jeudi 10 décembre 2020

La population italienne passe sous les 60 millions, la gestion de la pandémie aggrave ce déclin

Billet originel du 1er décembre

En perdant 700 000 résidents au cours des cinq dernières années, l’Italie est passée sous la barre des 60 millions d’habitants.

La pandémie a rendu la situation démographique italienne encore plus difficile, car la crise économique affecte désormais la propension des Italiens à construire une famille, dans un pays où le taux de fécondité est de 1,3 enfant par femme et où le chômage des jeunes est parmi les plus élevés d’Europe.

EN AOÛT 2020, la population italienne est descendue au-dessous des 60 millions d’habitants pour la première fois depuis 2013. En cause, la hausse de la mortalité due à la pandémie et la baisse de la natalité. Cette barre symbolique était, en réalité, très prévisible dans un pays qui affiche un solde naturel négatif depuis 1993, et où l’immigration ne compense plus l’émigration et le manque de naissances.

La classe politique n’a jamais réellement affronté le problème, alors que la dépopulation affiche pourtant un rythme préoccupant : l’Italie a perdu environ 700 000 habitants au cours des cinq dernières années, et les décès records dus au coronavirus ont accéléré cette courbe.

La pandémie a rendu la situation encore plus difficile, car la crise économique affecte désormais la propension des Italiens à construire une famille. Une étude, conduite par Ipsos et l’Institut Toniolo, a demandé à un échantillon de jeunes Européens si leur projet d’avoir un enfant avait été modifié par l’épidémie : 36 % des personnes interrogées de nationalité italienne ont répondu avoir complètement abandonné cette idée, tandis que 37,9 % ont dit l’avoir seulement décalée. Des chiffres très différents de ceux des jeunes Français : 50 % de ces derniers ont déclaré décaler leur projet, mais seulement 14 % disent y avoir renoncé, tandis que 32 % n’ont pas changé d’avis — contre 25 % en Italie. En Italie, ces comportements devraient avoir un impact sur les naissances en 2020, mais aussi en 2021.

« Approche systémique ». Selon Francesca Puppi, chercheuse à l’université Catholique de Milan et coautrice de l’étude, il est indéniable que la crise aura des conséquences démographiques. Mais ils pourraient être atténués, sur le long terme, par la mise en place de politiques ciblées : « L’Allemagne était dans une situation comparable à celle de l’Italie. Mais, à partir du 2012, le gouvernement fédéral a affronté le problème. Aujourd’hui Berlin affiche un taux de fécondité de 1,6 enfant par femme, contre 1,3 pour l’Italie. Ce résultat est encourageant », explique la chercheuse, qui souligne que le gouvernement italien à tendance à ne regarder le problème qu’au travers de l’aide financière aux familles.

Ce point est important, mais insuffisant pour affronter l’hiver démographique du pays, insiste l’universitaire : « Inverser la courbe est possible, mais il faut une approche systémique. D’abord, on devrait donner un horizon aux plus jeunes, il ne suffit pas de prendre des mesures pour un ou deux ans, mais il s’agit de définir un avenir à moyen terme pour les encourager à faire des enfants. Ensuite, l’activité des femmes doit augmenter. En Italie, elle est trop faible, et cela a un impact sur le budget des familles. Enfin, il faut intervenir sur les services à l’enfance, notamment les crèches, et aider financièrement les couples via des allocations familiales. Les “trois jambes” doivent fonctionner ensemble, et il faut de la patience. »

Selon l’association Svimez, « en 2065 la population en âge de travailler aura baissé de 15 % dans le nord et de 40 % dans le sud »

Emploi des jeunes. Le gouvernement a commencé à intervenir sur le dernier point, en prévoyant à partir de juillet 2021, la distribution d’un chèque mensuel pour chaque enfant. La mesure devrait coûter environ 3 milliards par an et devra être approuvée par le Parlement. Concernant les crèches, le pays reste très en retard : selon l’OCDE, l’Italie consacre une part très résiduelle de son PIB (0,09 %) à ces infrastructures, tandis que la Suède (1,1 %), la France (0,63 %) et la Finlande (0,59 %) ont choisi d’y investir, avec des résultats très positifs en termes de natalité. L’Italie affiche également beaucoup de difficultés sur l’emploi des jeunes. Dans cette catégorie, le chômage est parmi les plus élevés en Europe — 29,7 % chez les 15-24 ans et 15,4 % chez les 25-34 ans. Le taux d’activité des femmes reste, lui, très bas : 56 % contre 75 % pour les hommes.

Conséquences de ces chiffres, les plus instruits partent à l’étranger. Depuis 2006, le nombre d’Italiens résidant en dehors de la péninsule a ainsi augmenté de 70 %, passant de 3,1 millions à 5,3 millions. Une hémorragie qui débouche sur trois problèmes : une baisse du nombre d’habitants, une diminution potentielle du nombre d’enfants, et une perte de capital humain bien formé. Selon l’association Svimez, qui étudie les problèmes de compétitivité économiques et industriels du sud de l’Italie, « en 2065 la population en âge de travailler aura baissé de 15 % dans le nord (-3,9 millions de personnes) et de 40 % dans le sud (-5,2 millions) ».

Source : L'Opinion

Répartition des projets de vie parmi les jeunes au début 2020

Vivre seul     Italie     Allemagne     France     Espagne     Royaume-Uni
Confirmé20,030,631,719,425,1
Reporté45,646,455,351,550,7
Abandonné34,423,013,029,124,2

100,0100,0100,0100,0100,0

Vivre seul     Italie     Allemagne     France     Espagne     Royaume-Uni
Confirmé23,136,841,426,430,6
Reporté43,450,543,852,651,4
Abandonné33,512,714,821,018,0

100,0100,0100,0100,0100,0

Se marier     Italie     Allemagne     France     Espagne     Royaume-Uni
Confirmé16,629,018,020,424,9
Reporté43,053,758,957,150,8
Abandonné40,417,323,122,524,3

100,0100,0100,0100,0100,0

Avoir un enfant     Italie     Allemagne     France     Espagne     Royaume-Uni
Confirmé25,630,732,021,223,0
Reporté37,955,150,749,657,8
Abandonné36,514,217,329,219,2

100,0100,0100,0100,0100,0

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Italie — Nouveau nadir démographique

Profs américains s'opposent à l'ouverture des écoles malgré les leçons européennes

Les salles de classe à Washington se remplissent à nouveau d’enfants — sauf qu’il n’y a pas d’enseignants. Dans le cadre de cet arrangement inhabituel, les élèves sont surveillés par du personnel non enseignant et non syndiqué et doivent apprendre avec leurs tablettes iPad à leur pupitre.

Peu de gens s’entendent sur qui rejeter la faute. Randi Weingarten, président de l’American Federation of Teachers, le syndicat national du personnel enseignant, affirme que le gouvernement de la ville de Washington est responsable, insistant sur le fait que le personnel reviendrait pour autant que ce retour se fasse sur une base volontaire.

« C’est la pagaille à Washington », de déclarer Mme Weingarten. « Mais cela ne devrait pas être ainsi — c’est très frustrant. »

L’impasse est symptomatique d’une réticence plus générale aux États-Unis (plus particulièrement dans les États démocrates) à rouvrir les écoles. Cet automne, les écoles ont rouvert dans la majeure partie de l’Europe. De nombreux gouvernements l’ont fait au départ principalement pour aider les parents à retourner au travail et pour stimuler leur économie. Ils s’inquiètent également du retard du niveau de scolarité, en particulier pour les élèves plus jeunes. Cette décision est étayée par un nombre croissant de preuves suggérant que les enfants sont moins susceptibles de propager la maladie et que la réouverture des écoles a eu peu d’impact sur la propagation de l’épidémie.

Dès ke début de l’été, des études indiquaient le peu de risque à garder ouvertes les écoles pour les moins de 15 ans. La Suède n’avait jamais fermé ni ses garderies ni ses écoles primaires ou secondaires (jusqu’à 15 ans) pendant la pandémie. Elle ne déplorait en juillet aucun décès dû à la Covid-19 chez 1,8 million d’enfants âgés de 1 à 15 ans. En outre, les enseignants n’avaient aucun excès de risque par rapport aux autres professions, leur mortalité était même inférieure (voir entretien avec Anders Tegnell du 23 juillet). La Suisse a commencé à rouvrir les écoles le 11 mai. À la fin juillet, une seule personne de moins de 30 ans était décédée du virus en Suisse.

Le redémarrage des écoles en Norvège et au Danemark, qui ont franchi le pas plus tôt que la plupart des pays, ne semble pas avoir entraîné une nouvelle poussée de Covid-19. Depuis, le reste de l’Europe a emboîté le pas de la Suède et de ses voisins scandinaves. Au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Espagne et dans la majeure partie du continent, la réouverture n’a pas eu d’impact notable sur la pandémie.


En Angleterre, par exemple, des éclosions se sont produites dans seulement 4 % des écoles primaires après leur ouverture, mais dans 22 % des écoles secondaires, selon les données des autorités sanitaires. D’autres données scientifiques provenant d’autres régions du monde montrent que plus les enfants sont jeunes, moins ils sont susceptibles de propager le virus. C’est pourquoi de plus en plus de pays ont adopté le modèle suédois.

Sur 94 pays qui ont rouvert leurs écoles à l’automne, 88 ont évité de nouvelles fermetures nationales. Selon Insights for Education, un centre de réflexion sur l’éducation ce serait dû aux mesures de santé renforcées telles que le port obligatoire de masques dans les locaux scolaires et la distanciation sociale dans les salles de classe.

Israël a été une exception notable : les cas ont plus que doublé dans les 50 jours qui ont suivi la réouverture des écoles à la fin du mois de mai, de nombreux cas étant liés à des enfants âgés de 10 à 19 ans. Français. Les scientifiques peinent à expliquer pourquoi, certains pensent que les températures caniculaires ont poussé les étudiants et les enseignants à abandonner leurs masques.

Aux États-Unis, des États dirigés par les républicains, notamment le Dakota du Nord, ont rouvert leurs écoles après les vacances d’été, souvent avec l’encouragement de l’administration Trump. Quatre mois plus tard, les responsables locaux sont surpris de voir que la pandémie a peu touché les salles de classe, alors même que les infections se propageaient rapidement dans la population plus âgée.

« Nous n’avons pas eu d’absences massives en raison d’étudiants infectés et obligés de rentrer chez eux », a déclaré Terry Brenner, directeur des écoles publiques de Grand Forks, dans le Dakota du Nord.

Terry Brenner estime que 15 % des élèves ont été infectés ou sont entrés en contact avec un autre élève infecté. Mais, conseillés par le service de santé local, la plupart des élèves exposés et qui n’avaient pas développé de symptômes ont pu continuer à suivre des cours, en portant un masque et en évitant des activités telles que jouer d’un instrument ou faire de l’exercice physique.

Le district de M. Brenner a été récemment contraint de fermer à nouveau ses écoles pendant 17 jours, mais uniquement parce qu’un grand nombre de membres du personnel avaient contracté la maladie en dehors de l’école.

Seuls 0,02 % des étudiants et 0,04 % du personnel ont été testés positifs dans des écoles qui ont rouvert aux États-Unis, selon Emily Oster, économiste à l’Université Brown qui a collecté des données.

Les taux d’infection étaient inférieurs à ceux de la communauté dans son ensemble, avec des pics qui épousaient ceux de la population générale — ce qui suggère que les écoles n’en sont pas la cause. Des événements dits super-propagateur (un groupe de cinq cas ou plus dans une école) ont été enregistrés dans moins de 5 % des écoles, une proportion similaire à ce qui a été observé au Royaume-Uni.

Manquer l’école signifie moins de compétences élémentaires et moins de perspectives de vie. Et cela se concentre parmi ceux qui peuvent le moins se permettre de rater l’école. Simon Burgess, université de Bristol.

Pourtant, la résistance à la réouverture des écoles est toujours forte dans de nombreuses régions, notamment démocrates, des États-Unis. À New York, les écoles ont de nouveau fermé le 16 novembre moins de deux mois après leur réouverture. Réouverture qui a été annulée après que le maire Bill de Blasio avait facilité les fermetures en assouplissement les critères pour ce faire. En Californie, 51 comtés sur 58 se trouvent désormais en zone « violette », ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas rouvrir s’ils n’étaient pas déjà ouverts. (Voir Corona — Les écoles publiques de la ville de New York referment)

Mme Oster a déclaré que l’atmosphère hautement politisée aux États-Unis ne facilitait pas les choses : « De nombreuses écoles dans les zones plus progressistes envisageaient de rouvrir, mais au moment où elles étaient sur le point de le faire, le président [Donald Trump] leur a dit qu’elles devraient le faire. Et donc beaucoup de ces gens ont changé d’avis et lui ont envoyé un doigt d’honneur. »



Comme leurs homologues européens l’avaient fait il y a quelques mois, les syndicats américains insistent sur le fait qu’il reste dangereux pour les enseignants de travailler. Mme Weingarten maintient cependant que « Si vous vous attaquez à la propagation au sein de la population et prenez les bonnes mesures de protection, les enfants — en particulier les plus jeunes — ne transmettront pas le virus dans les écoles. »

Pendant ce temps, l’éducation des enfants en pâtit. Selon l’organisation de recherche en éducation NWEA basée aux États-Unis, les étudiants âgés entre 8 et 13 ont obtenu des notes en moyenne inférieures de 5 à 10 % en mathématiques cette année comparées à celles des élèves qui ont passé les mêmes tests l’année dernière. Les premières données semblent indiquer que ces disparités sont pires encore pour les élèves issus de minorités et ceux qui fréquentent des écoles présentant de taux élevés de pauvreté.
 
Selon l’organisation américaine de recherche en éducation NWEA, les étudiants âgés de 8 à 13 ans ont obtenu en moyenne 5 à 10 % de moins aux tests de mathématiques cette année par rapport à ceux qui ont passé le test l’année dernière. Les premières données semblaient suggérer que les disparités étaient encore pires pour les élèves issus de minorités et ceux qui fréquentaient des écoles où le taux de pauvreté était élevé.
 
Sources : Financial Times, NWEA, ECDC, UNESCO

L'Invention du colonialisme écologiste

Éric Zemmour recense le dernier ouvrage de Guillaume Blanc, L’Invention du colonialisme vert. Guillaume Blanc y déconstruit l’idée d’une nature africaine vierge et offre une vision iconoclaste de l’Afrique sous le joug des ONG et de leur idéologie écologique.

Quand on entend le mot Afrique, on a tous les mêmes images en tête : une forêt vierge sans limites, seulement peuplée d’animaux sauvages en liberté. Les mêmes images d’une Afrique de dessin animé où l’on croit voir apparaître le petit Simba et son copain le phacochère Pumbaa gambadant dans la savane. Cette Afrique est un mythe qui n’a jamais existé. Cet Eden africain d’avant l’agriculture est une invention coloniale qui date de la fin du XIXe siècle ; mais qui a la vie longue. Il y a toujours eu des hommes dans les forêts africaines, pasteurs ou même agriculteurs. Pire ou mieux : les forêts n’ont pas préexisté à des hommes qui passeraient leur temps à les saccager ; ce sont eux qui ont planté les arbres qui deviendront forêts.

L’œuvre de déconstruction historique a parfois du bon. Elle nettoie les méninges des poncifs accumulés. Guillaume Blanc porte bien son nom : il est notre grand nettoyeur à sec. Notre historien de l’environnement, spécialiste de l’Afrique contemporaine, maître de conférences à l’université de Rennes, est adoubé par François-Xavier Fauvelle, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’histoire et d’archéologie des mondes africains. Nos deux universitaires, munis de leurs parchemins en règle, peuvent entamer leur travail salutaire de sape. Ils ne s’en prennent pas à n’importe qui. Ils ont mis dans leur viseur la crème de la crème des sacro-saintes ONG, UNESCO, WWF, Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), « ce Léviathan planétaire, cette élite internationale de dirigeants, cadres, experts, économistes. Persuadée qu’elle détient la vérité de l’Histoire, elle est assurée d’œuvrer pour le bien général », selon la pertinente description d’Edgar Morin. Guillaume Blanc ne les accuse pas seulement d’avoir pérennisé le mythe de l’Afrique sauvage éternelle. Il ajoute qu’ils reprennent ainsi une invention coloniale. Et après les mythes et les mots des colonisateurs, nos ONG ont aussi hérité du paternalisme et de la brutalité qui vont avec. Leur objectif est simple : constituer d’immenses parcs naturels, sur le modèle des parcs américains inventés au début du XXe siècle par le président Theodore Roosevelt. Leur méthode est radicale : « Ces espaces protégés doivent être vidés de leurs êtres humains : la naturalisation de toute une partie du continent, c’est-à-dire une déshumanisation de l’Afrique. »

Nos élites savent mieux que les Africains ce qui est bon pour l’Afrique. Ils se sont même donné comme mission de protéger l’Afrique des Africains. C’est ce que Guillaume Blanc appelle sans ambages le « colonialisme vert : on est passé du fardeau de l’homme blanc au fardeau écologique de l’expert occidental… » Nos experts étaient naguère conseillers et administrateurs coloniaux. Ils poursuivent désormais leur œuvre affublés de nouvelles casquettes : scientifiques consultants auprès d’organisations internationales ou conseillers des nouveaux États nés de la décolonisation. Ceux-ci poursuivent un double objectif. D’abord, grâce aux subsides des organisations internationales (et aux armes vendues par les États-Unis), mater les éventuelles dissidences de populations rebelles. Les mater au nom de l’écologie, c’est toujours plus chic aux yeux de la « communauté internationale ». Ensuite, les États africains veulent bénéficier des revenus du tourisme : « Les anciens territoires impériaux sont devenus les nouvelles colonies de vacances de l’Occident. » La reconnaissance de l’UNESCO, du WWF et de l’UICN leur est indispensable, car si ces ONG inscrivaient leur territoire sur la liste du « patrimoine mondial en péril », ce terme infamant serait repris par le Guide du routard et le Lonely Planet et découragerait les touristes. Adieu safaris, touristes en shorts et casquettes, et bons dollars ou euros sonnants et trébuchants…

Notre auteur prend l’exemple de l’Éthiopie, et au sein de ce pays, du parc de Simien. Mais son fil rouge éthiopien peut être généralisé à tout le continent. Les régimes et les idéologies adverses se succèdent au pouvoir (monarchie d’Hailé Sélassié ou marxisme-léninisme du général Mengitsu), mais les méthodes et les experts internationaux restent les mêmes. Ceux qui payent le prix fort sont les habitants de cette « nature inviolée » qui sont obligés de quitter leurs terres, détruire leurs maisons, se voient interdire de vivre de leur culture traditionnelle, agriculture ou pastoralisme ou chasse. Au cours du XXe siècle, 350 parcs nationaux ont été érigés, et un million de personnes en ont été chassées. Cette alliance est redoutablement efficace : « Sans l’expert, le dirigeant ne peut pas tout à fait contrôler les citoyens africains ; et sans le dirigeant, l’expert ne peut pas tout à fait contrôler la nature africaine (…). Cette mondialisation de la nature africaine (s’opère) dans le cadre des États nations qui vont jusqu’à déplacer des villages entiers — quelque chose qui n’avait jamais été réalisé à l’époque coloniale : accepter d’évacuer des hommes pour faire une place aux animaux. L’Eden a beau être factice, il n’en est pas moins utile. »

La décolonisation a permis de rendre la colonisation verte bien plus efficace selon le schéma révolutionnaire classique : en son temps, Mirabeau avait expliqué à Louis XVI que la Révolution française donnerait à l’État royal la force dont avait rêvé Richelieu pour achever son travail d’unification nationale derrière le pouvoir central.

Guillaume Blanc accroche au veston de nos élites vertes le grelot du colonialisme pour mieux les dénoncer. C’est juste historiquement et habile tactiquement ; mais c’est dépassé idéologiquement. Ce qu’il observe et dénonce est en vérité un embryon de « gouvernement mondial » au nom de l’écologie. Ce « traitement par le monde de la nature africaine » est la mise en œuvre d’une idéologie mondialiste qui n’a pas l’Afrique comme seule victime. Guillaume Blanc s’insurge contre le deux poids deux mesures des experts : en Afrique, la volonté d’une nature vierge sans hommes, qu’ils soient pasteurs ou agriculteurs ; en Europe, l’éloge par les mêmes experts de « 5 000 ans d’agro-pastoralisme ». Mais que dire de l’introduction du loup ou de l’ours dans les Pyrénées, qui ravagent les cultures et les troupeaux au grand dam des bergers et des paysans qui ne sont pourtant pas africains ? En tous lieux, notre écologie politique est d’abord un antihumanisme. Dans le Simien comme dans tant d’autres parcs du continent, se plaint notre auteur, les habitants font leur entrée définitive dans la mondialisation sur ce registre profondément contradictoire : offrir la nature au peuple ; empêcher le peuple d’y vivre. Ils ne sont pas les seuls.

L’INVENTION DU COLONIALISME VERT
par Guillaume Blanc,
paru le 9 septembre 2020 aux éditions Flammarion,
à Paris
296 pp.,
21,90 €.
ISBN-13 : 978-2081504394