jeudi 3 décembre 2020

Revers en cour pour un couple d’ex-hassidiques dans leur requête contre Québec

Yochonan Lowen et Clara Wassertein ont connu un revers judiciaire ce jeudi quand leur requête en jugement déclaratoire (référé) qui visait à faire reconnaître que le gouvernement du Québec avait contrevenu à ses obligations vis-à-vis des enfants hassidiques en vertu, notamment, de la Loi sur l’instruction publique.

Le couple reprochait au gouvernement d’avoir toléré pendant des années que les enfants de cette communauté reçoivent un enseignement presque exclusivement religieux.

Si le jugement relate qu’en effet, pendant des années, les enfants hassidiques, et plus particulièrement les garçons, ont été privés d’un enseignement réel dans les matières profanes, il note que, depuis trois ans, Québec a pris une série de mesures pour s’assurer que ces derniers respectent leur obligation d’apprentissage dans certaines matières profanes de base, à la maison.

Ainsi, le juge remarque que depuis l’adoption du projet de loi 144, en 2017, l’enseignement à la maison imposé aux juifs (ultra-) orthodoxes permet de parfaire leur enseignement de matières profanes. Il concède, par ailleurs, qu’il s’agit d’un processus ardu tant pour les élèves que pour les parents qui partent de loin.

Toutefois, selon l’interprétation du juge, un jugement déclaratoire doit statuer sur une situation actuelle et non sur le passé.

Ils voulaient changer les choses

En 2014, Yochanan Lowen avait 37 ans. Il venait de quitter la communauté Tosh de Boisbriand où il avait grandi, notamment pour que ses quatre enfants aient accès à une instruction dans des matières profanes.

Cela n’était pas le cas dans sa communauté, à l’époque, particulièrement pour les garçons qui, selon la tradition hassidique, doivent à l’école talmudique se consacrer exclusivement à l’étude des textes sacrés à partir de l’adolescence.

À l’époque, M. Lowen se sentait comme un extraterrestre dans le monde profane. Il disait alors être incapable de se trouver un travail.

S’il maîtrisait l’hébreu, le yidiche et l’araméen, les textes sacrés du Talmud et de la Torah, il ignorait le français, les mathématiques, la géographie et avait une faible connaissance de l’anglais.

Avec sa femme, il a donc d’entreprendre des démarches judiciaires contre le gouvernement du Québec, en plaidant que l’État aurait failli à son obligation de fournir, à lui ainsi qu’à des milliers d’enfants hassidiques, une éducation séculière de base, un droit pourtant garanti par les lois en vigueur au Québec.

La réforme adoptée par Québec en 2017 a abouti à ce que les jeunes garçons juifs reçoivent une éducation profane à la maison, a remarqué le juge.

Avant 2015, le couple demandait un million de $ en dédommagements

Représenté au départ par la clinique juridique Juripop, M. Lowen réclamait de Québec un dédommagement de plus d’un million de dollars pour défaut de scolarisation. Puis, en 2015, lui et sa femme ont changé d’avocats et décidé, du même coup, d’abandonner cette tactique. Ils ne voulaient plus d’argent.

Ce qu’ils voulaient avant tout, c’était demander aux tribunaux d’intervenir pour changer les choses et faire en sorte que les enfants hassidiques puissent étudier autre chose que des matières religieuses.

Ils ont donc demandé aux tribunaux de se prononcer dans un jugement déclaratoire. Le but : que la cour statue si, oui ou non, le gouvernement du Québec avait failli à ses obligations vis-à-vis de lui, de sa femme, Clara, et des enfants hassidiques en général.

« […] à l’occasion des modifications législatives et réglementaires de 2017, l’État s’est donné les moyens pour que la difficulté ayant eu cours auparavant n’existe plus », écrit toutefois le juge Castonguay pour expliquer le rejet de la requête des demandeurs.

Le couple Lowen a décidé de ne pas accorder d’entrevue pour l’instant, mais par la voie d’un communiqué rédigé par leurs procureurs de la firme Trudel, Johnson et Lespérance, ils ont tenu à exprimer leur inquiétude, malgré les mesures mises en place.

En effet, le couple n’est pas entièrement rassuré quant à la situation actuelle des jeunes juifs hassidiques de Boisbriand et de Montréal. Le juge Castonguay reconnaît que les enfants des communautés hassidiques continuent toutefois de fréquenter des écoles religieuses à temps plein, sans pourtant conclure que ces écoles talmudiques sont illégales. Pour les juifs, ces yéchivas sont assimilées à des séminaires (voir jugement Dugré) et donc nous soumises à la loi sur l’Instruction publique. 

Aucune preuve que les jeunes juifs échouent leurs études profanes

Lowen et Wasserstein plaidaient qu’en raison du temps consacré aux études religieuses auxquelles sont astreints les garçons, il leur serait impossible de réussir leurs études.

Le juge Castonguay a réfuté cette assertion.

Cette réfutation n'a pas été reprise par les articles de presse que nous avons consulté.

Lowen et Wasserstein habitués des prétoires

Le couple Lowen et Wasserstein este souvent en justice et pas uniquement dans le domaine scolaire. En 2017, ils demandaient « la diminution de leur loyer, des dommages-intérêts pour troubles et inconvénients, des dommages-intérêts punitifs suite à du harcèlement et l’exécution en natures des obligations » de leur locateur. En l’absence de preuve, la juge Claudine Novello avait rejeté leur demande.

Auparavant, en 2015, la juge Francine Jodoin avait ordonné « le couple de maintenir le désencombrement des pièces de leur logement à compter de la réception de la présente décision, et ce, pour une durée de 24 mois, afin d’éviter tout excès, accumulation ou amas d’objets qui nuisent à la libre circulation et, particulièrement près d’une source électrique » et de payer les frais judiciaires.


La décision

Lowen c. Procureure générale du Québec

2020 QCCS 4237

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-17-093778-168

 

DATE :

Le 3 décembre 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN CASTONGUAY J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

YOCHONON LOWEN

et

CLARA WASSERSTEIN

Demandeurs

 

c.

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

et

LE GRAND SÉMINAIRE RABBINIQUE DE MONTRÉAL

et

COLLÈGE RABBINIQUE DE MONTRÉAL OIR HACHAIM D’TASH

et

CENTRE D’ÉDUCATION RELIGIEUSE KHAL OIR HACHAIM

et

CENTRE D’ÉDUCATION BETH TZIRIL

et

YESHIVA OIR HACHAYIM

et

ACADÉMIE DES JEUNES FILLES BETH TZIRIL

et

ELIMELECH LOWY

            Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

sur la demande pour jugement déclaratoire

______________________________________________________________________

 









l’APERÇU

[1]       Le Tribunal a eu l’unique occasion d’être plongé, quoique brièvement et superficiellement, dans la société juive des hassidim.  Avec cet éclairage limité, il s’agit de répondre à la demande de Yochonon Lowen (« Lowen ») et Clara Wassertein (« Wasserstein ») (collectivement les demandeurs) cherchant à obtenir un jugement déclaratoire portant sur l’éducation que reçoivent les jeunes hassidiques, filles et garçons, au sein de leur communauté.

[2]       Essentiellement, les demandeurs se plaignent que l’État québécois les aurait laissé tomber en tolérant, pour ce qui est des filles, une carence importante dans leur enseignement séculier et, pour ce qui est des garçons, l’absence totale de celui-ci.

[3]       Les demandeurs, qui ont quitté la communauté Tash de Boisbriand en 2007, plaident être complètement démunis pour fonctionner dans la société en général, que ce soit en matière linguistique, géographique, scientifique, etc.

[4]       Voici les conclusions de leur demande pour jugement déclaratoire :

DÉCLARER que les écoles administrées par la communauté hassidique Tash de Boisbriand opèrent en violation de la Loi sur l’instruction publique, de la Loi sur l’enseignement privé, de la Charte de la langue française et de la Charte des droits et libertés de la personne.

DÉCLARER que le gouvernement du Québec et la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Milles-Iles, en tolérant que les enfants de la communauté Tash fréquentent des écoles illégales, contreviennent à leurs obligations en vertu de la Loi sur l’instruction publique, de la Loi sur l’enseignement privé, de la Charte de la langue française et de la Charte des droits et libertés de la personne.

[5]       Cette demande est contestée par la Procureure générale du Québec (« P.G.Q. ») principalement sur un point de droit voulant que semblable recours vise à régler une difficulté réelle et contemporaine, ce qui ne serait pas le cas en l’instance.

[6]       En effet, suite à une intervention de la Direction de la Protection de la Jeunesse (« DPJ ») en 2014 de même qu’à certains changements législatifs, dont le projet de Loi 144 sanctionné le 9 novembre 2017 visant à ajouter certaines obligations aux parents et commissions scolaires, le problème vécu par les demandeurs n’existerait tout simplement plus.

[7]          Les autres défendeurs, soit le Grand Séminaire Rabbinique de Montréal, Collège Rabbinique de Montréal Oir Hachaim D’Tash, Centre d’éducation religieuse Khal Oir Hachaim, Centre d’éducation Beth Tziril, Yeshiva Oir Hachayim, Académie des Jeunes Filles Beth Tziril, Elimelech Lowy, soulèvent qu’aucune difficulté réelle n’existe en insistant que les écoles fréquentées à l’époque par les demandeurs n’ont plus aucun statut face au ministère de l’Éducation.

[8]       Le point de droit soulevé par la P.G.Q. et les institutions d’enseignement hassidiques est d’importance et normalement il aurait eu lieu d’aborder dès maintenant le droit applicable pour en traiter.

[9]       Toutefois, les faits particuliers de la présente affaire, militent en faveur qu’ils soient exposés dans un premier temps.

 

LES FAITS

[10]       Les parties, dans un souci d’économie du système judiciaire, ont procédé à un certain nombre d’admissions regroupées dans le document « Énoncé des faits admis par les parties »[1] lequel est reproduit en annexe du présent jugement pour en faire partie intégrante.

[11]       Cela étant, et pour une bonne compréhension du lecteur, le Tribunal reproduit dès maintenant certaines de ces admissions.

1.    Les communautés hassidiques en Amérique du Nord sont principalement issues de l’immigration des juifs hassidiques d’Europe de l’Est ayant survécu à la Seconde Guerre mondiale. Ces communautés ont commencé à s’établir, principalement à New York et, dans une moindre mesure, au Québec, vers la fin des années quarante.

2.    Il existe sept communautés hassidiques au Québec, soit les communautés Belz, Satmar, Loubavitch, Skver, Viznitz et Bobov, résidant principalement à Montréal dans le quartier Outremont et Côte-des-Neiges, et la communauté Tash, établie à Boisbriand

3.     La population hassidique du Québec comptait environ 10 000 personnes en 2011, dont environ 7 000 à Montréal et 3 000 à Boisbriand.

4.    Depuis leur établissement à Montréal et à Boisbriand dans les années quarante, cinquante et soixante, les communautés hassidiques ont créé et opèrent des établissements pour filles et garçons.

5.    Ces établissements délivrent principalement un enseignement religieux.

               La communauté Tash

6.    Vers la fin des années soixante, la communauté Tash a commencé à s’installer sur le territoire de la municipalité de Boisbriand.

7.    Dans les établissements de la communauté Tash, la langue d’instruction est principalement le yiddish. La majorité du temps d’instruction est consacrée aux études religieuses.

[...]

Les demandeurs

13.   Le demandeur Yochonon Lowen est né en [...] 1977 au Royaume-Uni. Il est arrivé au Québec vers le mois de juillet 1988. Sa famille s’est établie à Boisbriand dans la communauté Tash. Le demandeur a obtenu sa résidence permanente canadienne en septembre 1992.

14.  La demanderesse Clara Wasserstein est née en [...] 1978 dans l’État de New York. Elle est arrivée au Québec avec sa famille vers le mois d’avril 1979, pour s’établir également dans la Tash de Boisbriand. Elle a obtenu sa résidence permanente en mai 1979.

15.  Les demandeurs sont mariés depuis 1996 et sont les parents de quatre enfants.

16.  Entre les âges de 11 et 17 ans, le demandeur a fréquenté deux écoles réservées aux garçons de la communauté Tash. Il y a reçu un enseignement presque exclusivement religieux ainsi que des cours rudimentaires de mathématiques et d’anglais. Il n’a reçu aucun cours de français, d’histoire, de géographie, de science ou d’éducation physique.

17.  La demanderesse a fréquenté entre les âges de 4 et 17 ans deux établissements scolaires réservés aux filles de la communauté Tash.

18.  La demanderesse a également reçu un enseignement principalement religieux. Elle recevait jusqu’à l’âge 13 ans un enseignement séculier variant entre 6 à 10 heures par semaine qui incluait le français, l’anglais et les mathématiques de base. Entre 13 et 17 ans, la demanderesse n’a toutefois suivi que des cours d’enseignement religieux en yiddish, puisqu’elle était exemptée de l’enseignement séculier. Elle passait ses après-midi régulièrement à aider sa mère à la maison.

19.  Les écoles fréquentées par les demandeurs ne détenaient aucun permis. L’école Beth Tizril fréquentée par la demanderesse a obtenu un permis en 1995 pour les Services d’enseignement primaire seulement, et alors que madame Wasserstein terminait sa douzième année.

19. Les demandeurs n’ont jamais reçu de diplômes d’études.

20. Les demandeurs et leurs quatre enfants ont quitté la communauté Tash     en 2007 et la communauté hassidique en 2009.

 

LOWEN

[12]       Lowen a témoigné sur l’éducation qui lui a été prodiguée au sein de sa communauté.

[13]       Lowen est né à Londres et a émigré au Québec à l’âge de 10 ans pour joindre la communauté Tash de Boisbriand.

[14]       Dès lors, soit dans les années 1980, il commence à fréquenter une institution pour les jeunes garçons connue sous le vocable Cheder 6 jours sur 7. L’horaire des cours portant sur le Yiddish et les matières religieuses est strict[2], avec un début des cours à 6h30 pour se terminer à 17h00, comprenant des pauses pour le petit déjeuner et le lunch, ainsi que trois pauses variant entre 10 et 15 minutes. À certaines occasions, ils pouvaient suivre des cours du soir d’une durée de 2 heures.

[15]       Outre le Yiddish les matières enseignées revêtent un caractère strictement religieux.

[16]       À l’adolescence, Lowen rejoint un établissement connu sous le vocable de Yeshiva, là encore, la fréquentation y est de 6 jours sur 7 avec sensiblement les mêmes horaires que les jeunes garçons fréquentant le Cheder.

[17]       Les matières enseignées sont les suivantes :

·         Talmud

·         Jewish Law

·         Commentaries[3]

 

[18]       Encore une fois, ces enseignements sont strictement religieux.

[19]       Par contre, ils avaient le loisir d’apprendre l’anglais à raison de 45 minutes par jour pendant une période de six (6) mois.  Cette matière était alors enseignée par quelqu’un, ne faisant pas partie de la communauté Tash.

[20]       Autre élément important relaté par Lowen est le fait que pendant ses années de fréquentation de la Yeshiva les jeunes garçons avaient le privilège de joindre leurs prières à celle du Grand Rabbin (« Chief Rabbi ») lors du Sabbat (« Shabbath »).

[21]       Lowen, précise que la Yeshiva était séparée en deux niveaux soit trois (3) classes au premier niveau et deux (2) classes au deuxième niveau.

[22]       L’enseignement pour les garçons se termine donc vers l’âge de 18 ans à l’âge où normalement les garçons de la communauté Tash prennent épouse[4].

[23]       Après son mariage avec Wasserstein, Lowen a tout de même poursuivi ses études à caractère religieux tout en faisant du tutorat dans une Cheder de Montréal fréquentée par des enfants de la communauté ultra orthodoxe, mais non hassidique.

[24]       Quand Lowen et Wasserstein ont quitté la communauté Tash en 2007 Lowen pouvait s’exprimer quelque peu en anglais, mais était incapable de l’écrire ni le lire.  Quant à la langue française, il n’en avait aucune notion.

[25]       Lowen n’a reçu aucun enseignement séculier et n’avait donc aucune connaissance de la géographie.  Il ignorait même la signification du mot « science ».

[26]       Lowen précise que la présente demande en justice vise à faire bouger les choses afin que les enfants issus des communautés hassidiques puissent recevoir une éducation appropriée leur permettant de vivre dans une société autre que la leur.

 

WASSERSTEIN

[27]       Wasserstein a également témoigné.

[28]       Wasserstein est née à Brooklyn New York, son père canadien d’origine faisait partie de la communauté Satmar de Brooklyn.

[29]       À l’âge de 18 mois, ses parents ont déménagé pour s’établir dans la communauté Tash de Boisbriand.

[30]       Wasserstein est la plus vieille d’une fratrie comptant 11 enfants, elle a six (6) sœurs et quatre (4) frères.

[31]       Wasserstein fait état de son éducation précisant qu’elle a commencé à fréquenter l’Académie pour jeunes filles Beth Tziril (« l’Académie ») à l’âge de quatre (4) ans.

[32]       Elle précise que les filles n’étudient pas le Talmud, mais apprennent le Yiddish et diverses lois et règlements le matin, l’après-midi étant réservé à certaines matières séculaires ciblées pour les aider dans leur futur rôle d’épouse et de mère.

[33]       Ainsi, elles apprennent suffisamment l’anglais ou le français pour être capables d’échanger avec un médecin, pharmacien ou chauffeur de taxi.

[34]       Elle a gradué de l’Académie après sa onzième année à l’âge de 17 ans et précise que le seul travail qu’elle pouvait exercer avec son diplôme est celui d’enseigner dans une école juive.

[35]       Cela étant, après son mariage avec Lowen elle a travaillé à titre d’éditrice pendant cinq (5) années.

[36]       Elle précise que son mariage avec Lowen a été arrangé, mais qu’elle se considère chanceuse et ravie d’être mariée avec lui.

[37]       Wasserstein témoigne de sa vie au sein de sa communauté, précisant que tous les aspects de celle-ci étaient réglementés 24 heures par jour et 7 jours sur 7.

[38]       Selon elle, la pratique des punitions corporelles est largement répandue dans la communauté et c’est en raison de leur position contraire, refusant d’imposer de semblables punitions à leurs propres enfants, qu’elle et son mari ont été expulsés de la communauté Tash.

[39]       Selon elle, cette expulsion n’a pas été provoquée par une question d’ordre religieux, mais plutôt par l’exercice du pouvoir détenu par quelques individus au sein d’un large groupe.

[40]       Le chemin menant à leur expulsion fut fort simple.  Une affiche bien en vue à la synagogue faisait état d’un élément du groupe qui cherchait à empoisonner l’ensemble du groupe.

[41]       À peu près au même moment, les membres de la communauté Tash ont tout simplement cessé d’adresser la parole à son mari, le tout affectant celui-ci au point d’en devenir physiquement malade.

[42]       Ils n’ont pas eu d’autres choix que de quitter la communauté Tash en 2007.

[43]       Après s’être établi à Montréal, ils ont envoyé leur fils dans une école de la communauté hassidique Skver à Montréal, pour le retirer quand ils ont constaté que cette école préconisait également les punitions corporelles.

[44]       Elle précise que même à Montréal la communauté hassidique les ostracisait.

[45]       Ils ont fini par s’établir dans la communauté Loubavitch qui est la moins stricte des communautés hassidiques, ce qui explique que les hassidiques des communautés Satmar ou Tash ne se marient pas avec des membres de la communauté Loubavitch.

 

ABRAHAM EKSTEIN

[46]       Même si aucun représentant de la communauté Tash n’est venu témoigner, Monsieur Abraham Ekstein (« Ekstein ») de la communauté Satmar d’Outremont a tenu à témoigner du vécu des enfants des communautés hassidiques.

[47]       D’entrée de jeu, il est revenu sur sa déclaration d’intervention dans le dossier ayant impliqué le P.G.Q. contre l’Académie Yeshiva Toras Moshe de Montréal[5] au début 2010.

[48]       Le Tribunal reproduit le paragraphe 35 de cette déclaration :

« The Satmar community is a vibrant one, and the education provided by the Yeshiva promotes values that are very much in line with those of the larger society of Quebec, such as the development of self reliance, the promotion of common assistance, raising children to be law abiding citizens and avoiding social problems; »

[49]       Ekstein explique que les études talmudiques sont si rigoureuses qu’un jeune adulte peut accomplir ce qu’il veut dans la vie en raison de cette formation.  Il en veut pour preuve qu’il est sur le point de devenir comptable agréé[6].

[50]       Ekstein convient qu’il n’est pas membre de la communauté Tash, mais ajoute que les membres de la communauté Satmar d’Outremont préconisent des valeurs fort similaires.

[51]       Il relate que depuis 2015, il a des rencontres avec des leaders de la communauté Tash dont le Rabbin Moskowitz et monsieur Gutman pour promouvoir une plus grande ouverture en matière d’enseignement séculaire.

[52]       Ekstein est également président de l’association éducative juive pour l’enseignement à la maison fondée en 2017, dont il fait la promotion auprès des diverses communautés hassidiques, dont la communauté Tash.

[53]       Il concède qu’en 2015 la communauté Tash affichait une réticence certaine à l’égard de l’éducation séculaire, toutefois la situation aurait beaucoup évoluée en raison des changements législatifs de 2017, mais surtout en raison de l’implication de la DPJ en 2016.

[54]       Ekstein produit deux photos démontrant une forte présence de pères à une rencontre qu’il a tenue à Boisbriand pour discuter entre autres de l’Association qu’il préside[7].

[55]       Il explique que les mères des enfants étaient également présentes, mais dans une pièce connexe et pouvaient entendre les propos de l’orateur.

[56]       En contre-interrogatoire, Ekstein convient que la vérité religieuse enseignée aux garçons dans les Yeshiva heurte de plein fouet les enseignements scientifiques, qu’ils recevront dans le cadre du programme pédagogique établi par le Ministre.

[57]       À titre d’exemple, lorsque questionné à savoir si c’est la terre qui tourne autour du soleil ou l’inverse, il répond que les enseignements religieux reçus constituent une vérité et que c’est le soleil qui tourne autour de la terre, tout en confirmant être au courant du concept largement répandu que c’est la terre qui tourne autour du soleil.

 

SHULEEM DEEN

[58]       Shuleem Deen (« Deen »), ancien membre de la communauté Satmar de New York, a grandi dans le quartier hassidique de Borough Park à New York.

[59]       Deen s’élève en faux contre la déclaration de Ekstein, à l’effet que les valeurs transmises à travers les enseignements reçus dans les Yeshiva, sont semblables à celles de la société québécoise.

[60]       Deen soutient qu’un des principes fondamentaux des communautés hassidique est de se tenir éloigné des autres communautés qui les entourent.

[61]       Il n’est pas tendre envers les dirigeants des communautés hassidiques, soulignant qu’il est dans leur intention de garder la communauté dans l’ignorance du monde extérieur.

[62]       Il précise que dans la communauté dont il est issu, les jeunes sont encouragés à utiliser toutes les subventions gouvernementales possibles, en déclarant des revenus minimes, pour ensuite travailler au noir pour d’autres membres de la communauté.

[63]       Deen a également quitté la communauté hassidique et travaille maintenant à titre d’éditeur et traducteur.  Il écrit à l’occasion des articles pour le New York Times.

[64]       Le 4 avril 2018, il a signé un article dans ce journal intitulé : (« Why is New York condoning illiteracy »)[8].

[65]       Certains des extraits de cet article corroborent le témoignage de Lowen et Wasserstein et sont d’intérêt pour le présent débat.  Le Tribunal les reproduit :

« I was raised in New York’s Hasidic community and educated in its schools.  At my yeshiva elementary school, I received robust instruction in Talmudic discourse and Jewish religious law, but not a word about history, geography, science, literature, art or most other subjects required by New York State law.  I received rudimentary instruction in English and arithmetic – an afterthought after a long day of religious studies – but by high school, secular studies were dispensed with altogether.

The language of instruction was, for the most part, Yiddish.  English, our teachers would remind us, was profane.

When I was in my 20s, already a father of three, I had no marketable skills, despite 18 years of schooling.  I could rely only on an ill-paid position as a teacher of religious studies at the local boys’ yeshiva, which required no special training or certification.  As our family grew steadily – birth control, or even basic sexual education, wasn’t part of the curriculum – my then-wife and I struggled, even with food stamps, Medicaid and Section 8 housing vouchers, which are officially factored into the budgets of many of New York’s Hasidic families.

I remember feeling both shame and anger.  Shame for being unable to provide for those who relied on me.  Anger at those responsible for educating me who had failed me so colossaly.”

[66]       Par ailleurs, il confirme les horaires d’études dans les yeshivas ainsi que la nature des enseignements lesquels sont strictement religieux.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

[67]       La preuve du PGQ s’articule autour des témoignages de représentants du ministère de l’Éducation du Québec (« MEQ »), ainsi que ceux de la D.PJ.

[68]       La preuve offerte par le MEQ l’a été principalement par les fonctionnaires oeuvrant au sein de la Direction de l’Enseignement Privé.  Il s’agit de monsieur Ugo-Mercier Gouin (« Gouin »), mesdames Maryse Malenfant (« Malenfant ») et Barbara Gagnon (« Gagnon »).

[69]       Madame Caroline Kelly (« Kelly ») du MEQ, mais directrice de l’Enseignement à la Maison, a également témoigné.

[70]       Pour ce qui est de la DPJ deux intervenants ont témoignés de leur implication auprès de la communauté Tash entre 2014 et 2018.  Il s’agit de Marie-Josée Bernier (« Bernier ») et de Mauro Pasinato (« Pasinato »).

[71]       Gouin du MEQ a œuvré au sein de la direction de l’Enseignement Privé de 2006 à 2017.  Il relate avoir été impliqué dans l’administration des dossiers des écoles hassidiques entre 2006 et 2017.  Il précise également s’être déplacé à 7 ou 8 reprises au sein de la communauté Tash au fil de ces années.

[72]       Gouin explique qu’en 2006 l’Académie pour jeunes filles Beth Tziril de la communauté Tash fait une demande de renouvellement de son permis en vertu de l’article 18 de la Loi sur l’Enseignement Privé[9] pour les services d’enseignement au primaire et préscolaire[10].

[73]       À l’occasion de l’étude de cette demande, il est constaté que l’Académie ne rencontre que partiellement les critères pour obtenir le renouvellement.  En voici l’extrait pertinent :

« Toutefois, la Direction de l’enseignement privé est d’avis que l’établissement ne répond pas actuellement à toutes les exigences de l’article 25 de la Loi sur l’enseignement privé concernant l’application du Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire.  Au primaire, on n’enseigne pas l’éducation physique, les arts et les technologies et certaines disciplines sont enseignées en anglais alors que la langue d’enseignement devrait être le français.  De plus, l’organisation pédagogique des services de l’éducation préscolaire et des services d’enseignement au primaire ne reflète pas les orientations du Programme de l’école québécoise.  Le bulletin utilisé au préscolaire et au primaire évalue davantage des disciplines que les compétences prescrites au programme. »

[74]       Conséquemment, la Direction de l’enseignement privé recommande le renouvellement du permis jusqu’au 30 juin 2008, mais aux conditions expresses suivantes :

·         «L’engagement de l’établissement à respecter le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire relativement à l’enseignement des disciplines obligatoires au primaire telles que l’éducation physique, les arts et les technologies.

·         L’engagement de l’établissement à s’assurer que l’organisation pédagogique respecte les orientations du Programme de formation de l’école québécoise, notamment au niveau des compétences prescrites et de l’évaluation de celles-ci;»

·          L’engagement de l’établissement à s’assurer que chaque membre du personnel enseignant est titulaire d’une autorisation d’enseigner.

·         La conformité des objectifs de l’établissement aux politiques du ministre ou du gouvernement.

·         Les critères de sélection du personnel enseignant de l’établissement.

·         L’organisation pédagogique de l’établissement ne reflète pas les orientations du Programme de formation de l’école québécoise et celles relatives à l’évaluation des apprentissages.

·         L’organisation pédagogique de l’établissement ne respecte pas le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire.

[75]       En 2008, l’Académie demande le renouvellement de son permis pour le préscolaire et primaire et demande également une modification pour ajouter les services d’enseignement au secondaire[11].

[76]       La fiche de synthèse préparée par Gouin, est tout simplement dévastatrice.  Outre des constats matériels comme l’absence de ressources humaines ou encore un régime pédagogique déficient, l’auteur y va entre autres des commentaires suivants :

« Pour ce qui est des besoins auxquels l’école veut répondre, il sont réels puisqu’il s’agit effectivement d’une communauté fermée et relativement isolée, même du reste de la communauté juive.  Il est même décevant de constater que la communauté n’ait pas fait une demande pour offrir des services éducatifs aux garçons comme il le lui avait été demandé.  Lors de la visite, la direction a indiqué que l’école de garçons, située au 2, rue Beth Halevy, offrait des cours en hébreu et en yiddish.  Elle ignorait le nom de la corporation qui gère cet autre établissement.

Dans les faits, il est évident que l’établissement offre déjà, sans permis, les services qu’il veut voir ajouter.  C’est également le cas pour la formation des garçons qui se fait entièrement en l’absence d’un permis[12].

[]

La langue d’enseignement déclarée est le français, mais ceci se limite au primaire.  Au préscolaire c’est certainement plutôt l’anglais et au secondaire, la langue d’enseignement est et restera l’anglais.

Lors de la visite, il était manifeste que les élèves, même du primaire, comprenaient très peu le français, la plupart des questions devant être répétés en anglais pour qu’elles réagissent.  Il est utile de rappeler qu’il s’agit d’une école française, subventionnée pour le primaire, et que le problème de la langue avait été soulevé lors du dernier renouvellement[13]. »

(nos soulignés)

[77]       En dépit de ces constats, le 4 août 2008, le renouvellement de permis de même que celui permettant l’enseignement au secondaire seront accordés principalement pour les raisons suivantes :[14]

« Par ailleurs, contrairement à l’avis de la Commission, la Direction recommande à la ministre d’acquiescer à la demande de modification du permis pour l’ajout des services d’enseignement en formation générale au secondaire pour l’ensemble des deux cycles.  Sur ce dernier aspect, la recommandation de la Direction diffère de l’avis de la Commission parce qu’elle s’inscrit dans la suite de la démarche visant la fréquentation scolaire de tous les jeunes de la communauté juive. 

[78]       Néanmoins, des conditions excessivement précises sont imposées.  Les grands titres de cette douzaine de conditions sont les suivants :

·         « Respecter la Loi sur l’enseignement privé, son règlement d’application ainsi que le Règlement sur les établissements d’enseignement privés à l’éducation préscolaire, au primaire et au secondaire.

·         Appliquer intégralement le Programme de formation de l’école québécoise.

·         Respecter le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire.

·         S’assurer que les élèves du primaire reçoivent bien tout leur enseignement en français, en conformité avec la Charte de la langue française. »[15]

[79]       Il était de plus recommandé d’aviser l’Académie qu’en cas de refus de redresser la situation, le permis pourrait être révoqué.

[80]       Lors du renouvellement de ces permis, la fiche synthèse préparée par Gouin et Malenfant, le 22 janvier 2010, nous apprend que le respect des conditions strictes imposées par le MEQ en 2008 n’a pas été démontré.[16]

[81]       Par ailleurs des lacunes importantes sont notées tant au niveau des qualifications de quatre (4) gestionnaires de l’Académie que de celles des enseignants,  12 de ceux-ci sur 21 n’ayant pas les qualifications requises pour enseigner.[17]

[82]       La fiche synthèse signale qu’en dépit de l’agrément pour l’enseignement du secondaire, nombre d’élèves n’ont pas été déclarés, et constate que la 2e année secondaire qui aurait dû être implantée dès septembre 2009, ne l’avait pas été en raison de la résistance de la communauté.[18]

[83]       Quant à la déclaration obligatoire des élèves, le MEQ transmet le 19 février 2010 une mise en demeure à la présidente de l’Académie afin que tous les élèves la fréquentant soient déclarés et que le « Programme de formation québécoise » soit respecté.[19]

[84]       Le 12 avril 2010, Madame Schiffy Schwartz directrice générale de l’Académie répond que celle-ci se conformera aux exigences du MEQ et que le tout serait dûment mis en place.[20]

[85]       Gouin indique par ailleurs que le MEQ n’a reçu aucune demande de renouvellement de permis par l’Académie lors de son échéance le 30 juin 2013.

 

[86]       Le 16 avril 2014 Gouin écrit à la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Milles-Îles (CSSMI)[21] indiquant que l’Académie n’a plus de permis d’enseignement et n’a pas déclaré au MEQ les élèves qui l’avait fréquentée en 2012-2013[22], du même souffle il demande qu’un suivi soit assuré par la Commission scolaire.

[87]       Le 8 mai 2014, la CSSMI rétorque que le rôle de vigie ne lui revient pas puisque c’est plutôt aux parents de s’assurer du suivi de la fréquentation scolaire tel que prévu à l’article 17 de la Loi sur l’Instruction Publique.[23]

[88]       Selon Gouin, c’est à ce moment que la DPJ s’est intéressée à la situation.

[89]       Malenfant qui a œuvré à divers niveaux au sein de la direction de l’Enseignement Privé entre 2002 et 2017, a également témoigné.  Elle s’est principalement intéressée à la situation des garçons de la communauté.

[90]       Celle-ci précise que le MEQ n’a pu intervenir plus vite dans le cas des garçons, puisque selon l’interprétation de la Loi sur l’Instruction Publique à l’interne, il leur fallait nécessairement l’adresse d’un lieu d’enseignement opérant sans permis.

[91]       Ainsi, elle précise qu’entre 2002 et 2005, le MEQ était au courant de l’existence d’enfants non scolarisés au sens du MEQ au sein de la communauté Tash, mais n’avait pas semblable adresse[24].

[92]       Cela étant, quant à l’école fréquentée par les garçons, le MEQ recevait d’une citoyenne le 5 juin 2009, un signalement de l’existence d’une école illégale au 16 avenue Beth-Halevy à Boisbriand au cœur de la communauté Tash.

[93]       Cette dénonciation amène le MEQ à émettre un mandat[25] le 4 août 2009 conformément à l’article 115 de la Loi sur l’Enseignement Privé, les personnes désignées « pourront, notamment, avoir accès, à toute heure raisonnable » aux installations de la communauté situées à Boisbriand,[26] le tout emportant une notion de coopération.

[94]       Une visite eut lieu le 11 septembre 2009 et a permis de constater que l’établissement du 16 rue Beth-Halevy était fréquenté par quelque 300 garçons âgés de 2 à 13 ans et qu’environ 50 garçons âgés de 13 à 16 ans fréquentaient un établissement situé au 2 rue Beth-Halevy.[27]

[95]       Ces établissements ne détenaient aucun permis d’enseignement, le seul permis existant en était un pour un Centre de la Petite enfance de 80 places.[28]

[96]       Le 27 novembre 2009, le MEQ par l’entremise de Lise Briand directrice de l’Enseignement Privé, mettait en demeure Monsieur Moshe Mayerovitz[29] de la façon suivante :[30]

« Cette visite a permis de constater que votre établissement est assujetti à la Loi sur l’enseignement privé, étant donné la nature des services éducatifs qu’il dispense.  Comme aucun permis ne vous a été délivré pour dispenser ces services éducatifs, vous contrevenez à l’article 10 de cette loi.

Dans les circonstances, vous devez, si vous avez l’intention de poursuivre vos activités, adresser à la ministre une demande de délivrance de permis dans les plus brefs délais.

Par contre, si vous souhaitez mettre un terme aux activités de votre établissement, vous êtes invité, dans les dix jours ouvrables suivant la réception de cette lettre, à transmettre les coordonnées des élèves à M. Jean-François Lachance, directeur général de la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, responsable de s’assurer que les personnes relevant de sa compétence reçoivent les services éducatifs auxquels elles ont droit en vertu de la Loi sur l’instruction publique. »

[97]       Maître Éric Delouya répond le 10 décembre 2009 qu’il représente Monsieur Mayerowitz et qu’ils répondront ultérieurement à la lettre du 27 novembre 2009.  Cela étant, la preuve est muette sur la suite des choses quant aux garçons entre cette date et l’implication de la DPJ en 2014.

[98]       Quand Malenfant quitte la direction de l’enseignement privé en 2017, l’Académie était considérée comme une école illégale.

 

DPJ

[99]       Bernier est actuellement chef de service en évaluation au sein de la DPJ.  De 2006 à 2019, elle occupe la fonction d’intervenante.

[100]    Son travail consiste à analyser les faits entourant un signalement, aux fins de déterminer s’il y a compromission, c’est-à-dire, si la santé ou le développement d’un enfant est menacée.

[101]    Bernier relate qu’au printemps 2014, un signalement est porté à l’attention de la DPJ quant à l’Académie.  Ce signalement est la conséquence de la constatation par Gouin de l’absence d’une demande de renouvellement du permis d’enseignement par l’Académie,[31] et de sa lettre à la CSSMI.

[102]    En octobre 2014, en compagnie de deux collègues, dont Monsieur Mauro Pasinato, Bernier rencontre la directrice de l’Académie et vérifie les horaires de cours de même que les matières enseignées.  Ce sont les suivants :

8.45 à 12.00 : Matières religieuses et Yiddish

13.00 à 16.00 : Matières séculières telles anglais et économie familiale

[103]    Lors de cette même rencontre, ils obtiennent la liste des filles fréquentant l’Académie et décident d’identifier un groupe de 40 enfants âgés entre 7 et 16 ans afin d’évaluer leurs compétences scolaires.

[104]    Parallèlement, la DPJ enquête également sur la situation des garçons.

[105]    Ainsi, un groupe de 50 garçons âgés entre 5 et 12 ans est rencontré le 4 novembre 2014 et le 11 décembre 2014 un autre groupe de 40 garçons âgés entre 13 et 15 ans est vu[32].

[106]    Voici le constat de ces évaluations :

·         Les jeunes filles présentent un apprentissage scolaire qui s’apparente à la moyenne des enfants canadiens de même sexe et de même âge.  Ces résultats au questionnaire ainsi que les entrevues réalisées avec les jeunes filles nous amènent à conclure qu’il n’y a pas de présomption de compromission pour ces enfants;

·         Les garçons obtiennent des résultats préoccupants au questionnaire.  Les résultats obtenus sont faibles et montrent que les garçons n’ont pas les apprentissages scolaires qui leur permettront de devenir des adultes autonomes avec les connaissances requises pour fonctionner ou s’intégrer à la société québécoise.  Nos constats nous amènent à conclure qu’il y a présomption de compromission pour ces enfants et que nos interventions doivent se poursuivre[33].

[107]    Suite à ces constats, Bernier témoigne qu’un signalement de compromission est émis pour tous les garçons fréquentant l’école, en raison de la négligence éducative dont ils faisaient l’objet, puisqu’incapables de fonctionner dans la société québécoise.

[108]    Des intervenants de la DPJ ont procédé à rencontrer systématiquement les garçons et leurs parents.

[109]    Ainsi au 9 décembre 2014 plus de 320 garçons et leurs parents avaient été rencontrés[34].

[110]    Cela étant, environ quarante de ces garçons sera considéré comme non compromis, recevant une scolarisation adéquate de leurs parents ou par un autre membre de leur famille[35].

[111]    À l’occasion de ces rencontres les parents et leur enfant, s’il est âgé de plus de 14 ans, s’engagent volontairement à :

« That the child and the child’s parents undertake to take an active part in the application of the measures designed to put an end to the situation in which the security or development of the child is in danger (such as enrolling the child in a schooling program and accepting that the school board and the DYP monitors the progress, the parents agree that the DYP and the school board exchange information concerning academics);

That a person working for Laurentides Youth Centre provide aid, counselling or assistance to the child and the child’s family;

That the parents ensure that the child attends a school or another place of learning or participate in a program geared to developing skills and autonomy and that the child undertake to do so (the child has to be registered in a recognized school or enrolled in a homeschooling program through the School Board)[36].”

[112]    Selon Bernier, ces ententes volontaires s’étendaient sur une période de neuf (9) mois, pour ainsi assurer l’inscription de tous les garçons auprès de la CSSMI.

[113]    Bernier précise que l’apprentissage s’est bien déroulé sauf pour les adolescents fréquentant la Yeshiva, alors que ceux-ci y passent quelque 12 heures par jour.  Or, selon la preuve, aucun manuel scolaire laïc ne peut se trouver dans l’enceinte d’une Yeshiva, le tout causant des difficultés évidentes dans la gestion du temps pour ces adolescents.

[114]    Bernier, qui a terminé son implication auprès de la communauté Tash en  2017, témoigne que certaines ententes ont été prolongées, mais que tous les garçons avaient acquis des connaissances de base, même s’ils n’étaient pas encore au même niveau de scolarité que d’autres enfants de leur âge.

[115]    Pasinato quant à lui est demeuré impliqué jusqu’en 2018 et relate qu’en novembre 2018 quelque 80 à 90 enfants étaient toujours suivis par des intervenants de la DPJ.

[116]    Un changement législatif important survient le 9 novembre 2017 alors que la Loi modifiant la Loi sur l’instruction Publique et d’autres dispositions législatives concernant principalement la gratuité des services éducatifs et l’obligation de fréquentation scolaire (LLIP) entre en vigueur[37].

[117]    Cette loi visait à favoriser l’enseignement à la maison non seulement pour la population québécoise, et plus particulièrement pour tenter de régler les difficultés rencontrées par les enfants des diverses communautés hassidiques au Québec.

[118]    De fait, suite à ce changement législatif, était adopté le 1er juillet 2018 le Règlement sur l’enseignement à la maison[38] (« REM »).

[119]    Kelly est la directrice de l’Enseignement à la Maison, direction établie en septembre 2018 dans la foulée des changements législatifs.

[120]    Kelly explique que tout parent qui veut enseigner à la maison doit donner un avis tant à sa Direction qu’à la Commission scolaire dont est tributaire l’enfant.

[121]    Par la suite, le ou les parents doivent élaborer un projet d’apprentissage qui sera soumis pour approbation.

[122]    L’enfant jouissant de l’école à la maison est sujet à deux bilans annuellement, de même qu’à une rencontre de suivi.

[123]    Au moment de son témoignage quelque 6000 enfants québécois étaient inscrits au programme d’école à la maison dont quelque 830 enfants de la communauté Tash ainsi que 1412 enfants[39] des communautés hassidiques de Montréal.

[124]    Les enfants issus de la communauté Tash sont sous la responsabilité de la Commission Scolaire Wilfrid-Laurier (CSWL).

[125]    Une entente de services lie le MEQ à la CSWL depuis le 1er décembre 2018[40] et a été renouvelée jusqu’en 2020[41].

[126]    Kelly indique que trois (3) conseillers de CSWL sont affectés à temps plein au suivi des enfants de la communauté Tash et qu’en certaines occasions d’autres conseillers à temps partiel, viennent mettre l’épaule à la roue.

[127]    Kelly n’a noté qu’une seule difficulté d’application du programme, alors que les parents croyaient que les rencontres de suivi se faisaient avec eux et non pas avec leur enfant.

[128]    Un compromis a vite été atteint, alors qu’un membre de la communauté Tash est présent lors des rencontres de suivis.

[129]    Divers rapports d’activités sont soumis par la CSWL pour les périodes suivantes :

Janvier à mai 2019[42]

Mai à juillet 2019[43]

Septembre à décembre 2019[44]

[130]    Selon Kelly les rapports dénotent une progression satisfaisante de quelque 779 enfants comme en fait foi l’extrait suivant du rapport pour la période de mai à juillet 2019 :

« Overall, the children of the Tosh [sic] community submitted satisfactory portfolios.  Some families failed to provide us with porfolios, requested samples and/or the child’s self-reflection.  These families were given a ten day window to submit the work to the school board.  The parents that failed to comply with our request were given one last reminder before we appreciated their children’s work; these portfolios were assessed during the week of July 15 to July 19.  Out of 831children, 52 will be followed more closely during the 2019-2020 school year and 47 children in total submitted portfolios that need improvement.  The families requiring additional support had phone conversations with the consultants.  Their children’s result were explained and they were given reasons as to why they are receiving additional support next year.  The six families that did not comply with our June 30th deadline will be receiving letters that elaborate on their situation.[45]

[131]    Même si le rapport pour la période de septembre à décembre 2019 fait état de certaines frictions quant au programme de science, les conseillers ont fait comprendre aux parents qu’ils ne modifieraient pas le programme[46].

[132]    Gagnon de la direction de l’Enseignement Privé au sein du MEQ depuis 2012 témoigne des faits suivants :

[133]    Gagnon explique avoir été partie prenante à l’élaboration du projet de Loi 144 adopté en novembre 2017 et a participé à la Commission parlementaire ayant entouré l’adoption de cette Loi.

[134]    Elle relate les buts poursuivis par cette Loi que le Tribunal résume de la façon suivante :

·         Mécanismes de suivi pour mieux identifier les enfants.

·         Échange de dossiers avec d’autres ministères, notamment avec l’assurance-santé, pour bonifier ce suivi.

·         Pouvoirs accrus aux Commissions scolaires pour faire le suivi.

·         Collaboration accrue entre la DPJ et les commissions scolaires.

[135]    Elle explique également que dorénavant la DPJ peut intervenir pour des groupes de cinq (5) enfants et plus, ce qui n’existait pas auparavant puisque chaque intervention était pour un groupe de cinq (5) enfants maximum[47].

[136]    Ce changement vise les situations de carences éducatives pour un large groupe d’enfants, comme celles évoquées dans la présente affaire.

[137]    Finalement, à titre d’exemple de ces pouvoirs accrus, elle cite l’exemple du Collège Rabinique du Canada ayant fait l’objet d’un signalement en juillet 2019.  Voici les étapes suivies :

·         Mandat du Ministre le 4 juillet 2019[48].

 

·         Visite des lieux le 4 septembre 2019 et rapport[49].

·         Nouveau mandat le 26 septembre 2019 pour obtenir la liste des enfants[50].

·         Avis en vertu de l’article 18.01 de la Loi sur l’Instruction Publique du 6 décembre 2019 adressée au directeur général Mordechai Nelken quant à un groupe de 15 enfants ne remplissant pas leur obligation de fréquentation scolaire.

[138]    Elle relate également que ces changements législatifs visaient également non seulement des établissements d’enseignement des communautés hassidiques, mais également d’autres écoles non conformes au sein de la communauté québécoise[51].

 

LE droit applicable

[139]    Comme nous l’avons vu, les demandeurs ont fréquenté les établissements de la communauté Tash à la fin des années 80 et au début des années 90.  À cette époque, la loi qui balisait l’enseignement était Loi sur l’instruction publique (« LIP »)[52]. Les articles pertinents visant la fréquentation scolaire sont les articles 14 et 17. Le Tribunal les reproduit.

14. Tout enfant qui est résident du Québec doit fréquenter une école à compter du premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire suivant celle où il a atteint l’âge de 6 ans jusqu’au dernier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire au cours de laquelle il atteint l’âge de 16 ans ou au terme de laquelle il obtient un diplôme décerné par le ministre, selon la première éventualité.

17. Les parents doivent prendre les moyens nécessaires pour que leur enfant remplisse son obligation de fréquentation scolaire.

[140]    Par ailleurs, le LIP prévoit que c’est le gouvernement qui établit un régime pédagogique prévoyant entre autres :

1o  La nature et les objectifs des services éducatifs, de l’éducation préscolaire, d’enseignement, complémentaires et particuliers ainsi que leur cadre général d’organisation.[53]

[141]    La LIP prévoit également l’établissement de commissions scolaires,[54] lesquelles constituent des personnes morales de droit public.

[142]    Finalement, la LIP établit qu’il revient à la commission scolaire de s’assurer du respect du régime pédagogique établi par le gouvernement ainsi que ses exemptions le cas échéant. Le Tribunal reproduit l’article 222 de la LIP :

222. La commission scolaire s’assure de l’application du régime pédagogique établi par le gouvernement conformément aux modalités d’application progressive établies par le ministre en vertu de l’article 459.

Pour des raisons humanitaires ou pour éviter un préjudice grave à un élève, la commission scolaire peut, sur demande motivée des parents d’un élève, d’un élève majeur ou d’un directeur d’école, l’exempter de l’application d’une disposition du régime pédagogique. Dans le cas d’une exemption aux règles de sanction des études visée à l’article 440, la commission scolaire doit en faire la demande au ministre.

Elle peut également, sous réserve des règles de sanction des études prévues au régime pédagogique, permettre une dérogation à une disposition du régime pédagogique pour favoriser la réalisation d’un projet pédagogique particulier applicable à un groupe d’élèves. Toutefois, une dérogation à la liste des matières ne peut être permise que dans les cas et aux conditions déterminées par règlement du ministre pris en application de l’article 457.2 ou que sur autorisation de ce dernier donnée en vertu de l’article 459.

[143]    Par ailleurs, la Charte des droits et libertés de la personne[55] (« la Charte ») édicte que les parents ont le droit d’assurer l’éducation religieuse de leurs enfants conformément à leurs convictions, dans le respect des droits de leurs enfants et de l’intérêt de ceux-ci[56].

[144]    Toujours en vertu de la Charte, les parents ont le droit de privilégier l’école privée[57].

[145]    Si les parents exercent ce choix, l’établissement choisi doit se soumettre à la Loi sur l’enseignement privé la (« LEP »)[58]. Or, celle-ci impose à l’établissement d’être titulaire d’un permis délivré par le ministre[59].

 

[146]    Les permis délivrés en vertu de l’article 10 de la LEP sont valides pour une période maximale de 5 années et peuvent être renouvelés pour la même période au gré du ministre si l’établissement en cause rencontre les conditions réglementaires[60].

[147]    Les articles 18.1, 18.2 et 18.3 de la LEP permettent au ministre de refuser le renouvellement d’un permis ou encore de le faire en posant des conditions impératives.

[148]    Finalement, l’établissement privé doit dispenser le même régime pédagogique, que les écoles publiques, tel que libellé à l’article 25 que le Tribunal reproduit :

25. Le régime pédagogique applicable aux services éducatifs visés par  la présente section est le même que celui, édicté en application de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3), applicable aux services éducatifs de même catégorie dispensés par les commissions scolaires, pour tout ce qui concerne :

1.    les matières à enseigner, sous réserve des restrictions mentionnées au permis, le cas échéant;

2.    l’admission, l’inscription et la fréquentation scolaire, y compris les règles de passage d’un ordre d’enseignement à un autre;

3.    le calendrier scolaire et le temps prescrit, sauf le maximum prévu pour l’éducation préscolaire;

4.    l’évaluation des apprentissages et la sanction des études;

5.    les diplômes, certificats et autres attestations officielles que le ministre décerne, ainsi que les conditions applicables à leur délivrance.

Les modalités d’application progressive du régime pédagogique sont les mêmes que celles établies par le ministre en vertu de l’article 459 de la Loi sur l’instruction publique.

[149]    La LEP prévoit cependant un régime d’exemption à l’application du régime pédagogique applicable soit en vertu de la LIP, soit en vertu de la LEP. L’article 30 de la LEP en définit les paramètres. Le Tribunal le reproduit :

30. Pour des raisons humanitaires ou pour éviter un préjudice grave à un élève, l’établissement peut, sur demande motivée des parents d’un élève ou d’un élève majeur, l’exempter de l’application d’une disposition du régime pédagogique. Dans le cas d’une exemption aux règles de sanction des études visées à l’article 460 de la Loi sur l’instruction publique *chapitre I-13.3), l’établissement doit en faire la demande au ministre.

Il peut également, sous réserve des règles de sanction des études prévues au régime pédagogique, déroger à une disposition du régime pédagogique pour favoriser la réalisation d’un projet pédagogique particulier. Toutefois, l’établissement ne peut déroger à la liste des matières que dans les mêmes cas et aux mêmes conditions que ceux déterminés par règlement du ministre pris en application de l’article 457.2 de la Loi sur l’instruction publique ou sur autorisation de ce dernier donné selon les mêmes règles que celles prévues à l’article 459 de cette loi.

En outre, les dispositions du régime pédagogique portant sur des dérogations ou des exemptions s’appliquent aux établissements d’enseignement privés.

De plus, l’établissement peut, sous réserve des règles de sanction des études prévues au régime pédagogique, dispenser d’une matière prévue au régime pédagogique un élève qui a besoin de mesures d’appui dans le programme de la langue d’enseignement, de la langue seconde ou des mathématiques; la dispense ne peut toutefois porter sur l’un ou l’autre de ces programmes.

[150]    Finalement, et jusqu’à la sanction de la LLIP le 9 novembre 2017, l’article 115 de la LEP constituait à peu de choses près, le seul pouvoir de contrôle du ministre sur les établissements d’enseignement. Le Tribunal le reproduit :

115. Toute personne désignée généralement ou spécialement par le ministre à cette fin, peut, afin de vérifier si la présente loi et ses textes d’application sont respectés :

1.     avoir accès, à toute heure raisonnable, dans les installations de tout établissement d’enseignement privé visé dans la présente loi;

2.     examiner et tirer copie de tout registre ou document relatif aux activités régies par la présente loi;

3.     exiger tout renseignement ou tout document relatif à l’application de la présente loi.

[151]    Précisons également que la Loi sur la protection de la jeunesse[61] (« L.P.J. ») pouvait recevoir application par le truchement de signalements, notamment quant à l’absence de fréquentation scolaire, semblable signalement pouvait entraîner un constat de compromission pour l’enfant.

[152]    La LLIP, a élargi les pouvoirs du ministre et les obligations des commissions scolaires.

[153]    Ainsi, le ministre possède dès lors un pouvoir accru de contrôle auprès des institutions d’enseignements soumis à la LIP. Ce sont les articles 115 de la LEP et 478 de la LIP que le Tribunal reproduit :

115. Toute personne désignée généralement ou spécialement par le ministre à cette fin, peut, afin de vérifier si la présente loi et ses textes d’application sont respectés :

1. pénétrer à toute heure raisonnable, dans tout lieu où elle a raison de croire que des services éducatifs pour lesquels un permis est exigé en vertu de la présente loi sont dispensés, de même que dans les installations de tout établissement d’enseignement privé;

2. examiner et tirer copie de tout registre ou document relatif aux activités régies par la présente loi;

2.1 prendre des photographies ou effectuer des enregistrements;

3. exiger tout renseignement ou tout document relatif à l’application de la présente loi.

Malgré le paragraphe 1 du premier alinéa, pour pénétrer dans une maison d’habitation, une personne désignée doit obtenir l’autorisation de l’occupant ou, à défaut, un mandat de perquisition conformément au Code de procédure pénale (chapitre C-25.1)

Le propriétaire ou le responsable d’un lieu vérifié ainsi que tout autre personne qui s’y trouve sont tenus de prêter assistance à une personne désignée dans l’exercice de ses fonctions.

478. Le ministre peut désigner généralement ou spécialement une personne afin de vérifier si la présente loi et ses textes d’application sont respectés.

La personne désignée peut :

1.    pénétrer, à toute heure raisonnable, dans les locaux et immeubles de la commission scolaire, y compris ceux qui sont mis à la disposition des établissements d’enseignement de la commission scolaire, ou du Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal;

2.    examiner et tirer copie de tout registre ou document relatif aux activités de la commission scolaire et de ses établissements d’enseignement ou du Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal;

2.1   pénétrer, à toute heure raisonnable, dans tout lieu où elle a raison de croire que des enfants assujettis à l’obligation de fréquentation scolaire reçoivent une formation ou un enseignement qui n’est pas visé par la présente loi ou par la Loi sur l’enseignement privé (chapitre E-9.1) et exiger des personnes qui s’y trouvent qu’elles lui fournissent leurs noms et coordonnées ainsi que ceux des enfants et de leurs parents;

2.2   prendre des photographies ou effectuer des enregistrements;

3.    exiger tout renseignement ou tout document relatif à l’application de la présente loi.

Malgré le paragraphe 2.1 du deuxième alinéa, pour pénétrer dans une maison d’habitation, une personne désignée doit obtenir l’autorisation de l’occupant ou, à défaut, un mandat de perquisition conformément au Code de procédure pénale (chapitre C-25.1).

Le propriétaire ou le responsable d’un lieu vérifié ainsi que toute autre personne qui s’y trouve sont tenus de prêter assistance à une personne désignée dans l’exercice de ses fonctions.

[154]    Ainsi, selon la P.G.Q., le terme « pénétrer », utilisé dans la législation actuelle, donne des pouvoirs accrus aux agents désignés par le ministre a contrario de l’ancien libellé de l’article 115, alors que celui-ci utilisait plutôt l’expression « avoir accès à toute heure raisonnable ».

[155]    Ainsi, puisque l’ancien libellé comportait une notion d’autorisation par l’institution d’enseignement, ce qui n’est plus le cas depuis le 9 novembre 2017, les agents du ministère, peuvent pénétrer les locaux de l’institution d’enseignement sans autorisation suivant l’interprétation de la PGQ.

[156]    Les obligations accrues des commissions scolaires se rapportent entre autres à la fréquentation par les enfants des institutions scolaires publiques ou privées. Les articles 17.1 et 207.2 de la LIP sont d’intérêt, le Tribunal les reproduit :

17.1 La commission scolaire doit, à la demande du ministre et en utilisant les renseignements qu’il lui fournit concernant un enfant qui pourrait ne pas remplir son obligation de fréquentation scolaire ou ses parents, effectuer auprès de ces derniers les démarches qu’il lui indique afin de connaître et, le cas échéant, de régulariser la situation de cet enfant.

À cette occasion, elle doit en outre informer les parents des obligations découlant des articles 14 et 17 ainsi que des services éducatifs auxquels l’enfant a droit en vertu de la présente loi. Les parents doivent fournir à la commission scolaire, dans un délai raisonnable, tout renseignement qu’elle requiert relativement à la situation de leur enfant.

Lorsque les démarches n’ont pas permis de connaître la situation de l’enfant ou de la régulariser, la commission scolaire le signale au directeur de la protection de la jeunesse après en avoir avisé par écrit les parents de l’enfant.

207.2 La commission scolaire contribue, dans la mesure prévue par la présente loi, à ce que les enfants remplissent leur obligation de fréquentation scolaire.

(nos soulignés)

[157]    Finalement, la L.P.J. fut également modifiée par la sanction le 5 octobre 2017 de la Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions[62].

[158]    Les articles 37.8 et 38 de la L.P.J. telle qu’amendée le 5 octobre 2017 sont d’intérêt.  Le Tribunal les reproduit :

37.8 Tout établissement qui exploite un centre de protection de l’enfance et de la jeunesse doit conclure une entente avec une commission scolaire qui œuvre dans la région qu’il dessert en vue de convenir de la prestation des services à offrir à un enfant et à ses parents par les réseaux de la santé et des services sociaux et de l’éducation lorsque l’enfant fait l’objet d’un signalement pour une situation de négligence sur le plan éducatif en lien avec l’instruction qu’il reçoit ou en lien avec le respect de son obligation de fréquentation scolaire prévue au sous-paragraphe iii du sous-paragraphe 1 du paragraphe b du deuxième alinéa de l’article 38.

L’entente doit mettre en place un mode de collaboration visant à assurer le suivi de la situation de l’enfant.

Elle doit notamment porter sur la continuité et la complémentarité des services offerts et sur les actions qui doivent être menées de façon concertée. Les parties doivent s’échanger les renseignements nécessaires à l’application de l’entente.

38.  Pour l’application de la présente loi, la sécurité ou le développement d’un enfant est considéré comme compromis lorsqu’il se retrouve dans une situation d’abandon, de négligence, de mauvais traitements psychologiques, d’abus sexuels ou d’abus physiques ou lorsqu’il présente des troubles de comportement sérieux.

On entend par :

a)    abandon : lorsque les parents d’un enfant sont décédés ou n’en assument pas de fait le soin, l’entretien ou l’éducation et, que dans ces deux situations, ces responsabilités ne sont pas assumées, compte tenu des besoins de l’enfant, par une autre personne;

b)    négligence :

1.    lorsque les parents d’un enfant ou la personne qui en a la garde ne répondent pas à ses besoins fondamentaux;

i.      soit sur le plan physique, en ne lui assurant pas l’essentiel de ses besoins d’ordre alimentaire, vestimentaire, d’hygiène ou de logement compte tenu de leurs ressources;

ii.     soit sur le plan de la santé, en ne lui assurant pas ou en lui ne permettant pas de recevoir les soins que requiert sa santé physique ou mentale;

iii.    soit sur le plan éducatif, en ne lui fournissant pas une surveillance ou en encadrement approprié ou en ne prenant pas les moyens nécessaires pour que l’enfant reçoive une instruction adéquate et, le cas échéant, pour qu’il remplisse son obligation de fréquentation scolaire prévue par la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3) ou par toute autre loi applicable.

[]

(nos soulignés)

[159]    Ainsi, le cadre législatif de cette loi mentionne spécifiquement que le développement d’un enfant peut être compromis, et donc sujet à un signalement, si l’enfant ne reçoit pas une instruction adéquate et / ou qu’il ne remplit pas l’obligation de fréquentation scolaire.

[160]    Par ailleurs, les commissions scolaires ont depuis le 5 octobre 2017 le pouvoir de conclure des ententes pour offrir des prestations de service tant aux parents qu’aux enfants visant à assurer une instruction adéquate à ces derniers.

[161]    Autre élément important est l’ajout du deuxième alinéa à l’article 45 de la L.P.J.

« 45.   Tout signalement à l’effet que la sécurité ou le développement d’un enfant est ou peut être considéré comme compromis est transmis au directeur. Celui-ci doit le recevoir, procéder à une analyse sommaire et décider s’il doit être retenu pour évaluation.

 

Dans le cas où la situation d’un groupe de cinq enfants ou plus est signalée pour négligence sur le plan éducatif en lien avec l’instruction qu’ils reçoivent ou en lien avec le respect de leur obligation de fréquentation scolaire, le directeur doit, dans le cadre de son analyse, procéder à une vérification complémentaire dans le milieu familial des enfants ou dans un autre milieu qu’ils fréquentent, à moins qu’il ne dispose de toute l’information nécessaire lui permettant de retenir les signalements pour évaluation. »

 

[162]    Il s’agit donc là du cadre législatif propre aux maisons d’enseignement ainsi que les pouvoirs d’intervention des autres agences gouvernementales.

[163]    Nous avons vu que la LLIP sanctionnée le 9 novembre 2017 a également pavé la voie à l’enseignement à domicile.  Voici un extrait des « notes explicatives » de la LLIP :

« Aussi, la loi précise certaines dispositions relatives à la situation de l’enfant dispensé de l’obligation de fréquenter une école au motif qu’il reçoit à la maison un enseignement approprié.  À cet égard, elle établit les conditions afférentes à une telle dispense ainsi que le devoir du gouvernement de déterminer les normes réglementaires applicables en matière d’enseignement à la maison.

De plus, la loi impose aux commissions scolaires et aux parents certaines obligations visant à connaître la situation d’un enfant eu égard à son obligation de fréquentation scolaire et, le cas échéant, à la régulariser.  Elle introduit une interdiction générale d’agir de manière à compromettre la possibilité pour un enfant de remplir cette obligation.  Aussi, elle attribue aux personnes désignées par le ministre des pouvoirs visant à vérifier plus particulièrement l’application des dispositions relatives à l’obligation de fréquentation scolaire. »

[164]    Cette nouvelle réalité est encadrée par le REM en vigueur depuis  le 1er juillet 2018 et modifié le 8 juillet 2019.

[165]    En vertu du REM, le projet d’apprentissage doit[63] :

1.        soit prévoir l’application de tout programme d’études établi par le ministre en vertu du premier alinéa de l’article 461 de la Loi, comporter les activités ou contenus prescrits par le ministre dans les domaines généraux de formation qu’il établit en vertu du troisième alinéa de ce dernier article de même que prévoir la passation des épreuves imposées par la commission scolaire compétente en vertu du deuxième alinéa de l’article 231 de la Loi, selon ce qui serait compris dans les services éducatifs qui seraient dispensés à l’enfant s’il fréquentait une école.

2.        soit autrement viser l’acquisition d’un ensemble de connaissances et de compétences diverses et, à cette fin, notamment prévoir des activités variées et stimulantes ainsi que l’application des programmes d’études établis par le ministre en vertu du premier alinéa de l’article 461 de la Loi pour les services d’enseignement primaire et secondaire dans les matières suivantes :

           a)         une matière visant la langue d’enseignement et une matière visant la langue seconde, selon le choix des parents, l’une ne français et l’autre en anglais;

           b)         les matières obligatoires du domaine de la mathématique, de la science et de la technologie et du domaine de l’univers social, choisies parmi celles qui sont enseignées au cours du cycle d’enseignement dans lequel serait l’enfant s’il fréquentait l’école.

Pour l’application du paragraphe 2 du premier alinéa, un contenu visant l’atteinte des objectifs compris au programme de chaque matière doit être enseigné de façon à permettre une progression des apprentissages équivalente à celle applicable par cycle à l’école. »

[166]    Ce même REM encadre également l’évaluation des progrès des enfants notamment avec le concours des Commissions scolaires[64].

[167]    Par ailleurs, les parents doivent s’astreindre à dresser deux bilans écrits lesquels sont examinés par le Ministre[65] et si ceux-ci dénotent une lacune, le Ministre les convie à une rencontre visant à combler ces lacunes[66].

[168]    Voilà donc de façon succincte le cadre législatif entourant l’enseignement à domicile.

 

ANALYSE

[169]    Le contexte procédural d’une demande pour jugement déclaratoire doit être approfondi.  Cette demande est faite en vertu de l’article 142 C.p.C. Le Tribunal le reproduit :

« 142.  La demande en justice peut avoir pour objet d’obtenir, même en l’absence de litige, un jugement déclaratoire déterminant, pour solutionner une difficulté réelle, l’état du demandeur ou un droit, un pouvoir ou une obligation lui résultant d’un acte juridique. »

[170]    De nombreuses décisions de nos tribunaux ont encadré ce véhicule procédural.

[171]    Voici comment les auteurs Denis Ferland et Benoît Emery ont synthétisé l’essence de ces décisions :

« I-1097         Le demandeur doit rechercher la « solution » d’une « difficulté réelle », non au sens d’une instance déjà introduite, selon la Cour suprême – il y aurait alors « une espèce de litispendance »2 -, mais au sens d’une controverse entre deux parties, autre qu’un litige ou une controverse purement politique, non de simples questions hypothétiques4 ou des difficultés d’interprétation fictives5, mais des difficultés réelles d’interprétation.

I-1098            Le demandeur doit rechercher devant le tribunal, non une simple opinion, mais un jugement susceptible de mettre fin à l’incertitude ou à la controverse entre les parties7, à défaut de quoi le tribunal pourrait refuser de prononcer jugement[67].

(références omises)

(nos soulignés)

[172]    P.G.Q. ainsi que les autres défenderesses plaident avec force que même s’il y avait eu une difficulté réelle, celle-ci, considérant les changements législatifs n’existe plus.

[173]    En fait, les demandeurs veulent que le Tribunal qualifie l’inaction selon ce qu’ils allèguent, du gouvernement du Québec et de la CSSMI, de fautive.

[174]    Or, il ressort de la preuve qu’il n’y a plus de difficulté réelle puisque l’enseignement à la Maison permet de parfaire l’enseignement de matières séculaires tant pour les garçons que les filles issues des communautés hassidiques de Boisbriand et de Montréal.

[175]    Les demandeurs plaident qu’en raison du temps consacré aux études religieuses auxquelles sont astreints les garçons, il leur serait impossible de réussir leurs études.

[176]    Ce n’est pas ce que la preuve démontre.

[177]    Les trois (3) rapports déposés en preuve indiquent le contraire et font état du cheminement satisfaisant de presque tous les étudiants.  Évidemment, il s’agit d’un processus ardu, tant pour les élèves que les parents, qui partent de loin.

[178]    Non seulement, le processus de scolarisation de matières séculaires est-il bien engagé, mais la situation d’écoles illégales est beaucoup mieux encadrée depuis les changements législatifs.

[179]    Ainsi, la fréquentation scolaire est maintenant l’apanage du MEQ, des Commissions scolaires sur les territoires impliqués ainsi que de la DPJ, puisque le pouvoir d’intervention de celle-ci n’est plus limité à des groupes de moins de cinq (5) enfants.  La nouvelle disposition octroyant ce pouvoir a réglé, à compter de son entrée en vigueur, la situation qu’ont vécue les demandeurs.

[180]    Par ailleurs pour ce qui est des écoles illégales, tel le cas décrit par Gagnon[68], les nouvelles dispositions permettent de « pénétrer, à tout heure raisonnable dans tout lieu où elle a raison de croire que des enfants assujettis à l’obligation de fréquentation scolaire reçoivent une formation ou un enseignement qui n’est pas visé par la présente loi »[69].

[181]    De plus, à l’occasion de cette visite, les représentants du MEQ peuvent exiger la liste des enfants fréquentant cet établissement ainsi que celle de leurs parents.  En cas d’absence de collaboration, les représentants du MEQ peuvent obtenir l’émission d’un mandat de perquisition suivant les dispositions appropriées du Code de Procédure Pénale.

[182]    Bref, à l’occasion des modifications législatives et réglementaires de 2017, l’état s’est donné les moyens, pour que la difficulté ayant eu cours auparavant, n’existe plus.

[183]    Comme il n’existe plus de difficulté réelle et actuelle, ceci suffirait à disposer de la demande en jugement déclaratoire en la rejetant.  Quant à la situation pour le passé, se prononcer sur celle-ci reviendrait à rendre une simple opinion qui, de plus, ne mettrait fin à aucune controverse, ce qui permet également de rejeter la demande en jugement déclaratoire, dans la mesure où les conclusions de celles-ci impliquaient qu’il faille se prononcer sur cette question.

[184]    Par ailleurs, qualifier de fautifs les agissements du gouvernement du Québec et de la Commission scolaire Mille-Îles dans une demande pour jugement déclaratoire, ne constitue pas une issue possible, au moins pour certains reproches qui leur sont faits, ceux-ci ne relevant pas du champs opérationnel mais bien du champs politique, lequel est soustrait à l’action des tribunaux afin de préserver le principe de la séparation des pouvoirs.

[185]    Le Tribunal estime que la Cour d’appel dans l’arrêt Teja’s Animal Refuge c. Quebec (Attorney General)[70], résume bien la position que doit adopter le Tribunal :

« [17]              Even if Teja were held to enjoy public interest standing, the success of its action would depend on whether the relief it claims is within the proper scope of judicial review by way of a motion for declaratory judgment.  Since the on-going operation of L&P is no longer in issue, what remains is appellant’s claim that the Minister, and by extension Anima-Québec, have failed in their statutory duties to protect animals as a general matter.  The parties agreed that powers of the courts to render a declaratory judgment in regard to government action under a statute are substantial but not unconstrained.  Article 453 C.C.P. refers to the requirement that the appellant’s motion speak to the “resolution of a genuine problem” (in French “la solution d’une difficulté réelle”),  Moreover, the reach of the declaratory powers under article 453 does not permit courts to intervene in the political, as opposed to the operational, sphere of government.  Both of these considerations speak to the substantive requirement that a matter be properly justiciable before a court can render a declaratory judgment.

[25]                 It is generally agreed that a motion for declaratory judgment under the Code of Civil Procedure must not only bear on a genuine problem, but that it cannot bear on a purely political controversy.  This reflects a fundamental principle of constitutional law that the judiciary should not trench on powers that are properly exercised by the executive and legislative branches of government.  Assuming for the purposes of argument that the figures cited by the appellant are correct, should the funds and human resources devoted by the Minister to animal safety and welfare be higher? In the zero-sum game of government resource allocation, should animal protection as a social priority trump others priorities of government? Even within the four corners of the Act, should the Minister divert funds away from, say, livestock auctions or artificial insemination, and devote those funds to the enforcement of animal safety and welfare under Division IV.1.1? These questions are plainly political choices for which a minister is responsible to parliament in Canadian public law.  As such, they are not justiciable by the courts.  They involve what the Supreme Court described in a related context as “moral and political considerations which it is not within the province of the courts to assess”.  La difficulté réelle qui doit être réglée par le tribunal doit être de nature litigieuse.  Le pouvoir de rendre un jugement déclaratoire ne permet pas au tribunal de se prononcer sur des questions de nature politique[71].

(nos soulignements)

(références omises)

 

[186]    Le problème des écoles de confessions religieuses et opérant sans permis ne date pas d’hier.  Voici un extrait du journal des débats du 10 décembre 1992 de la Commission Parlementaire étudiant le projet de Loi 141 – Loi sur l’enseignement privé[72].

« Un autre élément à ajouter c’est qu’on a décidé, lorsque vous avez adopté la loi 107, de déjudiciariser l’obligation de fréquentation scolaire, justement pour des motifs de liberté individuelle.  Même si l’État reconnaît son droit d’imposer une fréquentation scolaire et un régime d’État, on reconnaît que, à la limite, il y a des parents qui ne veulent pas.  On a déjudiciarisé ça et on a fait obligation à la commission scolaire d’informer la DPJ, parce qu’on se dit : Peut-être qu’il y a d’autres types de problèmes derrière ça.  Mais, une fois franchie cette étape-là, on ne fait plus rien.  C’est la liberté individuelle.  C’est des cas d’exception.  Et la seule façon ce serait de rejudiciariser ça puis de les rentrer en prison ou d’imposer des amendes et, franchement, le passé d’une centaine d’années nous montre que ce n’est pas très efficace. »

[187]    Ainsi, un débat politique s’est tenu à l’issue duquel il fut décidé de déjudiciariser cette situation, en laissant toutefois la possiblité pour la DPJ d’intervenir.

[188]    Tel que relaté par la preuve documentaire, ce ne fut pas le seul débat ayant eu cours sur le sujet.

[189]    Il demeure qu’à cette époque et jusqu’en 2017, le choix politique adopté par les élus était d’imposer aux parents l’obligation de prendre les moyens nécessaires pour assurer la fréquentation scolaire de leur enfant par le truchement des articles 14 et 17 de la LIP.  Le Tribunal les reproduit à nouveau :

« 14.   Tout enfant qui est résident du Québec doit fréquenter une école à compter du premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire suivant celle où il a atteint l’âge de 6 ans jusqu’au dernier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire au cours de laquelle il atteint l’âge de 16 ans ou au terme de laquelle il obtient un diplôme décerné par le ministre, selon la première éventualité.

17.      Les parents doivent prendre les moyens nécessaires pour que leur enfant remplisse son obligation de fréquentation scolaire.

 

[190]    Rappelons qu’à cette époque, la DPJ ne pouvait intervenir que pour des groupes de cinq (5) enfants ou moins. 

[191]    Bref, le choix politique allait contre l’imposition de contraintes et nécessitait, pour le respect de l’obligation de fréquentation scolaire, le respect de la loi par les parents.

[192]    Or, dans le cas sous étude, cette collaboration individuelle était impossible en raison du fonctionnement même de la communauté Tash.

[193]    Rappelons le contexte.  La communauté Tash de Boisbriand fait le choix de s’isoler des autres communautés.  En fait, selon Deen, cette politique d’isolement par rapport au reste de la population est un trait commun aux communautés hassidiques.

[194]    L’état, par l’entremise de certaines directions du MEQ, a posé les gestes que les lois existantes lui permettaient de poser, sans plus.

[195]    Ces gestes, face à une communauté monolithique, se sont avérés inutiles, puisque confrontés à un manque de collaboration.

[196]    La preuve démontre que le MEQ a tenté à plusieurs reprises de s’assurer, que les membres de la communauté Tash inscrivent leurs enfants à la Commission scolaire.

[197]    Ces demandes ont été formulées auprès des dirigeants soit de l’Académie, soit des responsables de la Yeshiva.

[198]    En fait, ces demandes du MEQ étaient connues, non seulement des gestionnaires de ces établissements d’enseignement, mais également par l’autorité religieuse dispensant cet enseignement.

[199]    Le Tribunal doute fortement que ces demandes aient même été véhiculées aux tributaires de l’obligation créée par les articles 14 et 17 de la Loi sur l’instruction publique, soit les parents de ces enfants.

[200]    Il aura fallu, malheureusement, que la DPJ s’en mêle pour faire bouger les choses.

[201]    La preuve révèle que les parents des enfants de la Communauté Tash ont immédiatement collaborés avec les intervenants de la DPJ en signant des ententes d’engagement volontaire, lesquelles ont porté fruit[73].

[202]    Le Tribunal ne peut que se questionner, si les véritables auteurs des atteintes aux droits des demandeurs, répondront un jour de leurs actions.

[203]    En terminant, le Tribunal souhaite exprimer sa plus profonde empathie à l’égard des demandeurs pour ce qu’ils ont subi avant et après leur départ de la Communauté Tash.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

 

 

REJETTE la demande en justice pour jugement déclaratoire des demandeurs contre les défendeurs.

LE TOUT SANS FRAIS DE JUSTICE vu la nature du dossier.

 

 

 

 

__________________________________MARTIN CASTONGUAY j.c.s.

 

Me Bruce Johnston

Me Matthieu Charest-Beaudry

Me Clara Poissant-Lespérance

Trudel, johnston et lesperance

Avocats de Yochonon Lowen et Clara Wasserstein

 

Me Éric Cantin

Me Amélie Bellerose

Bernard roy (Justice Québec)

Avocats de Procureure générale du Québec

 

Me David Banon

Spiegel, sohmer, inc.

Avocats de Le Grand Séminaire Rabbinique de Montréal

Collège Rabbinique de Montréal Oir Hachaim D’Tash

Centre d’Éducation Religieuse Khal Oir Hachaim

Centre d’Éducation Beth Tziril

Yeshiva Oir Hachayim

Académie des Jeunes Filles Beth Tziril

Elimelech Lowy

 

Date d’audience :

10-11-12-13-17-19-20 février 2020




 



[1] Pièce P-179.

[2] Pièce : P-181.

[3] Par souci de précision, le Tribunal reprend les termes anglais utilisés par Lowen dans son témoignage puisque JEWISH LAW doit s’entendre dans un sens religieux et non pas législatif et COMMENTARIES constituent les interprétations qu’ont faites les érudits de la TALMUD et des JEWISH LAW au fil des siècles.

[4] Quant aux filles l’âge privilégié du mariage est 17 ans.

[5] Pièce : P-188, 500-17-057863-105.

[6] Il concède qu’il est maintenant âgé de 41 ans.

[7] Pièce : GSR-1.

[8] Pièce : P-189.

[9] Loi sur l’Enseignement Privé, c. E-9.1.

[10] Pièce : P-40.

[11] Pièce : P-41.

[12] Id., p. 7.

[13] Id., p. 12.

[14] Pièce : P-43, p. 3.

[15] Id., p. 3-4.

[16] Pièce : P-50, p. 3 (Situations).

[17] Pièce : Id. p. 3 (Ressources humaines).

[18] Pièce : Id. p. 7.

[19] Pièce : P-173 onglet B, p. 1-2.

[20] Pièce : Id. p. 4.

[21] Il faut noter que le mode de fonctionnement des Commissions scolaires a été largement modifié par l’adoption le 8 février 2020 de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire.  Projet de Loi no 40 (2020) c. 1.

[22] Pièce : P-67.

[23] Pièce : P-65.

[24] La preuve est muette sur ce qui s’est passé entre 2005 et 2009 quant aux garçons.

[25] Mandat est le terme utilisé par les Membres du MEQ dans leur témoignage.  Toutefois, il ne s’agit pas d’un mandat au sens pénal.

[26] Pièce : P-45, p. 8.

[27] Pièce : P-46, p. 2.

[28] Id., p. 2.

[29] Le titre de Monsieur Mayerovitz n’est pas indiqué à la lettre.

[30] Pièce : P-71, p. 1.

[31] Pièce : P-176.

[32] Id., p. 2.

[33] Id., p. 3.

[34] Pièce : P-178, p. 1.

[35] Id., p. 1.

[36] Pièce : P-180.

[37] Projet de Loi 144 (2017, c. 23).

[38] RLRQ, c. I-13.3r.6.01.

[39] Ceux-ci relèvent de la Commission Scolaire English-Montréal.

[40] Pièce : DPGQ-9.

[41] Pièce : DPGQ-10.

[42] Pièce : DPGQ-11.

[43] Pièce : DPGQ-12.

[44] Pièce : DPGQ-13.

[45] DPGQ-12, p. 10.

[46] Les parents s’inquiétaient du contenu traitant de la reproduction sexuelle.

[47] Le Tribunal retient que dorénavant un seul dossier aurait pu être ouvert pour l’ensemble d’enfants fréquentant une école opérant sans permis alors qu’auparavant, ce nombre était fonction des unités familiales avec un maximum de 5.

[48] Pièce : DPGQ-15.

[49] Pièce : DPGQ-16.

[50] Pièce : DPGQ-17.

[51] Pièce : DPGQ-19-20-21.

[52] RLRQ, c. I-13.3

[53] Id., art. 447.

[54] Id. art. 111 et 113.

[55] RLRQ, c. C-12.

[56] Id., art. 41.

[57] Id., art. 42.

[58] RLRQ, c. E 9.1.

[59] Id., art. 10.

[60] Id., art. 18.

[61] Loi sur la Protection de la Jeunesse RLRQ, c. P-34.1.

[62] Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions, L.Q. 2017 c. 18.

[63] Préc. note 33, art. 4.

[64] Préc. note 33, art. 15.

[65] Id., art.17.

[66] Id., art.18.

[67] Denis FERLAND et Benoît EMERY, La demande en justice, Éditions Yvon Blais, 2015, par. 1-1097 et 1-1098, EYB2015PPC34 (La référence).

[68] Par. 136 du présent jugement.

[69] LIP, article 478.

[70] Teja’s Animal Refuge c. Quebec (Attorney General), 2009 QCCA 2310, par. 17, 25.  Voir aussi, Cilinger c. Québec, [2004] R.J.Q. 2943 (C.A.) (Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour supreme rejetée) et Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228.

[71] Cet arrêt porte sur la protection des animaux mais illustre exactement le point de vue retenu par le Tribunal à l’effet qu’il ne doit pas s’immiscer dans le domaine politique.  Le lecteur est appelé à ne surtout pas considérer l’utilisation de cet arrêt comme un manque de respect à l’égard des demandeurs ou des diverses communautés hassidiques.

[72] Pièce : P-15, p. 8.

[73] Préc. note 32.