samedi 3 septembre 2022

Pénurie d'enseignants en France : regardez comment se passent les entretiens

À ce sujet, nous reproduisons un extrait d’un entretien donné par Anne Coffinier de Créer son école à Boulevard Voltaire :

— À la veille de la rentrée, bon nombre de professeurs manquent encore à l’appel. Comment redorer le blason d’un métier qui ne fait plus rêver ?

Anne Coffinier. — En payant significativement mieux les enseignants et en les recentrant sur leur mission première au lieu de leur ajouter des fonctions annexes qui les épuisent. C’est la première urgence. Il convient aussi de restaurer la discipline au niveau de l’établissement pour qu’ils puissent faire leur métier dans la sérénité et le respect. À cela, doit s’associer un changement de regard collectif sur le savoir et la transmission, ce qui nécessite une révolution culturelle de grande ampleur dans laquelle l’État doit prendre toute sa place. Si le savoir, la recherche, la vie de l’esprit ne retrouvent pas leur place en haut de la pyramide des valeurs de notre société, alors l’enseignant restera prolétarisé comme il l’est actuellement dans les représentations collectives. Si nous ne tournons pas le dos de manière volontariste à la fascination morbide qui nous travaille actuellement pour la déconstruction, la méfiance à l’égard de la transmission et la haine de soi civilisationnelle, nous ne pourrons pas sauver les enseignants.

Il faut engager une grande réflexion sur la place du savoir dans la société, le rôle de l’enseignant au XXIe siècle, à l’heure où l’information brute tient trop souvent lieu de connaissance. Que reste-t-il de l’acte d’enseignement à l’heure d’internet ? Que voulons-nous qu’il reste ? Comment recréer une relation maître/élève qui soit créatrice et stimulante ? Et il faut, évidemment, que les enseignants soient les acteurs de cette réflexion. Pas qu’ils continuent d’être marginalisés, réifiés, instrumentalisés par le discours voire par l’action politique. Ce n’est pas dans un débat chaperonné par l’Éducation nationale ou des assises nationales qu’une telle réflexion pourra se déployer, mais à l’échelle des écoles, en lien avec les familles et les élites locales. Il ne sera pas facile de trouver les moyens de faire évoluer intelligemment le métier d’enseignant. Il va falloir tâtonner et essayer des voies nouvelles. Les écoles indépendantes pourront constituer à cet égard des laboratoires de service public pour inventer les modes d’apprentissage de notre temps. […]

— La nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale n’a pas manqué de susciter de vives inquiétudes, en avez-vous été témoin chez des parents d’élèves ?

— Oui, cette nomination a suscité des craintes et ses premières annonces ne vont pas dans le bon sens. Il en va ainsi de l’annonce de la multiplication des contractuels et de la titularisation en masse de ces derniers pour le printemps 2023. Cela démontre que l’État ne croit plus en sa capacité à attirer par les concours des personnes de qualités et à les former efficacement au métier de professeur, et qu’il se résigne à dispenser un enseignement fortement dégradé à nos enfants.

Sur la question du wokisme de Pap Ndiaye, il faut raison garder. Un ministre obéit à son président. Il ne fera pas exception à la règle. Il y a une vie avant le gouvernement et la vie de gouvernement. Nous attendons de voir quelle sera sa politique à l’égard de l’innovation et de la liberté scolaire. C’est trop tôt pour le dire. Il y a peu de chances néanmoins que ce ministre se voit reconnaître le droit de tourner le dos à la politique d’endiguement de la liberté scolaire (écoles indépendantes comme instruction en famille) qu’a menée son prédécesseur sous la houlette du président Macron.

— Avez-vous constaté une augmentation des effectifs depuis sa nomination et, si oui, peut-on parler d’un « effet Pap Ndiaye » qui expliquerait l’engouement pour les établissements privés indépendants ?

— L’engouement pour les écoles indépendantes, disons les formules d’éducation alternative, est durablement installé en France comme à l’étranger. La nature de ces écoles est à l’image des évolutions de fond de la société : désir d’une meilleure qualité de vie, d’un plus grand respect de l’environnement, d’un développement précoce de l’autonomie des êtres, de l’ouverture à autre chose qu’à l’univers scolaire, désir d’implication des parents dans l’éducation scolaire…

L’essor des écoles indépendantes est une tendance lourde, légèrement entamée cette année par les effets décourageants de la loi dite « renforçant le respect des principes de la République », mais aussi par le Covid, qui a entravé la capacité de financement des établissements. Cette tendance de fond résulte d’un changement de perspective de la société sur l’école. Je ne crois pas une seule seconde au tarissement des écoles indépendantes, ni, à l’inverse, à un « boom » qui viendrait de la peur suscitée par le nouveau ministre de l’Éducation nationale. L’envie d’alternatives en éducation a des racines bien plus profondes et c’est très rassurant ! […]

— Lors d’un précédent entretien, vous demandiez au président de la République une commission d’enquête afin d’établir s’il y a eu un dysfonctionnement dans l’organisation logistique des examens avec rupture d’égalité. Avez-vous été entendus ?

— L’Éducation nationale nous a répondu en juillet en choisissant de nier en bloc l’existence des problèmes que nous avions pourtant dûment documentés en lui remettant, à la demande du cabinet du ministre, un relevé nominatif de plus de 80 dysfonctionnements enregistrés. Ce mensonge et cette arrogance de l’administration sont haïssables. L’Éducation nationale prend le risque de saper le respect des jeunes envers les institutions républicaines qui, non contentes d’être incapables d’organiser proprement un examen pour 4 000 élèves, se paient le luxe de les humilier en niant la réalité des dysfonctionnements qu’ils ont subis.