lundi 9 décembre 2019

Climat — « L'Occident est fatigué et déprimé »

Extinction Rebellion, Greta Thunberg, catastrophisme, nucléaire... Rencontre avec Pascal Bruckner et l’écologiste pragmatique Michael Shellenberger.  Farouches contempteurs de l’écologie radicale, ils se connaissent depuis 2012. Nommé « héros de l’environnement » par le magazine Time en 2008, l’Américain Michael Shellenberger est un écologiste pragmatique qui défend le nucléaire comme meilleur outil pour lutter contre le réchauffement climatique. Bien connu de nos lecteurs, l’essayiste et romancier Pascal Bruckner, qui vient de publier Une brève éternité (Grasset), voit dans l’écologisme politique une tentation totalitaire.


Bruckner (à gauche) et Shellenberger (à droite)

Le Point — Vous êtes tous les deux des critiques de l’écologie radicale. Pourquoi ?

Michael Shellenberger — Je pense qu’il y a un lien entre les changements globaux que sont l’élection de Trump, le Brexit ou la montée du nationalisme et Extinction Rebellion, et Greta Thunberg. L’argument développé par Pascal dans Le Fanatisme de l’apocalypse, c’est que le climat s’est imposé comme un problème à la fin de la guerre froide. J’étais moi-même alarmiste à propos de la guerre froide et du risque de guerre nucléaire et, lorsqu’elle a fini, très abruptement, je me suis dit « où est passé mon millénarisme  ? ».

J’ai donc recyclé ma crainte de la fin du monde vers une peur de catastrophe environnementale. Quand les activistes climatiques parlent du changement climatique, ils le font de la même manière qu’ils parlaient de la guerre nucléaire avant la chute du mur de Berlin. Aujourd’hui, nous assistons à une désintégration de l’ordre politique planétaire, avec un repli sur les frontières nationales. On le voit avec le retrait des États-Unis du Moyen-Orient. Extinction Rebellion et Greta Thunberg sont des réactions à Trump et au Brexit, le signe d’une panique chez les progressistes, internationalistes et cosmopolites contre ce retour à un nationalisme de droite. Je pense que ça ne fonctionnera pas, parce qu’il y a trop peu de raisons de garder une solidarité internationale libérale aujourd’hui. On risque de revenir à un monde bipolaire, États-Unis contre Chine. Je ne sais pas ce que l’Europe sera dans ce nouveau monde.

Pascal Bruckner — Il y a beaucoup de choses dans ce que vient de dire Michael. La fin de la guerre froide a posé un problème majeur à l’Occident : la disparition de l’ennemi. On a donc cherché un ennemi de substitution. L’altermondialisme a d’abord succédé au communisme, puis ont suivi l’écologie et l’islam radical. Avec l’écologie profonde, l’ennemi est devenu l’homme lui-même. L’homme en ce qu’il est le créateur de son destin et en tant que dominateur de la nature pour imposer sa culture et sa civilisation. Toute l’ambiguïté de l’écologie est qu’on ne sait jamais si elle cherche à sauver la Terre ou à punir les hommes. Il semblerait qu’on ait envie de punir les hommes, et il y a d’ailleurs toute une fraction de l’écologie qui est exterminatrice. C’était déjà le cas avec le commandant Cousteau qui préconisait la disparition de plusieurs centaines de millions d’hommes, c’est vrai aussi avec les collapsologues comme Yves Cochet qui envisage avec un grand sourire l’extinction de l’espèce humaine. Sur ce plan-là, Extinction Rebellion est intéressant parce que ce sont des enfants de la classe moyenne supérieure, plutôt bien élevés et bien éduqués [enfin... plutôt qui ont fréquenté l’école pendant de nombreuses années].

Cela me fait penser à cette phrase : « Si un million d’enfants veulent nettoyer la Terre, qu’ils commencent par nettoyer leur chambre ! » Je ne dis pas ça pour polémiquer, mais je suis allé voir le site d’Extinction Rebellion place du Châtelet à Paris, après leur départ, et c’était immonde ! Il y avait des déchets partout. Je ne comprends pas que de jeunes gens, animés d’intentions généreuses, ne commencent pas par nettoyer leurs propres saletés ou, mieux encore, les sites de déchets qui parsèment la grande couronne parisienne. Ce n’est sans doute pas assez noble pour eux, ils aiment les grandes idées, pas les petits gestes. Extinction Rebellion veut détruire le capitalisme. Il y a du boulot, car d’autres se sont essayés avant eux. On a l’impression que l’écologie n’est que le prétexte pour reprendre des mots d’ordre très anciens. Ces jeunes gens me paraissent très vieux...

À gauche, on regrette la vie agraire ; à droite, c’est plutôt l’âge d’or des sociétés industrielles. Mais personne ne propose une vision du futur.

Jeunes filles en colère « pour le climat » (et contre la consommation de bœuf, le colonialisme, etc.)


—  Si on vous écoute, l’écologie est une idéologie comme le communisme. Mais il y a aujourd’hui une urgence climatique !

M. S. — Si on se préoccupait vraiment du climat, on demanderait la construction de centrales nucléaires qui fournissent une énergie décarbonée, et le monde entier s’inspirerait du mix énergétique français, dans lequel le nucléaire représente plus de 70 % de l’électricité. Mais les écologistes sont antinucléaires  ! Leurs objectifs n’ont donc pas grand-chose à voir avec la réduction des émissions de CO2, ils veulent réduire toute consommation énergétique. Leurs demandes ne concernent même pas tant les énergies renouvelables que la décroissance, et le fait qu’on ne prenne plus la voiture comme l’avion. À Londres, Extinction Rebellion a même bloqué le métro. On considère souvent l’apocalypse comme un Armageddon, mais, dans la pensée grecque et biblique, l’apocalypse est la révélation d’un nouveau monde, d’un nouvel ordre. Pascal, penses-tu que Extinction Rebellion ou Greta Thunberg correspondent à une demande d’utopie ou alors est-ce la destruction de nos sociétés ?

P. B. — C’est une sorte de messianisme négatif, issu du Moyen Âge. Mais, au Moyen Âge, ces grandes utopies avaient une connotation religieuse. Là, c’est une religion païenne qui met Gaïa au centre des revendications d’austérité, de pauvreté volontaire. Le modèle vient des communes paysannes, un peu comme les amish aux États-Unis [les Amish ont des enfants, nombreux, eux. C’est plutôt une résurgence des Cathares ou des Shakers qui sont contre la reproduction]. On retrouve aussi tous les attirails des zadistes, qui cumulent plusieurs époques dans leurs modes vestimentaires. Je suis sûr que Chanel s’en emparera un jour pour faire des défilés. Le monde moderne étant celui de l’argent roi, il faut revenir à la vie villageoise originelle, sans inégalité flagrante, où les rapports humains n’étaient pas corrompus par l’argent. Il faut détruire le monde actuel, qui est un obstacle à cette pureté originelle. Tout se mélange d’ailleurs dans leur discours : j’ai vu une vidéo sur Arte qui parle du mouvement « écosexuel ». C’est une sorte de panthéisme sensuel, mais on ne peut pas dire la même chose de Greta Thunberg ! Elle, c’est le visage hargneux d’une certaine jeunesse accusatrice, qui explique que l’heure des châtiments est arrivée, que nous avons trop joui, et que la fête industrielle est finie, comme disait Hans Jonas. Pour l’instant, un mouvement comme Extinction Rebellion présente un visage non violent. Jusqu’à quand  ? Je ne sais pas, mais ils ont déjà envahi un centre commercial en interdisant aux gens de consommer. Tous nos gestes quotidiens sont frappés d’interdits, sont montrés du doigt, notre simple mode de vie est un péché et je ne suis pas sûr que les Français vont adhérer longtemps à ce genre de discours.

M. S. — Donc tu penses qu’il y a dans ce mouvement la vision d’une société agraire ?

P. B. — La commune agraire était déjà très importante chez les bolcheviks, sous le maoïsme pendant la révolution culturelle, mais aussi chez les Khmers rouges. C’est le retour à la terre, qui a toujours été vécu par les hommes comme une punition, parce que c’est la condition du serf et du manant, courbé sur la glèbe. On voudrait renvoyer l’humanité entière à cette condition-là. Vous avez d’ailleurs l’exemple des néo-ruraux, qui s’extasient de voir pousser un concombre ou une tomate.

M. S. — Cette gauche écologiste, plus radicale, a éclipsé la gauche modérée. Mais cette gauche radicale n’existe pas dans un vide, elle prend naissance dans un contexte de retour du nationalisme. Le centre décline alors que les extrêmes montent. Cette poussée, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite, est marquée par la nostalgie. À gauche, on regrette la vie agraire ; à droite, c’est plutôt l’âge d’or des sociétés industrielles. Mais personne ne propose une vision du futur. Moi, mon utopie est une société avec beaucoup d’énergie, marquée par la vitesse, le voyage et la découverte… C’est une vision du monde futuriste, celle de la Silicon Valley ou de Walt Disney, avec une ville blanche qui ne serait pas noire de fumée, car utilisant l’énergie nucléaire. Mais personne ne se fait le porte-parole de cette vision ! Peut-être que le fait que les humains puissent être amoureux de l’idée du futur était temporaire, en gros du XIXe siècle aux années 1930. Après, plus personne n’a plus rien à dire de positif sur le futur. C’est vraiment triste. Moi, ma vision du futur, c’est que 11 milliards d’individus sur Terre puissent vivre des vies intéressantes : que le monde soit plein d’animaux sauvages parce que les surfaces agricoles se seront réduites du fait de fermes hydroponiques.  Pourquoi tout le monde est-il devenu nostalgique ?

P. B. — Michael a raison, il y a un déclin de l’idée de progrès et de l’idée d’avenir. Les deux grands marqueurs de ce déclin sont Hiroshima et Auschwitz. Ces deux événements ont jeté un voile sombre sur notre siècle, qui ne s’en est jamais remis. La réalisation des dégâts du monde industriel a aggravé le cas du progrès, et l’avenir prend aujourd’hui le visage de la catastrophe. Depuis Heidegger, Ivan Illich, Jacques Ellul puis Hans Jonas, on décrète l’aventure technologique finie : il faut se préparer aux vaches maigres. Nous en sommes au mercredi des Cendres, la punition va arriver. Cela posé, il y a différents types de collapsologues : le type solidaire, proche du personnalisme chrétien (Pablo Servigne), le type apocalyptique (Aurélien Barrau, avec son allure à la Charles Manson), le type de la schadenfreude — en allemand, de la joie mauvaise éprouvée face au malheur des autres — propre à Yves Cochet qui tire de ses prédictions noires une bonne humeur étonnante. Dans les interviews qu’il donne, Cochet semble se délecter que des centaines de millions d’humains vont mourir. Les catastrophistes se réjouissent qu’une providence divine ou matérielle vienne nous donner une bonne correction, la catastrophe n’est pas leur crainte, elle est leur souhait le plus profond. C’est là qu’on reconnaît les prémisses d’une pensée réactionnaire, voire fascisante. Il ne faut pas oublier que les premières lois écologistes en Europe sont les Reichsnaturschutzgesetz, promus en 1935 par le régime nazi. Il y a dans l’écologie contemporaine une tentation totalitaire que l’on voit affleurer ici ou là. Je lisais dans Le Monde un article de Jean-Baptiste Fressoz suggérant que l’État impose une diète à l’ensemble de la population, et nous prescrive quoi manger, comment et dans quelle proportion. Et qu’on ne vienne pas lui parler « d’écofascisme », puisque c’est au nom de la Terre qu’il faisait cette requête. Je suis tombé des nues en voyant cet article, et étonné que personne n’y réponde. Les futurs commissaires politiques du climat affûtent leurs armes.


— En France, on considère parfois Pascal Bruckner comme un réactionnaire, alors qu’il défend l’idée de progrès. Comment expliquer ce paradoxe ?

P. B. — Plus je vieillis, plus je crois au progrès ! Je dois ma survie à la médecine et à la science. Il y a 100 ans, je serais probablement mort. C’est le sujet de mon dernier livre Une brève éternité, empli de gratitude envers la modernité même s’il faut distinguer le progrès moral du progrès matériel. Je reste un moderne, mais un moderne prudent.

M. S. — Beaucoup sont incapables d’imaginer que l’optimisme ne soit pas du déni. Pour un catastrophiste, être optimiste à l’égard du futur veut dire nier le changement climatique, ce qui est faux. Ce qui me fait peur, et on l’a vu après le discours horrible de Greta Thunberg devant les Nations unies, c’est que c’est Poutine qui aujourd’hui explique que beaucoup de pays pauvres voudraient se développer. Qui sont les défenseurs de la modernité aujourd’hui ? Poutine et Xi Jinping. Les Chinois et les Russes défendent la modernité et les aspirations des pays en développement. J’ai passé du temps en Afrique, où l’on m’a dit « on préférerait que ce soient les Américains qui investissent dans notre pays, mais ce sont les Chinois ». Ce qui est préoccupant, c’est que la Russie et la Chine ne sont pas des démocraties, mais des États autoritaires. Je suis favorable à l’énergie nucléaire que développent ces pays, mais, en Chine, il semble que le gouvernement récolte les organes des opposants politiques, utilise les réseaux sociaux et la reconnaissance faciale pour créer le panoptique [une architecture carcérale qui permet aux surveillants de tout voir] que Foucault craignait tant ; et Poutine se comporte comme un dictateur. Le mariage entre une croyance dans le progrès et la démocratie libérale était peut-être un phénomène temporaire. Je pensais, naïvement, que la prospérité conduirait la Chine à se démocratiser. Quelle erreur ! Comment peut-on être optimistes quand les seuls qui croient au futur et au progrès sont des leaders de régimes autoritaires ? Il semble que l’Ouest soit bien fatigué.

P. B. — Le fait d’être l’un des premiers à avoir critiqué Greta Thunberg en parlant d’infantilisme climatique me vaut encore les insultes de toute la doxa médiatique. J’ai même entendu quelqu’un sur France Culture parler de vieux mâle blanc à la virilité défaillante. Je ne vois pas le rapport ! Soutenir Greta, ce serait donc afficher une virilité triomphante ? Je pensais faire une remarque de bon sens : dans le cas de Greta Thunberg, la messagère cache le message. C’est une création médiatico-familiale, qui accapare totalement l’attention, et on a l’impression que l’écologie a commencé il y a un an, alors qu’on en parle depuis quarante ans ! Quand on dit qu’elle est un phénomène mondial, c’est faux aussi ! Elle n’est pas connue au-delà des États-Unis, de l’Europe et de l’Australie. Ailleurs, on la regarde comme une jeune fille de la bourgeoisie suédoise légèrement indécente quand elle ose se plaindre d’un sort enviable pour des millions d’autres enfants. Si une petite fille des îles Fidji ou des Maldives s’inquiétait de la montée des eaux, on aurait approuvé, mais Greta Thunberg, c’est le phénomène de l’enfant vedette, hypernarcissique, courtisée par Arnold Schwarzenegger, Leonardo DiCaprio et toute l’industrie du spectacle. Ses solutions, décroissance et privation, sont sommaires. Je crains pour son avenir, car ce sera dur pour elle après tout cette attention médiatique.


—  Est-ce que vous deux n’êtes pas trop obsédés par Greta Thunberg ?

M. S. — Qui est obsédé ? Elle est partout ! Tout le monde veut parler d’elle. C’est tellement cynique. Les écologistes radicaux se servent de Greta Thunberg comme d’une arme et, quand quelqu’un la contredit, ils accusent les critiques d’attaquer une enfant. Al Gore était Moïse, et Greta Thunberg, c’est Jeanne d’Arc.

P. B. —  Jeanne d’Arc croisée avec Fifi Brindacier. Tous ces adultes qui la soutiennent sont frappés de jeunisme : ils veulent absolument monter dans le train de l’histoire, prêts à courtiser n’importe quelle cause pour se sentir dans le coup.

M. S. — Je trouve intéressant que Pascal, qui est un homme d’un certain âge [70 ans], écrive sur le sexe, l’amour, et se montre jeune dans sa vision du monde, alors que Greta est un esprit âgé dans le corps d’une jeune femme. C’est un peu tragique, tous ces jeunes qui décrivent leur propre mort. Il semble que la gauche avait deux impulsions. Les hippies, avec leur amour libre, évoquaient un peu Peter Pan. Aujourd’hui, la gauche radicale est constituée de jeunes qui se comportent comme des grenouilles de bénitier. La candidate qui va probablement prendre la tête des sondages est Elizabeth Warren, apocalyptique à propos du changement climatique, et antinucléaire, parce qu’évidemment il n’y aura pas d’apocalypse si on développe une énergie décarbonée. Et, sans apocalypse, comment moraliser et mobiliser ? À chaque fois qu’Elizabeth Warren parle, j’ai l’impression d’être sur le point d’être puni. Pascal, pourquoi est-ce que le dynamisme et la jeunesse sont incarnés par la Russie et la Chine, malheureusement dans des États illibéraux et autoritaires, alors que l’Occident est fatigué et déprimé ?

P. B. — L’Europe est affectée depuis longtemps d’un complexe de culpabilité dû à son passé colonial. Elle a occupé le monde pendant quatre siècles. Contrairement à l’Empire ottoman qui a occupé une partie du monde pendant six siècles, elle éprouve un remords profond pour l’esclavage et l’impérialisme. Cette mauvaise conscience est en train de gagner la gauche américaine. Les États-Unis s’européanisent dans le camp démocrate et tout d’un coup regardent le progrès, nos acquis sociaux et culturels comme étant des marques d’infamie. L’histoire ne va plus vers le mieux, elle va vers l’effondrement. C’est la métaphore du Titanic utilisée par tous les écologistes. Nous sommes sur le Titanic et l’iceberg est là quelque part dans la nature. Une partie de l’Occident veut mourir, je le répète depuis Le Sanglot de l’homme blanc. Cette pensée funeste ne peut qu’instiller le désespoir dans la jeunesse. Si j’avais 18 ans aujourd’hui et que j’écoutais Greta Thunberg et Extinction Rebellion, je me dirais que mes parents m’ont volé mon avenir. Et, par conséquent, je ne peux faire rien d’autre que brûler des voitures ou me retirer à la campagne en attendant la fin du monde. Mais Greta Thunberg ou ces militants ne sont que des perroquets reprenant des mots qu’on leur a instillés. Il y a une volupté narcissique à entendre nos enfants [ou ceux confiés à l’école] nous dire « vous avez détruit ce monde ». Comme le dit Michael, il faut effectivement retrouver le sens de l’histoire, aller dans les pays pauvres ou anciennement pauvres comme la Chine ou l’Inde, qui ont gardé l’espérance d’un lendemain meilleur.

M. S. — Nietzsche, dans sa Généalogie de la morale, se demande pourquoi des gens voudraient devenir ascètes et se priver de nourriture. Parce que ça vous fait vous sentir puissant, ça vous donne du pouvoir sur les autres, et le pouvoir nous donne du plaisir ! C’est, je crois, ce qui est en train de se passer aujourd’hui. C’est sain, quand vous êtes un adolescent, d’être rebelle sur une courte période. Mais toute la société semble être devenue adulescente, même les gens au pouvoir. L’espoir pour un meilleur avenir est à chercher du côté de pays comme le Rwanda [c’est une scie : le Rwanda est une dictature assez brutale (voir documentaire de la BBC interdit de diffusion à Kigali) qui trafique ses chiffres macro-économiques !].

—  La démocratie libérale serait-elle une parenthèse dans l’histoire ?

P. B. — L’esprit des peuples en Europe occidentale est fatigué et inquiet. C’est un autre débat que l’écologie, mais les citoyens ont le sentiment aujourd’hui, et c’est le sens des protestations souverainistes et des démocraties illibérales, que l’Europe n’a pas su les protéger de la mondialisation, de l’immigration, du terrorisme islamique, et que, par conséquent, il faudrait revenir à une forme nationale plus classique pour retrouver la maîtrise de son destin. L’une des sources de l’épuisement démocratique, c’est ce sentiment de dépossession. Nous ne sommes plus maîtres chez nous. Nous pouvons même dans certains quartiers devenir étrangers. Ça explique cette méfiance vis-à-vis de la démocratie libérale. C’est pour cela qu’on retrouve chez des gens une grande admiration pour les despotes comme Erdogan ou Poutine, vénérés parce qu’ils font ce qu’ils disent. Aux yeux des populistes, la démocratie se perd dans des procédures interminables du fait de l’État de droit, alors que les démocratures sont, elles, beaucoup plus directes. Tout cela explique pourquoi les vieilles démocraties que nous sommes souffrent d’une crise de conscience. L’aspiration démocratique n’est pas morte, mais elle est en crise. Des sociétés, à certains moments, n’acceptent plus la tutelle d’un régime autoritaire, comme on peut le voir à Hongkong. Il y a un aller-retour étonnant entre de vieux peuples favorisés qui veulent un tyran pour les rassurer et de jeunes populations qui souhaitent renverser la tyrannie pour goûter à la liberté.

M. S. — Du fait de l’arme nucléaire, les guerres entre États disparaissent. Les taux de mortalité sur les champs de bataille n’ont jamais été aussi bas. On se tue désormais sur les réseaux sociaux ou à travers les idées politiques (rires). Si la gauche revient au pouvoir aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, Extinction Rebellion disparaîtra. Mais, si Trump est réélu, cette guerre culturelle se poursuivra. La gauche est bien devenue violente dans les années 1960 et 1970.

P. B. — Ce qu’on expérimente en France, ce sont des incivilités, des attaques brutales, des explosions de rage sans raison, contre la police ou les représentants de l’autorité. C’est plus un symbole d’anarchie. Ce qui nous menace n’est pas le fascisme, contrairement à ce que nous disent les esprits paresseux, mais la désagrégation du tissu social. L’écologie peut être un des ingrédients de cette colère et de ces frustrations.

M. S. — Il me semble que des mouvements comme Extinction Rebellion veulent plus de chaos, là où vos Gilets jaunes sont en demande de plus d’ordre. Sont-ils la nouvelle gauche et la nouvelle droite ?

P. B. — Les Gilets jaunes sont une fraction de la moyenne bourgeoisie inférieure délaissée, vivant dans les périphéries des villes, et qui a protesté en raison de la hausse du carburant. Une taxe écologique a mis le feu aux poudres. Leur idée de génie a été de se revêtir de ce gilet jaune, qui est la tenue des travailleurs sur la route ou des ouvriers du bâtiment. Et c’est une rancœur contre les grandes villes, Paris, Lyon, Bordeaux... Même s’ils étaient peu nombreux, le mouvement s’est propagé rapidement et sa violence a été instantanée. Les Gilets jaunes ont été accueillis par la droite parce qu’ils étaient blancs, mais en fait ils ont adopté les tactiques de guérilla des banlieues en allant dans le cœur des grandes métropoles, comme Paris, dont ils ont voulu détruire les symboles : souiller l’Arc de Triomphe, brûler l’Élysée, décapiter Macron... Même s’ils [le mouvement était protéiforme et a été récupéré par la gauche, voire l’extrême gauche] se sont alliés depuis aux blacks blocs, des casseurs en chemise noire, assez proches des faisceaux mussoliniens des années 1930, les Gilets jaunes étaient au départ des anars aux cheveux blancs. Des retraités qui ont retrouvé une solidarité autour des ronds-points qui, Michael ne peut pas le savoir, sont une spécialité française (rires). Pour reprendre une expression proverbiale, les Gilets jaunes s’occupaient de la fin du mois, Extinction Rebellion de la fin du monde. Les Gilets jaunes sont proches du phénomène du Brexit ou de l’électorat de Trump : c’est la classe ouvrière blanche qui se sent abandonnée et déteste Macron, trop brillant [bof !, il a raté deux fois Normale Sup »], trop éduqué, beau parleur, cosmopolite et issu des milieux de la banque. Ils adressent un avertissement solennel aux classes supérieures qu’on aurait tort de ne pas écouter. Les écologistes devraient y réfléchir à deux fois avant de vouloir serrer la vis aux gens du peuple qui ont déjà peu de choses. Les collapsologues souhaitent casser notre niveau de vie, nous faire accepter l’idée d’une sobriété heureuse. Ce qui fait penser que l’écologie radicale n’est compatible qu’avec un régime autoritaire.

M. S. —  C’est une nouvelle guerre de classes. D’un côté, il y a les électeurs de Trump, les pro-Brexit et les Gilets jaunes ; de l’autre, Extinction Rebellion, [Radio-Canada, les médias de grands chemins] les démocrates américains et les écologistes. Macron est une exception, dans le sens où il essaye de défendre le centre dans une époque de plus en plus clivée. Aux États-Unis, Trump a maintenu sa base électorale, Boris Johnson semble réussir le Brexit, mais, en France, Marine Le Pen ne semble toujours pas pouvoir gagner...

P. B. — Macron a recréé à l’intérieur de La République en marche la gauche et la droite, parce que ces deux courants s’affrontent régulièrement au sein de son parti. Certains diront que c’est un jongleur, d’autres une girouette. J’ai voté pour lui et je revoterai pour lui, parce qu’il nous a prémunis de deux dangers majeurs, l’incompétente de l’extrême droite et le fada de l’extrême gauche. On l’a échappé belle, mais pour combien de temps ? Le principal problème de Macron est le régalien. C’est un séducteur, pas un chef d’État. S’il n’a pas une action ferme sur la sécurité, le terrorisme et l’islam politique, si la France continue à être balayée par des grèves à répétition, des attentats, des manifestations violentes, il risque d’être balayé en 2022. Marine Le Pen, Dieu merci, n’a pas le logiciel politique pour diriger un pays comme la France. Sans parler de Jean-Luc Mélenchon, qui, lui, est discrédité et vit sous la dictature de ses humeurs. C’est ce qui nous a sauvés. Mais s’il y avait un Donald Trump en France, c’est-à-dire un individu, homme ou femme, qui brave les tabous et propose une autre voie, Macron perdrait, c’est certain.

M. S. — Vu qu’Angela Merkel est déclinante et que Boris Johnson est en train d’organiser le départ de son pays de l’Union européenne, la France devient le chef de fil de l’Europe. Vous voyez d’ailleurs Macron s’opposer à Trump, tout en dénonçant les positions de Greta Thunberg, deux figures radicales. Macron est un espoir pour un pouvoir libéral et modéré en cette période d’extrémisme.

P. B. — Macron est une chance qui ne sera peut-être jamais déployée. Au moment où Trump se retire de Syrie, où l’Amérique abandonne tous ses alliés, plus aucun peuple ne peut désormais compter sur la promesse américaine, contrairement à ce qui s’est passé avant. Il n’y a plus que la France à porter ce rêve libéral et démocratique du monde occidental. Et c’est le dernier pays dans l’Union européenne, après le départ britannique, qui a une armée. Évidemment, nous sommes des nains comparés aux États-Unis. Mais Macron a-t-il la carrure, le charisme et la persuasion pour entraîner les Européens avec lui ? Pour l’instant, il n’est pas aimé en Europe, comme l’a rappelé l’affaire Sylvie Goulard. J’adorerais que la France reprenne son rang, mais je n’en suis pas certain. Pour cela, il faut déjà qu’on remette de l’ordre chez nous, que les trains recirculent normalement, que des hordes de voyous ne viennent pas chaque semaine terroriser les centres-ville et briser le mobilier urbain. La grande politique commence dans les petits détails.

Voir aussi

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Robert Redeker : « L’école s’applique à effacer la civilisation française » (Le Sanglot du maître d’école blanc)

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