économise 6,5 milliards d’euros par an »

La Conférence des évêques italiens (CEI) n’a pas manqué de réagir, rappelant qu’« ils exercent une fonction de service public ». Connu pour son franc-parler, son secrétaire général Mgr Nunzio Galantino a invité les juges à se montrer « moins idéologisés ». « S’acharner sur les écoles paritaires, cela signifie limiter la liberté d’éducation contre la volonté même de l’Europe qui demande des garanties en la matière. » Et d’ajouter : « Grâce aux établissements paritaires (en grande majorité des écoles maternelles) qui accueillent 1,3 million d’élèves (10 % du total), l’État économise 6,5 milliards d’euros par an » (9,3 milliards $/an). De fait, le ministère de l’instruction ne dépense chaque année que 584 € par élève scolarisé (en maternelle) dans une école paritaire, contre 6 116 € dans une école publique (1).

Dans ce débat sur l’éducation catholique, les défenseurs de l’école publique, comme le député de gauche Riccardo Nencini, soutiennent qu’il faudrait s’en tenir à l’article 33 de la Constitution italienne, selon lequel la liberté d’enseignement est reconnue mais « sans charge pour l’État ». Le gouvernement Renzi, lui, cherche une solution permettant aux écoles paritaires « exerçant une fonction d’école publique » d’être automatiquement exemptées de la taxe foncière.