mardi 13 avril 2010

États-Unis — La fin des humanités ?

La crise économique et le chômage amènent universités et étudiants révisent leur opinion sur les diplômes en lettres et sciences humaines.

Ayant constaté une chute de ses rentrées budgétaires de 20 % de 2007 à 2009, Centerary College, établissement privé situé à Shreveport (Louisiane) a décidé d’éliminer la moitié de ses 44 matières principales. Dans les trois à quatre ans qui viennent, les matières classiques telles que le latin, l’allemand et les arts dramatiques seront supprimées. Une sérieuse volte-face depuis le jour, en 2007, où Newsweek décernait à Centenary le titre de « faculté d’art, lettres et sciences humaines la plus attrayante », vantant la large palette de matières proposées.

En lieu et place, l’établissement pense proposer plusieurs cursus, des maîtrises en sciences de l’éducation ou en commerce international, par exemple. Ces filières plus proches du monde du travail sont de plus en plus appréciées, et se sont révélées d’autant plus rentables dans d’autres universités et écoles, notamment en période de récession. Un aspect que le directeur de l’université s’attache à minimiser : « Nous ne sommes pas partis à la chasse aux étudiants » explique David Rowe.

« Nous pensons que les étudiants ont besoin d’une culture générale, tant en lettres qu’en sciences, mais qu’ils ont également besoin d’une formation plus spécialisée dans un domaine précis ».

On n’en constate pas moins que la bataille entre les grosses têtes diplômées en lettre et les pragmatiques diplômés en science s’intensifie. Pour l’instant, les pragmatiques mènent, et tout particulièrement du fait de la crise et des coupes dans les budgets des étudiants comme dans celui des écoles qu’ils fréquentent. « Les étudiants veulent un diplôme qu’ils peuvent vendre » déclare Anthony P. Carnevale, directeur du Georgetown University Center on Education and the Workforce.

Selon une nouvelle étude publiée par Roger Baldwin, un professeur en sciences de l’éducation de l’université du Michigan, le nombre d’écoles spécialisées en arts, lettres et sciences humaines a été ramené de 212 en 1990 à 136 en 2009. Les sciences humaines sont les plus affectées dans les établissements au budget limité. Dans le Wisconsin, le Lutheran College a indiqué en mars dernier qu’il cesserait d’enseigner les sciences politiques, en raison d’un déficit de 3 millions de dollars. Dans les écoles et universités de recherche de premier plan, on sent également une pression en faveur de la multiplication des enseignements spécialisés. À Claremont McKenna, en Californie, on vante un nouveau cursus auxiliaire (« minor ») en économie financière, tandis qu’à l’école de commerce Fuqua de l’université de Duke, on vient d’ajouter une maîtrise en un an destiné aux diplômés en sciences humaines désireux de franchir la période de crise.

Un souci aisément compréhensible. Seuls 41 % des gens de 18 à 29 ans ont un emploi à plein temps, contre 50 % en 2006, selon une récente étude du Pew Research Center. Une étude de 2009 sur 220 000 étudiants en première année montrait que 56,5 % d’entre eux pensent qu’il est « très important » de choisir une université dont les diplômés obtiennent de bons emplois. « C’est un investissement énorme, et les étudiants doivent affronter une incertitude élevée quant aux occasions qui se présenteront à eux après l'université » explique Anne Colby, spécialiste à la Carnegie Foundation for the Advancement of Teaching.

Au-delà de l’influence d’une situation économie difficile sur les choix en matière d’éducation, la tendance à offrir des formations plus pratiques est peut-être allée trop loin. Bien que les étudiants soient nombreux à rechercher les diplômes qui mèneront directement à un emploi, l’économie évolue si rapidement qu’il est difficile de prédire ce que sera le marché du travail dans dix, vingt ou trente ans. Il n’y a pas si longtemps, les technologies vertes, les énergies renouvelables et la santé n’étaient pas les domaines en expansion qu’ils sont aujourd’hui. Cette décennie à connu une multiplication des diplômés en gestion des affaires, mais rien ne garantit que ces formations leur apporteront la meilleure préparation à l’économie du futur.

Chez les défenseurs des lettres et sciences humaines, on se soucie de voir les étudiants qui se spécialisent dans des domaines précis insuffisamment formés à la pensée critique, et à formaliser, analyser et synthétiser l’information. Les formations commerciales préparent bien à travailler en équipe ou à faire des présentations, moins à effectuer des recherches approfondies ou rédiger en dehors des traditionnels communiqués d’entreprise, mémos ou présentations PowerPoint. « À mon sens, il faut en quatrième année proposer aussi bien des enseignements en lettres et sciences humaines que des formations spécialisées », indique José Luis Santos, professeur assistant dans la division Higher Education and Organizational Change à UCLA. « Les gens doivent arriver au diplôme avec des compétences en pensée critique, les employés étant de toute façon formés sur le lieu de travail aux besoins de leur secteur d’activité. »

Dans bien des secteurs à hauts salaires, on continue d’embaucher de préférence des étudiants sortant de formations en lettres et sciences humaines, confirme Caroline Ceniza-Levine, ancienne recruteuse pour Time Inc. et coach en parcours professionnel chez SixFigureStart. Quel que soit l’établissement fréquenté, il faut toujours en être sorti avec de bonnes notes, un réseau, et avoir effectué un certain nombre de stages en entreprises en rapport avec le but recherché. « Si vous ne le saviez pas, et que vous majorez en philosophie, vous êtes mal parti » indique Ceniza-Levine. « Quand bien même vous auriez obtenu votre diplôme de philo à Harvard, vous avez intérêt à avoir passé vos étés à travailler dans une banque ».

La tradition de la culture générale a peut-être tendance à disparaître dans le pays, mais dans les établissements de premier plan comme Harvard, Swarthmore, Middlebury et Williams, on reste fidèle à cet idéal. Dans ces écoles d’élite, on n’a pas modifié les programmes pour ajouter des cursus spécialisés. Grâce à leur budget généreux, ça n’a pas été nécessaire. Lorsque la situation économique se sera améliorée, il se pourrait paradoxalement que leurs étudiants soient les mieux armés. Les études en lettres et en sciences humaines sont peut-être considérées comme trop théoriques et passées de mode, mais elles apprennent aux étudiants à penser large — suffisamment pour voir au-delà de ce qu’on leur a enseigné, et à s’adapter au marché du travail.

Source : Newsweek (traduction originale de David Korn remaniée)






Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)

Le cours Éthique et culture religieuse : transmission des connaissances ou endoctrinement ?

Le cours Éthique et culture religieuse : transmission des connaissances ou endoctrinement ?

Conférence de Joëlle Quérin

Le jeudi 15 avril 2010 à 19 h

Le cours éthique et culture religieuse (ÉCR) est au cœur d’une controverse politique et médiatique. Plusieurs lui reprochent d’avoir été improvisé à la hâte pour correspondre à certaines exigences politiques ou ministérielles. Joëlle Quérin nous démontrera que le cours ÉCR a été préparé depuis plusieurs années dans les différentes instances de l’État québécois et vise explicitement la transformation radicale de la société québécoise en la reprogrammant à partir du logiciel idéologique du multiculturalisme.

Joëlle Quérin poursuit un doctorat en sociologie à l’Université du Québec à Montréal et est l’auteure de plusieurs articles sur la question du multiculturalisme et des accommodements raisonnables au Québec. À titre de chercheure associée à l’Institut de recherche sur le Québec (IRQ), elle a produit une étude sur le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR).

Après la conférence, il y aura une période de questions et d’interventions.

Lieu : Maison Ludger-Duvernay
82, rue Sherbrooke Ouest à Montréal

L’entrée est libre

RENSEIGNEMENTS SUPPLÉMENTAIRES
514-843-8851






Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)