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mardi 30 avril 2024

Jonathan Haidt : les écoles devraient interdire les téléphones, donner aux enfants la possibilité de grandir et de jouer en groupe

Dans son article à succès paru au début mars dans The Atlantic, " Le coût terrible d'une enfance basée sur le téléphone ", le cofondateur de Let Grow (laisser grandir), Jonathan Haidt, affirme que notre culture a tout faux lorsqu'il s'agit des enfants : Nous les "sous-protégeons" dans le monde virtuel et les surprotégeons dans le monde réel.

C'est le pire des deux mondes si l'on veut élever des enfants sains et heureux.

Ce qui se passe lorsque nous sous-protégeons les enfants dans le monde virtuel

L'article insiste beaucoup sur la façon dont les téléphones intelligents, apparus il y a une quinzaine d'années, ont "recâblé" l'enfance. Ils y sont parvenus en partie en plongeant les enfants (et le reste d'entre nous) dans un maelström de "j'aime", de comparaisons et d'informations erronées. Mais les téléphones ont également altéré la vie des enfants en leur faisant perdre le temps qu'ils passeraient dans le monde réel à courir, jouer, flirter, explorer et même dormir. Ce sont des choses dont les enfants ont besoin, mais qu'ils ne font pas assez.

Résultat ? Une génération de jeunes de plus en plus déprimés, anxieux et qui se font du mal, explique Haidt. Ses graphiques susciteront la peur dans le cœur de tous les parents :

Graphique tiré de l'article de The Atlantic sur l'automutilation

Mais Haidt ne se contente pas de dénoncer. Il propose quatre solutions. Trois d'entre elles concernent les téléphones : Les retirer des écoles, de l'arrivée à la sortie. Ne pas laisser les enfants posséder un téléphone intelligent avant l'âge de 14 ans. Et empêcher tout le monde d'utiliser les médias sociaux jusqu'à l'âge de 16 ans.

Ne pas surprotéger les enfants dans le monde réel

Son quatrième et dernier plaidoyer ? Redonner aux enfants un peu d'indépendance et de liberté de jeu. Pour ce faire, les écoles et les parents devraient se tourner vers les organisations qui œuvrent en faveur d'une enfance plus ludique et plus autonome. Plus précisément :

L'une des organisations que j'ai cofondées, LetGrow.org, propose une variété de programmes simples [gratuits] pour les parents ou les écoles, tels que le cercle de jeu (les écoles gardent la cour de récréation ouverte au moins un jour par semaine avant ou après l'école, et les enfants s'inscrivent pour jouer sans téléphone, avec des âges différents et de manière non structurée, comme activité hebdomadaire régulière) et l'expérience Laissez Grandir (une série de devoirs pour lesquels les élèves - avec l'accord de leurs parents - choisissent quelque chose à faire par eux-mêmes qu'ils n'ont jamais fait auparavant, comme promener le chien, grimper à un arbre, marcher jusqu'à un magasin ou cuisiner un dîner).

Comme le dit Haidt :

Ce serait une erreur de négliger cette quatrième norme. Si les parents ne remplacent pas le temps passé devant un écran par des expériences réelles impliquant des amis et des activités indépendantes, l'interdiction des appareils sera ressentie comme une privation, et non comme l'ouverture d'un monde aux multiples possibilités.

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samedi 24 décembre 2022

Scrabble francophone : soixante mots bannis dont « poufiasse », « schleu », « tarlouse », « travelo », « femmelette » et « bamboula »

Texte de Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris depuis 1995, il a aussi écrit pour L’actualité, Le Monde, Libération, La Croix, Courrier international et le journal espagnol La Vanguardia.

La vie politique ressemble parfois à ces jeux de société qui font fureur à Noël. Ces passe-temps, dont on trouve des traces jusque dans les tombes mésopotamiennes, tirent d’ailleurs leur nom de leur capacité à exprimer la sociabilité et les mœurs de leur époque. Comment ne pas voir, par exemple, dans Monopoly, un concentré des valeurs qu’exalte le capitalisme moderne ? Ou dans Clue, l’engouement qui s’est développé tout au long du XXe siècle pour le roman policier ? Les jeux vidéo n’ont-ils pas de même contribué à faire basculer notre monde dans un univers virtuel et technologique ?


On ne devrait donc pas prendre à la légère la décision du fabricant de jouets Mattel de modifier les règles du Scrabble en bannissant des mots dont l’éditeur prétend qu’ils « constituent une incitation à la haine et à la discrimination ». S’il faut en croire le magazine L’Express, après les universités, de nombreuses sociétés d’État, les musées et plusieurs grands de la communication et du cinéma, la société qui détient les droits du jeu de Scrabble hors des États-Unis a décidé de se conformer au nouveau catéchisme néopuritain qui a cours dans ce pays. Malgré l’opposition du comité de rédaction, plus d’une soixantaine de mots devraient être bannis de la prochaine édition de L’Officiel du Scrabble, publié par les éditions Larousse, la bible de la Fédération internationale de Scrabble francophone, qui regroupe plus de 20 000 membres.

Au menu, des injures de nature sexuelle ou ethnique et des mots d’argot comme « poufiasse », « schleu », « tarlouse », « travelo », « femmelette » ou « bamboula ». Dans son délire idéologique, Mattel voulait même bannir le mot « salope », mais pas son équivalent masculin (« salop »), les hommes pouvant subir toutes les avanies du monde sans que la multinationale ne s’en offusque. Aux États-Unis, d’où provient ce nouveau maccarthysme, le fabricant Hasbro avait déjà amputé le dictionnaire de plus de 400 mots. Parmi eux, on trouve même les mots « Jesuit » (jésuite) et « Jew » (juif), que l’éditeur anglophone juge péjoratifs.

On connaissait le cache-sexe du mot en n. Voilà que l’on vient d’un seul coup d’inventer les mots en P, S, T, B, J et j’en oublie. Étrange paradoxe, plus le dictionnaire rétrécit, plus il faudra ajouter des lettres à l’alphabet ! On dira qu’il ne s’agit que d’un jeu et que rien de tout cela ne porte à conséquence. C’est ce qu’on a cru aussi la première fois où une rumeur évoqua la possibilité de modifier le titre des Dix Petits Nègres, le succès de librairie ded’Agatha Christie. Qui aurait cru, alors, que l’on pourrait aujourd’hui perdre son emploi pour avoir simplement évoqué Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières, ou l’Anthologie nègre, de Blaise Cendrars ?

C’était sous-estimer l’esprit de soumission qui règne parmi nos élites. En fin connaisseur des États-Unis, l’écrivain Romain Gary ne s’y était pas trompé. Dès 1970, dans Chien blanc, il faisait remarquer que « le signe distinctif de l’intellectuel américain, c’est la culpabilité. Se sentir personnellement coupable, c’est témoigner d’un haut rang moral et social, montrer patte blanche, prouver que l’on fait partie de l’élite. Avoir “mauvaise conscience”, c’est démontrer que l’on a une bonne conscience en parfait état de marche et, pour commencer, une conscience tout court ». L’écrivain ne pouvait cependant imaginer qu’un jour, toutes les élites occidentales se prendraient pour des Américains.

Un éditeur français de retour du Salon du livre de Montréal me confiait qu’on lui avait suggéré de faire comme aux États-Unis et de soumettre ses livres à des « sensitivity readers ». Ces représentants autoproclamés de divers groupes ethniques ou minoritaires ont pour rôle de censurer ce qui pourrait les offenser. « C’est la fin de l’édition, me disait-il. On ne peut pas publier des livres en se pliant aux caprices de chacun. »

Avec cette peur des mots, qui aurait publié Michel Tremblay, dont le vocabulaire avait été jusque-là jugé ordurier et donc indigne du théâtre ? Et Michel Marc Bouchard, dont la pièce Les feluettes porte un titre pour le moins équivoque ? On n’imagine pas le nombre de films, comme ceux dont Michel Audiard a signé les dialogues, qu’il faudra censurer. Ce délire puritain nous ferait presque regretter les anciennes interdictions de blasphémer. Au moins, à cette époque, les censeurs étaient reconnaissables à leur soutane.

De la censure des mots à celle des livres, il n’y a qu’un pas. On s’étonne pourtant du peu de cas que suscitent ces mises à l’index. Comme si nos élites médiatiques et culturelles en avaient pris leur parti. Cela a quelque chose de déconcertant qui nous aide à comprendre comment les idéologies les plus délétères ont pu se répandre dans l’histoire sans qu’on lève le petit doigt.

À lire ces listes de mots interdits venues d’un autre âge, on songe à l’époque de Voltaire. Dans un texte prophétique intitulé De l’horrible danger de la lecture, le polémiste ironisait sur le Grand Mufti de la Sublime Porte lui prêtant un discours dénonçant « le pernicieux usage de l’imprimerie ». Il fallait, disait-il, ne surtout pas « dissiper l’ignorance » et que dans toutes les conversations on n’utilise que « des termes qui ne signifient rien ».

Trouverait-il un éditeur aujourd’hui ? Entre deux parties de Scrabble, ce pourrait être une lecture salutaire à Noël.

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Le Scrabble anglophone exclut des centaines mots pour être plus « inclusif »

mardi 5 juillet 2022

Le Scrabble exclut des mots pour être plus « inclusif »

 

On parle d’un petit séisme dans le monde de la compétition de ce célèbre jeu de société. Mattel, société éditrice du Scrabble, a décidé de retirer 400 mots de la liste officielle des mots autorisés dans la version anglo-saxonne du jeu.

Ce sont tout d’abord les insultes raciales, homophobes ou contre les personnes âgées qui ont été supprimées. Cette décision intervient à la suite des récentes manifestations mondiales contre le racisme qui ont notamment suivi la mort de l’Américain George Floyd. L’idée de fond énoncée par les propriétaires du jeu est d’essayer d’être «plus inclusif» en retirant de l’espace de la compétition des paroles «offensantes» à l’encontre des minorités. Mais certains mots bannis paraissent surprenants.

Des suppressions «incongrues» voire «insignifiantes»

Certains termes dépourvus de toute connotation offensante ont aussi été supprimés, laissant de nombreux joueurs perplexes. C’est le cas par exemple du mot «jésuitique» qui se rapporte simplement à l’ordre religieux fondé par Saint Ignace de Loyola en 1534 et qui pouvait rapporter jusqu’à 200 points dans une partie de Scrabble.

Pour M. Maitland, chroniqueur au Spectator, la communauté du Scrabble condamne «unanimement» cette réforme des règles du jeu. Ce choix jugé «incongru» par les joueurs interrogés et la mesure dans son ensemble «insignifiante». Les mots juifs et papistes sont également « retirés ». Si l’utilisation de mots connotés et offensants à l’égard des minorités est à éviter, conviennent certains joueurs, il n’en reste pas moins que ces termes existent. Le chroniqueur l’écrit ainsi: «On ne peut désinventer les mots.» Et de préciser les paroles de Darryl Francis, co-rédacteur de la liste des mots autorisés au Scrabble de 1980: «Les mots ne deviennent des insultes que lorsqu’ils sont utilisés dans une intention dérogatoire». Or, le Scrabble est censé être un espace neutre.

 

Liste de mots « retirés » (quelques termes traduits en français quand le mot est de la même famille)

termes d'argot pour désigner les Autochtones, baldie, baywop, baywops, boche, boches, bogtrotter, bogtrotters, bohunk, bohunks, bubba, bubbas, buckra, buckras, bumboy, bumboys, butches, termes offensants pour les femmes latino-américaines, coloureds, coloureds, crip, crips, crumblies, culchie, culchier, culchies, culchiest, culshie, culshier, culshies, culshiest, c ***, c ****, termes très offensants pour les personnes à la peau foncée, terme très offensant pour les lesbiennes, dogan, dogans, variations de l'insulte homophobe f*****, fatso, fatsoes, fatsos, gadje, gadjo, ginzo ginzoes, insultes offensantes signifiant 'non-juif', barbe grise, barbes grises, barbe grise, barbes grises, gringa, gringas, gringo, gringos, haole, haoles, hicksville, hicksvilles, honkey, honkeys, honkie, honkies, honky, hos, hunkey, hunkeys, hunkie, hunkies, jailbait, jailbaits, jésuite, jésuitique, jésuitique, jésuitiquement, jésuitisme, jésuitismes, jésuites, jésuite,  juif, jigaboo, jigaboos, kanaka, kanakas, les, lesbo, lesbos, leses, lez , lezzes, lezzie, lezzies, lezzy, mick, micks, mulâtre, mulâtres, nance, nances, nancier, nancies, nanciest, nancy, le mot en N et autres variantes, non papiste, non papistes, ofay, ofays, papisme, papismes , papist, papistic, papistries, papistry, papists, pepsi, pepsi, picaninnies, picaninny, piccaninnies, piccaninny, pickaninnies, pickaninny, pickney, pickneys, polack, polacks, pommie, pommies, pommy, poncey, poncier, ponciest, poncy, poofier , poofiest, poufs, pooftah, pooftahs, poofter, poofters, poofy, poontang, poontangs, poove, pooves, poperies, papauté, popishly, raghead, ragheads, redneck, rednecks, schvartze, schvartzes, schwartze, schwartzes, sheeney, sheeneys , sheenie, sheenies, shegetz, shemale, shemales, shicksa, shicksas, shiksa, shiksas, shikse, shikseh, shiksehs, shikses, shkotzim, diverses insultes raciales pour les noirs, skimo, skimos, spaz, spazz, spazzes, insultes ethniques pour les sud-américains, Peuple américain, termes très offensants pour les femmes autochtones d'Amérique du Nord, vendu, vendus, wetback, wetbacks, whiteys, whities, insultes racistes w** et ses variantes, insultes juives hautement offensantes.

Sources : Le Figaro, The Spectator, Daily Mail, New York Post

Brève : apprendre les échecs n'améliorerait les compétences ni en maths, ni en lecture, ni en science

Une étude britannique n’observe aucun effet de l’enseignement des échecs auprès de 4000 enfants sur leurs résultats à des tests de mathématiques, de lecture ou de sciences.

Plus précisément, l’étude ne trouve aucune preuve d’un impact durable de l’enseignement des échecs sur les résultats des enfants aux tests de mathématiques, de lecture ou de sciences. Cela vaut pour divers sous-groupes (garçons, filles, enfants issus de milieux socio-économiques défavorisés) et pour l’ensemble de l’échantillon.

Ce résultat doit bien sûr être interprété à la lumière des limites de l’étude. Premièrement, il est important de souligner que l’objectif de cet essai visait uniquement les résultats scolaires des enfants. Pourtant, l’enseignement des échecs (et plus généralement les jeux exigeants sur le plan cognitif) peut avoir un certain nombre d’avantages supplémentaires importants, notamment des impacts potentiels sur la confiance en soi et les compétences non cognitives des enfants. Il peut également procurer aux enfants un avantage de consommation — le plaisir de jouer. Deuxièmement, bien que l’étude ait pris des mesures pour étudier la validité externe de ses résultats, on ne peut en toute rigueur généraliser ses conclusions à d’autres zones géographiques (par exemple, à d’autres pays) ou à différents groupes d’âge (par exemple, les élèves plus jeunes ou plus âgés).

Malgré ces limitations, les auteurs pensent que leurs conclusions ont des implications plus larges.

Il y a actuellement beaucoup de battage médiatique autour de l’impact que les jeux exigeants sur le plan cognitif peuvent avoir sur la réussite scolaire des jeunes, sur la base de quelques études faites à relativement petite échelle ou corrélationnelles qui ont trouvé des résultats positifs. Les échecs sont un excellent exemple, celui où beaucoup perçoivent qu’il y a un avantage positif, et où (à première vue) il semble y avoir une base de preuves raisonnable. Cependant, les auteurs disent que leur analyse a montré qu’une fois que l’on gratte sous la surface et que l’on utilise un plan de recherche rigoureux fourni à de nombreux élèves à grande échelle, les fondements derrière les affirmations d’un impact causal important de ces jeux sur le niveau d’instruction ne semblent pas aussi solides que cela a pu déjà être suggéré.

Les auteurs pensent également qu’on exagère l’influence de nombreux autres jeux exigeants sur le plan cognitif, en particulier les jeux vidéo, où il y a actuellement beaucoup de battage médiatique.

Source


mercredi 11 septembre 2019

Les jeux vidéos sont-ils nocifs pour les jeunes ?


Le « Audiard » est sa langue maternelle. C’est rare dans une profession qui d’habitude s’interdit les hyperboles et les antithèses mordantes. Le livre de Desmurget, c’est un peu « les cons, ça ose tout… y compris nous faire croire que les jeux vidéo sont bons pour la santé mentale de nos enfants ». Ce docteur en neurosciences, qui travaille avec l’INSERM et le CNRS sur la plasticité neuronale, ne renierait pas le récital des meilleures répliques des Tontons flingueurs. Et son état d’esprit est à peu près celui-là : « Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus, j’dynamite, j’disperse, j’ventile. »

Pendant ses nuits d’insomnies, il a désossé des centaines d’études et de rapports scientifiques publiés dans le monde sur les jeux vidéo. Avec cette seule question à l’esprit : sont-ils bons pour le cerveau ? La réponse est NON. Ils créent de la dépendance, et tous les tests indiquent qu’ils nuisent aux performances scolaires. Pourtant, la moindre étude à la méthodologie incertaine qui esquisse l’idée contraire est immédiatement amplifiée « par les médias », qui préfèrent « le débat contradictoire » à la démonstration pédagogique d’une vérité établie par des méthodes rigoureuses.

[...] combien de temps a-t-il fallu pour convaincre que « le tabac nuit à la santé ». Quant aux jeux vidéo, on va dire que ceux qui les critiquent sont stipendiés par la société secrète des réacs antépathes, nostalgiques de la blouse grise et du boulier compteur. La messe (en latin) est dite. À cette peur de paraitre ringard s’ajoute la pression économique. Desmurget s’en prend par exemple à l’Académie des sciences, qui a choisi de ne pas décourager les fabricants de jeux interactifs (qui, en France, sont talentueux), en produisant un avis plutôt favorable.

Mais venons-en au fait. Quels sont les effets nocifs du jeu vidéo ? « L’effondrement des interactions langagières et de la concentration, le surpoids, l’irritabilité », résume Desmurget. Bien sûr, il n’est pas facile de résister à la déferlante. Pas simple d’interdire. On comprend une certaine indulgence parentale, une certaine lassitude professorale. Ils s’en remettent au fil de l’eau des modes numériques du moment, faute de signaux d’alerte suffisamment musclés. Les parents débordés ajouteront que « sans jeux vidéo, les enfants ne peuvent plus avoir d’amis ». Et effectivement, c’est un argument massue. Et de fil en aiguille, chacun trouve normal de donner un téléphone dit intelligent dès la cinquième [12 ans] ou la quatrième [13 ans], plutôt qu’un simple téléphone. C’est la génération écolo, nous dit-on. Vraiment ?

Et ce ne sont pas seulement les enfants ayant entre 2 et 5 ans qu’il faut impérativement éloigner de l’écran — point qui a fini par être entendu par une majorité de parents. Les préados et les ados aussi. « L’adolescence aussi est l’une des phases de plasticité neuronale les plus intenses », rappelle notre auteur. Desmurget ne propose d’ailleurs pas d’en bannir à tout jamais l’usage.

Mais il suggère pour les moins de 16 ans de le limiter à une heure par jour. Un enfant qui joue trop — donc plus d’une heure par jour, mais une demi-heure serait l’idéal-est un enfant qui risque d’avoir « le vocabulaire d’un berger allemand un peu éduqué », mais aussi de perdre sa capacité pulmonaire faute d’exercice physique, de se montrer insomniaque et irritable, car le monde, hélas, ne répond que rarement dans la microseconde à nos sollicitations. Tel cet enfant de 12 ans arrivant chez des amis à la campagne et s’exclamant « c’est nul ici, il n’y a pas de connexions ! ».

[...]

La technique, oui, Internet, oui. Mais la civilisation du joystick, bof. Alors, les États s’inquiètent-ils de tout ça ? Le seul qui le fasse est Taïwan. « Le gouvernement a prévu une amende de 1500 euros si on expose un enfant de moins de 2 ans à un écran, et l’amende vaut aussi pour tout adolescent qui joue plus d’une demi-heure. » Menace plutôt symbolique, mais qui a le mérite d’officialiser le danger que représente pour la jeunesse la dépendance numérique.

Mais Desmurget s’intéresse aussi au cas du numérique à vocation pédagogique. Car il n’y a pas de raison de penser que l’accès à l’informatique pour faire du codage ou pour regarder des cours dispensés par tel ou tel spécialiste d’une matière ne serait pas utile. Desmurget n’est pas contre. « Si vous me dites que désormais il n’y aura plus de manuels parce qu’ils seront tous dans la même tablette numérique, je signe tout de suite », nous dit — il. Mais il s’agit alors simplement d’un transfert de support, comme de lire un journal en ligne — même si cela induit aussi quelques microadaptations cognitives.

En revanche, si vous pensez que généraliser la diffusion de cours en ligne ouverts et massifs (CLOM), ces cours à distance dont raffolent les grandes universités américaines, peut répandre sur le monde l’instruction, vous faites erreur.

« C’est comme de regarder un opéra à la télé, vous perdez 70 % de l’intensité du message. » Desmurget estime que rien ne remplace le professeur et qu’un cours en ligne peut éventuellement marcher s’il est accompagné par des travaux dirigés avec un chargé de cours qui répond aux questions. Mais en général, avant et après le bac, ce n’est pas le cours magistral qui captive les élèves. Desmurget cite cette anecdote à l’université de Lyon-III : « La direction a été obligée d’interdire les iPad et portables, car pendant les heures de cours la bande passante de l’université était saturée, les élèves étant sur les réseaux sociaux, ou en train de regarder un film. » Desmurget a donc décidé de tordre le bâton dans l’autre sens pour le remettre droit. L’auteur du livre avait des parents libraires. Ça ex plique peut-être en partie sa colère. Il a aimé lire en rêvant, rêver en lisant.

Concluons : L’homme de la pampa, par fois rude, reste toujours courtois, mais la vérité nous oblige à dire : ces jeux vidéo commencent à nous les briser menu.



La fabrique du crétin digital
Les dangers des écrans pour nos enfants
de Michel Desmurget
paru le 29 août 2019
aux éditions du Seuil
à Paris,
432 pages,
ISBN-13 : 978-2021423310


Source : Le Figaro



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Essai sur les méfaits de la télévision

Internet — des ados accros, des parents dépassés

Étude — En 40 ans les enfants ont perdu 25 % de leur capacité physique.

Accros aux écrans : l’« héroïne numérique »


lundi 29 juillet 2019

Livre : Libre pour apprendre

Peter Gray est un psychologue du développement directeur de recherche ou Boston College. Il est connu pour ses critiques du système éducatif traditionnel et est invité régulièrement à intervenir auprès de groupes de parents, d’éducateurs ou de chercheurs. Il s’oppose aux méthodes actuelles d’éducation qui, selon lui, infligent des dommages psychologiques aux enfants. On trouvera ci-dessous un résumé de son dernier ouvrage traduit en français : Libre pour apprendre.



Présentation de l’éditeur

Nos enfants passent à l’école le plus clair de leur temps à recevoir passivement une instruction, à devoir se tenir tranquilles en classe et à subir des contrôles de connaissances. Il n’est donc pas étonnant que le système scolaire actuel crée des élèves ennuyés et ayant des problèmes de comportement. Même en dehors des murs de l’école, les enfants ont rarement l’occasion de jouer et d’explorer leur environnement sans être sous surveillance permanente. Cette situation a pour conséquence d’alimenter l’anxiété des enfants, qui considèrent la vie uniquement comme une série de problèmes.

Dans Libre pour apprendre, Peter Gray défend l’idée selon laquelle des enfants libres de poursuivre leurs propres centres d’intérêt au travers du jeu assimilent tout ce qu’ils ont besoin de savoir, et le font de plus avec énergie et passion. Pour les aider à grandir dans ce monde en perpétuel changement, nous devons faire confiance à leur capacité de s’instruire et de se développer. En se basant sur des faits anthropologiques, psychologiques et historiques, Gray avance que le jeu en toute liberté est le meilleur moyen pour apprendre à gérer sa vie, à résoudre ses problèmes, à vivre en communauté et à devenir émotionnellement équilibré.

Libre pour apprendre
de Peter Gray
paru en octobre 2016
chez Actes Sud (France)
368 pages
ISBN 978-2-330-06886-8
prix indicatif : 22,50 €