jeudi 1 juillet 2010

Le cours ECR par Guy Durand

Lettre ouverte de Guy Durand envoyée à la Voix de l'Est.

Le jugement du tribunal dans l'affaire du collège Loyola à propos du cours d'Éthique et culture religieuse (ÉCR) vient contredire, en grande partie, celui de la même cour lors du procès de Drummondville. Dans un cas, les parents dont les enfants fréquentaient une école publique se voient refuser la demande d'exemption du cours, demande basée sur le respect de leur liberté de conscience et de religion; dans l'autre, une école privée se voit reconnaître, au nom de cette même liberté, le droit de présenter un programme dit équivalent au programme officiel, mais conçu dans la perspective chrétienne de l'institution. Ces jugements appellent plusieurs remarques.

Premièrement, on ne peut s'empêcher de penser que les juges interprètent souvent, voire toujours, les lois à partir de leurs convictions personnelles. Que ce soit évident ou non, consciemment ou non, le présent cas confirme plusieurs études connues. Malgré l'importance des tribunaux, ceux-ci ont des limites importantes surtout dans des questions d'intérêt général.

Deuxièmement, tel que les tribunaux viennent de le décider, il y a un traitement différent accordé aux élèves selon qu'ils sont inscrits dans une école publique ou dans une école privée, à savoir dans une école où les parents paient une partie des frais d'inscription, donc dans une école où les parents ont de l'argent à moins que l'élève ne reçoive une bourse d'études ou des convictions profondes qui justifient à leurs yeux les dépenses engagées au-delà des taxes générales.

Troisième remarque: le jugement renvoie à une question de fond, celle de la pertinence pédagogique du programme d'ÉCR. Or on y trouve une présentation de la religion et de l'éthique contestable sur plusieurs points. Par exemple:
  1. Dès le premier cycle du primaire, donc à des enfants de 6-7 ans, le programme demande d'enseigner huit religions (catholicisme, protestantisme, judaïsme, spiritualités autochtones, islam, bouddhisme, hindouisme, orthodoxie), à quoi il ajoute «autres religions» et «autres expressions», soit sectes et athéisme.
  2. Toutes les religions et les conceptions séculières sont mises sur le même pied. Et elles côtoient des mythologies avérées ainsi que des fables et des contes animaliers.
  3. Les éléments des religions sont présentés de manière superficielle. On se limite à la face extérieure des religions (rituels et symboles, objets et lieux de culte, célébrations, fêtes, fondateurs), sans signaler adéquatement ce qui en constitue le coeur, la signification et la cohérence.
  4. Les éléments des religions sont, d'ailleurs, présentés de manière morcelée, fragmentée, sans que l'élève ne puisse saisir la signification profonde de la religion ou le sens qu'elle pourrait donner à sa vie.
  5. À propos de l'enseignement de l'éthique, à part quelques allusions à la Charte des droits de la personne qui évoque une éthique juridique et individualiste , l'éthique est toute basée sur la tolérance, la discussion, la recherche de consensus.
Bref, sous prétexte de pluralisme et de tolérance, le programme propose une sorte de relativisme religieux et éthique. Il est antipédagogique, notamment pour des jeunes du primaire. Il constitue souvent une rupture avec les valeurs de la famille. Et incidemment, sur un autre plan, il renforce le multiculturalisme canadien au lieu de favoriser l'intégration à la culture québécoise.

Quatrième remarque, enfin, du point de vue démocratique, en s'en remettant aux tribunaux, le gouvernement abdique sa responsabilité de trouver l'aménagement social et politique adéquat à un sain équilibre entre la volonté des uns et des autres citoyens. C'est à lui de se remettre à la tâche.

À suivre dans un autre texte: les hypothèses de solution.

L'auteur, résidant de Dunham, théologien et juriste, est professeur retraité de l'Université de Montréal. Il est l'auteur du livre Le cours ÉCR, au-delà des apparences.




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Louis O'Neill : Liberté de choix au royaume de la laïcité

L'ancien ministre Louis O'Neill sur le jugement Dugré.

Première retombée du jugement Dugré, dans l’affaire Loyola : l’embarras du premier ministre du Québec qui, réagissant de façon improvisée, en appelle d’une décision qui pourtant n’a rien de catastrophique puisqu’elle ne fait que confirmer l’importance de certaines valeurs qu’il convient de promouvoir dans une société démocratique : la liberté religieuse, le respect des droits des parents en éducation, la liberté de choix. Au lieu de se hâter d’en appeler de ce jugement, il eut été plus approprié de s’interroger sur la pertinence d’un enseignement étatique obligatoire susceptible de porter atteinte aux convictions spirituelles et éthiques de milliers de parents et de jeunes.

Deuxième retombée : la réaction de la chef de l’opposition, non moins embêtée qui, réagissant aussi à la hâte, est d’accord pour interdire à un établissement privé d’intégrer au curriculum régulier un enseignement équivalent au programme officiel, mais marqué en sus d’une tonalité spirituelle particulière. Apparemment, ce projet heurte ses convictions laïques.

Faut se rappeler qu’en cette matière la chef de l’opposition a suivi un cheminement pour le moins sinueux. Il fut un temps où elle s’engageait à défendre non seulement le droit à un enseignement religieux mais même à respecter le statut confessionnel des établissements scolaires. Puis elle a changé de camp. La voici devenue militante fervente d’un laïcisme en apparence pur et dur. Elle dit craindre qu’on en revienne au Moyen Âge. Au fait, que sait-elle de cette époque médiévale chrétienne ? Il a connu la grandeur, ce temps où vécut et enseigna Thomas d’Aquin, qui s’efforçait de démontrer qu’il existe une connexion étroite entre la foi chrétienne et la raison. Il ne pensait pas que le fait de croire nuise à la vigueur intellectuelle, ni que la non-croyance offrît une garantie contre l’anémie de l’esprit.

Car ce fut là un grand projet médiéval : arrimer foi chrétienne et raison. Une raison autonome sous l’éclairage de la foi , celle-ci remplissant la fonction d’éclairage , de lumen sub quo. C’est le même objectif que poursuivent les enseignants de Loyola, auquel ils ajoutent celui de faire connaître à leurs étudiants les grandes composantes de l’humanisme chrétien. D’une génération à l’autre l’établissement s’est acquitté de cette tâche avec compétence et succès. Faut-il lui interdire de poursuivre désormais une mission aussi noble ?

L’empressement du premier ministre d’en appeler du jugement Dugré étonne d’autant plus que le personnage donne l’impression d’avoir des convictions élastiques. Il semble peu enclin aux visées de longue portée.

Ce n’est pas dans son genre de vouloir changer le cours de l’histoire.

Dans le cas de la chef péquiste, c’est plus inquiétant. Elle transporte dans ses bagages le projet d’une nouvelle société, d’un monde différent. D’où la question : de quoi sera fait ce monde nouveau ? Par exemple, quelle place y va-t-on accorder à la liberté de conscience et de religion et aux droits des parents en éducation ? Sans doute que le Québec souverain de demain ne risque pas de ressembler à une sorte de république de style islamique revêtue d’une défroque laïque intégriste. Mais encore, pour se sentir rassuré, il ne serait pas superflu qu’on en sache plus sur ce pays nouveau auquel rêve la chef péquiste. Il sera laïque, soit, et cela sied bien, car la laïcité est une vertu partout vantée. Mais de quelle étoffe sera tricotée cette laïcité nouvelle : ouverte ou fermée, aérée ou constipée, en continuité avec le passé ou en rupture avec lui, capable d’un minimum d’empathie face aux valeurs de souche chrétienne ou habitée par la culture du ressentiment ? Voilà une question complexe qui mérite qu’on s’y attarde.

En attendant une réponse qui pourra nous éclairer sur ce que sera le Québec de demain, il apparaît souhaitable qu’on trouve un accommodement raisonnable qui permette à un établissement scolaire hautement renommé de poursuivre la mission éducatrice de qualité dont il s’acquitte depuis un siècle et demi. Autrement dit, ce serait plus que pertinent qu’on fiche la paix à cette institution héritière d’une grande et belle tradition qui remonte à saint Ignace de Loyola.

LOUIS O’NEILL
Juillet 2010




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