jeudi 11 mai 2023

France — C’est l’excellence qu’on assassine

Présentée comme une mesure en faveur de la mixité sociale, la Šn de la sélection dans les deux lycées parisiens Henri-IV et Louis-le-Grand est une nouvelle illustration de l’utopie égalitaire. 
 
Là-haut, au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, à Paris, se dressent deux fleurons de l’école publique : le lycée Louis-le-Grand (ci-dessous), rue Saint-Jacques, le lycée Henri-IV, rue Clovis. Bientôt, peut-être, ces établissements réputés d’excellence ne seront plus que l’ombre d’eux-mêmes. En cause, la modification du mode de recrutement des élèves de seconde depuis la rentrée 2022.
 

Jusqu’alors, les deux plus prestigieux lycées publics parisiens sélectionnaient leurs futurs éléments au terme d’un examen approfondi du dossier. Mais voilà que, en janvier 2022, sans l’avis des conseils d’administration des établissements concernés, le rectorat de Paris annonce l’intégration de Louis-le-Grand et Henri-IV dans le système d’affectation Affelnet et la fin de la sélection.

Contrairement au reste de l’enseignement secondaire public, en effet, ces deux lycées n’étaient pas soumis à cet algorithme de répartition des élèves de seconde. Une exception perçue comme une injustice et une rupture d’égalité par les promoteurs de cet outil censé renforcer la mixité sociale dans les lycées.

Dès l’annonce du projet, de nombreuses voix s’étaient élevées pour dénoncer une atteinte au modèle républicain de l’excellence. En face, on affirmait que l’enjeu était de permettre « au jeune Péguy, au jeune Camus d’aujourd’hui de bénéficier de l’excellence », selon le mot du recteur de l’académie de Paris, Christophe Kerrero ; une lecture a contrario de ces propos suggérant que Louis-le-Grand et Henri-IV ne le permettaient pas avant la réforme.

Ce qui est parfaitement inexact selon Alexandre Barrat, conseiller d’arrondissement dans le Ve arrondissement, membre du conseil d’administration du lycée Louis-le-Grand et ancien élève. Il déplore un procès en élitisme qui ne correspond pas à la réalité : « Ces dernières années, presque 40 % des élèves de Louis-le-Grand étaient originaires de banlieue. Quant au nombre de boursiers, il oscillait entre 10 et 15 % selon les années. » Voudrait-on faire mieux, l’étude « à la main » des dossiers de candidature permettrait aisément de réaliser cet objectif, soutient-il.

Tombeau pour l’excellence

Conseillère de Paris (groupe Changer Paris), membre du conseil d’administration du collège et du lycée Henri-IV, Anne Biraben abonde dans ce sens : « Si l’on souhaite diversifier le recrutement, nous n’avons qu’à puiser dans le vivier de talents issus de milieux modestes, tout en conservant le principe de la sélection. » L’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, lui, a préféré un logiciel censé garantir un niveau d’excellence identique, du moins en théorie. En pratique, c’est moins évident.

Entrons dans le détail : cette procédure assumant une logique de discrimination positive repose principalement sur deux critères. Le premier est l’indice de position sociale (IPS). Élaboré par le ministère de l’Éducation nationale en 2016, cet indicateur permet en théorie d’appréhender le capital social, économique et culturel des élèves d’un collège donné. Il est construit à partir des professions des parents renseignées sur des formulaires à chaque rentrée de sixième. Les valeurs possibles s’étendent de 38 à 179. Plus cet indice est élevé, plus l’environnement familial de l’élève est favorable à sa réussite scolaire.

Si l’indice du collège est inférieur à la moyenne académique (124), l’élève bénéficiera d’un bonus de 600 à 1 200 points. A contrario, si l’établissement est jugé privilégié, le score IPS sera de zéro. « Vous voyez l’absurdité du système : aujourd’hui, un collégien à Henri-IV n’a quasi aucune chance d’entrer au lycée Henri-IV. Idem pour les enfants de famille modeste qui auraient le malheur d’habiter dans un quartier privilégié », déplore Anne Biraben.

À la fin, c’est le privé qui gagne


Le deuxième critère, tout aussi problématique, est celui de la notation. De fait, cette procédure informatisée n’a pas la sensibilité pour détecter les très bons dossiers et les profils singuliers. Affelnet attribue ainsi le même nombre de points à tous les élèves ayant entre 15 et 20 de moyenne générale. Ce que le rectorat de Paris appelle pudiquement « lissage », tandis que les opposants à l’algorithme parlent de « nivellement par le bas ».

« Comment appelez-vous un système où l’on rabaisse le niveau d’exigence au nom de la démocratisation de l’éducation ? », fait mine d’interroger une professeur d’Henri-IV. A-t-elle constaté une baisse spectaculaire du niveau en seconde ? « Spectaculaire, non, significative, oui. »Autre nouveauté déplaisante : « Pour la première fois, j’ai compris ce que signifiait “tenir une classe”. Rien de bien méchant, mais tout de même, je n’imaginais pas que la discipline serait un sujet à Henri-IV. »

Une baisse du niveau et des lycéens plus agités, c’est également le constat d’une professeur à Louis-le-Grand. « Il y a encore de très bons élèves, et c’est heureux. Ce qui est nouveau, ce sont les élèves moyens ou très faibles. » Ajoutez à cela la présence d’élèves « mal élevés » avec lesquels il faut faire de la discipline et le cours n’est plus le même : « Je vais plus lentement, donc je transmets moins. »

Et de prédire à l’horizon de deux ou trois ans une fuite généralisée vers l’enseignement privé. Tous nos interlocuteurs sans exception l’affirment : le privé est le grand gagnant de cette réforme. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si le célèbre institut privé hors contrat Ipesup — situé à un jet de pierres du lycée Henri-IV — a ouvert deux classes de seconde à la rentrée 2022. Alors, adieu les filières d’excellence dans le public ? « Très certainement, mais que les lycées privés ne se méprennent pas, prévient notre enseignante d’Henri-IV, c’est l’affaire de quelques années avant qu’ils ne soient mis au pas ».


Pays-Bas — Plus les non-Occidentaux y vivent depuis longtemps, plus leur confiance envers autrui diminue

Conclusion des auteurs (Hans Schmeets, Jerome Conceiçao, Costanza Marcellino) d’une étude du Bureau central pour la statistique des Pays-Bas de 2021 :

Une étude précédente (Schmeets et Exel, 2021) avait déjà montré que les personnes issues de l’immigration font moins confiance à leurs semblables, mais ont souvent plus confiance aux institutions. La théorie des attentes et de l’assimilation a permis de déterminer si la durée du séjour jouait un rôle à cet égard. Selon ces perspectives, les immigrants ont de grandes attentes à leur arrivée quant au niveau de confiance du pays où ils immigrent, mais plus ils y restent longtemps, plus ils ajustent leur position sur l’échelle de confiance. Et cela s’applique plus fortement aux immigrants venant de pays, pour la plupart non occidentaux, dont les indicateurs de démocratie sont faibles.

Cette étude a montré que la théorie des attentes ne s’applique pas à la confiance dans autrui. Les immigrants n’ont pas plus, mais plutôt moins confiance dans les autres personnes que le groupe d’origine néerlandaise. Du point de vue de l’assimilation, on s’attend à ce qu’ils deviennent plus proches du groupe néerlandais au fur et à mesure qu’ils restent aux Pays-Bas. Là encore, cela ne correspond pas aux résultats.  

La confiance sociale, chez les immigrés qui restent plus longtemps aux Pays-Bas, n’augmente que légèrement pour le groupe occidental, alors qu’elle diminue en fait pour le groupe non occidental. Ainsi, alors que la distance de confiance sociale par rapport au groupe néerlandais diminue pour le groupe occidental, elle augmente pour le groupe non occidental.

Les deux perspectives théoriques semblent s’appliquer davantage à la confiance dans les institutions : les immigrants, en particulier, ont une plus grande confiance fiduciaire dans les institutions au cours de la première période de vie aux Pays-Bas que le groupe d’origine néerlandaise. Il semble également que cette confiance diminue au fur et à mesure que les immigrés restent aux Pays-Bas. Là encore, la distinction entre Occidentaux et non-Occidentaux est importante.

Pour l’immigré non occidental, dans presque tous les aspects de la confiance, celle-ci diminue au fur et à mesure qu’il vit aux Pays-Bas. Ce n’est pas le cas pour le groupe occidental. Soit il n’y a pas d’effet de la durée du séjour (police, médias, chambre basse, banques, églises), soit la corrélation est positive : un séjour plus long est associé à une plus grande confiance (armée, juges, UE, grandes entreprises). Ces résultats sont cohérents avec les études de Röder et Mühlau (2011, pp. 382-383 ; 2012, p. 12) et d’Adman et Strömblad (2015, p. 112) qui constatent une plus grande confiance [initiale] dans la police et dans les juges, en particulier chez les immigrés venant de pays où le niveau de corruption est élevé, confiance qui diminue toutefois plus ils restent longtemps dans le pays.

[Idéalisation initiale des institutions de la part des non-Occidentaux ?]

 Ainsi, au moins en ce qui concerne la confiance institutionnelle, les résultats soutiennent à la fois la théorie des attentes et la théorie de l’assimilation. Mais cela ne s’applique qu’au groupe non occidental. Cette convergence des immigrants vers le groupe néerlandais indique l’assimilation et entraîne l’intégration. Étant donné que cette évolution diffère entre le groupe occidental et le groupe non occidental, il s’agit d’une assimilation segmentée (Portes, Fernandez-Kelly et Haller, 2005). Les mécanismes qui jouent un rôle à cet égard n’ont pas été démontrés dans cet article. Du point de vue de la théorie de l’expectative, les attentes élevées à l’égard des institutions s’adaptent à une durée de résidence plus longue. Mais il est également concevable que la discrimination joue un rôle (supplémentaire) : plus les immigrés vivent longtemps aux Pays-Bas, plus ils sont [seraient ?] victimes de discrimination, ce qui entraîne une diminution de la confiance dans les institutions.

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